Je ne sais plus quand exactement, nous nous sommes mis en tête le prétendu bien-fondé
de cette façon de gérer un carrefour qu'est le rond-point, un choix qui s'est généralisé, partout,
au point que nous avons parlé de " rondonite " tant cette option était devenue systématique.
Dans toutes les agglomérations du Sud de la France, je le crains, ce fut une sorte d'épidémie,
manifestement encouragée par le recul de la DDE dans chaque département, lorsque,
à chaque étape de la décentralisation, nous avons transféré des pouvoirs de l'Etat
aux régions, conseils généraux et en particulier aux mairies qui ne se sont pas privées
de se doter de mobiliers urbains souvent délirants, bornes, éclairages publics, barrières,
ni de facturer dès que possible des ronds-points à chaque intersection routière.
En Roussillon comme en région toulousaine, nous avons observé bien du zèle,
parfois extravagant, dans l'aménagement urbain de chaque commune, avec une débauche
d'attributs coûteux censés embellir un village et marquer son unicité comme sa différence,
quand le village voisin aura choisi d'autres bornes, d'autres garde-fous et d'autres candélabres.
Pour ralentir et fluidifier à la fois le trafic automobile, il n'y a pas eu d'économies, nulle part,
ni de chicanes pour briser la droiture d'axes et de rues principales, ni de ralentisseurs,
ni de ces fameux ronds-points qui ont toujours été le lieu de créations artistiques douteuses.
Si certains se contentent du minimum en faisant le choix d'une simple pelouse centrale,
parfois agrémentée de quelques plantations qui donnent du travail aux employés municipaux,
bien des communes ont jugé utile d'y installer leur lot de pressoirs et d'outils agricoles,
d'objets traditionnels ou typiques rappelant les spécificités locales, comme musées à ciel ouvert,
quand d'autres sont allées jusqu'à en faire du musée d'art contemporain routier, en y plaçant
sans mégalomanie aucune, nombre d'oeuvres d'art spectaculaires dont on ne sait pas vraiment
si les auteurs sont de véritables artistes ou les techniciens de la mairie se découvrant des dons.
Ces petits ajouts plus ou moins discrets, plus ou moins kitschs, participent bien sûr à brouiller
la phase délicate de la facturation, à laquelle nous devrions pourtant être attentifs lorsque
ces réalisations aussi baroques qu'inutiles sont permises par le seul argent public.
Les facturations des ronds-points sont toujours opaques, confuses, puisque, au-delà du coût réel
de l'aménagement technique d'un vulgaire carrefour, qui n'est certes pas gratuit, il y a souvent
des dépassements indéchiffrables liés à l'ornementation et au recours à l'ouvrage d'art,
quand on sait que la valeur d'une oeuvre dite artistique échappe à toute considération logique.
Ainsi, nous ne serons pas surpris d'apprendre que le rond-point de l'entrée du village
aura été facturé deux à trois fois plus cher que l'aurait été un simple giratoire opérationnel.
L'explosion des impôts locaux est l'affaire des citoyens de la ville ou de l'agglomération.
La décentralisation n'est pas responsable des équipes municipales que nous élisons.
Et si des mairies sont incapables de valoriser le tissu urbain, si elles portent des personnes
sans culture, sans formation, incompétentes, dans les domaines de l'urbanisme et du patrimoine,
il faut aussi renvoyer les électeurs à leurs responsabilités, quand on a les élus qu'on mérite.
Ainsi, en parcourant le Roussillon comme le Lauragais, on peut, en traversant chaque village,
observer des différences frappantes entre les équipes qui n'y connaissent rien mais qui ont eu
la modestie de l'admettre et se contentent du pratique, sans s'aventurer au-delà, ce qui assure
autant d'honnêteté que de bon goût, dans la mesure où il n'y en a pas, et que l'on est au moins
à l'abri du mauvais, les équipes qui connaissent l'Histoire et l'architecture, qui ont une culture
ne serait-ce que régionale, qui respectent l'unicité et les particularismes de leur patrimoine,
qui cherchent à le mettre en valeur et non pas à le singer, le parodier, ou à le caricaturer,
et les équipes, enfin, qui n'ont pas froid aux yeux et se complaisent dans la folie des grandeurs.
Le citoyen habitant, du fait du suffrage universel, est coresponsable de la politique menée.
Et il est facile de critiquer des responsables politiques si l'on ne leur demande pas des comptes.
Se contenter d'aller voter une fois tous les six ans - quand on le fait - revient au mieux à signer
un chèque en blanc à une équipe, quand la presse locale, dont on peut avec raison souvent
douter de l'indépendance et de l'impartialité, ne peut être la seule vigie et la seule surveillance.
La démocratie consiste aussi à permettre à la société civile, outre l'opposition élue,
d'assister aux conseils municipaux et d'accéder aux dossiers, aux projets et aux factures.
Si nous voulons des détails sur la façon dont notre argent est dépensé, au centime près,
nous avons le droit de les demander.
Si l'aménagement des carrefours dans le tissu urbain le plus dense impose plutôt, par force,
les bons feux de signalisation, c'est surtout aux entrées et sorties de ville que nous retrouvons
au long d'interminables zones commerciales ou prétendues industrielles des successions
aberrantes de ronds-points, dont certains ne sont justifiés que par la raccordement d'un chemin,
alors que l'on en trouve même qui ne distribuent aucune autre direction que celle de l'axe initial.
Il faut au minimum deux routes pour concéder une intersection et justifier un aménagement.
Dans les secteurs où ces questions se posent, qui ne sont pas les centres de villages et de villes,
le fait est que nous ne sommes plus dans l'exiguïté, et que nous disposons précisément de place,
d'un espace suffisant pour imaginer des rondelles aux surfaces trop souvent démesurées.
Vous observerez que s'il y a eu de la place pour réaliser certains ronds-points d'envergure,
il y en avait autant, dans bien des cas, pour réaliser ce qui s'appelle un échangeur.
A la Los Angelisation de nos entrées de ville dont je parlais ailleurs, une expression
appropriée dans la mesure où nous avons pensé la ville uniquement autour de la voiture
et du point de vue de l'automobiliste, nous avons oublié une technologie propre à Los Angeles,
typique de l'urbanisme routier californien, qui est l'art de la bretelle et de la répartition des flux.
Les échangeurs permettent de changer de direction sans rétrograder ni même décélérer.
On se positionne dans une file qui nous conduira naturellement tout droit, à droite, à gauche,
sans avoir à jouer du frein ni du levier de vitesse comme nous sommes contraints de le faire,
en permanence, avec le franchissement d'un rond-point, quelle que soit la direction choisie.
Evidemment, les petites villes du Roussillon ou de l'Hérault, n'ont pas besoin de construire
les spectaculaires toiles d'araignées des échangeurs géants de L.A, quand le trafic local
ne le justifie pas, mais nous aurions pu nous inspirer de la logique de ces réalisations.
L'échangeur a cette vertu de permettre de changer d'axe routier et de direction
à vitesse constante, sans avoir à rétrograder ni même à lever le pied, ce qui, on le sait,
permet une économie non négligeable de carburant pour les usagers.
En plus du confort du conducteur et de ses passagers, qui ne sont plus secoués et ballottés
à chaque giratoire, même lorsque l'idée est tout de même d'aller tout droit, il faut se rappeler
que le choix du rond-point n'est pas la meilleure option en terme d'économie d'essence.
En terme de coût de construction, il apparaît, à la facturation moyenne des ronds-points,
d'autant plus comme nous le soulevions, lorsqu'ils sont dotés d'ornementations délirantes,
que choisir un autre aménagement ne serait pas plus cher.
J'observe qu'à Perpignan, nous nous sommes enfin décidés sur un ou deux sites,
notamment sur la Route d'Espagne, à creuser un tunnel sous un rond-point, qui permet,
et c'est en effet une solution, à ceux qui ne veulent pas changer de direction d'aller tout droit
sans être freinés par les manoeuvres du giratoire, sans être obligés de s'y engager,
de se mêler au reste du trafic et d'y perdre du temps. Que l'on passe au-dessous ou au-dessus,
quand la construction d'un viaduc, d'une rampe ou d'un toboggan aurait aussi bien fait l'affaire,
le tout est d'asseoir les axes principaux comme tels et de ne pas en perturber la fluidité.
Je suis toujours surpris par certains choix, ailleurs, où ce sont ceux qui veulent continuer
tout droit, étrangement, qui doivent quitter la route pour contourner l'obstacle d'un carrefour,
alors que seuls ceux qui veulent partir à droite ou à gauche devraient avoir à s'en écarter.
Il y a dans l'ingénierie routière des alambiquages et des bizarreries qui m'étonneront toujours.
A Perpignan encore, où je vis, sur la voie sur berge qui a l'avantage de longer le lit de la Têt
qui est particulièrement large, la place ne manquait pas pour créer une véritable infrastructure.
Voir un pont atterrir sur un petit rond-point sur l'axe Canet-Prades est simplement hallucinant.
D'autant que des aménagements pour les piétons et de pistes cyclables n'ont pas été économisés.
Il est étonnant de voir qu'une bretelle descendant du pont pour aller dans la direction de Prades
n'ait pas été conçue pour éviter le croisement, qu'une autre pour y monter n'existe pas non plus,
et surtout, que ceux qui veulent simplement longer la Têt sans dévier, dans les deux sens,
soient obligés de venir s'agglutiner sur ce petit rond-point minuscule tout à fait inopportun.
Il ne s'agit même pas d'avoir à choisir entre les feux de signalisation et le rond-point.
Sur les grands axes autoroutiers il y a des options adaptées qui ne sont pas celles de la ville.
La largeur du lit de la Têt, dont les berges doivent être repensées complètement,
permettait précisément de doter Perpignan d'une traversée Est-Ouest sans encombres.
Mais nous avons mélangé les échelles et les fonctions, mélangeant le trafic local de ville
avec celui du transit, qui évidemment se parasitent l'un l'autre et créent autant de congestions.
L'argument des économies budgétaires ne tient pas, lorsqu'à l'accumulation des rustines,
toujours insuffisantes, des modifications, dépassées à l'avance par la réalité des flux,
il aurait été plus judicieux d'investir à long terme dans une infrastructure anticipatrice.
La fréquentation peut varier, s'accroître davantage comme s'amenuiser, il est une chose simple :
les points cardinaux demeurent immuables, et, quelle que soit la ville, il s'agit chaque fois
de pouvoir aller du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, sans avoir à gêner la circulation locale.
Et cette réalité a le mérite de simplifier nombre de raisonnements et d'élaborations techniques.
Surtout, dans une ville comme la mienne, où l'un des deux axes est défini par un fleuve,
un contexte naturel qui nous facilite la tâche et nous a toujours servi la solution sur un plateau.
Le fleuve ne traverse pas le centre-ville historique comme il le fait à Paris ou Bordeaux.
La question du bien-fondé d'une autoroute au coeur du patrimoine culturel et touristique,
comme il peut se poser à Lyon ou Toulouse, ne se pose pas ici en aucune façon.
L'axe était tout tracé et le site permettait d'accueillir l'autoroute sans risquer d'être défiguré.
La rocade se justifiait davantage pour l'axe Nord-Sud qui est de surcroît le plus fréquenté,
puisqu'il est celui de la route de Narbonne et surtout celui de la route d'Espagne,
qui est évidemment un des axes de transit les plus saturés d'Europe, raccordant par le Perthus
la Péninsule Ibérique au reste de l'Europe, en terme de circulation touristique et commerciale.
Il soulève ici le problème de l'ancienne Nationale 9 qui traverse toujours le centre-ville,
et des aménagements sont aussi possibles pour différencier comme il se doit le transit
- qui est ici plus qu'interrégional ou métropolitain quand il est international -
de la circulation locale, quand les deux peuvent se côtoyer sans se gêner l'un l'autre.
Il est aberrant dans ce cas que la Pénétrante (quatre voies de la route Narbonne),
ancienne nationale déclassée en départementale mais n'en restant pas moins l'axe principal,
densifié de surcroît par la sortie d'autoroute de Perpignan-Nord, se retrouve stoppée net
par des feux de signalisation sur le Pont Arago, lorsque la pénétration dans la ville pourrait
être amortie par un tunnel passant sous la Place de Catalogne et la Basse pour ressortir
plus haut, sur le boulevard Mercader - comme prévu initialement - juste avant l'intersection
Universités/Route d'Argelès à gauche et route d'Espagne tout droit.
Soulagée du transit Nord-Sud, la Place de Catalogne retrouverait une circulation de ville,
un trafic urbain classique, et son rôle d'articulation avec le quartier de la gare, lorsqu'en l'état,
ce quartier est coupé du reste de Perpignan par cette artère routière qui tient lieu de canyon.
Enterrer le transit permettrait de faciliter la réunification des deux parties de la ville,
et d'harmoniser en surface, comme ailleurs, le partage de l'espace entre bus, automobiles,
vélos et piétons, sans avoir l'impression de s'aventurer nulle part au bord d'une autoroute.
Une contre-allée à la sortie du pont, la largeur le permet, permettrait d'entrer dans la ville,
pour accéder au centre comme à la gare en surface, les voies centrales continueraient
sans être interrompues en souterrain, pour vomir le flux à peine un peu plus loin,
sur le boulevard et ce qui est déjà une sortie de la ville.
En terme d'infrastructures routières, comme dans tous les domaines, la question première
est d'abord de savoir ce que l'on veut, quel est l'objectif à atteindre, avant d'entreprendre,
et les solutions apparaissent souvent à la formulation-même de ce que l'on souhaite vraiment.
En ces temps où nous sommes préparés à la fin du pétrole, à l'alternance énergétique,
où la civilisation automobile à l'américaine commence à dater et montrer ses limites,
où partout la tendance est à la piétonnisation heureuse de la totalité des centres-villes
- tout ce qui se trouve à l'intérieur des boulevards, qui est de fait tout ce qui se trouvait
à l'intérieur des remparts et qui constitue donc les quartiers historiques de nos cités -
où le vélo retrouve, à Paris, à New York, un deuxième souffle, participant à la nouvelle idée
que nous nous faisons de la ville et du transport individuel, il faut anticiper les transformations,
les accompagner, quand nous avons de plus en plus à coeur d'associer d'autres paramètres
aux seules considérations économiques, comme ceux de la santé et de la qualité de vie.
L'esthétique urbaine elle-même est en train de changer et la voiture, manifestement,
en est de plus en plus exclue, lorsque peu de parisiens et de touristes regretteront par exemple
le parking de surface qui se trouvait dans la cour du Louvre avant l'arrivée de sa pyramide,
que nous ne regretterons pas à Perpignan les quelques places de stationnement qu'il y avait
au beau milieu de la place Gambetta, devant la cathédrale, ni les dernières plus récemment,
que nous venons de sacrifier au moment du réaménagement de son parvis.
Les Toulousains profitent de la rue Alsace piétonne autrement plus agréablement que serrés
sur de petits trottoirs, au bord d'un ravin d'autobus et de taxis, avec des poussettes à hauteur
de pots d'échappement, derrière des enfilades de garde-fous comme seul filet de sécurité.
Autres temps, autres moeurs. La circulation automobile est reconnue comme anxiogène.
Et il est heureux de voir les enfants jouer librement Place de la République à Perpignan,
entre les terrasses de café, sans avoir à craindre le trafic, lorsque l'on convient aussi
que la diversité des véhicules particuliers ne participe pas à l'esthétique d'une rue historique,
que l'alignement du stationnement en surface empêche la mise en valeur du patrimoine,
parasite le plaisir à la déambulation, en plus de gêner la circulation à pied, en poussettes,
en fauteuils, qu'il obstrue un paysage et un site comme une pollution visuelle.
Au-delà des boulevards, à l'extérieur, ce n'est pas parce que nous revenons sur le territoire
privilégié de l'automobile, que nous n'avons pas les mêmes exigences d'optimisation.
Le rond-point fait partie du décor affligeant des zones intermédiaires entre ville et campagne,
qui doivent être traitées avec le même soin que les secteurs sauvegardés des centres historiques.
Et si leur légitimité peut être remise en question, tant d'un point de vue financier que pratique,
je ne serai pas de ceux qui les regretteront.
Philippe LATGER
Décembre 2013 à Perpignan