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9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 14:47

 

 

Je passe plus de temps avec mon ordinateur qu'avec mes propres congénères.
Je travaille avec lui. Je m'informe avec lui.
Je me divertis avec lui.
Je baise avec lui.

 

Les bars et les boîtes ont été remplacés par les forums et les chats communautaires.
Et je ne risque plus de gonorrhées ou de syphilis, pas même le sida,
quand c'est lui qui risque pour moi de contracter un Cheval de Troie ou un Trojan.
Il n'est en veille que lorsqu'il m'arrive de dormir.
Mon premier geste de la journée, avant même le premier café ou la première cigarette,
c'est de l'allumer, consulter mon courrier électronique et la presse quotidienne.
Un bureau de 3m2 suffit à toutes mes activités intellectuelles et sexuelles.
Car si je m'instruis avec lui, si je crée et produis avec lui,
je me masturbe avec lui... je voyage avec lui.
Plus besoin d'aller physiquement à New York ou à Barcelone pour y aller.
Plus besoin d'aller au bureau le matin, aux réunions de la rédaction,
ni de faire la queue au guichet de la Poste, de la banque, ni de l'ANPE, ni de la Sécu.
Plus besoin d'aller au concert, d'aller au cinéma, ni à la bibliothèque, ni à l'université,
ni même d'avoir un poste de radio ou de télévision, ni même d'avoir des livres.
Je reste connecté toute la journée, mes yeux rivés sur 17 pouces de plastique lumineux,
les doigts sur le clavier, comme un prolongement de ma personne, en une dépendante fusion,
parmi tant d'internautes de mon époque, première génération d'hybrides,
qui rêvent de faire corps avec la machine, de relier directement le cortex à l'unité centrale,
assister ou soulager le cerveau de disques durs aux capacités sans limites,
intégrer les commandes, clavier ou souris, devenues plus utiles que nos propres membres,
quand on implante déjà des microprocesseurs et puces électroniques sous la peau,
pour faire voir les aveugles, pour faire entendre les sourds,
ou payer simplement, d'un coup de lecteur optique sur le bras,
des consommations au bar.

 

Cartes de crédit. Agenda. Téléphone portable. Passeport.
Autant d'objets que le corps pourrait absorber.
Autant d'accessoires, d'auxiliaires,
que nous ne supportons plus comme appendices extérieurs,
que nous voulons manger, digérer, garder en nous
comme vers solitaires ou parasites coopérants,
intégrer comme assistants, constants, infaillibles,
capables même de nous survivre.
Je suis un mutant parmi les mutants,
d'une première génération, encore grossière,
de cyborgs humanoïdes.

Pour l'homme bionique de demain, nous sommes encore démembrés,
éparpillés, dans la situation grotesque d'une éviscération,
les bras chargés d'organes externes, comme si nous croulions
sous des poches intestinales, des encyclopédies, notre cerveau sous le bras,
gonades et mémoire en bandoulière, avec autant de dossiers dans nos attachés-cases,
d'agendas, de carnets d'adresses dans nos sacs, nos besaces,
d'iPods et de mobiles à la ceinture, d'écouteurs ou d'oreillettes sur l'oreille...
La machine n'est pas anthropophage, c'est précisément le contraire.
L'homme a faim de technologies parce que l'homme ne s'aime pas.


Je n'avais jamais eu d'ordinateur.
Une simple machine à écrire, bien qu'électrique,
avait certes remplacé la bonne vieille machine mécanique de mon enfance,
avec sa dentition de marteaux métalliques, ses rubans baveux,
et son rouleau noir coulissant qui finissait chaque ligne d'un timbre sec et désuet.
Les touches de cette antiquité me rappelaient assez celles, de nacre,
des accordéons de bals populaires, suffisamment pour plaquer tant bien que mal
la lourde mécanique sur mon ventre, et en pianoter frénétiquement le clavier
pour faire danser des amoureux imaginaires.
Bientôt, le vieux piano fut détrôné par le synthétiseur de mes 15 ans,
avec ses rythmes pré-enregistrés, ses lignes de basses et de choeurs,
et la vieille machine-accordéon, à la même époque,
balayée par la nouvelle machine à écrire, elle aussi électronique.
C'est grâce à elle que j'ai pu aligner les octosyllabes obsessionnels
de 300 chansons, dont les quatrains formulaient l'éveil de mes sens,
ressassaient mon épouvante face à la logique du temps,
mon angoisse envahissante de la mort,
ma fascination pour le désir
et pour le plaisir, mon addiction.

Toujours vêtu de noir, la mèche rebelle, le visage ombragé,
le reste flouté par la fumée de mes cigarettes,
j'ai dérivé jusqu'à vingt ans dans le lit tortueux de Chopin,
Gainsbourg, Baudelaire ou Rimbaud,
dont les portraits sur les pupitres de ma chambre me jugeaient
et m'inspiraient des élans que je voulais ténébreux.
C'est sur cette machine aussi que, bien plus tard, à Bordeaux,
ayant épuisé les ressources du parolier ou poète adolescent,
j'ai cherché en moi un romancier que je n'ai pas trouvé.
A distance du mal qui décharnait et désincarnait ma propre mère,
je me suis obstiné à aligner des mots, des phrases et des chapitres,
à numéroter des feuilles blanches à noircir de signes retors,
à ancrer ds situations et des personnages improbables.
La douleur et l'alcool du moment seront de parfaites excuses
pour expliquer la nullité consternante du laborieux ouvrage
que je ne me résoudrais jamais à assumer comme premier roman.
Ainsi, des kilos de tapuscrits témoignent de cette époque.
Ce n'est qu'à Montréal que je me suis enfin converti à l'informatique
... et à son lot de nouvelles expériences.





Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 20:41

 

 

Mon cousin, venu me rendre visite au Québec,
m'a aidé dans le choix du modèle.
Il m'a donc fallu attendre 1999 pour acheter mon premier computer.
Cela était devenu nécessaire pour travailler avec mon rédacteur en chef.
Luc-Simon qui, à l'américaine, m'a donné ma chance sans recommandations,
sur la base de mon seul enthousiasme, avait apprécié mes premiers papiers.
Mais dès notre prise de contact téléphonique, le ton fut donné :
" Voici mon adresse électronique... "
Prêt à me juger sur pièces.
Je devais raconter mes impressions d'immigrant français,
et lui envoyer le résultat... par e.mail.
Je n'avais jamais pratiqué internet.
Il ne s'agissait pas de sa part d'une lubie, de snobisme, ni même d'un piège,
j'ai senti aussitôt dans sa formulation que c'était ici, déjà, une normalité.
Bien sûr, sachant qu'il vivait comme moi dans la même ville,
je trouvais ridicule de devoir passer par l'informatique
lorsque je pouvais lui poster une feuille dactylographiée,
ou la porter moi-même directement à son domicile.
Pourtant, deux sentiments m'ont poussé à m'exécuter.
D'abord, la volonté de ne pas opposer de résistance, ni de réticences,
de ne laisser aucun grain de sable se glisser dans la mécanique :
je me suis ainsi surpris au téléphone à accueillir l'information,
qui n'avait rien d'un ordre ou d'une condition,
comme si j'avais un ordinateur, avais l'habitude de travailler ainsi,
comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
Ce n'était pas le moment d'émettre des réserves ou de faire des manières.
Ensuite, je l'avoue, je n'avais pas envie de passer pour un arriéré,
un plouc, provincial, ou que sais-je, confirmant au passage des préjugés
sur une France toujours un peu en retard sur ces questions par exemple,
et encore moins de passer pour un amateur.
Ma crédibilité était en jeu, tout de même.
C'est donc sur le papier d'un cahier que j'ai rédigé deux textes,
et avec ces deux textes que je suis allé dans un cyber-café,
pour la première fois de ma vie.
C'était un bel endroit dans les quartiers ouest de la ville,
aux larges baies vitrées, ouvertes sur la rue,
où un beau jeune homme m'indiqua évasivement un ordi disponible.
Il leva un sourcil interrogateur sur moi, découvrant que,
lorsque j'aurais dû sans doute traverser la salle avec aisance
pour m'installer à la place libre suggérée,
j'étais resté à son comptoir, penaud, embarrassé,
avec l'air d'un puceau face à la tenancière d'un bordel.
L'adorable québécois, amusé par ma confusion,
que j'ai pris soin d'amplifier pour la rendre comique et attrayante,
eut la patience de m'accompagner au clavier pour me connecter
et m'apprendre les rudiments de la messagerie électronique.
" Quelle est votre adresse ?...
- Mon adresse ? Mais... Je n'en ai pas... "

 

 




Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 20:36

 

 

Luc-Simon Perrault, loin d'imaginer
combien le simple envoi du courrier fut toute une aventure pour moi,
un exercice bien plus laborieux que la rédaction des textes elle-même,
m'appela aussitôt pour me féliciter :
" Je te prends à l'essai sur trois numéros... "
Tout l'équipe éditoriale était québécoise, mais le magazine était français.
Je n'avais pas le statut de résident permanent, pour lequel j'avais déposé
une demande au bureau d'immigration avant mon départ,
et donc pas le droit de travailler pour une entreprise canadienne.
La société de Québec Canada, Grandeur Nature siégeait à Niort.
On me proposait, pour la première fois de ma vie, d'écrire pour de l'argent.
J'allais encaisser mes premiers cachets de pigiste en dollars canadiens.
Une chronique régulière, avec ma tronche en médaillon,
comme dans les hebdos télé ou féminins, pour laquelle j'avais carte blanche,
tant que je traitais de ma situation de Français émigrant au Québec.
" Tu me fais deux feuillets et demi par chronique, OK ?
- D'accord, pas de problèmes... "
Une fois de plus, je n'allais pas interrompre Luc-Simon dans son élan
pour lui demander platement à quoi correspondait ne serait-ce qu'un feuillet.
Je n'en avais pas la moindre idée. Un feuillet, c'est combien de caractères ?
Comment ? Combien de signes ? Vous voulez dire... espaces compris ?
Il avait été question, quelques années plus tôt, que j'entre à Sciences Po.
Il était convenu que le journalisme était la meilleure option, le compromis idéal.
Certes, j'avais des dispositions pour l'écriture, ça ne faisait plus l'ombre d'un doute.
Mais pour mes parents, la presse écrite semblait plus rassurante que la littérature.
Finalement, les prétendants au concours de l'école,
que j'ai côtoyés dans une prépa parisienne, à vingt ans,
ne m'ont pas donné envie de passer les années suivantes avec eux.
Je leur avais alors, le temps de l'été 93, préféré les clubbers cocaïnés de la capitale.
Les projets d'IEP, d'ESJ, et autres plans de carrière, aussi présomptueux qu'utopiques,
furent vite abandonnés pour l'Université : je n'avais aucune expérience journalistique.
Par des moyens détournés, j'ai fini par cerner approximativement le format demandé,
et la période d'essai s'avéra miraculeusement convaincante.
J'ai collaboré au magazine jusqu'à sa disparition en 2001.
Pour les premiers numéros, faute d'ordinateur, j'ai dû revenir au cyber-café.
J'en avais découvert un formidable, dans le Vieux Montréal,
où je me donnais l'impression d'avoir acquis un statut social.
J'ai quitté mon premier appartement du boulevard René-Lévesque,
un rez-de-chaussée où j'avais campé six mois, à mon arrivée de France :
Le temps était venu de m'installer.
Dans le havre arboré de la rue St Timothée,
mon deuxième logement fut mon premier chez-moi.
Ainsi, mon cousin m'accompagna dans l'achat de mon premier ordinateur,
comme il m'accompagna dans celui d'un canapé, d'une table basse,
et autre attributs de la sédentarisation.
Après six mois d'observation, de prospections et de doutes,
après un premier hiver, test incontournable de compatibilité,
j'étais prêt à me lester de mille micro-possessions,
de produits, d'objets, d'appareils, de cartons d'emballage,
qui contribuaient à mon confort et m'ancraient à Montréal.
Autant de choses qui rendraient un déménagement plus compliqué,
un rapatriement plus tragique, un coup de tête plus improbable,
qui pourraient du jour au lendemain se révéler futiles et encombrantes.
La consommation me fit peser dans la neige. Je me calai.


 

 



Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 08:18

 

 

Son visage était encadré de bois rouge,
baigné dans une lumière orange, verni de reflets ou de silhouettes
et, depuis le sommet de l'énorme réfrigérateur trapu,
son sourire mystérieux veillait encore sur moi.
A côté, elle posait en noir et blanc dans une robe de mariée
superbe de simplicité et d'une élégance toute Jackie Kennedy,
assise, jambes croisées, révélant ses escarpins blancs,
tenant dans ses gants délicats un bouquet de roses, près de Papa,
debout, élancé dans son costume parfaitement coupé.
Pas de meringue, de tarte à la crème ou de traîne vaniteuse.
Kim Novak et Cary Grant dans la grâce des Années 50.
La classe. A la fois sobre et glamour.
Elle m'avait accompagné jusqu'ici, outre-Atlantique,
côtoyant les mugs du Late Night de Conan O'Brien ou de Niagara Falls,
le sucrier doseur à clapet, la bouilloire en inox et les magnets multicolores.
Donuts et paquets de Players King Size à fumer.
J'avais branché l'ordinateur dans ma chambre.
Le fond d'écran était la photo d'un billet de 100 dollars canadiens.
J'y écrivais mes chroniques, mes textes... et mes e.mails.
Le prix symbolique de l'abonnement à Vidéotron me permettait à l'époque
d'être connecté en permanence, et je le fus jour et nuit.
L'accès par le câble, c'était un avantage non négligeable,
ne me privait pas de ma ligne téléphonique.
Des détails qui ne disaient pas grand-chose au néophyte que j'étais alors,
mais que mon cousin, visiblement ravi, relevait avec enthousiasme.
J'étais revenu de Paris fin juillet pour l'accueillir au Québec.
La Gay Pride battait son plein alors que nous arpentions le Vieux Montréal,
devenu balnéaire, cherchant la fraîcheur sur le port.
Puis allions le soir applaudir Teri Moïse au Spectrum.
Nous avons loué une voiture pour aller vers le Nord, en Gaspésie,
puis vers le Sud, faire le tour du lac Ontario, via Toronto.
Nous avons assisté à un match de base-ball, à un combat de catch,
avons flâné dans les travées du marché Jean Talon, dîné à Chinatown.
Fou comme moi de manèges, je l'ai emmené au parc de La Ronde, sur le fleuve.
Et nous avons cédé à la tentation d'un tour en hélicoptère sur la ville.
En rentrant en France, fin août, Frank me laissa seul face à moi-même.
Je m'étais jusqu'alors étourdi de mille allers-retours :
j'avais fui à Perpignan en juin, pour voir la famille et les amis,
retrouver les plages de mon enfance, étais parti depuis Paris pour Bali,
en juillet, avec Laetitia Bourgeois, marquant des stops
à Hong Kong et Macao où un ami commun travaillait,
revenant à Paris d'où j'avais fait un dernier saut à Toulouse,
pour deux jours, avant de retourner enfin, pour de bon, au Québec.
Le lendemain de mon retour, Frank et Martine arrivaient,
et je repartais aussitôt avec eux jouer les guides à Tadoussac ou Niagara.
Lorsqu'ils rentrèrent en France, sans moi, je me suis assis seul, au bord du vide.
Et devant cet ordinateur providentiel.
Septembre, avec sa lumière de crépuscule, ses sensations de rentrée scolaire,
m'abandonna au whisky de mes bars favoris, à des baisers pathétiques,
et à ma nouvelle toxicomanie.
Jour et nuit.
Je ne savais rien d'internet.
J'ai appris très vite.

 

La presse internationale, les sites littéraires, pornographiques...
j'ai aisément repéré les pages où se concentraient mes centres d'intérêt.
Le forum d'un magazine français a particulièrement attiré mon attention.
Les habitués formaient une sorte de club très sympathique.
Je n'ai pu résister à la tentation de m'y immiscer.
C'était pour moi, malgré la distance et le décalage horaire,
une façon de partager des idées, de plaisanter, de bavarder au fond,
avec de jeunes compatriotes, un lien salutaire avec la mère patrie,
de panser mon mal du pays et surtout, de rencontrer des gens.

( ... )

Il ne s'agissait pas d'un site de rencontres, ni amoureuses, ni sexuelles,
même si nous n'étions pas à l'abri de développer entre nous ce type de relations,
mais d'un havre de paix, avant tout, où nous pouvions échanger en toute confiance.
Mieux qu'un salon privé, une petite île.

 

 



Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 08:13

 

 

Pour accompagner la petite enveloppe jaune : le coucou électronique.
Avis de nouveau message. Modèle Notify de Windows.
Quelqu'un, le doigt mouillé, faisait chanter le cristal d'un verre sur deux notes.
Je l'ai retrouvé sur mon ordinateur.
Panneau de configuration. Sons et périphériques audio.
Il a retenti dans mes haut-parleurs, avec la même innocence, la même fraîcheur.
Mon coeur s'est serré aussitôt. Paris-Montréal. 2007-1999.
Correspondance. Mon espoir désespéré. Mon âme soeur. Mon internautre *.
Mon désir éperdu. Mon aspiration farouche. Mon attente inconsolable.
La chambre et son balcon sur les jardins. La rue Amherst entre les arbres.
L'odeur de la neige. La voix de David Letterman dans le salon.
La silhouette féline de Marie-Laurence qui s'étire en ronronnant.
Une carte postale de Laetitia. Un paquet bleu de Players King Size.

" Je serai ce soir au Unity. " What ?...
" J'y serai aussi ! " Comme un soir sur deux.
Ce club où je faisais de piteux sourires à Jean, le barman,
qui me préparait d'office cette étrange mixture dont je me régalais,
ce whisky-coca qui étonnait toujours les Québécois, quand il ne les dégoûtait pas.
L'équipe de la boîte m'avait identifié. J'étais le Français Whisky-Coke.

(...)

Toute la rue Ste Catherine sentait la réglisse effervescente du whisky-coke.
Je montai les escaliers du club avec le trac au ventre.
Ces escaliers dont mon corps, même imbibé, en pilote automatique,
vacillant, déserté, connaissait tous les pièges, la hauteur des contremarches,
la pente vertigineuse, parfois guidé par Katchik, le vampire, photographe de mode,
qui tenait toujours à me raccompagner chez moi par pure charité chrétienne.
Je ne voyais physios et videurs qu'à l'arrivée, qui s'inclinaient avec des sourires convenus,
eux qui savaient dans quel état j'étais capable de quitter l'arène, témoins du massacre.
Ils savaient mieux que moi avec qui j'étais rentré la veille,
d'où venait cette égratignure au coude, ce bleu à l'épaule,
et au-delà, comment un corps peut se mouvoir sans âme.
Le contraire du fantôme. Le mort-vivant.
Il me fallait gravir ces marches à nouveau, encore et encore,
de plus en plus profondément, de plus en plus loin...
J'avais le trac, toujours, à la montée, comme si je m'apprêtais à monter sur scène,
savais que seule l'ivresse allait me délivrer de cette peur illusoire mais ô combien stimulante.
Ce soir-là, elle était tellement vive que j'en étais nauséeux, presque malade.
Dans la foule des anonymes allait se cacher un être cher et tendre...
Un ange, que je ne reconnaîtrai pas, qui ne me reconnaîtra pas, mais qui sera là,
quelque part, parmi ces silhouettes sans noms, ces visages muets
comme autant de masques tragiques.
Le jeu était vain. Pourtant, je scrutais les sourires qui s'alignaient le long du bar,
quelques profils, au nez droit ou busqué, à la lèvre plate ou charnue,
guettais des gestes, observais les mains qui se nouaient sur les verres,
me postais sur la passerelle dominant la piste de danse et sa foule en sueur,
dévisageais les cadavres qui arpentaient les couloirs, que je croisais sur les galeries.
Je surprenais soudain un regard sur moi.

(...)
 


Le lendemain, je me réveillai dans mon lit.
Mon corps, comme toujours, avait retrouvé seul mon adresse.
Il avait su remonter la rue St Timothée jusqu'au 18-41,
se hisser dans l'escalier de bois de la façade jusqu'au palier,
entrer la bonne clé dans la bonne serrure, me dévêtir et me coucher.
Dans son coma, le vampire retrouvait le repos du tombeau.
Et puis, une fois de plus, je réinvestissais ce corps que j'avais abandonné.
Ce corps que je malmenais, que je méprisais,
que l'alcool avait tabassé, roué de coups, meurtri.
L'ordinateur allumé finit par me presser le coeur d'un avis de message.
Une nouvelle enveloppe jaune contenait un rapport de la veille, troublé, exalté.
Oui, en effet, c'était bien étrange de se savoir dans ce même lieu.
Quel jeu insolite, curieux, qui aurait pu être amusant, parce qu'absurde,
s'il n'avait pas été profondément frustrant.

(...)

Le chat n'a plus envie de jouer. Les souris dansent.
Marie-Laurence venait me rejoindre sur mon lit,
me sentant prédisposé à ne pas l'en chasser comme d'ordinaire,
chercher des caresses en se contorsionnant sous mon bras.
Elle se postait près de moi, ivre de bonheur,
enroulait ses coussinets sur ses griffes en piétinant le matelas d'impatience,
tendait son cou vers mon menton, m'enveloppant de son ronron caverneux.
Indifférent à sa parade, entortillé dans mes draps,
je me ramassais sous le traversin, cherchant une issue.

Le gros voyant rouge de l'appareil s'est mis à clignoter.
Un message vocal... et une voix.
Malicieuse. Enthousiaste. Empreinte d'émotion.
Une aurore embrasait ma cage thoracique.
Le soleil qui se lève dans ma gorge, irradie mes tempes,
réchauffe mes tympans où se fraye une onde bienfaitrice.
Etonné, tremblant, je déchiffrais ce code sensoriel,
cette musique papillonnante, espiègle, enjouée,
qui trahissait son excitation, son émoi et sa confusion.


 




Philippe LATGER

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* Mon internautre : texte publié dans Textures ( Editions La Bruyère 2001 )

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 03:16

 

 

Il y avait cette combinaison typique, charmante,
de la mollesse des joues et de la bouche, toute anglo-saxonne,
avec le clapotis nerveux et expansif de la langue latine :
un savoureux mélange dont les Québécois ont le secret.
Ce français imagé, à la fois rude et joyeux,
se déploie en arpèges, aussi chantant que l'italien,
mais entre ces mâchoires indolentes propres aux Américains,
intercalant nasales et palatines, caresses et coups de fouet.
Ce français-là avait beau m'être devenu familier, il m'émerveillait toujours.
Dans la voix au téléphone, il y avait plus d'un paradoxe.
La schizophrénie de la langue maternelle, tiraillée entre franco et anglophonie,
constituait l'un d'eux. Mais il n'était pas le plus séduisant.

(...)

Je relevai ce détail. Le trouvai touchant.
Que me disaient ces sons de son être ? Que m'apprenaient-ils ?
Quel trait de sourcil, quelles rides d'expressions, quelle bouche ?
Quelle ligne maxillaire pouvais-je dégager de ce morse magique,
tantôt aérien, tantôt souterrain ?...
Ce signal pouvait me fourvoyer, s'avérer plus trompeur que révélateur.
Un subtil balayage essayait vainement de préciser des contours toujours fuyants.
Quand on apprend à jouer la comédie, on apprend à jouer de son instrument.
Mais dans la fausse spontanéité du geste, bien des choses pouvaient lui échapper.
Ce mélange de joie et de chagrin, de transport et d'embarras, était candide. Superbe.
Et cet élan ravissant, à la fois lâche et téméraire, m'avait bouleversé.

(...)

Son message me promettait, dans son émotion, de répondre à ma requête :
bientôt, très bientôt, nous allions nous voir, à son retour de Toronto.
C'était encourageant. Sortir dans la lumière. Traverser l'écran.
Au-delà d'un simple prénom, mon oreiller était désormais doté d'une voix.

 

 

Cet appel m'offrait sans doute une nouvelle pièce du puzzle,
même si je devais reconnaître qu'il ne s'agissait que d'un nouveau bout de ciel bleu.
Découvrir le timbre de sa voix était aussi une donnée intrusive, envahissante, qui,
en faisant reculer un peu plus la buée sur le miroir, me ramenait à une réalité :
il y avait bien une personne faite de chair et de sang.
Ce n'était plus un concept, un fantasme sans fondements,
une notion livrée à ma seule imagination et à façonner à ma guise,
mais une identité propre, indépendante,
avec une autodétermination et une masse corporelle.
Plus sa réalité prenait forme, plus mes marges de manoeuvre réduisaient.
Ma liberté, sans limites dans mes divagations, reculait aux avancées du concret.
Peut-être ce constat était-il à l'origine de son comportement insaisissable.
Préférant garder l'innocence de notre jeu intacte, protéger le coquelicot fragile
des bourrasques possibles, se contenter d'une présence immatérielle,
qui ne contrarie pas ses habitudes, ne prend pas toute la place dans le lit,
ne déplace aucun objet, mais qui accompagne sa solitude lorsqu'elle devient ingérable.
J'avais pris la place de Dieu pour les uns, d'un ange gardien pour d'autres,
un ami imaginaire, ou un parent défunt... celle d'un esprit bienveillant
qui ne vous laisse jamais seul quand vous ne voulez plus l'être.
De mon côté, je n'arrivais pas à me satisfaire de cette situation.
Bien des esprits, à commencer par celui de ma mère,
pouvaient habiter le vide de mon être et de mon existence.
Lesté ici-bas par mon corps, j'avais besoin aussi de nourritures terrestres.
Besoin de viande. Besoin de palper, d'étreindre, d'empoigner, de dévorer.
Même si elle n'était pas à la hauteur de l'image que j'avais eu le temps d'esquisser,
j'étais prêt à me confronter à sa personne, aux odeurs, aux volumes, aux substances,
et je la poussais jusque dans ses retranchements, la pressais de répondre...
Impossible de la faire sortir de sa coquille.
J'ai dû changer de stratégie.
Coucou électronique Notify de Windows. Enveloppe jaune.
Nouveau message de l'adresse moncourrier.com.

   " C'est ma mort que tu veux ???
   Où es-tu ? A New York ? A Paris ? A Montréal ?
   Mercredi et pas de nouvelles !!! "

J'étais déjà ailleurs.
La voix geignarde de Rufus Wainwright emplissait l'appartement.
Des amis allaient arriver de France à l'aéroport de Dorval.
Le froid s'était abattu soudainement sur la ville.
J'avais fait une réservation à l'hôtel Madison, à New York,
où je devais conduire mes amis, la deuxième semaine de leur séjour.
J'ai laissé tomber le journal ouvert sur ma poitrine, allongé sur le lit,
et cherché mes cigarettes, à portée de main.
Comme dans la vraie vie, sur internet,
une passion chasse l'autre.

 

 

 




Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:22

 

 

Pour un jeune homme de 21 ans,
partir à New York n'était pas une aventure.
Il s'agissait ni plus ni moins de mourir.
Pas de mourir tout à fait. Puisqu'il y a une vie après.
Mais de disparaître. Comme lorsqu'on se dépucelle. Et changer.
Comme on tue l'enfant dans sa première relation sexuelle,
on tue un homme en l'amenant à New York.
Pour moi, ce voyage d'un mois sur la Côte Est des Etats-Unis était un suicide.
J'avais deux compagnons de voyage idéaux : des amis d'enfance, frère et soeur,
fascinés par Manhattan, eux aussi, comme tout individu qui a grandi
à la fin des Années 70 et dans les Années 80, c'est-à-dire téléphage,
à une époque où l'on voyait les taxis jaunes, la Statue de la Liberté
et l'Empire State Building dans presque toutes les séries et presque tous les films.
Si l'on ajoutait aux rêves procurés par le cinéma, ceux motivés par la musique, qui,
lorsqu'elle ne venait pas d'outre-Manche, venait d'outre-Atlantique : la messe était dite.
New York était la capitale de tout. Le sommet du monde occidental.
Je n'avais pas encore la pleine conscience de ce que cette ville signifiait
pour l'architecture, la peinture, ni même dans la littérature,
mais ma culture d'alors suffisait à nourrir mon adoration.

Un autobus nous a injectés violemment dans des faisceaux de circulation :
la boule d'un flipper, au ralenti, dans son étroite galerie de projection,
une rampe de lancement. Déterminée. Interminable.
Un roulement d'acier inéluctable nous emportait dans un conduit aride.
Le lourd véhicule nous brinquebalait mollement sur l'asphalte défoncé d'une avenue.
Nous arrivions de Boston, avions traversé le Bronx sans nous en rendre compte,
et dévalions Manhattan en longeant l'Hudson dissimulé par des immeubles inégaux.
A notre gauche, le paysage urbain se densifia soudain.
Le bus continuait à ronronner, imperturbable, tête baissée,
alors que nous pénétrions dans la jungle de MidTown.
Et nos bouches restèrent ouvertes, comme nos yeux hallucinés.
A espaces réguliers, défilaient des rues encaissées, raides comme la justice,
effrayantes comme des couloirs d'hôtel, de véritables saignées,
de brèches dans la brique, la pierre et le béton, autant de canyons vertigineux.
Une mince bande de ciel lumineux, au fond de chaque corridor embouteillé,
évoquait un horizon improbable, constellé de feux rouges automobiles
grossis et vibrants dans la brume d'échappements et d'une chaleur de forge.
Le champ de nos larges vitres nous cachait la débauche de flèches culminantes,
mais les lignes de fuite des 56, 55, 54, 53e rues, tapies aux pieds des colosses,
nous laissaient imaginer le visage des dieux vaniteux, monstrueux, qui les dominaient.
A chaque intervalle, le passage d'une nouvelle tranchée
hachait nos poitrines avec le souffle sourd d'une pale d'hélicoptère,
nous révélant la vie du New York d'en bas, des fourmis laborieuses,
sortant de taxis, de portes tournantes et de bouches de métro,
dans une progression stroboscopique.
Nous nous sentions déjà écrasés par des hauteurs inaccessibles,
et aspirés par chaque rue.
Mais l'autobus, assidu, gardait le cap dans les rapides.
La moquette de nos sièges inclinables, avec son épaisse puanteur de poussière,
calfeutrait alors un écrin désormais familier, rassurant, qui nous retenait à l'abri.
Nos vitres étaient celles d'un aquarium géant
et nous regardions, hypnotisés, le ballet des requins.
Mon ventre fut lacéré par le trac jusqu'à notre arrivée dans le chaos du Bus Terminal.
Un lieu sombre qui puait le mazout et le gasoil, la sueur et le sperme.
En descendant du véhicule arrimé à son quai,
la chaleur de Manhattan au mois de juillet nous sauta à la gorge,
avec ses effluves de fioul et de caramel, de poulet rôti et de sucre fondu.
En sortant sur la Eighth Avenue, Cédric, Virginie et moi, ne pouvions plus reculer.
Nous savions que nous avions signé notre arrêt de mort.


 




Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:19

 

 

Son visage était encadré de bois rouge,
baigné dans une lumière orange, verni de reflets ou silhouettes.
Cette photo m'accompagnait partout.
Elle y portait le chemisier avec lequel nous l'avons enterrée.
Son départ en février 97 avait, au bas mot, changé la donne.
L'appartement à Bordeaux n'avait plus aucune raison d'être.
Nous avions perdu une guerre.
Mais les perdants aussi jouissent de la paix qui lui succède.
Mon frère me l'a dit. Sans détours.
Sur la plage familiale de Ste Marie la Mer.
Cette plage où nous avions notre résidence d'été.
Nous nous y sommes retrouvés, cette année encore. Sans elle.
Pour pleurer. Rire. Pour réfléchir. Ne penser à rien. Ou être ensemble.
" Depuis le temps que tu parles d'Amérique... Pars maintenant.
Plus rien ne te retient en France... si tu dois le faire un jour, c'est aujourd'hui... "
Sans doute. Je n'avais pas de famille à nourrir. Pas de couple à préserver.
Pas d'emploi à conserver. Pas même d'études à terminer.
Jean-François avait raison.
J'avais 25 ans.
Plus de mère pour s'inquiéter de mon départ, de mon avenir.
Une vie à construire. Une nouvelle. Puisqu'on renaît à la mort de sa mère.
C'est un paradoxe. Cruel. Implacable.
J'avais tué l'enfant en moi en partant à New York trois ans plus tôt.
Maman l'avait achevé en mourant, l'avait emporté avec elle, définitivement.
J'étais une boîte vide. Une terre vierge. Nettoyé par une explosion nucléaire.
Il fallait que je replante. Il fallait que je remplisse la boîte pour ne pas sombrer.
Partir en Amérique. Oui... c'était le moment.

 




Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:09

 

 

Le moustique attiré par la lumière de l'ampoule.
J'allais me cramer les ailes sur mon écran d'ordinateur. Une seconde fois.

( ... )

T'ai-je parlé de mes angoisses ? De mes insomnies ? De mon Mister Hyde ?
Ce moi qui fait tant de conneries quand je suis bourré ?
Qui me fait tant de mal dès que je l'ai le dos tourné ?
T'ai-je parlé de mon alcoolisme ? Du décès de ma mère ?...
T'ai-je parlé de Manuel de Falla ?

Oui... du repos. J'ai besoin de repos. Besoin de boire et d'oublier.
Besoin de m'oublier. De sortir de moi-même. D'être quelqu'un d'autre.

( ... )

L'inox de la bouilloire déformait tous les objets reflétés,
arrondissait les arrêtes de la pièce, jusqu'à mon visage grotesque,
qui s'étirait lorsque je l'en approchais par jeu.
Nu devant les plaques électriques, je faisais chauffer de l'eau pour mon café.
Il faisait déjà nuit et la lumière chaude de la cuisine m'enveloppait.
J'allais me doper au café soluble pour tenir jusqu'à l'aube.
Et à la musique de Jean Leloup peut-être... ou de Marc Déry.

Marc Déry... Pourquoi ne le connaissions-nous pas en France ?
Ce type est génial. Sa musique est géniale...
Qu'est-ce que j'allais chercher au juste dans le whisky-coke du Unity ?
Mais nous ne connaissions pas plus Claude Lamothe,
ni Yves Lambert et La Bottine Souriante.
Suite Indian Intermezzo dans les Vacances de Monsieur Lambert.
L'intro aérienne me donnait toujours le frisson...
Et me fait encore pleurer. Des années plus tard.

( ... )

 

Il m'avait choisi comme escorte pour un cocktail, une présentation dans un show room
sur Ste Catherine Ouest, côté anglophone, côté fric, côté glamour et business,
loin de la Ste Catherine déglinguée de l'UQAM et du Village, avec ses putes et ses junkies.
Il y avait des créateurs de Montréal, des designers et des attachés de presse.
Des coupes de champagne à vider. Des sourires polis à distribuer avec un air cynique.
Des mannequins à ignorer dans une grimace dégoûtée quand on les désire irrémédiablement.
Bouffi par l'alcool, déshydraté, je me contentais d'être là, de me tenir debout.
Une des rares fois que nous nous sommes vus en dehors de la boîte.
Une chroniqueuse mondaine, un journaliste, une assistante, un décorateur,
de ses amis, de ses connaissances, à qui il fallait serrer ou baiser la main.
Un petit monde enclavé dans la médiocrité francophone, imbu de lui-même,
à qui je donnais du nice to meet you devinant le dédain pour ma langue maternelle.
Certains tentèrent un début de conversation. Je fuyais leur regard et coupais court.
Je ne comprenais pas ce qu'ils me disaient, de toute façon.
Mais je n'avais ni le courage, ni la volonté de faire les efforts
épuisants pour moi d'un échange en anglais.
Quitte à passer pour un malade mental ou un goujat.
Mister Hyde était plus à l'aise pour séduire les touristes US dans l'obscurité d'un bar.
Comme par magie, il savait avec virtuosité contourner les lacunes, retomber sur ses pattes,
arriver au bout de ce qu'il voulait exprimer, se débrouiller avec le tout-venant
pour développer une idée, même complexe, optimiser son piètre vocabulaire
pour décrocher des mots oubliés ou inconnus, en reconnaître d'autres, suffisamment,
pour comprendre le sens d'une question ou d'une réponse.
L'alcool endort la sensation d'effort physique, comme l'impression d'effort intellectuel.
Ramollissant tous les muscles, il les rend insensibles à la douleur comme à la pénibilité.
Et puis, parler une langue étrangère, c'est comme danser, draguer, ou conduire une voiture.
Il faut faire les choses sans y penser, sans s'y arrêter. La moindre hésitation, le moindre doute,
vous fait risquer la chute, l'accident, ou le ridicule.
Je n'avais pas encore assez bu à ce stade de la soirée. Je réfléchissais trop.
Me demandais ce que je foutais là. Ne sachant que faire de mes mains.
Je les occupais donc, comme toujours, à fumer et à boire.
Suppliant Hyde de venir me tirer d'affaire.

 

 




Philippe LATGER

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:06

 

 

Virginie et son amoureux sont arrivés à l'aéroport.
J'étais venu à leur rencontre. Les conduire à la maison.
Cassés par le voyage et le décalage horaire,
je les ai laissés dormir une partie de la soirée.
Vers minuit pourtant, il me fallait les réveiller, à leur demande,
pour ne pas manquer la soirée monstrueuse organisée au Stade Olympique,
dans le cadre du fameux Bal en Blanc. Avec 20 000 teufeurs survoltés.
Un autre party, tout aussi phénoménal, organisé le lendemain au Spectrum,
leur donna le ton et le tempo de la ville.
Ma correspondance fut un temps suspendue.
J'avais loué une voiture pour faire le tour de l'Ontario en trois jours.
Montréal-Toronto. Toronto-Niagara. Niagara-Montréal.
Une formule que j'avais innovée avec ma cousine Valérie, à tâtons, en mai,
améliorée avec mon cousin Frank en août, resservie à Virginie en octobre.
L'année suivante, connaissant d'avance les conditions de location, de réservations,
les hôtels, les routes, les aires de repos, j'ai refait le tour en pilote automatique
avec Dominique en avril, ma soeur en juillet, et Cédric ensuite, enfin, une dernière fois.
Mes amis et voisins s'en amusaient : j'étais allé six fois aux chutes du Niagara.
Après avoir arpenté le Chinatown de Toronto, admiré la vue sur le lac
et la métropole canadienne depuis la CN Tower, nous allions fermement
nous vautrer dans la pathétique fête foraine d'un site pourtant grandiose,
pourri par un tourisme vulgaire, décati, désuet,
loin de la fraîcheur d'une Marylyne désormais éternelle,
gravée à jamais dans le marbre mystificateur de la pellicule.
Quelques vieux couples américains qui y avaient passé leur nuit de noces
dans les Années 50, revenaient sur le lieu du crime, en pèlerinage,
vieillis, grossis, usés, à la recherche d'une jeunesse perdue,
côtoyant des bus entiers d'Européens et de Japonais dociles,
des classes entières d'écoliers blasés, et des groupes d'adolescents turbulents,
livrés à eux-mêmes, venus de Buffalo ou de Detroit pour se bourrer la gueule.
Ce chaos sordide de motels, de casinos et d'attractions tapageuses,
n'était pourtant pas dénué de charme.
Ce site qui fut à la mode ne l'était plus depuis longtemps.
Et, comme Acapulco, comme Coney Island,
souffrait d'une réputation qui lui survivait tant bien que mal,
avec autant de trivialité que de mélancolie.
Déchu, désoeuvré, il avait perdu tout son lustre, mais se battait encore.
Comme une vieille actrice qui ne renonce pas. The show must go on.
J'avais réussi à éprouver une forme d'affection
pour ce clown qui ne fait plus rire personne.
D'autant plus que le cirque des chutes restait une merveille intacte.
Indifférent aux néons et aux odeurs de fritures.
Les yeux pouvaient se perdre dans cet océan d'écume,
de vapeurs et de bruines, oublier le monde alentour.
Le bruit assourdissant de l'eau roulant sur elle-même absorbait tout vacarme superflu.
Il vous isole. Vous protège. Propice à la rêverie. A la méditation.
Ce bruit familier qui vous accapare, vous envahit quand vous vous faites couler un bain.
Il s'installe. Il vous berce. Vous détend. Vous console. Vous vide de tout.
Un esprit amérindien, un dieu païen, un géant peut-être, avait ouvert grand les robinets
et tardait à venir s'allonger de tout son long dans le lac Ontario.
Il fallait reprendre la route. Traverser la frontière. Une partie de l'Empire State.
Longer le lac et ses champs de pommiers. Jusqu'à la ville de Rochester.
Il fallait résister à la tentation de suivre sur la highway, la voie au-dessus de laquelle
un panneau vert aux lettres phosphorescentes, annonçait le nom,
irrésistiblement attirant de NEW YORK...
Ces lettres, magnétiques, me soulevaient le coeur.
Nous traversions un paysage calme et parsemé de grandes fermes aux pelouses vertes,
aux planches rouges, hérissées de vieilles éoliennes rouillées et d'imposants silos à grain,
bifurquant à Syracuse, vers le Nord, dans les feuillages rougeoyants, à perte de vue,
incendiés par l'été indien, jusqu'au Parc des Mille-Iles,
où un pont suspendu nous déposait sur la rive canadienne :
pile sur les rails nous ramenant droit à Montréal.


La visite de Virginie m'offrait une parenthèse salutaire. Un sursis.
Trois jours sans ordinateur. Trois jours sans guetter le signal Notify de Windows.
Une heureuse façon de décrocher. Conscient de ma nouvelle addiction.
Pourtant, la nuit-même de notre retour, je m'étais jeté sur ma boîte Outlook.
Ignorant ma fatigue. A trois heures du matin...

 

 

 




Philippe LATGER

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Lambert Wilson  Lambert Wilson 

 

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La terre est rouge

 

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