Je ne suis pas expert en sciences physiques, mais il me semble que cela se conçoit.
C'est un peu comme la poussée d'Archimède. Ce qui pèse ici ne pèsera pas là.
Ce qui est en contact, et se confronte, provoque une réaction à la pénétration d'un objet.
Qui a un volume et une masse. Rien ne se perd, rien ne se crée, disait l'autre.
Ce qui était là, avant la réaction, l'est toujours, même si déplacé, ou sous une autre forme.
L'air dans lequel vous vous déplacez se déplace. Vous le déplacez, sans doute.
A votre passage. Comme en l'inspirant et l'expirant. Mais il en demeure une même quantité.
Ici, le volume d'eau de départ, peut se transformer, en vapeur comme en glace,
celui pris à la mer sera restitué en pluies, sans aucune déperdition.
La Chine. La voilà. Qui a ouvert la porte de son enclave politique géante.
Le barrage a cédé sous la pression des eaux de la mondialisation.
Et si le régime fait encore de la résistance, il ne pourra pas lutter
contre les lois physiques.
Les plus vieux, dont je suis déjà, se rappellent du modèle japonais.
Electronique. Photo. Vidéo. Hi-Fi. Jusqu'à la culture de masse avec ses dessins animés.
Au lendemain de la guerre, dispensé de dépenses militaires, comme un autre vaincu
divisé en deux Allemagne, l'Empire Nippon pouvait s'enivrer d'une croissance hallucinante,
qui créait autant l'admiration que la crainte, sur les ruines du cataclysme nucléaire.
Les Années 60. Vous voyez. Nous avons eu des Jeux Olympiques à Pékin en 2008.
En 1964, c'est Tokyo, qui voulait montrer sa force et son rayonnement au reste du monde.
Des Jeux et des Expositions Universelles. Pour valider l'entrée du pays chez les puissants.
Après des décennies de croissance, les Japonais eurent envie de consommer et de jouir.
Et l'Empire, arrivé au rang de deuxième puissance mondiale, put goûter au déclin.
Le pays délocalise et sous-traite autant que les autres. Sa dette est aussi abyssale qu'ailleurs.
Le prédateur repus connut les revendications syndicales et démocratiques.
Et ce grand pays se mit à produire moins, de façon moins compulsive et compétitive.
Le cas de la Chine est différent sur deux points.
Une différence de nature, qui est celle de sa démographie monstrueuse.
Une différence de contexte, qui est celui de la globalisation accélérée par internet.
Mais les lois de vases communicants restent les mêmes. Le principe des écluses.
Nous voyons déjà la République Populaire commencer à délocaliser à son tour.
Car déjà, l'ouvrier chinois n'est plus le moins cher de la biosphère sociale du monde.
Pour la première fois, sans doute avec une impulsion politique accompagnant les forces
observées de la tectonique des plaques, on relocalise de l'emploi industriel aux Etats-Unis.
Hier, Apple, rien de moins, annonçait l'installation d'une chaîne de production d'ordinateurs
sur le territoire américain, lorsque la compétitivité asiatique a fini par s'essouffler.
Caterpillar ou General Electric ont déjà redonné de l'emploi aux ouvriers US,
rouvrant des usines, comme Whirlpool dans l'Ohio, à ce point de bascule, où la Chine
commence, mathématiquement, à devenir victime de son propre succès.
S'il y a eu un moment désagréable à passer, chez nous, en Occident, qui nous empêchait
bien sûr - bien qu'égoïstement - de nous réjouir du développement de pays qui furent pauvres,
nous pouvons nous réjouir de l'essor phénoménal des pays dits émergents.
Car, si la première conséquence fut, en effet, de ruiner ce qu'il restait de nos industries,
il y avait déjà une raison humaine de nous satisfaire de voir la misère reculer dans le monde,
quand il y a aussi, de façon plus pragmatique, des marchés fantastiques à conquérir
quand ces millions d'ouvriers, si compétitifs, deviendront des millions de consommateurs.
L'ouvrier chinois, rendez-vous compte, n'est pas la fourmi laborieuse que nous imaginions.
Figurez-vous que, comme la fourmi occidentale, il préfère passer des vacances avec ses proches
que descendre à la mine avec le risque de ne jamais en revenir vivant.
Il y eut des pressions déjà, pour des augmentations de salaires.
Et, avec l'apparition de ce que l'on imaginait impossible dans un pays communiste,
une classe moyenne, les ouvriers européens et américains peuvent espérer retourner au travail.
La démographie et l'époque ont permis à la Chine de faire en cinquante ans
le parcours que l'Occident avait fait en trois siècles.
Mais le fantasme de la personne asiatique disciplinée proche du robot docile est un leurre.
Les Chinois rêvent tous d'être aussi désoeuvrés et oisifs que les Occidentaux décadents.
Rêvent d'avoir le confort et le loisir des machines et technologies qu'ils ont produites.
N'ayant pas le goût particulier, bien que Chinois, d'être exploités comme des esclaves.
Et, comme les Japonais avant eux, vous verrez qu'ils prendront vite goût au crédit.
Que l'Etat, lui-même, désirant être puissance politique, lancé dans des dépenses militaires,
devra, ne serait-ce qu'à l'envergure d'équipements à réaliser sur un territoire aussi vaste,
lui aussi - quand des chiffres non communiqués pourraient nous révéler que c'est
une logique déjà en marche, dans certaines provinces notamment - se soumettre à la dette.
Le développement, bien que sous régime prétendument collectiviste, se fait selon les règles
dites capitalistes de l'offre et de la demande, un modèle libéral triomphant dans le monde
depuis la chute du Mur de Berlin, auxquels les Chinois ont adhéré, à leurs risques et périls.
Le modèle, sorti des considérations idéologiques, est celui du progrès à l'échelle globale.
Car si nous pouvions pester à l'idée que des Brésiliens ou des Indiens nous prennent, certes,
des emplois comme des parts de marché, nous pouvons peut-être apprécier que le Tiers-Monde
qui nous faisait pleurer à chaudes larmes dans les Années 80, finisse par disparaître tout à fait.
L'Occident est comme le fils aîné d'une famille.
Qui, à l'arrivée de petits frères et petites soeurs, doit accepter l'idée de partager.
Partager sa chambre ou l'affection des parents. Mais la famille s'agrandit.
Parce qu'elle a les moyens de le faire.
Nous avons traversé des turbulences prévisibles à l'éveil de mastodontes démographiques,
mais dont la feuille de route est la même pour tous, l'aspiration à la prospérité et à la liberté.
Les perturbations ont encore de beaux jours devant elles, mais la logique des forces
est de parvenir à une harmonisation, mondiale, qui atténuera tous les déséquilibres.
Il y aura bien des guerres ou des tensions politiques autour de l'énergie notamment.
Mais le monde, opportuniste, suivant les lois physiques qui le régissent malgré nous,
parviendra à faire réapparaître ici ce que l'on avait dissimulé ou repoussé ailleurs.
L'équilibre qui se fait, certes sur des générations, est une réaction aussi implacable
que celle du ballon plongé sous l'eau remontant furieusement à la surface.
La production industrielle, avant d'obéir à des décrets politiques nationaux,
suit le cours naturel de règles comme la rentabilité, la compétitivité,
que certains peuvent juger nihilistes ou inhumaines, mais dont les causes et les effets
ont le mérite d'être aussi attendus qu'immuables. Comme aux lois de la gravitation.
Des choses dont nous pouvons ne pas nous satisfaire, mais dont nous connaissons les forces,
depuis que notre espèce a découvert l'agriculture et l'idée du progrès.
Ainsi, comme nous pouvions nous y attendre, la Chine n'est déjà plus le conquérant terrible
qui alimentait autant de fantasmes que de phobies au cours de la dernière décennie.
Lorsqu'elle suit précisément le mode de développement que nous avons suivi avant elle.
Qu'elle n'oppose aucun modèle, comme elle tenta de le faire avec l'URSS en d'autres temps,
embrassant au contraire celui d'un capitalisme dont nous connaissons parfaitement les codes.
Si les tensions géopolitiques resteront vives, en particulier sur la zone Pacifique,
nous voyons que sur le plan économique et industriel, la crise de croissance, toujours en cours,
aura ses limites, quand nous commençons à en voir les premières conséquences aujourd'hui.
L'emploi délocalisé commence ici ou là à revenir, sur des filières connues et exploitées,
comme il y aura de nouveaux emplois à pourvoir sur des filières encore inconnues.
Ce n'est donc pas une marinière, un label, ou les incantations politiques,
qui ramèneront des usines sur le territoire français, mais un modèle social, un modus vivendi,
et des aspirations qui ne sont pas occidentales mais proprement humaines,
qui nous sortiront, curieusement, de certaines crises par le haut, lorsque la tendance de fond
n'est pas d'aligner nos salaires sur ceux des pays émergents, mais les leurs sur les nôtres.
Bien sûr, cela ne se fait pas en une génération, et nous traversons, en Europe, sans doute,
une période sinistre de perte de confiance en nous, mais la courbe générale montre
qu'il ne s'agit pas de baisser notre niveau de vie occidental à celui des pays émergents,
mais de hisser celui des pays émergents à notre niveau de vie, qui nous paraît précaire,
mais que les Indiens et les Chinois voudront, et pourront,
maintenir pour nous comme pour eux-mêmes.
Philippe LATGER
Décembre 2012 à Perpignan