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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 18:28

 

 

Il faut boire et chercher l'ombre. Boire frais. Mais pas trop.
S'hydrater la peau. Sortie des rouleaux de sel et de galets.
S'enrouler dans une serviette. Chercher quelque chose à l'horizon.
Les yeux mi-clos. Ursula Andress sortant de l'eau.
La mer étouffe le cri des gosses. Les rires et les conversations.
Comme la neige. La mer bouffe les sons. Celui de ce moteur d'avion.
Celui de celui du Zodiac des sauveteurs. Le vendeur de beignets.
Je secoue la tête sur le côté. Frictionne le crâne. Sécher les cheveux.
Le col châle en éponge. Le nez qui coule. Les yeux qui piquent.
Dévorés par le soleil. Que je plisse en cherchant ta silhouette.
Le tempo des vagues est irrégulier. Chaque reflux efface le tableau magique.
Le dessin des enfants et les châteaux de sable. Et l'instant qui m'échappe.
Et l'été qui s'enfuit. Et mon coeur qui s'en fout. Quand il en vient un autre.
Je souris et je fume. Nous n'avons jamais été aussi près de l'été prochain.
Faire claquer le zippo. Un bras d'honneur. Je fais ce que je veux.
Je ne fais pas, je jouis. C'est tout ce que je sais faire. Jouir et faire jouir.
C'est mon métier. Ma condition. C'est ma nature. Qu'on me paye pour ça.
Rentrer dans le rang ? Je le fais par derrière. Par la petite porte.
Par l'entrée des artistes. La sortie de secours.
" Tu ne peux pas faire les choses comme tout le monde ? " ...
J'ai tout essayé. J'aime tout. Je ne peux juste pas me contenter d'une route.
J'ai besoin de celles que je n'ai pas prises. De celles que j'aurais pu emprunter.
De celles qu'il n'est pas exclu que j'emprunte. D'inventer toutes les autres.
La mer revient me faire frissonner. J'ai les tétons sensibles.
Le slip de bain élastique. Le flux et le reflux. Les jours qui raccourcissent.
Je ne sais nager que sous l'eau. Je retrouve mes dix ans. Les Années 80.
Rita Mitsouko à la radio. Mais c'est la mort qui t'a assassinée Marcia ...
Les maracas. Le tic-tac de la cloche mambo. The cowbell. Dans le rythme cardiaque.
Et je retiens ma respiration dans mon voyage parallèle aux splendeurs sous-marines.
Homme-grenouille. Sans masque et sans bouteilles. Pêcheur de perles. En apnée.
Le bonheur enfoui. Le bonheur d'aujourd'hui. Et celui à venir. Dans la même brasse.
Lorsqu'à la surface, c'est l'éjaculation, je reviens, je renais à la respiration.
Et aux sons étouffés du monde sur la plage, aux rires et aux cris des enfants,
je n'entends que la mer, et mon coeur haletant.


 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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27 août 2011 6 27 /08 /août /2011 15:59

 

 

Je me purifie dans les eaux du Gange.
Je fais corps avec l'univers. Je me fonds. Comme le sucre dans mon café.
Une entité qui ne disparaît pas, quand elle se mélange, apporte sa contribution.
Mon grain de sel dans ce foutoir. Quand je me tiens à la marge. Aux marches de Bénarès.
J'ai pénétré les yeux verts de cet adolescent. Un simple regard et je suis entré en lui.
J'ai pénétré la fibre des arbres et le béton de la ville. J'ai traversé les murs et les montagnes.
La matière est peu de choses. Le matériel n'est rien. Il n'y a que l'esprit. Et le Mahâbhârata.
Je marche sur des braises dont je ne sens plus la morsure. La chair et le désir maîtrisés.
Dieu est un éléphant. Que je chevauche. Qui me transporte plus loin. Et plus haut.
Avec prudence. Avec constance. A pas lourds et précis. A travers cette jungle.
Et je deviens lui. Il est moi. Nous sommes faits du même bois. J'en suis une parcelle.
Quand j'ai la clé du mystère. Au bout des doigts. Dans la vie ou la mort qui sont la même chose.
Je suis l'adolescent aux yeux verts. Je suis l'arbre et la ville entière. Et le Mahâbhârata.

 

 

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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25 août 2011 4 25 /08 /août /2011 23:40

 

 

Chez le pépiniériste. Des brumisateurs jouent avec la lumière.
Osent de petits arcs-en-ciel. Dans les allées, je m'arrête devant de larges feuilles.
Alocasia macrorrhiza. Je souris. Je touche. Je m'interroge.
Une fois mort, aurais-je l'opportunité de voir encore des Oreilles d'éléphant ?
Cette question me revient de façon moins espiègle. A la nuit tombée. Déjà. Si tôt.
De la musique celtique vient me pétrir. A la fois sombre et lumineuse.
Répétitive. Obsédante. Violons tournent en rond. La même phrase. Modulations.
La basse fait son chemin. Les accords suivent. La phrase est la même. Enivrante.
Des percussions de chevaux au galop dans la lande. De peuples qui se libèrent.
Des hymnes festifs qui me déchirent le coeur. Qui portent autant l'espoir que la désespérance.
Aux conquérants. Aux résistants. Aux explorateurs de nouveaux mondes. Aux moissons.
Comme aux jours de disette. Comme à la famine. A la paix comme à la guerre.
La musique d'Avalon fait glisser ses brasiers.

Je serai triste de ne jamais plus entendre de musique irlandaise.
L'accordéon et les flûtes. Cavalcade du bodhran. Le cajon gaélique.
Les pulsations humaines. L'étourdissement du rythme.
Les danses rurales. Les filles et les garçons. Le mariage ou l'amour.
Et l'union des familles. Et l'union des Couronnes.
Et les guerres civiles. Le ciel comme relief.
Comme je m'ennuierai, une fois mort, de ne plus rêver les Gens de Dublin.
La Chaussée des Géants. La peau comme du lait.
Et les taches de rousseur. Sur le vert fluorescent lavé par les embruns.
Comme il y a du blues dans la musique brésilienne.
Comme il y en a dans la fête celtique.
Comme il y a du Fado, à vouloir s'oublier et se perdre,
dans l'alcool et la danse, la douleur d'exister. A vomir tant de bière.
Transpirer du whisky. A tourner comme des fous à en perdre l'équilibre.
Quand la mer vous a pris un grand frère ou un fils.
Et quand votre bien-aimée en préférait un autre.
Et ça pogote aux villages, la fureur d'être seul, la rage d'être ensemble. Avec Dieu et le Diable.
Jusqu'aux brumes d'Ecosse. Aux nappes de cornemuses. Aux légendes du Loch Ness.
A couper au couteau. A couper à la hache. A jeter des troncs d'arbre aussi loin que possible.
Pourrais-je entendre encore, dans l'Au-delà, la musique du monde ? Celle de mes congénères.
Qui disent la même chose, en Asie, en Afrique, en Europe Centrale. L'Amérique du Sud.
Partout la même angoisse. Partout la même foi. Et l'art d'exprimer les nuances du ciel.
Comme vous me manquerez. Tous. Vous qui jouez du bodhran, qui jouez du cajon.
Uilleann pipes. Tenoras catalanes. Qui jouez des talons, aux bulerias comme aux gigues.
A faire trembler la terre. A répondre à l'orage. A défier les dieux. A défier la Mort.

La musique d'Irlande. Les Oreilles d'éléphant.
Les petits arcs-en-ciel dans l'odeur des terreaux.
Tout me manquera aussi vrai que Montréal la nuit,
et son phare dans la neige. La skyline de lumière.
Au retour d'un voyage dans d'étranges cantons.
Le retour à la ville. A la Metropolis.
Pourrais-je entendre encore les langues du Québec,
où la gigue parvient sur d'épais blocs de glace.
Le pont Jacques Cartier. Les clochers catholiques.
Les sourires haïtiens. Et la peau du Mexique.
Que restera-t-il au-delà ? Me permettra-t-on au moins, de rêver à ce que j'ai connu ?
Mariachis enjôleurs. La piña colada. Les squelettes qui dansent. Et Diego Rivera.
Une fois mort, voit-on des forêts vierges, des baies et des volcans, des fleuves et des chutes ?
Dieu osera-t-il m'enlever la chaleur du soleil ? La splendeur du miracle dans lequel je suis né ?
Les vagues du Pacifique ? Les rizières ? Les plages de Turquie ? Les étoiles filantes ?
Je m'extasie soudain sur la moindre araignée.
Prends le soin d'apprécier une simple gorgée d'eau.
Regarde s'enrouler la fumée dans l'espace comme si je la voyais faire pour la première fois.
Quand la musique me transperce. Provoquant des images que je serai incapable d'inventer.
Des images que mon cerveau ne sera plus en mesure de projeter, de reproduire, ni d'effacer.
Incapable de sentir les émotions qu'elles déclenchent. La joie et la peine. La révolte et l'ivresse.
Je pourrais être aveugle si je pouvais entendre. Et sentir. Et toucher. Le lisse. Le granuleux.
Le gluant. Le visqueux. Le liquide. Le moite. Le ferme. Le filandreux. Le soyeux. Et le rêche.
Sentir l'eucalyptus et le clou de girofle. La menthe. La branche de tomate. Et l'alcool à brûler.

L'Irlande pleure le bonheur d'être en vie. La nostalgie. Ce monde qui nous manquera tant.
Aussi beau que cruel. Comme chants africains, comme des voix bulgares, elle pleure l'aventure.
C'est la Bossa Nova. L'Appel à la Prière. Le Gospel de Louisiane et du Mississippi.
Les basses de Russie. Les barbes orthodoxes. Et des chants grégoriens. Ou celui du Muezzin.
Nous avons tous de notre vivant, cet étrange mal du pays que nous n'avons pas encore quitté.
L'ennui par anticipation. Et ce manque. De peur de ne pouvoir l'éprouver ensuite.
Le regret de partir, bien avant le départ. Quand on sait seulement ce que l'on va laisser.
Que l'on connaît si mal. Que l'on comprend à peine. Ce que nous percevons.
Aux cordes orientales. J'écoutais Oum Kalthoum. Comme Maria Callas.
Et rugir les sirènes. Et gronder les orchestres à grands coups de timbales.
Pleuvoir le cymbalum. Steel Drum jamaïcain.
Pour mieux combler le vide auquel je suis promis.
Me moquer du silence dont je n'aurai que faire.

A la croisée des ondes, compositions d'atomes et de chaînes ADN,
se trouvent tant d'espèces sachant me divertir, utiles à me distraire,
me pâmant sur la pieuvre et les bancs de méduses, sur le rhinocéros,
l'orang-outan, comme sur l'idée-même du nombre de celles qu'il reste à découvrir.
Il en faut je suppose, pour les générations futures. Laisser la place aux prochains. Aux suivants.
Ce ne sera pas perdu pour tout le monde. Mais enfin. Quel supplice. Apprendre à se quitter.
A tout abandonner. Apprendre à oublier. La musique est celtique.
Je cherche à avoir la foi. Celle de ceux qui sont partis. Traverser l'Atlantique.
Ce sera mieux là-bas. Ce ne sera pas pire. Comme on dit au Québec.
Qu'on m'assure que j'aurai encore le plaisir d'écouter à loisir le son des cornemuses.
Et le chant des cigales. Le timbre de ta voix. Ou celui de ma mère. Celui de l'océan.
Qu'on m'assure que j'aurai encore le moyen de sourire aux sourires de ceux que j'ai aimés.
Ailleurs que dans les textes qui m'auront échappé.
Pouvoir me souvenir. Pouvoir vous embrasser.
Quand je grave ici même, c'est une sécurité,
tout l'amour que je porte tant qu'il est encore temps.
A vous - à qui d'autre ? - qui suivez cette ligne de signes et de mots,
que je ne connais pas, que j'aurais pu connaître, que j'aurais pu aimer,
même si vous avez de la peine à me suivre.
A ceux qui sont ailleurs, dont j'ai croisé la route,
qui ont partagé peut-être la même hallucination.
Ceux qui m'entourent. Ceux que j'entoure.
Comme à toi, en personne, qui sais bien qui tu es.
Et qui es bien la seule chose que j'emporterais avec moi.
Au moment de m'éteindre.
Voici mon amour entier, aux mystères celtiques,
dont le mot est trop court pour tout mettre dedans.
Celui que j'ai reçu. Et qu'il me faut transmettre.



   

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 18:34

 

 

Le feuillage n'a plus si fière allure. L'été l'a malmené.
Il est facile désormais d'envisager la prochaine étape.
Chaque feuille ne tient plus qu'à un fil. Et au prochain coup de vent...
Le café que je bois me tient songeur à ma fenêtre.
Je n'ai pas peur de l'automne. Depuis que je ne suis plus écolier.
Depuis que je ne suis plus lycéen, étudiant, je ne crains plus septembre.
L'automne n'est plus un monstre. Depuis que je te connais, ce serait même un mot doux.
Puisque nous serons ensemble. Que les vacances ne nous sépareront plus, pour un temps.
Et que j'aurai plaisir, même au changement d'heure, à attendre ta venue à travers les carreaux.
L'été n'a rien perdu de son intensité. Ce sont les autres saisons qui se sont mises à niveau.
Qui ont gagné en puissance depuis que je te connais. En violence et en sensualité.
Qui ont gagné en érotisme. Au froid et à la pluie. Au vent et à la nuit.
Puisque j'ai ton sourire. Puisque j'ai ton regard. Puisque j'ai ton abri.
Pourquoi redouterais-je la rentrée lorsqu'elle annonce nos retrouvailles ?
Je l'ai attendue ! Sans impatience. Tranquillement. Sereinement. Et elle s'en vient.
Elle prend son temps. Et je suis heureux, enfin, de ne plus le subir.
Ai-je écrit quelque part qu'il était mon ami ? Ai-je pu écrire cela du temps ?
Convaincu jusqu'alors de sa férocité, de son injustice, de son indifférence.
Il était un problème. Il est la solution. C'est un drôle de constat.
Que je fume en rêvant, au platane épuisé qui remplit mon espace.
Il cache encore la pierre avec difficulté. Semble lutter contre le sommeil.
Il retrouvera toute sa superbe après quelques mois d'hibernation.
Mais pour l'heure, la nature résiste. Les paupières un peu lourdes.
Et je m'étire de plaisir à l'engourdissement. Hiberner avec toi...
Une mort en avance. L'avant-goût délicieux. Celui d'une éternité paisible.
Quand je me réjouis que l'on ferme le couvercle d'un cercueil à deux places.
Le caveau secret. Exclusif. Confortable et douillet. Où je respirerai ta nuque.
Qu'on m'enterre avec toi. Ici, à Perpignan. Loin de tout. Loin du monde.
C'est la répétition de la dissolution. Du retour à la terre. Et de l'oubli de soi.
Ramassés sous la couette. Où l'air vient à manquer. Blottis l'un contre l'autre.
A ne penser à rien. A ne craindre personne. S'il n'existe plus rien.

 

 

 


Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 22:16

 

 

Chez papa. Chez Virginie... je pense à toi.
Je regarde les maisons. Le jardin. La piscine. La terrasse. Ou la vue.
Etre propriétaire. Ce ne doit pas être désagréable. Aménager une vie.
Imaginer un lieu. Trouver le site idéal. Sur la côte. Au soleil. Une ambiance.
Un panorama. Un environnement. Que l'on a plaisir à retrouver au réveil.
Lorsqu'on ouvre les volets le matin. Volets que je ne fermerais jamais de moi-même.
Evidemment, je pense à toi. Je me demande si ça te plairait. Si tu aimerais y vivre.
Je me retrouve chez un pépiniériste... je pense à toi.
Dans les allées parfumées de thym, de fleurs, et de poivre, je déambule, distrait.
Mon amie cherche quelque chose pour son jardin. Et j'observe les acanthes.
Les bananiers et les agaves bleus. Les oliviers. Toutes les variétés de plantes grasses.
Qu'aimerais-tu voir dans le parc autour de la maison ? Pins, cyprès, bambous ?
Décidément, j'y pense sans y penser sérieusement. Ce ne doit pas être désagréable.

Au téléphone, sur le fixe. Le portable sonne. Je ne reconnais pas le numéro.
Je pense à toi. Mais ce ne peut être toi. Qui peut bien appeler un samedi soir ?
Un appel de l'étranger ? Ce n'est pas l'indicatif de la Grèce. Ce n'est pas mon frère.
C'est l'indicatif de l'Espagne. Ce n'est pas mon père. Déflagration dans la tête. Non...
Et si c'était toi !... Je termine ma conversation sur le fixe.
Tout en vérifiant ton numéro de portable. Sur mon répertoire.
Un signal m'annonce qu'on m'a laissé un message. Ce n'est pas ton numéro.
Nous avions convenu : silence radio jusqu'à ton retour.
Je me suis préparé psychologiquement.
J'aurais eu des nouvelles par internet. Au mieux, un e.mail.
Mais j'ose espérer. Si c'était toi.
La conversation est terminée.
Je raccroche. Après avoir nerveusement arpenté tout l'appartement.
Je me précipite sur la messagerie. Bien sûr. L'indicatif de l'Espagne.
Qui d'autre que toi ?
" Bonjour, c'est moi... "
Et je m'écroule dans mon fauteuil de bureau.

A Rosas, il y a de belles villas. Comme à Llança. La Escala. Comme à Ibiza.
J'ai regardé, comme toujours. Et j'ai pensé à toi. Ce ne doit pas être désagréable.
Je pense qu'une maison sur la Costa Brava
n'empêche pas d'avoir un appart à Paris ou à Manhattan.
Je peux rêver. Ça ne coûte rien.
C'est aussi agréable que de penser à toi. Je ne me prive pas.
Ici, je ne rêve pas. Je n'en crois pas mes oreilles.
Je suis dans mon fauteuil de ministre. Bouleversé.
" J'espère que tu vas bien... "
Ô mon amour, comme je m'en veux d'avoir manqué cet appel.
Comme j'aurais aimé te parler. " J'aurais aimé te parler... "
Comme si tu disais ce que je pensais au moment de l'entendre.
Le message est déjà terminé. Pour effacer ce message, tapez 3. Non. Surtout pas. Surtout pas !
Réécouter ? Tapez 1. Un ! Oui, un ! Bien sûr ! Et puis 2, et puis 3, et puis 4 fois de suite.
" Bonjour, c'est moi... " Encore et encore. Bien au chaud dans mon oreille. Les yeux fermés.
Pour effacer ce message, tapez 3. Je me jette sur mon lit. Allongé. Sur le ventre. Amoureux.
Mes fenêtres ouvertes et ma lumière orange. Il fait chaud. Le portable collé à mon oreille.
Je suis en caleçon sur le drap. Je tape 1. Une fois de plus. Je t'écoute. Réécoute.
" Tout va bien... " Et je reconstitue ton image autour de ta voix.
Les yeux fermés. Je reconstitue. Ta peau. Tes cheveux.
Ton odeur. Ton parfum. Contre moi. Je tape 1. " Bonjour, c'est moi... "
7. 8. 9 fois d'affilée. Je vais bien. Tout va bien. Je suis sage comme une image. Je t'attends.
Je caresse le drap. Je pèse sur le matelas. Il fait chaud. Je te cherche. Je t'écoute.
Ce que tu me manques. J'enrage de ne pas avoir décroché.

Je traverse la Place de Catalogne.
La chaleur aujourd'hui, fut caniculaire. Il fait encore chaud.
Quelqu'un me demande sa route. Je m'interromps.
" Oui, voilà, c'est par ici, continuez tout droit. "
Je reprends mon chemin. Je suis en nage. Vous n'avez pas de nouveaux messages.
Je m'engage dans l'avenue de la gare. Pour réécouter vos anciens messages, tapez 1.
Cette avenue Charles de Gaulle dont j'ai pu inspecter chaque phase de rénovation.
Les trottoirs défoncés. Le changement du sens de circulation. Les balises et les grillages.
Les pelles mécaniques. Les panneaux. Les trous béants sur les canalisations souterraines.
Je tape 1. " Bonjour, c'est moi... " Et je marche d'un pas rapide. Parisien à Perpignan.
J'ai vu le remplacement des éclairages publics, peu à peu, entre les hauts palmiers.
L'harmonisation tardive du mobilier urbain avec celui du reste de la ville. Barcelonais.
Et j'avance jusqu'à la Maison de la Région, dans son bâtiment arraché à South Beach.
La Streamline catalane. " J'aurais aimé te parler... " 18. 19. 20 fois. Tapez 1.
J'ai remonté l'avenue l'hiver dernier. Et au printemps. Et encore cet été. 30 fois. 40 fois.
L'inquiétant hôtel particulier d'Emile Drancourt et son portail. J'avance vers ma destination.
Ce Centre du Monde couvert d'échafaudages. Dominé depuis peu par la gare TGV.
Ces gros cubes multicolores alignés le long des voies. Coiffés d'une vague photovoltaïque.
Le bureau de tabac ouvert jusqu'à 22 heures. Le téléphone portable à l'oreille. Mon sourire.
La nuit chaude. Les palmiers et les kebabs. Les voyageurs. Les valises à roulettes. La chamade.

Cet hiver. Ce printemps. Cet été. A l'aller. Au retour. Je pensais à toi.
Le Méditerranée. La porte de l'Or Bleu. L'académie de guitare.
L'impasse Drancourt. Le tatoueur.
Le pas alerte. Une sorte d'exercice physique.
Pour mériter ma dose. Mon footing d'après 20 heures.
Cyber cafés. Boîtes à téléphones. " Vous n'auriez pas un peu de monnaie pour manger ? " ...
Le dôme de verre de la FNAC, au bout de la perspective, d'une voie ferrée plantée de palmiers.
J'allais te retrouver au retour. J'avais le temps d'une douche. D'un coup de fil à mon père.
Et tu monterais me rejoindre dans notre studio. Embrasser le platane de mon étage.
Les supérettes ouvertes le dimanche. Les snacks. Les bistros. Le clocher de l'église St Joseph.
J'ai refait le chemin. Pour la millième fois. Avec tes yeux dans la tête. La détermination.
La plus belle énergie. " Excuse-moi, t'aurais pas une clope à dépanner ? "
Ici, la moiteur a remplacé l'écharpe de janvier. La gare vomit ses flots de touristes.
Et la voie que je suis, c'est la tienne. Celle qui se déroule dans mon oreille. " Bonjour... "
Tapez 1. Mon amour. Que je ne vais pas chercher à la gare. Qui n'est pas au bout de l'avenue.
Place de Catalogne. Le boulevard Clémenceau ou le quai de la Basse. Place Arago.
Je pense à toi. Le matin. L'après-midi. Je compte les jours. Réécoute le message.
Aux colonnes de la Barre. Aux remparts. Aux balustres. Aux pavés. Aux passages cloutés.
J'ai refait le chemin. Dans un sens. Puis dans l'autre. Ne manquant plus de toi.

Je me demande ce que tu fais. Où tu étais quand tu as composé le numéro.
Essaie de sentir dans la voix s'il y a un sourire. L'émotion. D'imaginer l'expression. La posture.
J'entends un bruit de mobylette. De circulation. J'essaie de me représenter le cadre.
Une rue. Le trottoir. Un carrefour. Une cabine téléphonique ?
S'il fait chaud. S'il fait doux. Ce que tu portes.
Je me demande ce que tu as ressenti en raccrochant. Ce que tu as ressenti en m'entendant.
" Bonjour. Merci de me laisser un message et je vous rappellerai. "
Ce que tu as ressenti en comptant les sonneries. Si tu avais préparé quelque chose à dire.
J'essaie de te voir. Et je te vois. Superbe. Sombre. Solaire. Limpide. Timide. Téméraire.
Et je ne peux me résoudre à effacer cette empreinte vocale.
Qui m'aide à habiller le spectre, le silence.
Qui remplit le vide que je caresse sur mon drap.
Et ma carcasse entière d'un curieux fourmillement.
" Bonjour, c'est moi... " Et je t'embrasse.
Et tu continues à me parler sur l'oreiller. Encore et encore.
Je n'avais pas à l'être, mais je suis rassuré. Un cadeau pour tenir la distance. Si près du but.
Un signal bienvenu. Le message reçu. Tu as pensé à moi. Et j'en suis ému. Transpercé. Fusillé.
Quand je pensais à toi, encore tout à l'heure, dans les allées de ce pépiniériste.
Que je pensais à toi, pas plus tard qu'hier, sur les hauteurs de Rosas et sur le front de mer.
Que je pensais à toi pas plus tard qu'à l'instant. Où le portable a sonné. A cet indicatif.
La Escala ou Llança. Ibiza. Cadaqués. Ce doit être agréable. L'été comme l'hiver.
Ta voix dans l'oreille. Avec quelques acanthes et des agaves bleus.
En ouvrant grand, le matin, au soleil, sur la mer, des rideaux, des bras et des volets
que je ne fermerais jamais.

       

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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19 août 2011 5 19 /08 /août /2011 23:06

 

 

C'est le soleil, ici, qui est orange. Sur la baie de Rosas.
Où l'adolescence libre put faire son lot de conneries.
Moi le premier, ivre au volant. Au retour du Rachdingue.
Où il était possible de plonger nu dans une piscine intérieure.
Dans une caverne de schiste sombre, habillé des seules vapeurs de l'encens.
La terrasse, au pied du dieu DJ, au sommet de sa pyramide aztèque,
à la lumière des flambeaux, d'où l'on dominait le brasier des villes de la plaine.
Cela sentait l'Energy Drink, le médicament fade et le cannabis en sueur.
La moiteur de teufeurs torses nus, coiffés de lunettes et de gel dégoulinant.
Des nuits à la Passarel.la, moins sulfureuses, plus populeuses, inanimées,
où le fantôme de Salvadore n'aurait pu s'aventurer.
Les familles sur le front de mer n'évoquent en rien l'époque des hallucinations.
Même si le spectacle parfois, me fait douter. Pastillas o chocolate.
Des monstruosités humaines qui charrient leur condition sur la promenade.
Gloutonnerie de glaces et de tongs. Boulimie de maillots bradés, de bière et de jamon.
Défilé incessant de coups de soleil malheureux, de jambes lourdes qui traînent les pieds.
Je regarde les visages luisants et rougeauds, qui transpirent aux terrasses des restaurants,
réduites à une rangée de tables collées contre le mur d'une ruelle, où l'air ne parvient pas.
Entre cartes postales, ballons et jeux de raquettes pour les enfants,
la foule avance, tente de se frayer un chemin,
entre ces couples qui dînent en tête à tête, ont choisi la paella,
ou ces parents sans marmailles qui, aux tonneaux, sont à la sangria.
J'essaie de m'extirper de là, en me contorsionnant, en me faufilant, évitant le contact,
m'en sortir sans écraser ce bichon maltais, ni cette petite fille fière de sa robe flamenca,
pour ne reprendre ma respiration que sur l'allée de la Riera Ginjolers qui se jette à la mer.
La rivière couverte, transformée en ample voie piétonne, bordée d'anciens cinémas,
d'hôtels et de marchands de bikinis, m'offre enfin l'iode d'une perspective ouverte.
Pas sur le grand large, puisque nous tournons le dos à la Méditerranée,
mais sur les eaux de la baie, et les brumes de Santa Margarida, qui me caressent enfin.
C'est là que je comprends que la nuit n'est pas encore tombée. Le soleil décline.
Il est énorme. A la loupe d'une atmosphère encore lourde de chaleur.
Et mon corps n'a pas envie de peaux humaines, de confrontations physiques.
Quand la marée désincarnée m'a dégoûté de mes semblables. Overdose.
Je m'élance vers les bateaux qui ont jeté l'ancre. Paisibles et silencieux.

Bien sûr, les congénères qui ont pris ici des vacances méritées,
pourraient être des cousins, des oncles et des belles-soeurs.
Les jeunes gens qui se sont préparés pour sortir après une journée à la plage s'encouragent.
J'en regarde certains. Dans la bande qui chahute à ce bar. J'aurais pu être l'un d'eux.
Des gosses. Heureux de dépenser de l'argent à boire.
Gagner une ivresse qui leur donnera de supers pouvoirs.
A commencer par celui du culot, qui leur permettra d'aborder des filles dans la rue ou en boîte.
Celui-ci, avec sa brosse ébouriffée, dans son débardeur mettant en valeur son bronzage.
Ou celui-là, avec son air important, derrière ses lunettes noires, fumant comme un cow-boy.
Une tendresse pour ces petits blaireaux. Une sorte d'affection fraternelle. Indulgente.
Quand je sais le mal qu'on se donne, à cet âge, pour paraître sûr de soi.
Quant aux nuées de beaufs à poucettes dans leurs shorts ridicules... eh bien ma foi...
je me dis que je ne suis pas à l'abri de devenir comme eux, ou, pire encore,
que je passe probablement déjà pour un beauf, moi-même, aux yeux de certains.
Puisque ce n'est jamais qu'un jugement de valeur. Et qu'après tout, je participe à l'orgie.
Le politiquement correct exigerait de moi que j'écrive ici que je ne saurais juger mon prochain.
Mais. Face au soleil, je dois dire... mon prochain, je m'en moque. Je lui tourne le dos.
Je le laisse à ses patatas bravas, à ses salles de jeux, et à son shopping de fête foraine.
Ayant cette chance immorale de n'avoir plus d'argent, pas d'argent à dépenser, à gaspiller,
en calories dont les enfants n'ont pas besoin, en choses inutiles qui finiront à la poubelle,
je tourne le dos, plus qu'à mes frères, à la société de consommation, frénétique, compulsive,
dont nous n'avons toujours pas épuisé la bêtise, la malhonnêteté, en drogués que nous sommes.
Abstinent par force, je savoure mon aubaine. En cure de désintoxication. Je jeûne.
Face au soleil qui se couche. Derrière les montagnes. Me laissant seul à ma nouvelle addiction.
Il faut bien remplacer une drogue par une autre. Pour ne pas se foutre en l'air. Antidépresseurs.
Mes euphorisants ne sont plus le whisky ou les fringues de marque. La nuit. Le sexe. La fête.
Je regarde le monde basculer dans les ténèbres complices. Et je pense à toi.
Mon coup de fouet. Mon shooter. Mon rail de coke. Adrénaline. Et dépendance.

Sauter dans un taxi. " A l'aéroport ! "
Le Lincoln Center. Denpasar. Et j'en passe.
J'ai fumé moi aussi, comme un cow-boy,
ou cherché à dessiner quelque chose avec un débardeur.
Monaco. Miami. Les filles dans les cages. Où je tournais en rond. Comme ronds de fumée.
Une tendresse pour ces errances. Le mal que je me suis fait. Regrettant celui que j'ai pu faire.
En pensant à celui qu'on se donne pour devenir un homme.
Pour se tenir debout. Ou se sentir aimé.
J'ai renoncé à l'unanimité. J'ai renoncé au plus grand nombre. Au bord de la noyade.
Je suis dépendant aux gens qui m'aiment. Dépendant d'eux. Ce petit nombre enveloppant.
Infiniment aimant. Infiniment présent.
Qui m'habille plus sûrement que les hypocrisies flatteuses.
Les fausses gloires. Les toasts et les embrassades de clubbers qui croient duper leur monde.
J'ai toujours vu clair à ce jeu, même dans les profondeurs extrêmes d'un alcoolisme sordide.
J'ai une dette envers la banque. Plus de cash. Plus d'argent. Et j'ai pu remonter à la surface.
Me sortir du bourbier. Me contraindre à renaître.
Me sauver du whisky qui remplaçait mon sang.
A ma banque, je dois la purge.
A ma pauvreté, je dois ma liberté nouvelle. Et mon indépendance.
Je leur dois mon amour. Je leur dois la rencontre.
Je leur dois ton prénom et mon plus beau sourire.
Je leur dois le soleil orange déclinant sur la baie.
Débarrassé de l'urgence de paraître, de briller. De prouver quelque chose.
Quand je ne suis nulle part ailleurs qu'avec toi, aux pénombres d'un studio.
Que je n'ai plus à être aimé de personne si je suis aimé de toi.
Qu'il n'y a plus de panique. De précarité. Que rien n'est nécessaire.
Sinon le corps que j'embrasse. En temps réel ou différé. Eternellement.
Les flambeaux du Rachdingue m'avaient impressionné.
La volupté de la fête. Et tous ses possibles.
Comme les alcôves du Delano. Ou les arceaux du Showcase. Et les piercings du Splash.
Je ne regrette rien. De cette cage aux lions et ses cerceaux en flammes. Où je faisais le beau.
Mais je le sais aujourd'hui, seul ton regard me voit comme je suis. Ou comme j'aimerais être.
Démaquillé. Le clown a posé son faux nez et ses gadgets débiles. Toutes ses farces et attrapes.
Je n'ai pas peur d'être vu. Ou seulement, de n'être à la hauteur de ce que tu penses voir.
Ce que tu vois me convient. Quand c'est ce qui me semble le plus proche de ce que je crois être.
Et que je deviens ce que tu vois.
Que je deviens ce que tu pensais que j'étais, à mesure que j'y crois.
Puisque je ne savais plus qui j'étais jusqu'à ce que tu me croises.
Je me trompe peut-être. Ça n'a pas d'importance. Tu ne te trompes pas.
Et ce que je suis, maintenant, grâce à toi, me dépasse.
Quand tu connais le pire. Que je ne te cache rien.
Que j'ai pris le risque de t'effrayer ou de te perdre.
Quand tu n'es pas au plus près du centre de moi-même,
mais pile en plein coeur. Au beau milieu.
Que je me régénère autour de cette graine.
En couches concentriques. Plus robustes que jamais.
Dépollué. Décontaminé. Toujours étonné d'avoir l'attention d'une personne de ta qualité.
Que j'admire. Que j'adore. Et je me reconstruis. Sur ta confiance. Sur ton amour. Inespéré.
Et, sur cette base, l'homme que je deviens, est celui que j'ai toujours rêvé d'être.

Je regarde le château sur son rocher.
La montagne précipitée dans la baie.
A l'opposé du couchant. Les palmiers découpés sur le miroir de l'eau.
Les silhouettes anonymes. Tout en ombres chinoises. Je respire ma vie.
Au bord du monde, dans mon dos, qui ne sait rien de moi quand je sais tout de lui.
Je pense aux changements que je salue. Qui ne sont que progrès. Et que je m'améliore.
Quand j'accepte d'être heureux. Quand j'accepte d'être vivant. Que j'ai fait la paix avec moi.
Je ne me bats pas pour te plaire. Mais pour me plaire à moi-même. Et accepter ton amour.
Quand le mien t'est acquis. Quand je dois me convaincre de mériter le tien.
Comme le sculpteur voit avant nous le bonhomme qui était caché dans un grand bloc de marbre,
tu as vu avant moi qui j'étais, et je me tiens sur la plage, satisfait à l'idée d'être ton oeuvre d'art.
J'ai de la valeur puisque j'en ai à tes yeux. Quand c'est la seule qui puisse en avoir aux miens.
Aucun autre jugement ne peut m'intéresser. Aucune autre impression. Aucun autre ressenti.
Drôle de cocaïne. Quand je me fous, désormais, de ce que l'on peut penser de moi.
Détourne ton regard et je n'existe plus.
Quand il est la clé de mon émancipation. Et de ma liberté.
Au milieu des odeurs de fritures, de sucre mélangé, d'eau de toilette et de gasoil bruyant,
je vais dans le désordre d'un été finissant, sachant que je suis au seuil de mon Printemps Arabe.
Je sais que j'existe quand j'existe pour toi.
Et j'avance sur mon chemin, indifférent aux diversions.
Ma mère se demandait, angoissée : " Quel homme t'apprêtes-tu à devenir au juste ? "
Horrifiée de ne pas me connaître.
Quand j'étais incapable, à 22 ans, de la rassurer avant son départ.
Quand je ne me connaissais pas moi-même.
Et j'en étais meurtri. J'en suis mort avec elle.
Heureux qui comme moi a fait un beau voyage.
Je suis rentré au port et tu m'y attendais. Avec un lot étrange d'étranges révélations.
Je renais. Me construis. Sur ta confiance. Et ton amour. Inattendus. Inespérés.
Et sur la baie de Rosas, j'ai enfin de quoi répondre à la question de ma mère.
Quand je deviens, grâce à toi, l'homme que je m'apprêtais à être.
Celui qui semble te plaire.
Et qui ne me déplaît pas.

 

     

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 19:31

 

 

Allain Leprest est mort un 15 août.


 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 10:07

 

 

Ce n'est pas un appel aux arènes. Mais les cuivres rutilent tout autant.
Une flopée d'instruments à vent, enrhumés, fait trembler, d'une seule voix,
les platanes camouflés aux façades de cayrou.
Un souffle violent venu défier la Tramontane en personne.
Nasillardes, suraiguës, stridentes, les alarmes de hautbois s'époumonant,
viennent sonner le branle-bas de combat, viennent sonner la charge.
Une armée de bergers furieux, descendus de la montagne,
un bataillon de pêcheurs écumants, arrachés à la mer,
des corps de vignerons impétueux, prêts à prendre les armes.
Tous convergent au tocsin, relayé par le feu, aux sommets de la plaine,
que les tours à signaux font fumer des pics environnants.
Madeloc. La Massane. Tautavel. Et le peuple s'unit.
Faire front ou narguer la menace.
Déposer les sarments. Les bâtons. Les filets.
Pas pour prendre les armes, mais se prendre la main.
Tibles et tenoras, de concert, décoiffent les roseaux, les lauriers, les palmiers.
Chassent les étourneaux, les pigeons et quelques échassiers.
Font gronder la terre. Bravent l'incendie. L'invasion. Comme lion rugissant.
Exaltant les gens du pays en inspirant leur souffle. L'expirant décuplé.
Hommes et femmes, et vieillards, et enfants, qui viennent s'épauler,
se porter à bout de bras, en un repli sur soi. Bien qu'ouvert. Au reste du monde.
C'est l'instinct de survie, s'ils vous tournent le dos, puisque c'est une ronde.
Mais le corps étranger qui se glisse entre deux est sitôt intégré.
Aucune greffe n'est rejetée. On ne regarde pas qui vient briser la chaîne.
Qui prend le train en marche. Le macro-organisme ne cesse de s'amplifier.
Pêcheurs, vignerons et bergers, ne feront pas la guerre, mais ils résisteront.
De ce pays de vent, ils ont hérité d'une épaisse souplesse.
Identiques à ces haies de cyprès, qui plieront, sans ne jamais casser.
Avec opiniâtreté, têtus comme des mules, ils avancent sur leur chemin escarpé.
Sans savoir où il vont, mais sachant fermement ce qu'ils ne veulent pas perdre.
Perméables aux visites du dehors prêtes à s'aventurer dans leur mêlée compacte,
ils ne renonceront jamais à tout ce qui les tient, lorsque, plus qu'une communauté,
ces âmes solidaires, à travers les siècles et les déchirements, forment une nation.

Ils affluent de partout. Descendent de chez eux. S'arrêtent au retour du marché.
Ces dames posent leur panier plein ou leur sac, comme une contribution,
au centre de ces arènes sans taureaux,
pour se glisser entre deux êtres qu'elles ne connaissent pas.
Qui ne sont peut-être même pas d'ici. Mais qui sont de l'ouvrage. Et qu'elles empoigneront.
Peu importe qui tu es. Tu es maillon de la chaîne. Et l'espace d'une danse, le monde est connecté.
C'est la vague du smurf, du popping, avant l'heure, où l'énergie circule à qui se prend la main.
La rage d'exister et le volontarisme, sur la pointe des pieds, quand l'union fait la force.
La ronde nombriliste d'un peuple narcissique. Un ballet collectif. Ou chacun peut se voir.
Mieux que seul. Mieux qu'à deux. Chacun peut s'observer et mériter sa place.
Comme des christs sans croix, les poings cloués au ciel, ils se donnent aux autres.
Participent au projet. C'est un esprit d'équipe. Où la boucle est bouclée.
Un homme se glisse entre deux femmes. On ne regarde pas qui vient briser la chaîne.
Puisqu'aussi vrai que cet arbre peut plier au vent sans ne jamais casser,
que ce peuple peut être emporté loin sans ne jamais se déraciner,
jamais la chaîne ne se brise. Elle gonfle comme la pâte. Se répand comme une tache d'huile.
Gagne du terrain. En protégeant son coeur. Et le panier à provisions.
Les bras tendus, vers le bas, vers la terre, les épaules arrondies, la tête droite, et tranquilles,
comme un seul homme, soudain, ils lèvent les poings ensemble,
comme soulevant des montagnes, dansent l'effort collégial,
hissant des charges ou le bronze des cloches, se hissant eux-mêmes,
pour s'élever dans une oeuvre commune, où Dieu, tout à coup, peut prendre sa retraite.
L'Homme se prend en main. Il fera son chemin. Têtu comme une mule.
Cultivera la terre. Pêchera le poisson. Nourrira sa famille. Préservera l'espèce.
Comme tortues des légions romaines, les dos sont boucliers, pour fortifier le centre.
Pour abriter la flamme, du vent et des vandales, envelopper le feu porté par une langue.
Le blizzard de la guerre, le sirocco des bottes, n'ont pu l'anéantir. Elle brûle toujours.
Aux sorties de tunnels où le pieu est tombé, la langue était intacte et la mêlée compacte,
les deux versants d'un peuple pouvaient se retrouver, et le flabiol léger se remettre à chanter.

Ce n'est pas l'appel aux arènes, que barrissent les trombones, que grondent les fiscorns.
Ni le chant des Sirènes. Quand ce n'est pas non plus, en rien, celui du cygne. Qu'on se le dise.
Les hautbois aveuglants, assourdissants de lumière, violents comme Juillet et la couleur du sang,
à peine supportables, déchirant les tympans comme la chair de la pierre, à fendre les bourrasques,
lacérer la caillasse de quatre traînées rouges, donnent la chair de poule et hérissent le poil.
Agaçant, entêtant, le son promet l'ivresse, comme au bec du pourou. S'encastre dans le crâne.
L'effet est merveilleusement âpre, aussi aigre qu'éclatant, à cette vague digne de rafales et tempêtes.
Aussi furieuse. Aussi têtue. Qui fait tourner la roue de ces christs sautillants, délestés de leurs croix.
L'éolienne est une farandole. Qui n'a pas de début. Et qui n'a pas de fin.
Qui croît à mesure des élans de passage. Et c'est le poing en l'air que la fierté se danse.
Un art collectiviste. Celui des Castelers. Quand on n'arrive à rien sans le soutien des autres.
Quand on soulève plus lourd, que l'on monte plus haut, si l'on s'y met ensemble,
les garçons et les filles, les jeunes et les aînés, les riches et les pauvres, sans distinction aucune.
Un art collectiviste. En des terres, toujours révoltées, plus anarchistes que communistes.
Toujours en résistance, toujours entre deux chaises, toujours sur le fil, entre deux royaumes,
ne pouvant reposer le talon trop longtemps, sur un tapis de braises, toujours en mouvement,
contre l'un, contre l'autre, appartenant aux deux, à aucun à la fois.
A Barcelone. A Gérone. A Figueres. A Perpignan. Aux barques de Cadaqués. De Sitges.
A celles de Collioure. Le tambori frappe la coque. Ou à la porte. Soutenu par la basse.
Puisqu'il n'y a pas qu'aux voiles qu'il est besoin de cordes.
Des pas de Madison ne se font pas en ligne.
Quand les lignes, on le sait, n'ont aucune chance au front.
C'est sur le cercle que les flèches ricochent. Que les coups rebondissent. Sans atteindre le coeur.
Le hérisson en boule ne craint pas l'extérieur. Une fois dans l'arène, vous êtes ici chez vous.
Protégés des assauts par des haies de cyprès, où les jardins fragiles ont tout pour prospérer.
Les grands frères porteront les petits sur leurs larges épaules. Et nous serons heureux.
Provisions à l'abri. Quand tout le monde a sa place, sa fonction, et donc sa raison d'être.
Quand tout le monde, à son poste, comprend l'intérêt de jouer collectif.
Et si le don de soi est proche du sacrifice, il est aisé de voir autant de christs en croix.
Le genou relevé, il n'y a plus d'épines, mais ils restent, échaudés, sur la pointe des pieds,
bras tendus, les poings fermés, haut, au-dessus de leurs têtes, de Prades à Tarragone,
ouvrant autant de ponts que de V de Victoire, suspendus au tempo.
D'un pays unifié à travers la frontière, à travers une langue et leur obstination,
ils ne sont pas sujets mais forment la couronne.
Quand la fraternité ne tolère aucun roi.


    
   

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 22:47

 

 

En conversation avec B. Au téléphone. Je viens de raccrocher.
Faisant les cent pas dans l'appartement, comme je fais toujours l'appareil collé à l'oreille,
je suis revenu me poster, plusieurs fois, en bout de piste, à mes garde-fous. Sur la rue.
Avant de repartir jusque dans la salle de bains. Ne pouvant aller plus loin.
Je jette un oeil indifférent sur le parvis, concentré sur ce que m'explique mon amie.
Et je retourne jeter un oeil tout aussi indifférent dans le miroir fixé au-dessus du lavabo.
Je proteste en me lançant à nouveau dans l'autre sens, sur la lumière en façade.
" C'est peut-être moins évident à Perpignan qu'à Paris ou ailleurs, mais...
des célibataires, crois-moi, ce n'est pas ce qui manque ! " Et je déroule des arguments.
Avant d'être stoppé net à ma porte-fenêtre. Je ne perds pas le fil de la conversation.
Je viens de raccrocher. Et je retourne vérifier ce qui ne fut qu'une impression.
Je scrute le ciel. Mais oui, bien sûr... C'est aujourd'hui !

Satie est déjà loin. Envolé dans les profondeurs de la nuit.
Une nuit bien trop claire pour être honnête. Et je me suis précipité dans l'escalier.
Précipité dehors pour aller la chercher. Pour la voir de mes yeux. Ma merveille.
Ma mer d'huile à la baie d'Argelès. Ma nuit d'été et d'espoirs prodigieux.
Accrochée au-dessus des gradins vides d'un Campo Santo désert et inquiétant.
Elle boit un peu quand j'ai arrêté début 2010. Je ne lui en tiens pas rigueur. Je souris.
Elle est belle. La treizième. Et je l'aime. Je l'adore. Je l'embrasse. La treizième ?...
Elle éclaire doucement les installations privées de lumières artificielles.
Le Campo Santo plongé dans le noir. Dirait-on... mais c'était sans compter sur elle.
Qui fait cette clarté grise, pas tout à fait blanche, qui rend tout délicieusement irréel.

Je ne saurais dire d'où me vient cette manie. D'aller et venir.
De tourner comme un lion en cage dans l'appartement, quand je suis au téléphone.
Je me vois Cours de l'Yser, à Bordeaux. Rue St Timothée à Montréal.
Le même ballet. Le même cirque. Rue Cyrano de Bergerac. Le Square Carpeaux.
Rue Alfred de Musset ?... Non. Pas rue Alfred de Musset.
Pas même dix mètres carrés. Encombrés de surcroît. Impossible.
Mon bureau y tenait à peine. Aucun recul pour mon fauteuil de ministre. Le lit...
Je n'avais que cette fameuse fenêtre pour faire mes cent pas. A ma place.
Ici, en revanche, je peux m'en donner à coeur joie. J'ai un beau dégagement.
J'y ai pensé quand je l'ai découvert, lors de la première visite, avec la fille de l'agence.
J'ai l'ai tout de suite arpenté, d'un mur à l'autre, pour apprécier l'espace gagné.
Fou de joie. Ravi du volume. De la surface. Et des kilomètres à parcourir.
Je prépare un café. Je repars dans la salle de bains. Je surveille le poil, les points noirs.
La blancheur des dents. Sans m'y attarder. Je repars sur la rue. Les lumières allumées.
Reviens chercher un sucre. Sans ne rien lâcher des arguments que j'oppose.
B. est une amie. Je dois la convaincre, la rassurer, l'encourager...

La treizième lune. Te rends-tu compte ?
Elles ne sont pas nombreuses, mon amour, mes histoires d'amour qui ont tenu plus d'un an.
Je sais bien qu'il ne s'agit pas de compétition, de performance ou de record à battre.
Mais, tout de même, je suis assez ému, assez impressionné, quand je la vois briller sur la ville.
Venue me rappeler que le temps a passé sans ne rien abîmer de notre détermination.
Elle est là pour me dire combien cette histoire est révolutionnaire. Sublime. Miraculeuse.
Et si le temps ne peut rien contre l'intensité de nos sentiments, la violence de notre attachement,
il sert à mesurer leur force de résistance,
quand elles tiennent la distance, et que je m'en émerveille.
Le temps n'aura servi qu'à cela. Prouver que nous avons su lui résister. Lui échapper.
Et les lunes égrenées, commémorent chaque fois la date historique de notre coup de foudre.
Avec le même panache. Avec la même conviction. La même sauvagerie.
Elle me paraît complice. Lorsqu'elle fut présente. Unique témoin de l'accident.
Et je suis heureux de retrouver avec elle, l'excitation farouche que l'on porte en soi,
au seuil des plus grands bouleversements. Cette voluptueuse frayeur à la perte du contrôle.
Quand l'on consent à lâcher prise. Quitte à se perdre tout à fait.

Il faut dire à B. que la roue tourne.
Ou, comme me le disait Dorothy Leigh : " Il ne peut pas pleuvoir tout le temps ".
Je pourrais ajouter : je sais de quoi je parle !
Je suis bien placé pour le savoir. Ou encore, tu peux me croire sur parole.
Je l'écoute. Laisse ma tasse dans l'évier. Passe un doigt sur la poussière d'une étagère.
Continuant ma trajectoire jusqu'à la dernière frontière. Mon dernier mur. Dead End.
Miroir. Cheveux blancs. Ok. I don't care. " Demain est un autre jour " ...
Je m'en veux. Je me le dis en repartant vers mes fenêtres. J'aurais pu trouver mieux.
Je sens que je n'ai pas été convaincant. Quand j'aimerais qu'elle soit heureuse.
Ne suis pas sûr que je puisse lui jeter mon bonheur à la figure, même à titre d'exemple.
Je croise un regard dans la rue. Je perçois une lumière. Un sourire. Quelque chose.
Je me reprends. C'est pour cela que je repars aussitôt. Pour rester concentré.
Pour rester avec elle. Suivre son raisonnement.
J'allume une cigarette. Pour les mêmes raisons.
Et repars dans cette marche qui ne me mène nulle part.

D'où tu es, tu la vois peut-être aussi. J'aime cette idée.
J'ai d'abord situé le halo. Visible depuis mon garde-fou. Deviné sa position.
Je ne suis sorti que pour cela. Pour la voir de mes yeux. Pour l'avoir dans la tronche.
Je n'ai pas quitté Perpignan depuis plus d'un an pour cela. Aussi dingue que ça puisse paraître.
Pour me vouer à ce culte païen. A cette adoration de la lune. Symbole féminin. Ou de la nuit.
Quand j'adore le soleil tout autant. Et que je suis heureux de pouvoir l'être en permanence.
Le jour et la nuit. Qu'à chaque heure, j'ai un dieu à vénérer, à remercier. L'été. L'hiver.
Pour les bienfaits qu'il m'accorde. Pour sa générosité. Et son indulgence.
La nuit, c'est une déesse. Qui croît et décroît. Selon ses phases. Symbole féminin.
Différent de celui de la Vierge des vierges. Qui incarne autre chose. Tout aussi mystérieux.
La lune ne s'embarrasse pas de la pureté.
Elle boit. Elle est pleine. Elle est vieille comme le monde.
La morale, c'est pas son truc. Elle ne nous juge pas. N'a pas idée de ce que peut être un péché.
Son job, c'est de se taire. De garder les secrets. De provoquer les marées. De faire hurler le loup.
D'inspirer des chansons et de me rendre chèvre. Quand je lui cours après.
Pour rester concentré. Pour rester avec toi.
Pour des lunes encore au plus près du soleil.




 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 21:00

 

 

Les marteaux sur les cordes. Le piano. Pas de vent dans les branches.
Si je jouais, là, tout de suite. Ce ne serait pas très gai. L'ivoire du piano.
Je ne suis pas malheureux. C'est juste le coeur qui soupire. Immobile.
Le feutre des marteaux. Il ne pleut pas encore. Les cordes du 15 août.
La fête de la Vierge. La Vierge des vierges. Ste Marie priez pour nous.
J'attends l'orage. J'attends que ça craque. J'attends que tout s'écroule.
Satie. Gymnopédie. Le pédalier. Le tabouret. La laque noire.
Fenêtres ouvertes. Il n'y a pas d'air. Je perçois un film de fraîcheur.
Fin comme du papier à cigarette. Presque transparent. L'humidité.
L'orage n'est pas loin. Sous mes doigts. Dans le ciel. Les nuages. De fumée.
Edvard Grieg. Manuel de Falla. Maurice Ravel. Je cherche de l'aide.
Le capot ouvert. Les mains dans le moteur. Les mains dans le cajon.
La lumière a changé. Ma perception du monde. Mon interprétation.
La note est suspendue. Elle se balance. Au bout de la corde.
Je ne suis pas malheureux. J'ai l'angoisse du calme. Me tarde la tempête.
J'attends que ça craque. Que ça tonne. Que ça pète.
Puisque je n'ai pas tes bras. Que je n'ai pas mon piano. Il me reste les mots.
Qui reconstituent tes bras. Les notes de sept octaves. Qui ne remplacent rien.
Mais me sortent d'un gouffre. Un gouffre de silence. Et d'immobilité.


 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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Lectures

 

 

Stéphane Facco  Stéphane Facco 

 

Lambert Wilson  Lambert Wilson 

 

  Contes du Jour et de la nuit

      Véronique Sauger     

 

Lettres à ma ville

  (spectacle des Estivales juillet 2000) 

 

 

  publication chez Soc&Foc 2012 

La terre est rouge

 

interview la terre est rouge

 

 

 

 

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