J'ai cru retrouver des quartiers de Budapest.
Des quartiers de Prague. Entre le Lycée Arago et l'avenue de la gare.
Des maisons inégales. Des maisons cossues. Et des chats dans les rues.
Quand il y a des matous, c'est bon signe. Signe que c'est tranquille.
Il fait encore chaud. Une pharmacie indiquait 30°. Un nouveau crépuscule.
Et des haies de lauriers en fleurs, grands comme des arbres, sur la fraîcheur de la Basse.
Des Catalans s'installent dans un appartement. Catalans d'Espagne. Catalans du Sud.
Une maison blanche aux volets bleus. A quelques encablures du Centre du Monde.
Mais à l'écart de l'agitation, de la circulation, et des regards indiscrets.
Je visualise la taille de ma ville. Ce que l'on peut voir depuis la terrasse chez Laetitia.
Sur son tertre de la Place Cassanyes, sous les toits de son immeuble.
Le Palais des Rois de Majorque à gauche. Le clocher carré de la Réal.
La carcasse de l'église des Carmes, éventrée, plantée au milieu de l'Arsenal.
Silhouette gothique, étrange, côtoyant celle d'un palmier magnifique, nord-africain.
La cage à oiseaux de la Cathédrale. Pour m'indiquer la situation de mon studio.
Et à droite, le clocher de briques de St-Jacques. Derrière lequel on peut deviner la mer.
Au-delà, les Corbières. L'aéroport. Le Ribéral. L'étendue de la plaine. Le Canigou.
Je me sers en marchant de ce panoramique pour m'aider. Comme des cartes et des plans.
De ce que j'ai vu cent fois avant d'atterrir, depuis mon hublot d'avion.
Pour m'aider à prendre de la hauteur, sortir de mon corps, opérer ce zoom arrière,
et prendre la mesure des choses, avec une pointe d'angoisse dans le ventre.
Il n'y a rien au-delà des limites de Perpignan. Le monde s'est réduit au seul Roussillon.
Et l'humanité à 300.000 habitants. Ceux de l'agglomération. Sans compter les touristes.
C'est un peu mince. Et ça m'effraie. Mais une pensée me réconforte. En creux.
J'ai déjà ressenti ce vide ailleurs. A Barcelone. A Montréal. A New York.
Times Square n'est pas si grand. Et en sortir donne une drôle de sensation.
L'impression que le reste de Manhattan est aussi sombre que vide. Un peu désert.
Cela ne dure pas longtemps, mais c'est une conséquence de la surexposition.
Il faut le temps aux yeux de se remettre. Comme après avoir regardé le soleil en face.
Je ne suis pas revenu aux Etats-Unis depuis quatre ans déjà. Mais je me rappelle très bien.
Marchant sur la Fifth Avenue, comme dans SoHo ou à la pointe sud de l'île, à Wall Street...
L'idée qu'au-delà de la skyline du New Jersey sur l'Hudson. Qu'au-delà de Lady Liberty.
Au-delà du pont Giovanni da Verrazzano. Il n'y a rien. Le vide. Le néant.
Et tout à coup, le gros million d'habitants de cette île ne pesait plus très lourd.
Les 8 millions de la ville n'y faisaient rien. Ni les 20 du Grand New York.
Et soudain, dans le quartier de la gare de Perpignan, ce souvenir m'apaise.
Etre dans les rues de Manhattan ne soulagerait en rien cette mélancolie crépusculaire.
C'est en moi que je suis enfermé. Et non dans ma petite ville natale.
J'aurais la même angoisse à Montmartre ou à Londres. Peu importe le lieu.
Le vide que je ressens est celui de ton absence. Qui alourdit mon corps. Mon pas.
Et un coeur, qui ne saurait fonctionner à la seule énergie solaire. Je le crains.
Les lignes d'horizon ne sont plus les lignes de protection d'une histoire d'amour.
Mais celles qui me cachent le monde extérieur, où tu évolues sans moi. Loin...
Les murs de protection se sont retournés contre moi.
Pour me barrer la route. Et m'empêcher de vivre.
La lumière orange est revenue. Jusque sur le lit qui aura pris cette même couleur.
Adieu Prague et Budapest. Adieu Times Square et Montréal. Adieu Paris.
Je suis au Centre du Monde. Où des trains arrivent. Où des trains s'en vont.
Je me fous d'Ibiza. Je me fous d'Izmir. Je me fous de South Beach.
Je me fous des vacances et des journées de plage. Je veux mon soleil.
Pas celui avec qui j'ai encore fait des cochonneries tout l'après-midi.
Celui avec qui je baise dès que l'été, digne de ce nom, le ramène sur ma peau offerte.
Pas ce chargeur de batteries, qui, avec mes désirs, réveille hélas ma frustration.
Le bain de soleil. Ok. C'est fait. J'ai bronzé la couenne de la bête. Aéré l'animal.
Et pour un peu, je pourrais physiologiquement affronter un nouvel hiver sans sourciller.
Non non. Je parle de mon soleil à moi. Celui qui me donne une raison de vivre.
Et au coucher de l'un, je prends conscience de l'absence de l'autre.
Et c'est là que les murs de la ville se resserrent sur moi. Les Corbières. Les Albères.
Tout se rapproche. La mer monte. Je manque de place. Je manque d'air.
Quand rien ne bouge. C'est en moi que l'étau se resserre.
Allons... Quinze jours ne sont rien. Ils auront filé comme l'éclair.
Leur terme viendra bien assez tôt. Je dois profiter de cette douleur.
Profiter de ce manque. Le prendre à bras-le-corps. L'embrasser. De toutes mes forces.
Je ne veux pas de Doliprane. Je ne veux pas de Stilnox. Je veux sentir les choses.
Les bonnes et les mauvaises. Quand je les regretterai toutes dans la tombe.
C'est aussi ça, être vivant. La frustration. L'ennui. Le manque. L'impuissance.
Et, en retrouvant la Palmarium qui vient à s'éclairer, timidement, dans mes yeux éteints,
je sais bien que j'aime cette douleur dans le ventre. Ce manque de toi. Délicieux.
Ces jours où nous ne sommes pas ensemble, ne sont pas perdus pour tout le monde.
Puisque je pense à toi. Puisque je t'écris. Puisque ce manque me hurle qui tu es.
La place que tu as dans ma vie. Dans ma structure. Dans mon espace. Dans ma chair.
Je prends la mesure de l'étendue de la ville dans la plaine. Comme celle de mon amour pour toi.
Je prends avec bonheur le picotement dans ma poitrine, comme celui de mes coups de soleil.
Puisque je sais que tu m'aimes. Il ne s'agit que de manque. Nous nous retrouverons.
Il faut être patient. Et je t'écris. Pour ne pas avoir à l'être.
Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan