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19 août 2011 5 19 /08 /août /2011 23:06

 

 

C'est le soleil, ici, qui est orange. Sur la baie de Rosas.
Où l'adolescence libre put faire son lot de conneries.
Moi le premier, ivre au volant. Au retour du Rachdingue.
Où il était possible de plonger nu dans une piscine intérieure.
Dans une caverne de schiste sombre, habillé des seules vapeurs de l'encens.
La terrasse, au pied du dieu DJ, au sommet de sa pyramide aztèque,
à la lumière des flambeaux, d'où l'on dominait le brasier des villes de la plaine.
Cela sentait l'Energy Drink, le médicament fade et le cannabis en sueur.
La moiteur de teufeurs torses nus, coiffés de lunettes et de gel dégoulinant.
Des nuits à la Passarel.la, moins sulfureuses, plus populeuses, inanimées,
où le fantôme de Salvadore n'aurait pu s'aventurer.
Les familles sur le front de mer n'évoquent en rien l'époque des hallucinations.
Même si le spectacle parfois, me fait douter. Pastillas o chocolate.
Des monstruosités humaines qui charrient leur condition sur la promenade.
Gloutonnerie de glaces et de tongs. Boulimie de maillots bradés, de bière et de jamon.
Défilé incessant de coups de soleil malheureux, de jambes lourdes qui traînent les pieds.
Je regarde les visages luisants et rougeauds, qui transpirent aux terrasses des restaurants,
réduites à une rangée de tables collées contre le mur d'une ruelle, où l'air ne parvient pas.
Entre cartes postales, ballons et jeux de raquettes pour les enfants,
la foule avance, tente de se frayer un chemin,
entre ces couples qui dînent en tête à tête, ont choisi la paella,
ou ces parents sans marmailles qui, aux tonneaux, sont à la sangria.
J'essaie de m'extirper de là, en me contorsionnant, en me faufilant, évitant le contact,
m'en sortir sans écraser ce bichon maltais, ni cette petite fille fière de sa robe flamenca,
pour ne reprendre ma respiration que sur l'allée de la Riera Ginjolers qui se jette à la mer.
La rivière couverte, transformée en ample voie piétonne, bordée d'anciens cinémas,
d'hôtels et de marchands de bikinis, m'offre enfin l'iode d'une perspective ouverte.
Pas sur le grand large, puisque nous tournons le dos à la Méditerranée,
mais sur les eaux de la baie, et les brumes de Santa Margarida, qui me caressent enfin.
C'est là que je comprends que la nuit n'est pas encore tombée. Le soleil décline.
Il est énorme. A la loupe d'une atmosphère encore lourde de chaleur.
Et mon corps n'a pas envie de peaux humaines, de confrontations physiques.
Quand la marée désincarnée m'a dégoûté de mes semblables. Overdose.
Je m'élance vers les bateaux qui ont jeté l'ancre. Paisibles et silencieux.

Bien sûr, les congénères qui ont pris ici des vacances méritées,
pourraient être des cousins, des oncles et des belles-soeurs.
Les jeunes gens qui se sont préparés pour sortir après une journée à la plage s'encouragent.
J'en regarde certains. Dans la bande qui chahute à ce bar. J'aurais pu être l'un d'eux.
Des gosses. Heureux de dépenser de l'argent à boire.
Gagner une ivresse qui leur donnera de supers pouvoirs.
A commencer par celui du culot, qui leur permettra d'aborder des filles dans la rue ou en boîte.
Celui-ci, avec sa brosse ébouriffée, dans son débardeur mettant en valeur son bronzage.
Ou celui-là, avec son air important, derrière ses lunettes noires, fumant comme un cow-boy.
Une tendresse pour ces petits blaireaux. Une sorte d'affection fraternelle. Indulgente.
Quand je sais le mal qu'on se donne, à cet âge, pour paraître sûr de soi.
Quant aux nuées de beaufs à poucettes dans leurs shorts ridicules... eh bien ma foi...
je me dis que je ne suis pas à l'abri de devenir comme eux, ou, pire encore,
que je passe probablement déjà pour un beauf, moi-même, aux yeux de certains.
Puisque ce n'est jamais qu'un jugement de valeur. Et qu'après tout, je participe à l'orgie.
Le politiquement correct exigerait de moi que j'écrive ici que je ne saurais juger mon prochain.
Mais. Face au soleil, je dois dire... mon prochain, je m'en moque. Je lui tourne le dos.
Je le laisse à ses patatas bravas, à ses salles de jeux, et à son shopping de fête foraine.
Ayant cette chance immorale de n'avoir plus d'argent, pas d'argent à dépenser, à gaspiller,
en calories dont les enfants n'ont pas besoin, en choses inutiles qui finiront à la poubelle,
je tourne le dos, plus qu'à mes frères, à la société de consommation, frénétique, compulsive,
dont nous n'avons toujours pas épuisé la bêtise, la malhonnêteté, en drogués que nous sommes.
Abstinent par force, je savoure mon aubaine. En cure de désintoxication. Je jeûne.
Face au soleil qui se couche. Derrière les montagnes. Me laissant seul à ma nouvelle addiction.
Il faut bien remplacer une drogue par une autre. Pour ne pas se foutre en l'air. Antidépresseurs.
Mes euphorisants ne sont plus le whisky ou les fringues de marque. La nuit. Le sexe. La fête.
Je regarde le monde basculer dans les ténèbres complices. Et je pense à toi.
Mon coup de fouet. Mon shooter. Mon rail de coke. Adrénaline. Et dépendance.

Sauter dans un taxi. " A l'aéroport ! "
Le Lincoln Center. Denpasar. Et j'en passe.
J'ai fumé moi aussi, comme un cow-boy,
ou cherché à dessiner quelque chose avec un débardeur.
Monaco. Miami. Les filles dans les cages. Où je tournais en rond. Comme ronds de fumée.
Une tendresse pour ces errances. Le mal que je me suis fait. Regrettant celui que j'ai pu faire.
En pensant à celui qu'on se donne pour devenir un homme.
Pour se tenir debout. Ou se sentir aimé.
J'ai renoncé à l'unanimité. J'ai renoncé au plus grand nombre. Au bord de la noyade.
Je suis dépendant aux gens qui m'aiment. Dépendant d'eux. Ce petit nombre enveloppant.
Infiniment aimant. Infiniment présent.
Qui m'habille plus sûrement que les hypocrisies flatteuses.
Les fausses gloires. Les toasts et les embrassades de clubbers qui croient duper leur monde.
J'ai toujours vu clair à ce jeu, même dans les profondeurs extrêmes d'un alcoolisme sordide.
J'ai une dette envers la banque. Plus de cash. Plus d'argent. Et j'ai pu remonter à la surface.
Me sortir du bourbier. Me contraindre à renaître.
Me sauver du whisky qui remplaçait mon sang.
A ma banque, je dois la purge.
A ma pauvreté, je dois ma liberté nouvelle. Et mon indépendance.
Je leur dois mon amour. Je leur dois la rencontre.
Je leur dois ton prénom et mon plus beau sourire.
Je leur dois le soleil orange déclinant sur la baie.
Débarrassé de l'urgence de paraître, de briller. De prouver quelque chose.
Quand je ne suis nulle part ailleurs qu'avec toi, aux pénombres d'un studio.
Que je n'ai plus à être aimé de personne si je suis aimé de toi.
Qu'il n'y a plus de panique. De précarité. Que rien n'est nécessaire.
Sinon le corps que j'embrasse. En temps réel ou différé. Eternellement.
Les flambeaux du Rachdingue m'avaient impressionné.
La volupté de la fête. Et tous ses possibles.
Comme les alcôves du Delano. Ou les arceaux du Showcase. Et les piercings du Splash.
Je ne regrette rien. De cette cage aux lions et ses cerceaux en flammes. Où je faisais le beau.
Mais je le sais aujourd'hui, seul ton regard me voit comme je suis. Ou comme j'aimerais être.
Démaquillé. Le clown a posé son faux nez et ses gadgets débiles. Toutes ses farces et attrapes.
Je n'ai pas peur d'être vu. Ou seulement, de n'être à la hauteur de ce que tu penses voir.
Ce que tu vois me convient. Quand c'est ce qui me semble le plus proche de ce que je crois être.
Et que je deviens ce que tu vois.
Que je deviens ce que tu pensais que j'étais, à mesure que j'y crois.
Puisque je ne savais plus qui j'étais jusqu'à ce que tu me croises.
Je me trompe peut-être. Ça n'a pas d'importance. Tu ne te trompes pas.
Et ce que je suis, maintenant, grâce à toi, me dépasse.
Quand tu connais le pire. Que je ne te cache rien.
Que j'ai pris le risque de t'effrayer ou de te perdre.
Quand tu n'es pas au plus près du centre de moi-même,
mais pile en plein coeur. Au beau milieu.
Que je me régénère autour de cette graine.
En couches concentriques. Plus robustes que jamais.
Dépollué. Décontaminé. Toujours étonné d'avoir l'attention d'une personne de ta qualité.
Que j'admire. Que j'adore. Et je me reconstruis. Sur ta confiance. Sur ton amour. Inespéré.
Et, sur cette base, l'homme que je deviens, est celui que j'ai toujours rêvé d'être.

Je regarde le château sur son rocher.
La montagne précipitée dans la baie.
A l'opposé du couchant. Les palmiers découpés sur le miroir de l'eau.
Les silhouettes anonymes. Tout en ombres chinoises. Je respire ma vie.
Au bord du monde, dans mon dos, qui ne sait rien de moi quand je sais tout de lui.
Je pense aux changements que je salue. Qui ne sont que progrès. Et que je m'améliore.
Quand j'accepte d'être heureux. Quand j'accepte d'être vivant. Que j'ai fait la paix avec moi.
Je ne me bats pas pour te plaire. Mais pour me plaire à moi-même. Et accepter ton amour.
Quand le mien t'est acquis. Quand je dois me convaincre de mériter le tien.
Comme le sculpteur voit avant nous le bonhomme qui était caché dans un grand bloc de marbre,
tu as vu avant moi qui j'étais, et je me tiens sur la plage, satisfait à l'idée d'être ton oeuvre d'art.
J'ai de la valeur puisque j'en ai à tes yeux. Quand c'est la seule qui puisse en avoir aux miens.
Aucun autre jugement ne peut m'intéresser. Aucune autre impression. Aucun autre ressenti.
Drôle de cocaïne. Quand je me fous, désormais, de ce que l'on peut penser de moi.
Détourne ton regard et je n'existe plus.
Quand il est la clé de mon émancipation. Et de ma liberté.
Au milieu des odeurs de fritures, de sucre mélangé, d'eau de toilette et de gasoil bruyant,
je vais dans le désordre d'un été finissant, sachant que je suis au seuil de mon Printemps Arabe.
Je sais que j'existe quand j'existe pour toi.
Et j'avance sur mon chemin, indifférent aux diversions.
Ma mère se demandait, angoissée : " Quel homme t'apprêtes-tu à devenir au juste ? "
Horrifiée de ne pas me connaître.
Quand j'étais incapable, à 22 ans, de la rassurer avant son départ.
Quand je ne me connaissais pas moi-même.
Et j'en étais meurtri. J'en suis mort avec elle.
Heureux qui comme moi a fait un beau voyage.
Je suis rentré au port et tu m'y attendais. Avec un lot étrange d'étranges révélations.
Je renais. Me construis. Sur ta confiance. Et ton amour. Inattendus. Inespérés.
Et sur la baie de Rosas, j'ai enfin de quoi répondre à la question de ma mère.
Quand je deviens, grâce à toi, l'homme que je m'apprêtais à être.
Celui qui semble te plaire.
Et qui ne me déplaît pas.

 

     

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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commentaires

A
<br /> Quel beau cheminement d'homme.<br /> Superbe texte, Philippe.<br /> Je t'embrasse.<br /> Alex<br /> <br /> <br />
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