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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 11:56

 

 

Voici longtemps que je ne sors plus le soir chercher la fraîcheur,
en pleine nuit, sous la lune, m'hydrater au crachin de la fontaine lumineuse
du Palais des Congrès dans ses palmiers californiens, faire mon tour de ronde,
sur la rampe gothique de St-Jean-le-Vieux jusqu'au parvis de St-Jacques.
Rêvant au lieu sacré de la Poudrière où la foudre est tombée,
aux jardins disparus des couvents, comme aux Rois de Majorque,
embrassant des voûtes étoilées pour l'apprenti astronome.
Je n'ai plus la brûlure d'une journée de plage, à sortir reposer aux duvets de la nuit.
La morsure que j'ai est celle de l'hiver. Dont la lumière ici est aussi aveuglante.
Un ciel pur d'un bleu franc, comme on en voit au Québec, nettoyé par le froid,
tendu et sans nuages, agrémente comme il peut des journées rétrécies,
quand les pluies de l'automne ont commis leurs dégâts, ont rincé les façades,
et que le soleil s'impose, même faible, pour singer le printemps jusqu'aux sables de la côte.
Mon platane a gardé comme sous-vêtements quelques feuilles accrochées.
Il n'y a pas eu de vent. Pas assez pour le raser de près et paraître crevé,
déjà prêt à reprendre sa foisonnante verdure.
Saint Jean dans sa blancheur,
posté sur l'ananas de marbre de la cathédrale est visible de mon bureau.
Je le salue en gagnant, engoncé, le boulevard et l'ample promenade, où des nus de Maillol
n'ont pas mis leur gilet, font le tapin à poil au milieu de brocantes, sans la trace d'un frisson.
Racolage passif. La police indulgente. Et je fends ce poumon couvert de feuilles mortes.
Souriant aux couples qui ont sorti leurs poussettes, profiter du beau temps entre les entonnoirs,
je retourne dans les murs de mon coeur médiéval, aux escaliers d'avant la Porte Notre-Dame.
Heureux de trouver face au Zinc un nouveau lieu charmant, où nous pourrons dîner, bavarder,
prendre un verre, au dédale de ma ville en pierres de rivière, la médina " déglingue ",
le décor de l'histoire de mon amour pour toi.

Je n'aurai pas le temps de m'habituer à cette petite mort, que Noël sera là, après la Ste-Luce,
que nous aurons passé la frénésie du shopping à la rue de la Barre, et qu'il faudra déjà
revenir aux fontaines, à la plage, à la mer, échapper au vertige autant qu'à la chaleur.
Le Palmarium bruissant aux clameurs de l'été, Arago surpeuplé aux ors du crépuscule.
Le retour des touristes et des festivaliers.
Se souriant entre les photophores et les verres de Muscat.
Quelque chose me dit, aux petits seins de la Loge, ses poignets délicats,
si loin des Tuileries, que nous nous verrons toujours, que je t'attendrai encore,
au balcon de mon nid et de mon campanile.
L'hiver n'est pas grand-chose.
Une escale sans doute pour prendre le temps de rêver à l'été qui arrive.
A ce que nous ferons pour célébrer la vie.
A ce que l'on invente pour nourrir le bonheur boulimique.
Qui nous attend stoïque à l'autre bout du gué.
Je traverserai décembre et son milieu stérile, avec la fièvre de celui qui prépare ses bagages
et son plus bel amour comme un nouveau voyage, lorsque je suis déjà à sa destination.
Le plaisir est courant dans la préparation. Il commence aujourd'hui, au confort de ma chambre.
Quand novembre s'en va. Que je l'en remercie.
Et qu'avec émotion pourtant, je le vois s'éloigner
et le laisse partir.
 

 

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 00:49

 

 

Monique descend du bus pour rentrer chez elle.
Vous vous en rappelez ? Elle regardait les immeubles par la vitre.
Il fallait bien qu'elle demande l'arrêt quelque part. Sous peine de faire le trajet plusieurs fois,
d'un terminus à l'autre, jusqu'à l'heure où le chauffeur aurait ramené le véhicule vide au dépôt.
Remarquez, il aurait été amusant de la laisser dans cet autobus, rêvassant toujours à sa place,
immobile, dans un espace désert et sombre, pour la nuit entière, au milieu de dizaines d'autres bus.
Comme un cimetière épisodique. Un hangar à Montrouge. Ou un terrain très loin du périphérique.
Mais non. Pas convaincu. Elle rêvasse mais n'est pas invisible. Le chauffeur l'aurait remarquée.
L'aurait invitée gentiment à quitter le bus avant de le ramener au centre. Sauf mauvaises intentions.
Impensable quand elle a déjà subi des violences. Même si le sort se fout des statistiques.
Mon chauffeur est un type bien. Et j'avais d'autres projets pour Monique. Je l'attendais.
Un repère, une enseigne, une boutique, dehors, fait qu'elle se lève. Réflexe quasi pavlovien.
Sans y penser, elle sait qu'elle est arrivée. Nous ne sommes pas à Strasbourg.
Où elle a certes de la famille. Nous sommes Gare du Nord. Où quelqu'un guette son arrivée.
C'est moi. Un Chinois d'une trentaine d'années. Qui la suis jusqu'à Magenta. Payé pour ça.
J'attends d'être dans la petite rue miraculeusement déserte où elle est déjà à deux pas de sa porte.
Une voiture passe. Je suis à quelques mètres d'elle. Elle s'arrête et se tourne presque vers moi.
La voiture est loin. Un chien aboie. Elle ne me regarde pas, elle fait face au digicode. Tend la main.
Je ne la regarde pas non plus. Je regarde droit devant moi. Je mâche un vieux chewing-gum.
Je sors de son champ de vision. Au moment où elle appuie sur la dernière touche du digicode.
Le grésillement du déverrouillage de la porte. Qu'elle pousse de son avant-bras.
Je me jette sur elle. Par derrière. Nous basculons tous les deux dans le couloir sombre.
Je la tiens. L'empêche de crier en lui tranchant la gorge. La porte se refermait sur nous.
Quand elle claque. Son corps devient déjà pesant. Je le traîne jusqu'à l'ascenseur.
Que j'appelle d'une main libre. Je sors de ma poche le mot qu'on m'a demandé de laisser.
Demande le cinquième étage. Laissant la fille qui s'affaisse et perd son sang dans la cabine.
Lâchée comme une poupée désarticulée. Le mot sur elle. J'envoie le tout au cinquième.
Change mon sweat-shirt souillé que je range en boule dans mon sac à dos avec le couteau.
Je dois faire vite. Un chien aboie. Et puis, du bruit dans l'escalier. Des voix. Une porte. Vite.
La lumière. La minuterie. Des rires. J'ai du sang sur les chaussures. N'en ai pas de rechange.
Merde ! Tant pis. Je sors. M'arrête net. Face à un homme. Qui allait entrer.
" Pardon... Bonsoir. "
- Bonsoir. "

Comprenez-moi, je risquais de m'attacher à Monique. Je devais la supprimer.
Croyez-vous que les scénaristes de Plus belle la vie s'embarrassent de leurs personnages ?
Lorsqu'un comédien rend son contrat par exemple. Il faut bien expliquer sa disparition au public.
Quitte à trouver un rebondissement si le comédien revient. " Mais non ! Il n'était pas mort ! "
Je ris en imaginant les cris d'horreur des gens sur le palier du troisième, qui s'apprêtaient à sortir,
voyant passer lentement le cadavre de la jeune fille dans l'ascenseur et s'enfermer aussitôt chez eux.
Comme l'homme qui venait d'entrer, trouvant du sang sur le sol du couloir.
Qu'on allait immanquablement soupçonner dans un premier temps.
Mais comme tout cela n'existe pas, et que je n'aurai pas le talent d'en faire quelque chose.
Que j'aurais dû en rester à l'autobus. Je quitte la Gare du Nord. La Gare de l'Est. Et Magenta.
Pour revenir à mon radeau de la rue de l'Horloge. A Perpignan.
Où j'écris en t'attendant.

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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28 novembre 2011 1 28 /11 /novembre /2011 21:36

 

 

Il y a de bonnes ondes qui viennent de Toulouse.
Des affections sincères qui viennent de moins loin.
Et je m'enroule dans ce manteau pour affronter comme je peux l'hiver et sa misère humaine.
Le ciel est bas. Un ciel de neige. A l'opposé de ma nature. Ce n'est pas mon métabolisme.
Du nuage s'effiloche. Du coton qui se prend, qui s'entortille, dans le gribouillage de fer forgé,
la volière de mon clocher, comme au bâton d'une barbe à papa aux toits de la fête foraine.
Une purée d'eau sur St Jean. Qui prend le coloris changeant des lumières de la ville.
Au sang et or, c'est de l'orange, qui teinte ce plafond sans orages, venu peser sur mes épaules.
Je descends la côte jusqu'au cratère de la cité, longeant les Carmes fantomatiques.
Quand leurs palmiers font grise mine. Que c'est mon coeur, dans un étau, qui se contracte.
Et en pilote automatique, je reviens dans l'appartement où tout l'espace est habité.
J'ignore les décorations de Noël sordides avec l'idée d'être en apnée, jusqu'au printemps,
dans ce tunnel, où je m'accroche à mes vieilles branches, à mes amours et mes projets.
Par expérience, je le sais, un mois est si vite passé. Faut prendre son mal en patience.
Je ferais mieux de profiter, de ton sourire, de tes baisers, de nos étreintes et nos silences.
Des amitiés de longue date, des amitiés informatiques qui n'en sont pas moins chaleureuses,
se serrent les coudes, les coudées franches, pour me tenir au jour le jour, jusqu'à bon port,
sur l'autre rive, à la pente enfin inversée, des heures de soleil qui s'allongent.
Il y a du monde autour de moi. Il y a des morts et des vivants. Des absents tout aussi présents.
Et un amour interstellaire. Que je bénis d'être avec moi. Avec qui je peux prendre le temps.
Pour affronter on ne peut mieux l'hiver et sa misère humaine.

L'hiver est là, je l'ai compris, pour fermer un peu mes fenêtres, rester au chaud, au lieu secret,
le feu de bois sans cheminée, où se consume mon ivresse à crépiter entre tes doigts.
Dans ce lit devenu foyer, dans l'âtre de mes draps légers ou sous le poids de couvertures,
je te reçois dans le cocon, le campement sous l'édredon, laissant dehors toutes les brumes.
Le froid restera dans la rue, au pied du mur, en pleine nuit, devant ma porte où il perdure.
Toi tu t'engouffres dans ma vie, dans le studio ou dans ce nid, avec ce corps que je réchauffe.
Le mien est brûlant de désirs. Tu pourrais t'y déshabiller. A l'abri des yeux indiscrets.
Enroulés tous deux sous la couette. Tout doux le duvet sur la peau. La chaleur devient tropicale.
Les naturistes de novembre s'ébrouent dans l'ombre de ma chambre avec leur fièvre de saison.
L'oasis dans la ville morte, l'Eden dans une rue déserte, où le soleil est au zénith.
Le matelas est pneumatique. Sur la piscine. A l'intérieur. Et l'un sur l'autre nous nous toisons.
A cet été que tu me donnes, quand ton regard noir en est plein,
j'oublie le mois, j'oublie la date, j'oublie l'année de ma naissance,
j'oublie le poids des convenances, et de ce que l'on peut en penser.
La neige arrive. Elle peut venir. Ici les flocons sont étoiles dans ce miroir où je me perds.
A nos chaleurs enfin mêlées, je m'aperçois dans tes pupilles, aussi ému et nez à nez
qu'aux beaux jours de notre rencontre. Dans ce miroir où je me trouve, dans ces iris émerveillés,
c'est toujours le mois de juillet. Noël est mort ou peut attendre. Le bois est fait pour le flamber.
La peau frissonne à la caresse. Au souvenir de son bronzage. Au bain de baisers de nos bouches.
Le solarium de mon platane cache son jeu au voisinage. Camouflage de feuilles mortes.
On fait semblant d'être en hiver. A deux, plus de misère humaine.



 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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28 novembre 2011 1 28 /11 /novembre /2011 15:46

 

 

On peut me saigner là. Je cicatrise ici.
Quand l'amour sur mes plaies vient fermer les blessures.

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 03:26

 

 

Chez les artistes, il y a deux clans.
Dépendants l'un de l'autre.
Les créateurs. Les interprètes.
Les premiers se prennent la tête. Ne dites pas non. Je le sais.
Quand je ne dis pas forcément qu'ils se prennent au sérieux.
Les seconds sont des anges. Ne dites pas non. Je n'en sais rien.
Mais il me plaît de le croire.
Lorsqu'ils portent les premiers à bout de bras. Jusque dans la lumière.
Puisque ce n'est pas leur personne qu'ils plantent dans le faisceau de la poursuite,
mais l'oeuvre et le créateur qu'ils servent. Cachés derrière un masque ou un micro.
Cachés derrière un pupitre ou un piano. Prêtant leur corps aux fantômes.
J'ai de la chance. Je suis artiste. Dans la mesure où je ne vis pas de mon art.
Dans la mesure où je refuse de vivre d'autre chose.
Dans celle où, tout de même, quelques personnalités m'ont donné de l'intérêt.
Assez pour me crédibiliser. Aux yeux de ceux qui criaient à l'imposture.
Dans un petit sourire inquiet, condescendant ou catastrophé.
J'ai eu des interprètes. Et, parmi ceux-là, des noms dont je n'aurais jamais osé rêver.
Des voix qui me touchaient. Des artistes que j'admirais. Qui avaient mon estime.
Et qui ont désormais - ça leur fait une belle jambe - ma reconnaissance éternelle.
Quand je sais grâce à eux ce que ça fait de prendre le corps et la bouche de quelqu'un.
Rien de graveleux. S'il vous plaît. Un peu de tenue. Je parle d'incarnation. Désincarnée.
Quand j'étais bien placé pour voir dans le résultat, la part de moi et la part de l'autre.
Quand j'étais bien placé pour voir combien il était difficile, en fin de compte,
de voir dans le résultat, la part de l'autre et la part de moi.
Comme homme et femme. Comme jour et nuit.
Créateur et interprète sont complémentaires.

Je ne dis pas que les interprètes sont plus humbles que les créateurs.
Quand j'en connais quelques uns qui pensent que l'humilité est ce qu'ils inspirent aux autres.
Je dis que l'action d'interpréter est plus humble que celle de créer.
Lorsqu'elle n'a pas cette prétention.
Et voici l'enfant qui joue Chopin. Cet autre qui joue Ionesco.
La petite fille qui prend part aux Nocturnes de Mozart. Qui donne de la corde.
Qui donne de la voix. Pour porter avec d'autres une chose qui lui semble plus grande qu'elle.
Qui l'emporte avec elle. La grandit pense-t-elle. Elle était déjà grande. Ou plus qu'elle ne le croit.
Les ordres de grandeur. Quoi de plus relatif ?
Et je suis toujours ému par le respect, voire la dévotion, qu'accordent des musiciens
aux partitions de leurs maîtres, quand ces derniers ne seraient rien sans eux.
Et je suis toujours touché par le culte ou la simple affection, que vouent des comédiens
aux oeuvres de leurs dieux, qui n'en seraient pas sans personne pour y croire.
Il faut dire que dans l'ordre, le public ne peut rien savoir sans le prisme du prêtre.
Que la parole ne porte pas sans voix. Et n'a de vérité qu'à l'interprétation.
A mon enfance, avant Chopin, il y eut Philippe Entremont. Avant Satie, Daniel Varsano.
Avant Bellini, il y eut Maria Callas. Avant Cyrano, il y eut Sorano.
Le créateur. L'oeuvre. L'interprète. Le public.
Et plus rien ne se distingue à la représentation.

Si des interprètes, c'est fréquent, croient si fort en l'auteur et son oeuvre,
qu'ils arrivent, parfois, dans leur foi, à leur donner du talent quand il n'y a que le leur,
puisque nous sommes aux abords de passions amoureuses, où rien ne se justifie,
il y a d'autres esthètes qui servent, tout aussi substantiellement, les pulsions créatrices.
Les encouragent ! Avec des engouements tout aussi désarmants. Discute-t'on le goût ?
Aimer. Quoi de plus subjectif ?
Si les interprètes font vivre les oeuvres. Ces esthètes font vivre leurs auteurs.
Ils peuvent être producteurs. Editeurs. Ou, mieux que ça : mécènes.
Quand, loin des muses, nous en venons ici aux strictes nourritures terrestres.
Puisque Chopin comme Ionesco devaient aussi payer leurs factures et leurs dettes.
J'ai eu un éditeur. Et ça lui fera une belle jambe. Je n'avais jamais eu de mécènes.
Et la voici qui s'en vient, sur sa vague discrète, qui surfait l'air de rien, avec l'idée en tête
de croire en mon travail, y trouver intérêt, de l'émotion peut-être, sans l'impression d'errer.
Quand elle s'est égarée, un moment, je suppose, sur mes vers mal barrés et ma piteuse prose.
Je ne sais pas qu'elle me lit. Ne sais pas qu'elle existe. J'écris pour être lu. Mais le doute persiste.
Quand des fidèles que j'embrasse - ça vous fera une belle jambe - viennent pour le chasser.
M'encouragent d'un mot. D'un simple commentaire. Comme je vous invite ici même à le faire.
M'écrivent et me bouleversent. M'embarrassent et m'obligent. A être à la hauteur.
Aux abords des relations amoureuses. Il y a toujours l'exigence. Celle d'être digne de la confiance.
Si je publie ici, c'est bien pour être lu. Mais lorsque je le suis, que j'en ai connaissance,
je m'étonne toujours, sincèrement surpris. Comme pris en flagrant délit. C'est de l'adrénaline.
Touché à l'idée d'avoir pu plaire, quand il est plaisant d'avoir pu toucher,
je m'émerveille toujours à celle d'avoir su peut-être, pour autant que possible, me rendre utile.
Quoi de plus valorisant, quand on se pense artiste. Que l'utilité de l'Art est encore en question.
Qu'aujourd'hui, notamment, c'est à se demander. La place qu'on lui accorde dans notre société.
Est-ce que c'est rentable ? Est-ce que c'est bon marché ? A quoi ça sert au juste ?
Allons messieurs. Un peu de calme. Vous vendez bien des appareils qui ne servent à rien ?
Des forfaits, des écrans et des applications. Souffrez que le contenu ait une utilité.
Alors oui, si on me lit, qu'on me le signifie, tout à coup, c'est magique,
je sais que je ne vis pas pour rien. Et que je pourrais presque servir à quelque chose.

Je profite d'un jour un peu particulier pour vous parler de cette bienfaitrice.
Qui n'est pas que lectrice. Qui n'est pas que mécène. Quand elle est interprète.
Qu'elle connaît la musique. Qu'elle donne de sa personne. Et qu'elle écrit aussi.
Je ne sais pas qu'elle est juste derrière ce rectangle de lumière sur lequel je travaille,
que je pourrais sentir son souffle si celui de mon ordinateur n'était pas si présent,
et qu'elle est à deux doigts de me dire quelque chose. Elle se lance. Et me le dit.
Je rougis un peu, comme je fais chaque fois. Toujours maladroit avec les compliments.
Ne sachant pas quoi en faire. Et, quitte à faire de belles jambes, je commence par merci.
Je ne sais pas qu'elle est ma productrice. Qu'elle est ma confidente. Qu'elle est ma correctrice.
A l'heure, à l'aiguillage, où une correspondance se met sur les rails. Sort de gare gentiment.
Avec ses chromes et son panache.
Je ne parlais pas de la délicatesse des interprètes pour rien. De leur humilité. Leur générosité.
De la curiosité qu'il faut pour cela. De l'appétit. De la patience. De l'empathie. L'humanité.
Je découvre une force derrière un brin de timidité. Une force solaire. Qui me prend par le col.
Et m'emporte quand je me dis : Hey, c'est à moi de vous emporter mademoiselle !
A une époque bien sûr où le terme avait encore cours pour désigner autre chose qu'une épouse.
Mais je l'ai dit. Créateur et interprète sont complémentaires. Comme auteur et lecteur.
Puisqu'interdépendants. Les vases communicants. Le Canal du Midi. Une écluse.
Et voici que je prends de l'altitude. Que j'essaie d'être mieux. Que j'essaie d'écrire mieux.
Quand je n'entends plus le souffle de mon ordinateur. Que j'ai vu des visages. Des images.
Comme j'ai lu des textes qui m'ont fait chavirer. Que je trouve une soeur aux portes de sanctuaires.
Qui peut broyer du blanc à le couvrir de signes, quand il y bien des façons d'être peintre du monde,
ou d'être calligraphe, à dessiner d'abord ce qui fera des mots, ce qui fera du sens.
S'il faut des mots à mettre en bouche. S'il faut des bouches pour les dire.
Le signifié a besoin du signifiant. Comme le contenant a besoin du contenu.
Un peu de tenue. S'il vous plaît. Rien de graveleux. Je parle d'harmonisation. De l'échange.
Et nous finissions par nous remercier de nous aider l'un l'autre. En fraternité. En amitié.
Puisqu'il n'y a rien de plus subjectif que cet acte d'aimer.
Etonné d'avoir pu lui être utile. Quand c'est déjà pour moi le plus beau des cadeaux.
Qu'elle me rendait service à pouvoir rendre service. Voilà qu'elle m'est utile.
Pour conduire mon radeau. Quand tout coule de source. De Marseille à Bordeaux.
Nous ne finissions rien. Quand l'histoire commence.
Et ce merci pour elle est le point de départ.

Je remercie mon père, qui est toujours là pour le lire.
Je remercie ma mère - ça lui fera une belle jambe - qui n'est plus là pour le lire.
Je remercie les miens. Tous ceux qui seront là pour l'entendre. Ma soeur. Mon frère. Mes nièces.
Comme je remercie par avance les enfants dont je m'encombrerai tôt ou tard.
Qu'ils soient de moi ou pas. (Créateur, géniteur... mais gare aux redondances.)
Merci à mon éditeur. Merci à mes interprètes. Merci à mes amours. Aux amours de ma vie.
Merci à mes amis. Et, avec la même malice que ce qui fut souvent trouvé aux murs en graffiti :
MERCI A CELUI QUI LE LIT


 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 17:24

 

 

Pourquoi écrire des histoires ? Quand d'autres le font mieux que moi.
Pourquoi écrire les mêmes actions, encore et encore, après Homère, Shakespeare et Cervantes ?
Traveloter une autobiographie en fiction ? Pour se planquer derrière ? Pourquoi ?
Par fausse pudeur ? Quand nous sommes incapables d'être autre chose que nous-mêmes ?
Ce qui est singulier, c'est moi. Sans savoir si c'est bien. Sans savoir ce que ça vaut.
Mais c'est ainsi. C'est la magie des gènes. Chaque individu est un être unique. Et c'est vertigineux.
Quand nous sommes 7 milliards, sans compter les générations qui se sont succédées,
à travers les siècles, à travers les millénaires, et qu'il n'y a pas deux humains identiques.
Mon originalité, c'est mon ADN. Et c'est le parcours que j'essaie de dompter.
Ce ne sera pas un style révolutionnaire. Ce ne sera pas des histoires qui deviendront des classiques.
Ce sera ma façon d'essayer d'exprimer la confusion de tout ce qui me traverse.
Pas de grandes épopées en 20 volumes. Pas de fresques historiques à adapter à Hollywood.
Juste les errances obsessionnelles d'un garçon qui essaie de comprendre ce qui lui arrive.
Je suis ma singularité. Avec mon patrimoine. Génétique et culturel. Je n'ai rien d'autre à vendre.
Pas d'intrigues bien troussées, avec d'habiles coups de théâtre. Pas de thrillers à couper le souffle.
De romans policiers bien construits. Pas plus de révélations intellectuelles ou philosophiques.
Dans un conte ou un essai qui marquerait l'époque. L'entreprise est vaine. Me paraît vaniteuse.
Quand je ne juge pas ceux qui tentent leur chance, et que je rends hommage à ceux qui réussissent.
Les auteurs antiques ont déjà fait le tour de la question avant nous. La condition humaine.
Quand d'autres, au fil du temps, ont apporté les stigmates de leur époque. Des variations.
Complétant peu à peu le puzzle de l'humanité. La mosaïque. Comme autant de conquêtes.
Comme autant de témoignages de ce que nous sommes.
Je me contenterai de rester à ma place. Assumant mon égocentrisme. Narcissisme peut-être.
A parler de ce que je connais. Quand mon but est toujours d'être le plus précis possible.
A décrire l'impression plutôt que l'évènement. Saisir la sensation à la place du fait.

Monique prend son bus. Et c'est très bien. Elle présente son titre de transport. Excellent.
Elle va s'asseoir et rêvasser contre la vitre, aux immeubles qui défilent et semblent habités.
Nous sommes à Strasbourg, à Paris. Peu importe. Monique est chinoise. Et elle fut adoptée.
Il y a beaucoup à dire sur ce qu'elle éprouve pour ses parents. Et pour l'homme qui a abusé d'elle.
Comme pour ce gentil pianiste dont elle est amoureuse mais qui préfère les garçons.
Je ne sais pas faire ça. Je n'ai pas de constance. Et j'avoue ma paresse.
Quand en parlant de moi je parle de Monique. Aussi sûr que je parle de tout ce qui est humain.
Je n'ai pas je suppose à présenter d'excuses, à parler de ma vie quand je n'en dis pas grand chose.
Quand ce qui paraît impudique, suffisant ou exhib, est une façon de me mettre à distance.
Pas pour me contempler ou me faire valoir. Mais pour me reposer de vivre avec moi-même.
Pour sortir de mon corps. Respirer à côté. Quand écrire est d'abord un biais pour s'échapper.
Je n'ai pas d'autre matière que celle de ce monde. Celui que je découvre. Dans lequel j'évolue.
Je suis dans mon époque. Un lieu géographique. Un contexte social. Qui donnent tous à dire.
L'auteur, quoi qu'il fasse, parle toujours à la fois de lui-même et des autres.
Aussi vrai qu'il parle toujours de lui, dans les méandres d'une fiction, et de faits romanesques,
il parle toujours des autres et du monde, dans la présumée branlette de l'autobiographie.
Croyez-moi, on se branle aussi bien à manipuler des personnages fictifs. C'est même plus pervers.
Et je serai le dernier à condamner quiconque prend du plaisir à la masturbation.
Comme aux perversions qui ne nuisent à personne.


 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 04:10

 

 

Quand je ne t'aimerai plus. Je t'aimerai encore.
Puisqu'il est dit que l'amour ne dure pas. Qu'il ne dure jamais.
Quand j'ai des preuves qu'il dure toujours. Qu'il survit aux histoires. Qu'il survit à nos vies.
Celui que je te porte survivra à nos jours. Me survivra sans doute. Pour être acquis. Ancré.
Gravé dans tous les mots arrachés à ma chair dont sont faits tous les textes.
Ceux qui me viennent malgré moi depuis nos seize lunes. Que je porte ici et maintenant.
Avec moi, ce sont les gens qui m'ont aimé qui t'aiment.
Puisque je suis fait d'eux. Que je suis eux.
Que l'amour n'est pas un sentiment mais l'énergie de se savoir vivant, de se savoir ensemble.
Ce n'est pas une sensation, un ressenti, une idée vague, ou une pulsion furtive.
Mais le feu qui est transmis, le circuit électrique, qui nous tient tous debout du début à la fin.
Désormais, je suis toi. Aussi sûr que je suis mes parents. Et ma soeur. Et mon frère.
Mes amis et mes histoires d'amour. Que je suis ceux qui me lisent. Et ceux que je rencontre.
Si tu es dans ma vie. Tu n'en sortiras plus. Quoi qu'il puisse arriver. Jusqu'à la fin des temps.
Je serai mort un jour. Mon corps aura disparu. Mais mon amour pour toi voyagera encore.
Quand des yeux tomberont sur ce texte. Et bien d'autres. Où il n'est question que de toi.
Et même si aucun regard ne s'attache au vertige de ce que j'ai rendu comme seul témoignage,
que personne n'y prend garde, il n'y aura pas d'oubli, il n'y aura qu'un silence,
puisque si rien ne se crée, rien ne se perd jamais.
Pas même mon amour. Mon amour. Qui se transformera. Comme je me transforme.
Comme il s'est transformé. Dès le moment précis où nous nous sommes vus.
Comme il s'est transformé au fil des retrouvailles. Gagnant en altitude et en intensité.
Il ne s'est pas créé. Ne se perdra jamais.
Ne s'est pas fabriqué quand nous l'avions en nous. Qu'il nous a précédés.
Quand chacun sur sa route le suivait à l'aveugle sans comprendre vraiment.
Que le mien a grandi au contact d'autres corps et de bouches aimables pour être plus aimant.
Quand il n'y a pas eu d'histoires qui n'aient apporté sa pierre ou sa contribution. A ce que je suis.
L'être qui était mûr pour te rencontrer toi. A ce moment précis de mon évolution.
Remerciant le passé et tous ceux qui le hantent de m'avoir transformé pour en arriver là.
Ce sourire que je grave où je peux pour le rendre éternel. Quand il l'était déjà.
Qu'il te vient d'autre part, d'autres temps, d'une source ancestrale.
Quand nos corps et nos vies ne nous appartiennent pas.
Nous sommes à l'univers. Nous sommes à la poussière.
Et l'électricité vient agiter nos membres. Nous donner à courir. Et à nous embrasser.
Ai-je vraiment choisi ? Décidé de t'aimer ? Dès le premier regard, je l'ai craint :
je n'avais d'autres choix. J'y étais obligé. Par une force étrange qu'on ne maîtrise pas.
L'amour n'est pas un sentiment. C'est une réalité.
Je n'avais rien à faire d'autre que l'écrire. C'est la foudre qui tombe. Et le vent fait le reste.
L'écrire pour que tu saches. L'écrire pour avoir quelque chose à en faire.
Quand j'étais impuissant. Comme dépossédé, envoûté, possédé.
Par mon amour pour toi qui de loin me dépasse.
Je n'ai qu'à le suivre. Je n'ai qu'à l'écouter.
Quand c'est lui qui me dicte. Mes mots et ma conduite.
Et qu'il n'est pas qu'à nous. Qu'il est aux nuits d'étoiles.
Comme à l'humanité. Et même au plus intime. De notre intimité.
Il est Dieu en personne. Il en est le mystère. Ou le secret des Hommes.
Et leur éternité.
   

 

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 22:58

 

 

Elle était en forme. Nous n'avions pas exclu de retourner à Marbella en novembre.
Dans la voiture, j'avais fait passer une cassette. Le Tricorne de Manuel de Falla.
Ce grand huit de cordes foisonnantes, de remous et de jets d'eau étourdissants.
Aux frémissements de cymbales et aux chevaux dressés. Aux cuivres rutilants.
Nous roulions. Fendant la forêt des Landes pour retourner à ma nouvelle adresse.
Nous avions chaleureusement remercié l'amie de Frank. Cette fois, nous dormions chez moi.
Le canapé choisi était bleu électrique. La colonne sur le balcon était d'un rouge éteint.
Almodovar n'était pas loin. Les murs seraient jaunes. Et je revois ma mère au milieu du plastique.
Rouleau à la main. Nous aidant à transformer l'espace. L'éclairer. L'agrandir. L'approprier.
La chambre. Le séjour. Et nous étions au pied de la Résidence Juan Carlos. Sur le trottoir.
L'élégant clocher de St Michel au bout de l'avenue barrée par le Marché des Capucins.
" Euh... pardon mais, je crois que tu te trompes... "
Dans ce quartier pile entre la gare St Jean et la Victoire.
" C'était le même séjour. Nous ne sommes pas revenus. Il n'y a eu qu'un séjour à Bordeaux. "
Tu es sûre ?... " Le choix de l'appart. La peinture. La Brède. On a tout fait d'un coup !
Tu es revenu prendre possession des lieux tout seul une semaine plus tard. Vérifie ! "
Un oeil sur mes notes. 10 octobre 1996. Oui, tu as raison. Je suis revenu tout seul.
Décidément, nous avions été efficaces. " Mais à ce détail près, le reste est bon.
Et je confirme pour Manuel de Falla. "

Je suis parti à Paris quelques jours dans la foulée. Retrouver Irina.
Et le week-end suivant, c'est elle qui est venue me rejoindre. C'est ce que je vois sur mon journal.
Cela me fait tout drôle. C'était tapé à la machine. La machine à écrire. Electronique. Et son capot.
Blanche à l'origine qui avait viré au jaune tabac. Qui corrigeait les fautes. Sur du papier A4.
" Et Olivier ?... Avec qui tu as été odieux... Tu l'as noté, ça ? " Bon sang. J'étais une épave !
J'avance dans les dates. J'en cherche une en particulier. Et elle me saute à la figure.
MARDI 04.02.97 : TOULOUSE ( MAMAN EST MORTE! )
Le retour à Perpignan le jour-même est mentionné. Rien d'autre.
Je m'interroge sur le choix étrange des parenthèses.
" C'est parce que ça ne devait pas être bien important !... "
Maman, s'il te plaît. Voyons. Tu sais bien que non. " Je plaisante mon chéri. Je plaisante ! "
Tu sais que je ne m'en suis jamais remis. Que je ne m'en remettrai jamais. " Mon chéri... "
Pour le journal, entre cet unique séjour ensemble, donc, à Bordeaux, début octobre,
et ton décès, il n'y a que quelques pages. Assez laconiques. Peu de mots. Pas de phrases.
J'avais un gros problème avec le sommeil. Je faisais des cauchemars toutes les nuits.
Toujours le même. Au point que j'ai pensé à ce film d'horreur bien connu. Freddy.
Avec ces gosses qui ont peur de s'endormir. Pour être menacés, harcelés, poursuivis,
risquant pour leur intégrité physique, au coeur de leurs propres rêves. Risquant de crever.
Ils étaient terrifiés et redoutaient leur sommeil. L'hémoglobine et les effets spéciaux en moins,
c'était exactement ma situation. J'en étais arrivé à craindre mon propre sommeil.
Sur internet, je circule sur le Cours de l'Yser. Retrouve mon immeuble sous les échafaudages.
Je situe l'appartement. Je revois le bar de la cuisine. La salle de bains avec baignoire.
Ce grand panneau sur deux tréteaux qui me servait de bureau. Et la machine à écrire.

Il faisait noir dans la chambre. J'étais allongé dans mon lit. Ne dormais pas. Cherchais le sommeil.
Il faisait noir. Trop noir pour être réaliste. Je ne dors jamais dans le noir complet.
Cela me met la puce à l'oreille. En fait, je ne suis pas éveillé. Je dors. Et je suis en plein rêve.
Le temps de le comprendre et je sens sa présence. Cela me glace le sang.
Non. Ce n'est pas Freddy. Ce n'est pas un monstre défiguré et psychopathe. C'est pire que ça.
Parce que nuit après nuit, je ne voyais jamais son visage. Je ne voyais rien de son apparence.
Pas même une ombre ou une silhouette. Rien. Je savais juste que c'était là. Dans le noir.
Dans la chambre. Avec moi. Et qu'il fallait que je me réveille au plus vite. Me sorte de là.
Je l'ai déjà écrit et raconté. Je faisais des efforts physiques pour remonter à la surface.
Je luttais pour ouvrir les yeux. La volonté ne remplace pas les muscles. Le corps ne suivait pas.
Et ça me rendait dingue. Je sentais que la présence souriait à ma panique et mon acharnement.
Quand je devais lui échapper pour ne pas y rester. Ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux ! Putain !
J'y arrivai ! C'était fait ! J'avais ouvert les yeux ! J'avais réussi ! Le coeur battant. En nage.
Je me réveillai dans mon lit, dans ma chambre. Mais très vite, je déchantai.
Je m'étais réveillé dans une chambre aussi noire que la précédente. Et ça souriait de plus belle.
L'air de dire : " on se retrouve ! ". J'étais prisonnier de ce cauchemar à tiroirs. Enfermé.
Un labyrinthe où je tournais en rond. Et je devais me débattre à nouveau pour me sauver.
Quand j'y pense... C'était le cauchemar récurrent le plus terrifiant de tous. Le plus effroyable.
Précisément parce qu'il n'y avait aucune image. Aucune. Le noir complet. Sans discontinuer.
Et j'étais heureux de retrouver ma chambre avec la lumière artificielle de la rue,
quand je ne fermais jamais les stores, pour m'indiquer que je ne rêvais plus. Que c'était fini.
Que je m'en étais finalement sorti. Pour de bon. Bien qu'avec l'angoisse d'y retourner.
Je me levai. Le goût de dormir m'avait quitté. Je détestais cette chambre.

C'est arrivé plusieurs fois. Au point que j'appréhendais la tombée de la nuit.
Le moment où, fatalement, le sommeil allait me gagner. Lorsque j'étais mort de fatigue.
J'appelais à Bompas. Prendre des nouvelles. " Comment ça va aujourd'hui ? "
Ou chez Maria, à Toulouse. Avant ou après l'hospitalisation devenue régulière.
Nous ne sommes pas allés à Marbella cette année. " Où en sont ses globules blancs ? "
Le meilleur moyen de ne pas faire de rêves était certes de ne pas dormir.
Mais j'avais trouvé un autre moyen. En faisant quelque chose dont j'avais l'habitude.
Me déchirer la gueule. Au whisky. Franchement. Jusqu'au coma éthylique.
J'allais au 18 où j'étais désormais connu pour ça. Je m'installais au bar et je buvais.
Le barman faisait son travail. Avec pour moi un brin d'inquiétude dont je me moquais.
Au moins, ivre mort, je tombais raide dans mon lit. Et ne faisais aucun rêve.
Je préférais me réveiller avec la gueule de bois, qu'en sursaut avec des sueurs froides.
Le train Corail pouvait m'emmener jusqu'à Perpignan. Retrouver la chaleur de la maison.
Voir comment elle était. Comment elle allait. Et je retournais à la Résidence Juan Carlos.
Gare St Jean. La marche jusqu'aux Capucins, sur le Cours de la Marne.
Avec une angoisse au ventre. Faite de plusieurs angoisses. Dont celle de la nuit.
Quand je prenais l'ascenseur pour monter chez moi. Retrouver les couleurs d'Almodovar.
La machine à écrire sur ses tréteaux. Mon canapé. Et le lit dans ma chambre froide.
Qu'est-ce que c'était... cette présence. Ne le savais-je pas ? Vraiment ?
N'en avais-je vraiment aucune idée ?
Je n'ai plus jamais refait ce cauchemar après la mort de ma mère.

" Attends. Une minute... Tu aurais pu poursuivre en Lettres Modernes à Perpignan ? "
Quoi ? Bien sûr ! Enfin ! Tu le savais ! J'ai des amis qui y sont restés jusqu'à la maîtrise.
Tu savais bien au fond pourquoi je devais partir. Ce n'était pas pour l'université !
" Bien sûr que non, je ne le savais pas. Je te faisais confiance. Et puis, c'est vrai,
j'avais autre chose à faire que vérifier tout ce que tu nous racontais, mais ... Quelle arnaque ! "
Allons, ne sois pas injuste ! Pardonne-moi. Je t'assure que je faisais ce que je pouvais.
C'est comme l'accident de voiture. Je ne faisais pas cela pour vous emmerder. Je me débattais.
Je faisais des efforts terribles pour me réveiller. Me réveiller de ce putain de cauchemar ! Putain !
J'en crevais ! Il fallait que ça s'arrête. Tu comprends ? J'étais peut-être faible. J'étais peut-être lâche.
Mais je te jure que je faisais ce que je pouvais.
" Comment vont ses globules rouges ? Et les plaquettes ?... "
Je raccrochai. En fait de journal, c'était une éphéméride. Vendredi 20.12.96 : Bordeaux. ( Boîte ).
Régulièrement, c'était changé pour : Bordeaux-Toulouse. Bordeaux-Perpignan. Rien de plus.
Vendredi 31.01.97 : Bordeaux-Toulouse ( Horreur ! )
Maria était l'ombre d'elle-même. Jean-François et Geneviève sont arrivés le lendemain.
Je suis heureux d'être aujourd'hui. Où je vois le nombre de jours passés à Toulouse. Cinq.
Jean-François et moi avions dormi à côté. Chez notre oncle Esteban. Cinq jours.
Quand nous ne savions pas à l'époque combien de temps ça allait durer. Aujourd'hui je sais.
Je le vois sur ce pseudo journal que j'ai gardé. Dimanche, Geneviève est rentrée à Perpignan.
Jean-François est resté. Dimanche 02.02.97 : Toulouse ( agonie insupportable )
Je n'ai plus jamais refait le rêve après le 4 février.

Nous ne faisions rien de précis. Je ne sais plus. Peu importe. Nous étions ensemble.
A Bompas j'imagine. Dans la cuisine. Tu préparais quelque chose et nous discutions.
Et c'était bien. C'était serein et agréable. Il devait faire beau. Je revois la salle à manger.
La terrasse et l'olivier dans le jardin. Le bosquet de yuccas. Les pentes de la pelouse.
Nous parlions peut-être des petites. D'Emilie et Ingrid dont tu me donnais des nouvelles.
Que nous attendions sans doute. Qui feraient irruption dans la maison d'un instant à l'autre.
Et c'était bon de pouvoir parler avec toi. Comme avant. Sans poids dans la poitrine. L'esprit léger.
Pouvoir parler de choses anodines auxquelles tu donnais parfois trop d'importance. Et ça me fait rire.
Ce ne devait pas être si grave. Ok, les gens ne manquent pas d'air. Mais tu les connais... On s'en fout.
Tu en conviens. Et tu ris avec moi. Tu as bonne mine. Je suis heureux. Quand on me crève le coeur.
Je me réveille. Je suis à Bordeaux. Dans mon lit. Et je viens de rêver. Tu es morte.
J'ai encore sur moi le bonheur de mon rêve. Palpable. Indécent. Cruel. Et je crève d'être en vie.
A ta mort, il y a eu pour mes nuits comme un point de bascule.
Avant, je craignais et fuyais mon sommeil. Après, je le préférais à mon existence.
Avant, je redoutais de m'endormir. Après, je ne voulais plus me réveiller.
Chaque nuit, je te retrouvais. Belle. En forme. Radieuse. Normale.
Chaque nuit, la présence et ses menaces étaient remplacées par la joie d'être ensemble.
Quel contraste. Les sons, les couleurs. Tout était parfaitement précis. A s'y méprendre.
Les détails des sculptures du piano. Le lustre. Les gravures. Chaque bibelot sur la cheminée.
Les toiles de papa. Les photos des petites dans la bibliothèque. Tout était comme en vrai.
" Comment ça, comme en vrai, ce n'était peut-être pas faux ? "
Oui, eh bien, en attendant, quand je me réveillais, j'étais tout seul dans ma chambre froide.
Assommé par la réalité. Quand la réalité à l'époque, était que je vivais encore à Bordeaux,
et que tu venais de mourir. Que je ne pouvais plus t'appeler. Te voir. Ou te parler.
" Eh bien mon chéri, tu le faisais en rêve... "

J'avais peut-être acheté trois bricoles à manger, en bas, chez le Portugais.
Un endroit merveilleux qui sentait la morue. Des chips. Du jambon. Des bananes. Des biscuits.
J'ai pris l'ascenseur. Le couloir. Mes clés pour ouvrir. J'étais plutôt de bonne humeur je crois.
Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête. C'était quand même hallucinant quand j'y pense.
Je range des yaourts au frigo. Mes courses dans les placards. Ma veste dans la penderie.
Et je me dis : " tiens, tu vas appeler ". Puisqu'en effet, c'était mon sentiment, cela faisait un moment
que je n'avais pas pris de nouvelles. Et puis, honnêtement, j'avais juste envie de te parler. Comme ça.
De tout, de rien. Comme on faisait. Je ferme le battant coulissant de la penderie, le coeur léger,
jette un oeil sur l'heure à la façade du magnétoscope, traversant la pièce, me retroussant les manches,
lorsque je me dirige vers le téléphone, que je décroche, et me voici en train de composer le numéro
que je connais par coeur, celui de Bompas, que je compose en entier...
Je raccroche d'un coup d'un seul. Et dans ce mouvement tout s'effondre sur moi.
Précipité en enfer comme au réveil de mes rêves. Putain, qu'est-ce que je fous ?
Comment avais-je pu oublier une chose pareille ? Je ne pouvais plus te parler au téléphone.
C'est une certitude scientifiquement prouvée, les morts ne décrochent pas le téléphone.
Sont dans l'incapacité, dans leur raideur cadavérique, et dans un état avancé de décomposition,
de faire un bon usage de leurs cordes vocales pour prononcer le moindre mot. A quoi pensais-je ?
Bien sûr. Cela faisait un moment que je n'avais pas de nouvelles. Et ça risquait de durer longtemps.
Il n'y a qu'en imaginant ce que tu pourrais me dire, comme je le fais ici dans ce texte,
que je peux espérer en avoir désormais. " Eh bien, tu vois, ça ne marche pas si mal ! "
Mouais. Mais ça ne remplace pas tes yeux gris et ta façon bien à toi de sourire.
Ni ta voix grave dont il m'arrive de perdre le timbre exact. Heureusement qu'il y a des vidéos.
Qu'il est sauvegardé sur la bande de VHS. Voyage en Andalousie. Ste Marie. Barcelone.
Pour le retrouver aussitôt quand il m'échappe, et calmer ma panique. Le timbre exact.
Sur ces cassettes que je passe en accéléré, je retrouve même les murs jaunes de Bordeaux.
Le canapé bleu électrique. La colonne d'un rouge éteint. De cet appartement.
Où je n'avais plus rien à faire.


 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 04:21

 

 

Une amie de mon cousin faisait ses études à Bordeaux. Y avait un appartement.
Vide pendant l'été. Elle accepta de nous confier les clés pour y passer la nuit,
quand nous avions considéré que deux jours suffiraient pour trouver mon bonheur.
Je venais de passer ma première année sous un autre toit que celui de mes parents.
Celui de la rue Fontaine Na Pincarda, à Perpignan. Payant mes factures. Faisant mes courses.
Et mon ménage. Descendant ma poubelle. Même si la laverie était encore celle de Bompas.
Où j'allais toujours, d'un coup de bagnole, jouer du piano ou prendre un bain.
Passer du temps avec mes parents. Passer du temps avec ma mère.
J'avais validé un DEUG. Etais en licence. Pensais à continuer jusqu'à la maîtrise.
Mais l'avenir était incertain. Il semblait fragile. Parfois même condamné.
Et, quand ce n'était déjà pas dans ma nature, il devenait plus compliqué encore
de faire des plans sur la comète, de penser à long ou même à moyen terme.
Difficile de faire autrement que de vivre au jour le jour. Pas à pas. Une chose après l'autre.
Nous étions plutôt mal engagés. Et l'angoisse rendait ma vie sociale assez insupportable.
Ne supportant plus grand chose. Pas même moi qui me comportais mal avec mes amis.
Et je m'en voulais de n'être plus capable d'être bien avec eux. Ni même d'être avec eux.
Quand je n'étais plus bien nulle part. Sinon ivre mort.
J'étouffais. Devais prendre le large. M'éloigner de tout le monde. M'isoler.
Quand tout m'envahissait. Me pesait. Me rendait dingue. Je devais mettre de la distance.
Partir. Partir. Me sauver. Au plus vite. Mais partir où ? A Toulouse ? Non. Surtout pas Toulouse.
J'y avais toute la famille. Une aubaine pour un étudiant sans doute. Quand c'est ce que je fuyais !
Je n'allais pas déserter Perpignan pour me mettre dans le four du drame à Toulouse !
Où maman, précisément, venait subir ses chimiothérapies. Surtout pas Toulouse. Impossible.
Où j'aurais été confronté quotidiennement à ses soeurs, ses frères, ma famille, les miens. Mon sang.
Un lieu où je ne connaissais personne. Voilà ce qu'il me fallait. Où personne ne me solliciterait.
Où personne ne m'inviterait à dîner. A passer boire quelque chose. A parler un peu.
Où je ne me sentirais pas obligé d'accepter, la rage au ventre. Me dégoûtant moi-même.
A feindre d'accepter une aide qui ne disait pas son nom et dont je ne voulais pas.
Quand je vomissais la pitié ou la compassion qu'on avait le plus grand mal à dissimuler.
Il fallait que je parte pour ne pas mordre la main de ceux que j'aimais. Famille. Amis.
J'aurais été misérable. Inconsolable. Lorsque ma colère contre eux, aussi délirante qu'injuste,
me brisait déjà le coeur, et décuplait la colère que je nourrissais contre moi.

J'avais récemment passé quelques jours à Bordeaux avec Cédric et Virginie.
Une ville où mes grands-parents avaient refusé de me conduire. Depuis Arcachon où nous étions.
Lors d'un petit voyage sur la Côte Atlantique. Biarritz. Capbreton. " Noooon. Pas Bordeaux.
C'est moche ! C'est sale ! C'est gris ! " Je n'en croyais pas mes oreilles d'enfant de dix ans.
Quand j'étais déjà farouchement attiré par les villes. Les grandes villes. Les métropoles.
Plus c'était grand et plus j'en avais envie. Plus c'était peuplé et plus j'en avais la curiosité.
Curiosité frustrée ici par un retour forcé via Mont-de-Marsan et Auch. A Toulouse.
J'avais le sentiment que mes deux toulousains de grands-parents craignaient que je puisse aimer
une autre ville que la leur, lorsqu'ils souffraient déjà amèrement que je lui préfère Barcelone.
Ils ne pouvaient décemment pas me mettre dans les griffes de l'ennemie. LA rivale. Historique.
C'était manifestement trop risqué. Lorsque ce refus, naturellement, a aggravé mon désir pour elle.
L'a amplifié aussitôt. Je me suis donc tranquillement mis Bordeaux derrière l'oreille, sans protester,
avec la docilité trompeuse des gens déterminés à découvrir un jour ce qu'on leur a caché.
J'avais donc eu ma revanche. Trouvant une ville merveilleusement moche. Délicieusement sale.
Et magnifiquement grise. Mes grands-parents avaient raison. Elle avait tout pour être aimée de moi.
Et, comme pour enfoncer le clou, je décidai qu'elle était la solution, le lieu idéal pour ma retraite,
où organiser mon exil volontaire, et que j'allais m'y installer. M'y installer et y vivre.
J'avais constaté de mes yeux que rien ne m'y était familier, que tout y était étrange, exotique,
pour être océanique quand je suis méditerranéen, lorsque même l'Espagne qui s'y trouve
est différente de la mienne, que je n'y avais aucun repère, aucune référence et aucune attache.
Parfait pour m'y dissoudre. Pour y disparaître. A deux heures de Toulouse. Trois heures de Paris.
J'étais convaincu et en ai parlé à mes parents. Perdu dans un argumentaire pour le moins nébuleux.
Quand rien ne m'empêchait de poursuivre mes études à Perpignan. Il fallait une raison concrète.
Imparable. Qu'ils ne m'ont pas laissé le temps d'étayer. Un fier service qu'ils me rendaient.
Maman était occupée à autre chose. De bien plus urgent. De vital. Au sens propre du terme.
Pas le temps de discuter. Elle n'était pas dupe. Avait parfaitement compris ma motivation.
Même si elle ignorait sans doute, j'ose l'espérer, l'étendue de mon désespoir et de mon désoeuvrement.
Que je lui devais de cacher au mieux.

Une heureuse rémission permit l'organisation de notre opération commando. Avec elle.
Elle serait du voyage. Et c'était le plus beau cadeau qu'elle puisse me faire.
Il ne s'agissait pas seulement de me permettre de partir. De m'y autoriser. Elle allait m'accompagner.
Et nous sommes partis tous les trois, papa au volant, pour suivre la Garonne aussi loin que possible.
Vers l'embouchure. Vers l'océan. Vers l'Amérique. Bien plus loin que Toulouse. Droit devant.
C'est à la Victoire que nous avons laissé la XM, pour entrer dans la première agence immobilière.
Nous nous étions donné deux jours. Très vite, on nous fait visiter un très bel appart Cours de l'Yser.
On prend le temps de réfléchir. On promet une réponse rapide. On parlemente. C'est tout réfléchi.
Nous savons déjà que la journée du lendemain sera libre pour faire du tourisme ou rentrer plus tôt.
Convaincus que nous ne trouverions pas mieux. Nous retournons dans le studio de l'amie de Frank.
Pour y passer la nuit. Et retournons à l'agence dès l'ouverture pour signer le contrat de location.
J'avais été bluffé par l'espace et la lumière. Par le balcon. Les baies vitrées. M'y serais bien vu.
J'avais aimé l'endroit. L'aimais d'autant plus que mes parents n'émirent aucun doute. Pas d'objections.
J'étais fou de joie. A l'enthousiasme de ma mère. Quand elle en avait plus que moi dans ce projet.
Moi qui partais par défaut, par dépit, qui voulais partir pour fuir. Elle avait retourné la situation.
Elle changeait les ressorts de mon élan. Jetait toutes ses forces dans cette entreprise à ma place.
M'aurait presque persuadé que je partais pour faire quelque chose. Pour vivre ma vie.
Nous avons pris les clés en échange d'un gros chèque et avons quitté Bordeaux dans la bonne humeur.
Songeant au moment idéal pour déclencher la deuxième étape. Celle du déménagement.
A l'idée de rafraîchir le papier peint par nos propres moyens. A celle d'acheter un canapé convertible.
Au cas où je recevrais de la visite. Faisant l'inventaire des meubles dont nous disposions.
De ceux dont j'aurais besoin. Nous interrompant dans nos réflexions le temps d'un arrêt convenu
au Château de La Brède, qui méritait un crochet, que maman avait très envie de découvrir,
puisque nous en avions le loisir, puisque nous en avions le temps. Dans ce lieu saint et ravissant
où Montesquieu, en plus d'y être né, écrivit la quasi totalité de son oeuvre. Féérique. Et magique.
L'Esprit des Lumières. Au milieu des vignobles. Protégé par les douves et des tours fantastiques.
Nous avons repris la route comme nos raisonnements. Et reviendrions bientôt.
Remontant la Garonne aussi loin que possible. Vers la source. Vers Toulouse.
Que je n'ai jamais cessé d'aimer.

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 16:25

 

 

Le piano de saloon. Dans le bureau. Au rez-de-chaussée.
Et Jean-François, sur le tabouret, appliqué à jouer Jésus que ma joie demeure.
Ma vie était faite de Lego et de Playmobil. De Goldorak et de RécréA2.
Des trois meurtrières alignées sur le mur de la cuisine au-dessus du plan de travail.
Ma place pour déjeuner le dimanche. Avant Jacques Martin. Incroyable mais vrai.
Le poulet. La purée. La pergola sur la terrasse. Les cyprès. Et la sublime Heather Thomas,
incarnant la piquante Jody Banks dans L'homme qui tombe à pic.
L'allée de terre cuite rouge au milieu du gravier blanc, déroulée comme un ponton sur l'eau,
qui s'enroulait en façade autour du palmier digne de celui des Jacobins de Toulouse.
Sur laquelle je traçais la route, dans une voiture à pédales, ou sur une moto de police américaine,
électrique, sur le Sunset Boulevard de ma Salanque, pour une course poursuite endiablée,
toujours rondement menée, avec mon sourire de rital à la Ponch de la série CHiPs.
Contrairement à Dorothy dans le Magicien d'Oz, vu un demi-milliard de fois chez Sarah
qui - s'il vous plaît - avait un magnétoscope, je n'avais pas le choix proposé à Munchkin Land,
et ne pouvais, pour rentrer chez moi, vaincre mes peurs, trouver du courage ou devenir adulte,
faute de routes de brique jaune, suivre que cette allée de brique rouge menant au trottoir,
sur l'avenue, où j'étais arrêté par la circulation et l'intuition des dangers potentiels :
le jardin n'était fermé sur la façade que par une vague clôture. Ni grilles, ni portail.
Quand il semble qu'à l'époque, celle où nous ne verrouillions pas les maisons et les voitures,
le besoin de monter des murs et de se barricader ne se faisait pas sentir.
La vie était douce. A Bompas. Passage naturel semble-t'il, utilisé disait-on par Hannibal
pour franchir la Têt en direction du Nord après avoir passé le Perthus, dans son voyage vers l'Italie.
Je pouvais imaginer, à l'aide des illustrations fantastiques de l'encyclopédie Tout l'univers
expliquant les Guerres Puniques comme l'Histoire de Carthage, des milliers de cavaliers et fantassins
avancer péniblement dans un énorme nuage de poussière, faisant trembler la terre bien avant d'être vus.
Il fallait plisser les yeux, percer la fumée du regard, pour enfin rester bouche-bée ou prendre la fuite.
Ouvrant la marche, je pouvais voir passer sur le pont du village, devant le bureau de tabac de Camille,
une colonne d'éléphants aussi majestueux que terrifiants, qui après les Pyrénées - une promenade -
était prête à traverser le Rhône pour se frotter aux Alpes. Une parade plus exotique que d'autres.
Quand je n'avais rien contre notre fanfare et nos majorettes locales. Qui se pavanait dans ma tête,
jusque sous les fenêtres de l'école, au son de tambours, des trompettes et des barrissements.
C'est dans ce passage de Bompas que je vivais, ivre de clairs de lune et de marches turques.
Quand mon frère, après la Toccata et fugue d'un certain JS Bach, dont les premières mesures
avaient contribué au succès d'Il était une fois l'Homme, cela ne m'avait pas échappé,
faisait soudain swinguer le piano et la commune entière avec la Rhapsody in Blue.
Décidé à faire pour moi de Gershwin une madeleine. En bonne place. Avec Chopin et Ravel.
Papa le relayait pour jouer Ma guêpière et mes longs jupons. Ou Petite Fleur de Bechet.
Histoire de se dégourdir les doigts avant d'empoigner ses tubes de gouache et ses pinceaux.
Quand son jeu était désinvolte, l'accompagnement grossier, reconnaissable entre tous,
proposant une autre façon de faire de la musique, à l'oreille, et je-m'en-foutiste.
A l'opposé de la rigueur et de la discipline auxquelles Jean-François s'attachait avec conviction.
Et je dois dire que pour moi, les deux approches étaient jubilatoires. Intéressantes. Révélatrices.
Quand l'un ne jouait que pour son propre plaisir. Que le second le faisait aussi pour celui de l'audience.
Second qui allait devenir deuxième, lorsque, les mâles de la maison jouant du piano, j'allais m'y coller,
assez vite, à mon tour, pour marteler comme je pouvais le Rock Around the Clock de Bill Haley.
Au sommet du xylophone de l'escalier, ma chambre dominait le domaine.

La dame de fer écarte les pattes sur le Champ-de-Mars. Et je pense à New York.
Dans le navire art-déco du Théâtre de Chaillot. Je vais dans le Grand Foyer sans smoking.
Sans étui à cigarettes. L'hallucination est encouragée par le groupe qui joue en live du Cole Porter.
Les jardins du Trocadéro à nos pieds. Il y a du bruit de vaisselle et de conversations, des rires parfois,
dans un magma sonore digne de ceux de La Coupole, plus feutré sans doute, mais tout aussi entêtant.
Il y a d'abord cet escalier fabuleux au milieu duquel on s'allège de son vestiaire,
où l'on présente son billet ou son invitation, et vous voici dans le joyau intact de l'Expo de 1937.
Une dame luttant avec ses lunettes et son programme, près de moi, ne devait pas être âgée à l'époque.
Mais je vois à sa dextérité, qu'elle a l'habitude d'aller au spectacle toute seule. Qu'elle l'a toujours fait.
J'ai pensé à ces photos du Fürher prises à quelques pas d'ici, posant devant la Tour Eiffel, qui ce soir,
clignote de tous ses phares, quand tous les jours sont jours de fête, et me suis senti volatile, flottant,
quand les lieux transpiraient aussi les voix de fantômes plus fréquentables. Jean Vilar. Gérard Philipe.
L'aventure flamboyante du TNP. Et j'entendais le Roi Georges s'enthousiasmer à son propre récit,
quand il me fut donné un soir de l'écouter chez lui, dans une représentation privée dont j'étais
le seul spectateur, se remémorer la cour d'honneur et Avignon : " Nous étions comme les Beatles ! "
Aux baies vitrées. Aux colonnes noires. Un temple. Un sanctuaire. Avec l'émotion de m'y trouver.
Des volumes et perspectives dignes du Rockeffeler Center. Quand le jazz m'embrassait de son blues.
Les vestes de velours, écharpes en cachemire, cols roulés noirs, cheveux en bataille ou rasés,
me toisaient discrètement, comme on fait lorsqu'on fait semblant de suivre une conversation,
plus occupé à chercher à savoir qui est qui, qui fait quoi, avec qui, du coin de l'oeil,
détournant son regard grâce au subterfuge pratique du verre à vider quand on est pris en faute.
Personne ne savait qui j'étais. J'étais seul, sans un verre. Quand je n'avais pas besoin d'un vin blanc
ni d'un kir, ni d'une connaissance, pour affronter la meute, sachant ce que je faisais là.
Elle avait appelé depuis New York, après plusieurs échanges sur internet, pour que nous calions
les choses de vive voix. La bonne prononciation de certains mots quand elle n'était pas sûre
de son français, ni des accents toniques. Et que j'étais venu m'assurer du résultat, comme saisir
l'opportunité de son passage à Paris pour venir me présenter physiquement après le spectacle.
Du sang et des plumes, on perd toujours des deux ... Ute Lemper pour trois soirs à Chaillot.

Mes parents avaient résisté longtemps à la tyrannie du téléphone. Au point que je me rappelle
parfaitement du jour de son installation à la maison. Vécue comme une concession à la société.
Sans euphorie. Contrastant avec la mienne le jour où est arrivée notre première télévision couleur.
Nous nous étions trop longtemps à mon goût contentés de trois chaînes en noir et blanc.
Et je revois papa chargé d'un énorme carton, ouvert au milieu du salon, avec ses odeurs de plastique,
dégageant le nouveau poste qui offrait un autre progrès notable : il était équipé d'une télécommande.
Imaginez les bienfaits de la modernité, lorsque nous n'aurions plus besoin de nous lever de table,
ni faire les quatre pas qui nous séparaient de l'engin pour changer de chaîne ou baisser le son.
Le temps précieux économisé à pouvoir d'un seul geste, depuis sa chaise, allumer ou éteindre.
Clouer le bec à Guy Lux ou aux Jeux de 20 heures. Ou zapper à midi sur l'Académie des 9.
Sans parler du bonheur de voir la couleur des plateaux, des décors, des visages et des dessins animés,
qui ne dura certes qu'un jour ou deux, mais assez fort pour que j'en aie gardé le souvenir.
Avec ce nouveau poste, et sa nouvelle antenne, nous avions aussi un nouveau privilège. De taille.
Nous pouvions capter des chaînes espagnoles. Et le jeu Un, dos, tres, responde otra vez, sur TVE-1,
jonché d'épreuves et de sketchs, était un tel ravissement à mes yeux qu'il était devenu un rendez-vous,
incontournable, quand Mayra Gomez Kemp, dont j'étais un peu amoureux, justifiait à elle seule
nos infidélités à la télévision française. Sa voix, encantadora, est une autre madeleine, assurément,
au même titre que celles de Dorothée ou de Christine Ockrent. Elevé au jus de ce petit écran.
Je revois chez Virginie le lieu précis où était installée cette fenêtre sur le monde.
Le tapis sur lequel je m'étais mis en tête de délimiter la piste du Cirque Tout-Nu, à la première
avortée quand j'ai lu sur le visage de ma mère que c'était peut-être une fausse bonne idée,
la pendule noire, juchée sur le retrait du mur séparant l'escalier de la cheminée, la bibliothèque,
au pied de laquelle j'enfournais dans un mange-disque les chansons de l'Île aux enfants,
ou imitais Doris Stiegler dirigeant son orchestre, la place de chaque meuble. La gorge serrée.
Geneviève avait sa chambre à l'étage, dans laquelle je dansais devant la glace aux chansons
d'Yves Montand qui faisait des claquettes sur Les Grands Boulevards, puisque c'est elle
qui avait l'électrophone pour les 33 tours, où elle faisait tourner en boucle les chansons de Véronique,
et où je venais me mettre en douce celles du groupe Ange qui me faisaient trembler.
Tout est là sans y être. Et je m'interroge sur la fiabilité de la mémoire, comme sur son pouvoir.
Concluant que je ne pouvais avoir inventé des souvenirs aussi précis. Visuels. Sonores. Olfactifs.
La route de brique rouge. Avec au bout, le Théâtre National de Chaillot.

  

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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