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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 10:07

 

 

Ce n'est pas un appel aux arènes. Mais les cuivres rutilent tout autant.
Une flopée d'instruments à vent, enrhumés, fait trembler, d'une seule voix,
les platanes camouflés aux façades de cayrou.
Un souffle violent venu défier la Tramontane en personne.
Nasillardes, suraiguës, stridentes, les alarmes de hautbois s'époumonant,
viennent sonner le branle-bas de combat, viennent sonner la charge.
Une armée de bergers furieux, descendus de la montagne,
un bataillon de pêcheurs écumants, arrachés à la mer,
des corps de vignerons impétueux, prêts à prendre les armes.
Tous convergent au tocsin, relayé par le feu, aux sommets de la plaine,
que les tours à signaux font fumer des pics environnants.
Madeloc. La Massane. Tautavel. Et le peuple s'unit.
Faire front ou narguer la menace.
Déposer les sarments. Les bâtons. Les filets.
Pas pour prendre les armes, mais se prendre la main.
Tibles et tenoras, de concert, décoiffent les roseaux, les lauriers, les palmiers.
Chassent les étourneaux, les pigeons et quelques échassiers.
Font gronder la terre. Bravent l'incendie. L'invasion. Comme lion rugissant.
Exaltant les gens du pays en inspirant leur souffle. L'expirant décuplé.
Hommes et femmes, et vieillards, et enfants, qui viennent s'épauler,
se porter à bout de bras, en un repli sur soi. Bien qu'ouvert. Au reste du monde.
C'est l'instinct de survie, s'ils vous tournent le dos, puisque c'est une ronde.
Mais le corps étranger qui se glisse entre deux est sitôt intégré.
Aucune greffe n'est rejetée. On ne regarde pas qui vient briser la chaîne.
Qui prend le train en marche. Le macro-organisme ne cesse de s'amplifier.
Pêcheurs, vignerons et bergers, ne feront pas la guerre, mais ils résisteront.
De ce pays de vent, ils ont hérité d'une épaisse souplesse.
Identiques à ces haies de cyprès, qui plieront, sans ne jamais casser.
Avec opiniâtreté, têtus comme des mules, ils avancent sur leur chemin escarpé.
Sans savoir où il vont, mais sachant fermement ce qu'ils ne veulent pas perdre.
Perméables aux visites du dehors prêtes à s'aventurer dans leur mêlée compacte,
ils ne renonceront jamais à tout ce qui les tient, lorsque, plus qu'une communauté,
ces âmes solidaires, à travers les siècles et les déchirements, forment une nation.

Ils affluent de partout. Descendent de chez eux. S'arrêtent au retour du marché.
Ces dames posent leur panier plein ou leur sac, comme une contribution,
au centre de ces arènes sans taureaux,
pour se glisser entre deux êtres qu'elles ne connaissent pas.
Qui ne sont peut-être même pas d'ici. Mais qui sont de l'ouvrage. Et qu'elles empoigneront.
Peu importe qui tu es. Tu es maillon de la chaîne. Et l'espace d'une danse, le monde est connecté.
C'est la vague du smurf, du popping, avant l'heure, où l'énergie circule à qui se prend la main.
La rage d'exister et le volontarisme, sur la pointe des pieds, quand l'union fait la force.
La ronde nombriliste d'un peuple narcissique. Un ballet collectif. Ou chacun peut se voir.
Mieux que seul. Mieux qu'à deux. Chacun peut s'observer et mériter sa place.
Comme des christs sans croix, les poings cloués au ciel, ils se donnent aux autres.
Participent au projet. C'est un esprit d'équipe. Où la boucle est bouclée.
Un homme se glisse entre deux femmes. On ne regarde pas qui vient briser la chaîne.
Puisqu'aussi vrai que cet arbre peut plier au vent sans ne jamais casser,
que ce peuple peut être emporté loin sans ne jamais se déraciner,
jamais la chaîne ne se brise. Elle gonfle comme la pâte. Se répand comme une tache d'huile.
Gagne du terrain. En protégeant son coeur. Et le panier à provisions.
Les bras tendus, vers le bas, vers la terre, les épaules arrondies, la tête droite, et tranquilles,
comme un seul homme, soudain, ils lèvent les poings ensemble,
comme soulevant des montagnes, dansent l'effort collégial,
hissant des charges ou le bronze des cloches, se hissant eux-mêmes,
pour s'élever dans une oeuvre commune, où Dieu, tout à coup, peut prendre sa retraite.
L'Homme se prend en main. Il fera son chemin. Têtu comme une mule.
Cultivera la terre. Pêchera le poisson. Nourrira sa famille. Préservera l'espèce.
Comme tortues des légions romaines, les dos sont boucliers, pour fortifier le centre.
Pour abriter la flamme, du vent et des vandales, envelopper le feu porté par une langue.
Le blizzard de la guerre, le sirocco des bottes, n'ont pu l'anéantir. Elle brûle toujours.
Aux sorties de tunnels où le pieu est tombé, la langue était intacte et la mêlée compacte,
les deux versants d'un peuple pouvaient se retrouver, et le flabiol léger se remettre à chanter.

Ce n'est pas l'appel aux arènes, que barrissent les trombones, que grondent les fiscorns.
Ni le chant des Sirènes. Quand ce n'est pas non plus, en rien, celui du cygne. Qu'on se le dise.
Les hautbois aveuglants, assourdissants de lumière, violents comme Juillet et la couleur du sang,
à peine supportables, déchirant les tympans comme la chair de la pierre, à fendre les bourrasques,
lacérer la caillasse de quatre traînées rouges, donnent la chair de poule et hérissent le poil.
Agaçant, entêtant, le son promet l'ivresse, comme au bec du pourou. S'encastre dans le crâne.
L'effet est merveilleusement âpre, aussi aigre qu'éclatant, à cette vague digne de rafales et tempêtes.
Aussi furieuse. Aussi têtue. Qui fait tourner la roue de ces christs sautillants, délestés de leurs croix.
L'éolienne est une farandole. Qui n'a pas de début. Et qui n'a pas de fin.
Qui croît à mesure des élans de passage. Et c'est le poing en l'air que la fierté se danse.
Un art collectiviste. Celui des Castelers. Quand on n'arrive à rien sans le soutien des autres.
Quand on soulève plus lourd, que l'on monte plus haut, si l'on s'y met ensemble,
les garçons et les filles, les jeunes et les aînés, les riches et les pauvres, sans distinction aucune.
Un art collectiviste. En des terres, toujours révoltées, plus anarchistes que communistes.
Toujours en résistance, toujours entre deux chaises, toujours sur le fil, entre deux royaumes,
ne pouvant reposer le talon trop longtemps, sur un tapis de braises, toujours en mouvement,
contre l'un, contre l'autre, appartenant aux deux, à aucun à la fois.
A Barcelone. A Gérone. A Figueres. A Perpignan. Aux barques de Cadaqués. De Sitges.
A celles de Collioure. Le tambori frappe la coque. Ou à la porte. Soutenu par la basse.
Puisqu'il n'y a pas qu'aux voiles qu'il est besoin de cordes.
Des pas de Madison ne se font pas en ligne.
Quand les lignes, on le sait, n'ont aucune chance au front.
C'est sur le cercle que les flèches ricochent. Que les coups rebondissent. Sans atteindre le coeur.
Le hérisson en boule ne craint pas l'extérieur. Une fois dans l'arène, vous êtes ici chez vous.
Protégés des assauts par des haies de cyprès, où les jardins fragiles ont tout pour prospérer.
Les grands frères porteront les petits sur leurs larges épaules. Et nous serons heureux.
Provisions à l'abri. Quand tout le monde a sa place, sa fonction, et donc sa raison d'être.
Quand tout le monde, à son poste, comprend l'intérêt de jouer collectif.
Et si le don de soi est proche du sacrifice, il est aisé de voir autant de christs en croix.
Le genou relevé, il n'y a plus d'épines, mais ils restent, échaudés, sur la pointe des pieds,
bras tendus, les poings fermés, haut, au-dessus de leurs têtes, de Prades à Tarragone,
ouvrant autant de ponts que de V de Victoire, suspendus au tempo.
D'un pays unifié à travers la frontière, à travers une langue et leur obstination,
ils ne sont pas sujets mais forment la couronne.
Quand la fraternité ne tolère aucun roi.


    
   

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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