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12 août 2011 5 12 /08 /août /2011 20:52

 

 

J'ai cru retrouver des quartiers de Budapest.
Des quartiers de Prague. Entre le Lycée Arago et l'avenue de la gare.
Des maisons inégales. Des maisons cossues. Et des chats dans les rues.
Quand il y a des matous, c'est bon signe. Signe que c'est tranquille.
Il fait encore chaud. Une pharmacie indiquait 30°. Un nouveau crépuscule.
Et des haies de lauriers en fleurs, grands comme des arbres, sur la fraîcheur de la Basse.
Des Catalans s'installent dans un appartement. Catalans d'Espagne. Catalans du Sud.
Une maison blanche aux volets bleus. A quelques encablures du Centre du Monde.
Mais à l'écart de l'agitation, de la circulation, et des regards indiscrets.
Je visualise la taille de ma ville. Ce que l'on peut voir depuis la terrasse chez Laetitia.
Sur son tertre de la Place Cassanyes, sous les toits de son immeuble.
Le Palais des Rois de Majorque à gauche. Le clocher carré de la Réal.
La carcasse de l'église des Carmes, éventrée, plantée au milieu de l'Arsenal.
Silhouette gothique, étrange, côtoyant celle d'un palmier magnifique, nord-africain.
La cage à oiseaux de la Cathédrale. Pour m'indiquer la situation de mon studio.
Et à droite, le clocher de briques de St-Jacques. Derrière lequel on peut deviner la mer.
Au-delà, les Corbières. L'aéroport. Le Ribéral. L'étendue de la plaine. Le Canigou.
Je me sers en marchant de ce panoramique pour m'aider. Comme des cartes et des plans.
De ce que j'ai vu cent fois avant d'atterrir, depuis mon hublot d'avion.
Pour m'aider à prendre de la hauteur, sortir de mon corps, opérer ce zoom arrière,
et prendre la mesure des choses, avec une pointe d'angoisse dans le ventre.
Il n'y a rien au-delà des limites de Perpignan. Le monde s'est réduit au seul Roussillon.
Et l'humanité à 300.000 habitants. Ceux de l'agglomération. Sans compter les touristes.
C'est un peu mince. Et ça m'effraie. Mais une pensée me réconforte. En creux.
J'ai déjà ressenti ce vide ailleurs. A Barcelone. A Montréal. A New York.

Times Square n'est pas si grand. Et en sortir donne une drôle de sensation.
L'impression que le reste de Manhattan est aussi sombre que vide. Un peu désert.
Cela ne dure pas longtemps, mais c'est une conséquence de la surexposition.
Il faut le temps aux yeux de se remettre. Comme après avoir regardé le soleil en face.
Je ne suis pas revenu aux Etats-Unis depuis quatre ans déjà. Mais je me rappelle très bien.
Marchant sur la Fifth Avenue, comme dans SoHo ou à la pointe sud de l'île, à Wall Street...
L'idée qu'au-delà de la skyline du New Jersey sur l'Hudson. Qu'au-delà de Lady Liberty.
Au-delà du pont Giovanni da Verrazzano. Il n'y a rien. Le vide. Le néant.
Et tout à coup, le gros million d'habitants de cette île ne pesait plus très lourd.
Les 8 millions de la ville n'y faisaient rien. Ni les 20 du Grand New York.
Et soudain, dans le quartier de la gare de Perpignan, ce souvenir m'apaise.
Etre dans les rues de Manhattan ne soulagerait en rien cette mélancolie crépusculaire.
C'est en moi que je suis enfermé. Et non dans ma petite ville natale.
J'aurais la même angoisse à Montmartre ou à Londres. Peu importe le lieu.
Le vide que je ressens est celui de ton absence. Qui alourdit mon corps. Mon pas.
Et un coeur, qui ne saurait fonctionner à la seule énergie solaire. Je le crains.
Les lignes d'horizon ne sont plus les lignes de protection d'une histoire d'amour.
Mais celles qui me cachent le monde extérieur, où tu évolues sans moi. Loin...
Les murs de protection se sont retournés contre moi.
Pour me barrer la route. Et m'empêcher de vivre.

La lumière orange est revenue. Jusque sur le lit qui aura pris cette même couleur.
Adieu Prague et Budapest. Adieu Times Square et Montréal. Adieu Paris.
Je suis au Centre du Monde. Où des trains arrivent. Où des trains s'en vont.
Je me fous d'Ibiza. Je me fous d'Izmir. Je me fous de South Beach.
Je me fous des vacances et des journées de plage. Je veux mon soleil.
Pas celui avec qui j'ai encore fait des cochonneries tout l'après-midi.
Celui avec qui je baise dès que l'été, digne de ce nom, le ramène sur ma peau offerte.
Pas ce chargeur de batteries, qui, avec mes désirs, réveille hélas ma frustration.
Le bain de soleil. Ok. C'est fait. J'ai bronzé la couenne de la bête. Aéré l'animal.
Et pour un peu, je pourrais physiologiquement affronter un nouvel hiver sans sourciller.
Non non. Je parle de mon soleil à moi. Celui qui me donne une raison de vivre.
Et au coucher de l'un, je prends conscience de l'absence de l'autre.
Et c'est là que les murs de la ville se resserrent sur moi. Les Corbières. Les Albères.
Tout se rapproche. La mer monte. Je manque de place. Je manque d'air.
Quand rien ne bouge. C'est en moi que l'étau se resserre.

Allons... Quinze jours ne sont rien. Ils auront filé comme l'éclair.
Leur terme viendra bien assez tôt. Je dois profiter de cette douleur.
Profiter de ce manque. Le prendre à bras-le-corps. L'embrasser. De toutes mes forces.
Je ne veux pas de Doliprane. Je ne veux pas de Stilnox. Je veux sentir les choses.
Les bonnes et les mauvaises. Quand je les regretterai toutes dans la tombe.
C'est aussi ça, être vivant. La frustration. L'ennui. Le manque. L'impuissance.
Et, en retrouvant la Palmarium qui vient à s'éclairer, timidement, dans mes yeux éteints,
je sais bien que j'aime cette douleur dans le ventre. Ce manque de toi. Délicieux.
Ces jours où nous ne sommes pas ensemble, ne sont pas perdus pour tout le monde.
Puisque je pense à toi. Puisque je t'écris. Puisque ce manque me hurle qui tu es.
La place que tu as dans ma vie. Dans ma structure. Dans mon espace. Dans ma chair.
Je prends la mesure de l'étendue de la ville dans la plaine. Comme celle de mon amour pour toi.
Je prends avec bonheur le picotement dans ma poitrine, comme celui de mes coups de soleil.
Puisque je sais que tu m'aimes. Il ne s'agit que de manque. Nous nous retrouverons.
Il faut être patient. Et je t'écris. Pour ne pas avoir à l'être.

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 22:29

 

 

Le soleil blanc. Le ciel blanc. Juillet était seulement en retard.
Sur un plancher de bois exotique où s'est découpé un rectangle d'eau,
un transat soutient mon corps serré dans un slip de bain beaucoup trop large.
Je suis léger comme un nuage en formation. Je m'évapore à la cuisson.
Chaque muscle est pulvérisé par la chaleur. Et moi, je flotte.
Les paupières écarlates sur mes yeux. Où se dessinent des choses bizarres.
Les radiations traversent les tissus. Et font frémir mes H2O.
Cette eau dont je suis fait. Qui se diffuse dans l'air et viendrait à pleuvoir au prochain orage.
Mon corps est une éponge. Que je trempe dans l'eau. Celle de la piscine. Turquoise.
Que je plonge et que je sors. Que je ménage. Que je vais étendre au soleil du transat.
Sur un plancher de bois érotique où s'est découpé un rectangle d'eau. En nage.
Pourquoi n'es-tu pas là ? Quand je suis d'humeur à te manger le sexe.
Quand je suis brûlant de désirs pour le désir. Brûlant de désirs pour le plaisir.
Pourquoi n'es-tu pas là ? A cette heure où je suis beau. Où mon corps exulte.
Où j'aurais pu tendre ma main pour trouver la tienne. La porter à ma bouche.
Rapprocher ton transat du mien. Te faire rouler sur moi. Nous faire rouler dans l'eau.
Comme rouleaux de vagues et d'océans indiens. De ma langue autour de la tienne.
Autour de ton sexe. Dans un ciel blanc de neige, de tempêtes de sable et d'affreuses moussons.
Où j'aurais pu te manger. Ton corps tout entier. J'ai une faim de loup.

Mon corps supporte à peine les vêtements que j'ai dû mettre.
Sur mes os. Sur ma peau. Beaucoup trop large.
J'ai traversé la ville. J'ai traversé le parc. Pour rentrer chez moi.
Le square d'ombres et de fraîcheur où se dressent de majestueux palmiers.
De ceux que l'on trouve à Santa Monica. Perdus au milieu de platanes géants.
La Californie en Catalogne. Quand je remonte de la plage. Du soleil. Du zénith.
Des brûlures sur les joues, sur le nez et les épaules. Mes ongles sont devenus blancs.
Le soleil a criblé la voûte des arbres de balles, pénètre en rais de lumière verticaux.
Pour perforer les pelouses d'éclaboussures incandescentes. Où je te ferais bien ta fête.
Je suis d'humeur à brouter le gazon. A passer la tondeuse. Sentir l'herbe coupée.
Et le moindre jet d'eau me donne des idées indécentes.
Pourquoi n'es-tu pas là ? A cette heure où la nature est une orgie d'énergies, de pulsions.

Quand le monde se reproduit, se régénère, s'ensemence au feu de l'origine. L'explosion.
Où l'obscurité cherche la clarté. Où la violence cherche la douceur. Où je te cherche.
Où le soleil éventre les feuillages. Où l'eau pénètre la terre. Le mouvement.
La vitesse. La pénétration. Dans l'air. Aérodynamique. La Streamline. Le vertige.
Et gorgé de chaleur, la peau cuite, je m'enroule aux écorces abîmées.
Traversant l'oasis. Au coeur de Perpignan. Qui ne manque de rien.
Ou seulement de toi.

Les nus de bronze de Maillol m'ont laissé de marbre.
Les allées me conduisent à la Cathédrale et à notre havre de paix.
Je dois me doucher. Faire baisser la température du corps.
A ma main qui me savonne, j'ai toujours cette question. A l'érection.
Pourquoi n'es-tu pas là ? Quand je suis d'humeur à devenir gel douche.
A mousser sur le moindre centimètre carré d'une surface physique. Erogène.
Caresser. Shampouiner. Malaxer. Le pouce tendu comme lame de rasoir.
Le massage de la cuisse. Des dorsaux. Je suis une coulée d'écume. Le jet de crème.
Pour hydrater la nuque. Pour apaiser ma barbe. Pour apaiser tes jambes.
Mes doigts pétrissent la pâte. Les muscles comme balles antistress. Ruisselant.
Lorsqu'il me faut sortir goûter à un autre plaisir. Celui de me sécher.
Pourquoi es-tu ailleurs ? Ailleurs que sur cette terrasse de bois exotique.
Ailleurs que sur les pelouses du parc. Ailleurs que dans ma cabine de douche.
Ailleurs que dans cette serviette. Vert tilleul. Que je noue sur mes hanches.
Quand nous devrions célébrer l'été. Ensemble. Le dévorer. A pleines dents.
Quand je marche pieds nus dans un studio ventilé. A chercher ta silhouette.
Me frictionner la tête. A ma fenêtre. Te chercher dans le canyon de la rue.
C'est l'odeur du soleil sur ma peau. Et celle du gel. Parfum bois des tropiques.
L'odeur du sable. L'assouplissant. Ou l'eau salée. Dans tes cheveux.

La serviette de plage. La serviette de bain. Tout est étendu.
Comme moi sur les draps. Nu. Regardant la chaleur peser sur le plafond.
Le rapprocher de moi. M'écraser de sa masse. Défoncer le sommier.
Pourquoi n'es-tu pas là ? Je n'aurais eu qu'à tendre le bras. Qu'à tendre les doigts.
Me tourner sur le flanc pour pouvoir t'admirer. Me voir dans ton regard.
En train de te regarder.
Ton sourire me calcine.
Et je suis crucifié.
Il faut que je t'embrasse.
J'ai une faim de loup.

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 10:47

 

 

La Taverne du Maître Kanter a ouvert ses parasols en terrasse.
A deux pas, une foule de plagistes attend le passage des bus pour la côte.
Sur ce terrain de pavés roses, tout penche vers la Porte Notre-Dame.
Ignorant le désordre de la faune aoûtienne, débraillée, dissipée, impatiente,
des garçons de café installent des couverts sur les tables.
L'établissement s'est logé dans le flanc du vieux cinéma, Art Nouveau,
récemment rénové, qui a fêté ses cent ans cette année.
Le Cinéma du Castillet ouvrit ses portes en 1911, à l'initiative de Joan Font.
Sur le boulevard Wilson, la marquise protège désormais l'entrée d'une banque.
L'accès aux salles se fait depuis longtemps par la porte de l'immeuble suivant,
croulant tout autant sous les délires propres aux décorations de théâtres,
lorsque les plus grandes, les plus confortables, et les plus fréquentées, ont été déplacées
dans un complexe avec restos, jeux et marchands de pop corn, à l'extérieur de la ville :
un hangar en tôle où l'on aurait pu aussi bien vendre des meubles ou des chaussures.
Le contraste avec les deux bâtiments contigus du centre-ville est frappant.
Autres temps, autres moeurs. Quand le pratique l'a emporté sur le charme de l'inutile.
Certes, les sculptures attribuées à Alexandre Guénot ne servent à rien.
Et, en tournant au coin de la banque pour me prendre le Castillet en pleine figure,
je lève les yeux au-dessus des larges parasols du Maître Kanter, en songeant
que la plupart des Perpignanais n'ont jamais fait attention aux frises et aux détails
qui, au bord du ciel, ne sont pas spontanément visibles à hauteur d'homme.
Moi le premier, je n'avais jamais fait attention à cette gargouille étonnante,
kitchissime, dont le tuyau est la trompe d'une sorte de moustique aux ailes d'ange,
et au corps de poisson, qui semble avoir chaussé des lunettes d'aviateur.
J'étais passé ici des milliers de fois, sans n'avoir jamais vu cette ... curiosité.

Il est troublant de continuer à découvrir des choses,
dans les lieux que l'on est censé connaître par coeur, où l'on a vécu, passé toute sa vie.
Certes, en descendant sur la porte de la vieille ville, j'étais sans doute plus occupé
à regarder qui venait en face, à regarder les gens, ou à les fuir du regard,
attiré d'abord par les passants, les personnes vivantes,
celles à qui je devais dire bonjour, celles que je devais simplement saluer,
celles que j'aurais aimé saluer et que je brûlais de connaître.
Habitant à Perpignan à des âges où l'on passe plus de temps à admirer des architectures
de chair et de sang, et il y a du choix ici, dans la foule qui attend les autobus pour Canet Plage,
bronzée et court vêtue, que les bizarreries discrètes de pierre, de plâtre ou de terre cuite.
Je ne passe pas par la Porte Notre-Dame. Mais par le côté du quai Sadi Carnot, sur la Basse.
Je descends sur la place intérieure du Castillet, appelée Place de Verdun, chose que j'ignorais,
là encore, lorsque nous parlions plutôt de la place du Café de la Poste, lorsque c'est ici
que la brasserie, vieille comme Hérode, offre sa terrasse désuète sous quelques platanes.
Un lieu où l'on accède à la Casa Pairal, où se tiennent des coblas, les jours de fête,
où passent tous les Perpignanais pour s'engouffrer dans la rue menant à la Loge.
Le café est un lieu stratégique pour qui veut passer la population au peigne fin.
Sociologues, écrivains, prédateurs sexuels, séducteurs du dimanche et j'en passe.
Je descends du quai, faisant face à l'établissement, et découvre une tête sculptée
cachée derrière l'enseigne, que je n'avais non plus, jamais remarquée avant ...

Bien sûr, j'avais, des années durant, été plus occupé à regarder des fesses,
des allures, des visages et des poitrines, des regards et des sourires,
assis un peu plus loin, en cet autre point névralgique qu'était la terrasse de la Bourse.
Mais je me consternais moi-même d'avoir eu si peu de considération pour le décor,
quand je n'avais eu que cela à faire durant ces innombrables heures de désoeuvrement.
Où, plutôt que d'assister aux cours de mes professeurs de lycée, je préférais
faire salon au coeur de la ville, et m'exhiber comme à l'étal d'une foire au boudin.
Je n'admirais que les choses évidentes. Le patio de l'Hôtel de Ville.
La porte catalane du Palais de la Députation qui nous reliait à Barcelone.
Ou la silhouette de la Casa Julia, quand il fallait retirer son permis de conduire à la Préfecture.
Et ce n'est qu'aujourd'hui, touriste dans ma propre ville, que j'en découvre les trésors.
Osant lever le nez. Me poster au pied d'une tour ou d'un immeuble. Prendre le temps.
Au moment, certes, où les collectivités locales ont pris l'initiative de tout débroussailler.
Dominant le Palmarium comme la Place Arago, l'immeuble au coin du quai, 
au départ de la rue Alsace-Lorraine, à peine débarrassé de ses échafaudages,
me révèle une sorte d'attique, protégé des regards par un fronton de stucs,
où j'aperçois la blancheur d'une statue qui ne profite à personne.
Et ma curiosité est piquée. Réalisant que je ne sais rien de ce lieu.
Ni des gens qui y ont vécu.

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 10:41

 

 

La guitare plaquée sur le pecho, remontée sous l'aisselle,
un Gitan romantique traîne sa mélancolie sous mes fenêtres.
Aux marches du presbytère, sous le platane, il trouve son décor,
et sa caisse de résonance, au pied de St-Jean, et du Très-Haut,
pour chanter le Flamenco de son âme et de tout un peuple.
Les chats de Grenade, petits félins d'Egypte, ignorent la complainte.
Malgré mon humeur solaire, la voix cassée du chanteur me fait vaciller.
Le mal du pays, les regrets, la tristesse... autant d'émotions contagieuses.
Elles envahissent la place et mon appartement, changent la couleur de mon linge,
répandent un agréable poison, transforment mon coeur léger en enclume.
C'est une chanson pour toi. Qui te dit que tu me manques.
Et mes doigts se déplient en un éventail de désirs suppliants.
Aux nuits du Generalife et du Grand Califat.
Je ne peux succomber tout à fait. J'ai une série de gestes à accomplir.
Effacer des éclaboussures de dentifrice au miroir de la salle de bains.
Faire briller le robinet du lavabo et le pommeau de douche.
Balayer la pellicule de sable que le Sirocco a fait pénétrer partout.
Quand mon studio est une plage, un jardin suspendu, où j'attends ton passage.
Et je change les draps. Et je change de peau. Au premier quartier de lune.
Mais la voix met son grain de sel. Engourdit mes doigts rongés aux détergents.
Me fait fondre aux arabesques, aux fêlures d'une âme.
Celle d'un homme qui n'a pas eu ma chance.
La chance de te connaître.
Et celle de t'aimer.
 

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 23:34

 

 

Au liège des Albères, aux chênes des Pyrénées,
le Viaduc de Rome relie les Alpes à Carthage,
enjambe le Perthus au Fort de Bellegarde.
La treille du contrôle des Douanes à la frontière est démontée.
Convention de Schengen. L'Union Européenne.
La Pyramide de Ricardo Bofill veille encore sur le site.
Quand je la voyais, à l'arrière de la DS de papa, chaque fois,
comme la promesse du bonheur toujours renouvelé des vacances en famille,
lorsque nous roulions vers le Sud et les premiers jours de Juillet.
L'édifice est toujours coiffé des quatre traînées sanglantes d'un drapeau catalan,
quatre totems de briquettes au sommet des carrés de pelouses cuites par l'abandon.
A ce Teotihuacan d'opérette, la pente change d'inclinaison.
On descend sur l'Espagne. On descend sur le port de mon enfance.
Dans la parade des éléphants du commerce routier. Convention de Schengen.
La voie de droite semble réservée aux camions. Qui se suivent tête baissée.
Qui s'arrêteront aux putes et aux Buffets de la Jonquère. Faire le plein d'essence.
Des bancs de motards aux montures chromées s'échappent sur un ruban d'asphalte.
Et je retrouve le goût de rouler en silence ou dans les seuls caprices de la radio.
Depuis quelques années, nous sortons de l'autoroute bien plus tôt qu'auparavant.
Inutile d'arriver à Barcelone quand notre vieux papa s'est installé dans la baie de Rosas.
Dans sa maison de blancheur et de bougainvilliers.
Le bosquet à l'arrière, vestige d'une pinède, vient ombrager la piscine.
Venant bien sûr rappeler les sensations rugueuses de celle de Castelldefels.
C'était prévisible. Le monde rétrécit à mesure que l'on grandit.
Et les distances aussi, deviennent jets de pierres.

Déjà arrivés. Malgré les embouteillages de saison.
Je reconnais mon père. Cet homme que je ne connais pas.
C'est un vieil homme. J'ai parfois du mal à retrouver celui chez qui j'ai vécu si longtemps.
Et puis ... Son rire aphone. Sa façon de croiser ses bras sur la table. D'ouvrir une bouteille.
De compenser sa douleur à l'épaule. De raconter une histoire. De répondre à côté.
De chasser une bêtise comme on chasse une mouche du plat de la main.
Bien sûr. C'est mon père. Et des souvenirs communs le confirment.
La brasse est toujours indienne. Cette douleur à l'épaule. La piscine est plus petite.
Le jardin est plus petit. La compagnie réduite. Mais il se tient toujours debout.
Ruisselant. Sur la margelle. Reprenant sa respiration. Le temps de se sécher au seul soleil.
Ma soeur est là. Je la regarde. Elle bade papa. Elle a dix ans. Toujours amoureuse de lui.
Cela me saute au visage. Ma soeur est une petite fille de cinquante ans qui cherche son attention.
Et je la découvre à un âge auquel je ne l'ai pas connue. Cela m'attendrit et me trouble.
Je l'enveloppe d'une émotion qui n'est pas que la mienne. Je ne suis pas seul à la regarder.
Une absente à travers mes yeux observe la scène avec moi. Et je crois comprendre des choses.
Percevoir des bribes de la vie d'avant ma naissance. Tous les actes que j'ai manqués.
Je regarde en l'air. C'est un réflexe. Comme si l'absente ne pouvait se trouver ailleurs.
Ce même réflexe que j'ai eu quand je suis entré dans la chambre où elle est morte.
Cette chambre à Toulouse, au bout du couloir, où son corps était encore chaud.
Tout a rétréci. Sauf mon amour pour elle.

De la terrasse, je vois des bateaux qui traversent les feuillages.
Les braises liquides de la baie. Les étincelles. Et les reflets agités.
Dans les brumes de ma myopie. Ou les mirages de la canicule.
Quelque chose m'a rappelé le parking du Corte Inglès. La chaleur sans doute.
Mais tout rétrécit. Même le temps. Et nous faisons la route dans l'autre sens.
Geneviève au volant. Vila-Sacra. Nous laisserons Figueres de côté.
En brasse indienne. Pour remonter jusqu'au Col du Perthus.
Le coeur se serre à l'ascension. A la pyramide désuète. Au point de bascule.
Et se desserre aussitôt. A la descente. Sur le Roussillon. Ma plaine.
Qui s'ouvre sous nos yeux. Ma vie d'homme. Aujourd'hui. Passionnante.
Ce qui m'attend. Ce que j'ai à faire. Ce qu'il me faut poursuivre ou conclure.
Ceux qui m'attendent. Qui ont continué à vivre. Quand rien ne s'arrête en votre absence.
Je suis heureux de les retrouver. Je suis heureux de revenir. Dans ma vie. Sur mon île.
Ma soeur a cinquante ans. Et j'ai des cheveux gris. Tout ça, c'est pour de rire.
Rien n'a rapetissé. Le monde est aussi vaste. Et le trac toujours là.
La candeur est la même. Aux putes de la Jonquère. Aux parades de camions.
Quand mon regard est double. Quand mon regard est flou.
Papa fume toujours. Maman est à ma place. Heureuse de rentrer chez elle.
A la frontière, les hommes en uniformes n'ont même pas regardé nos cartes d'identité.

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 11:08

 

 

Il vient lécher la façade, en réveiller la couleur, moutarde, ou curry,
avant d'envelopper les croisillons de mes bastingages,
caresser le bois de mes volets rangés, pliés comme du linge propre,
pour le laisser pénétrer dans la pièce, ramper jusqu'au pied du lit,
puis monter sur le matelas où je suis encore endormi.
Il passe sa main chaude sur ma jambe, sur un bras, une épaule,
expire sa chaleur à mon visage pour me tirer d'un rêve sans importance.
Je m'étire à son emprise, heureux d'ouvrir l'oeil à son sourire,
et son étreinte matinale est une invitation au voyage.
Ok. L'été est revenu. Et j'en retrouve chaque sensation.
J'embrasse le soleil sur la bouche. Lui roule des pelles avec une conviction amoureuse.
Celle d'une histoire de 38 ans. Quand il m'a connu bébé, et enfant, et ado.
Qu'il sait tout de moi. Et qu'il m'accompagne depuis que j'ai vu le jour.
Il est la part sensuelle du monde. La part lumineuse et festive. La part lascive.
Quand il dévore tout, des formes et des volumes, de l'espace et des couleurs,
qu'il dilue tout dans sa chaleur bienfaitrice, jusqu'à ma peau luisante qui se liquéfie.
Il est venu me lécher la main, cette main molle, inanimée, qui pend dans le vide au bord du lit,
que viennent lécher les animaux de compagnie venus vous faire la fête au petit jour,
avec l'impatience d'un enfant qui veut profiter de la belle journée qui commence.
Oui. Il fait beau. Et même si je n'ai pas assez dormi, je me laisse faire par le gosse impétueux,
convenant du fait, en effet, qu'il serait honteux de ne pas se lever faire honneur au ciel bleu.
Le campanile éblouissant de blancheur tranche sur cet azur effrayant de pureté.
Qui semble vertigineusement vide. Et me tient plaqué à ma fenêtre, en caleçon,
les cheveux en désordre et les yeux gonflés, quand monte doucement une envie de café,
de tartines et d'agrumes, d'un petit-déjeuner.

J'ai les voiles au large, sur la mer du matin, et cette lumière grisante et sereine,
du début de quelque chose, avec le temps de ne pas y penser, d'apprécier seulement.
Sans me soucier de ce que j'ai à faire. De ce qui arrivera. Respirer et sourire.
Ramener du sable dans mes cheveux. Dans le maillot de bain et la marque du bronzage.
La pénombre fraîche de la maison comme un répit à ce bonheur intense, aussi brut que violent.
L'odeur de la laque de la soeur de maman. L'eau de cologne espagnole. Et les menuiseries.
Odorifères. Les piqûres de moustiques et les échardes des planches. Acuponcture de fortune.
Les aiguilles de pin sèches et dépigmentées qui griffent et se cassent sous les pieds nus.
Le chemin de la plage. La margelle de la piscine brûlante. Les aspérités du terre-plein.
L'incendie des cigales qui font feu de tout bois. Qui font tourner la tête.
Et la toile du parasol, délavée, comme celle de la balancelle, qui dégage un parfum discret,
du textile cuit et usé, aussi timide et émouvant que celui de la branche de tomate.
C'est tout au fond des bronches que je perçois cette odeur, au plus loin d'une inspiration.
A peine perceptible. Et les images qu'elle met en mouvement reviennent me bouleverser.
Au platane, je vois le pin parasol, poussiéreux, écrasé de chaleur,
sur les hauteurs de Gavà et de Castelldefels.
Les hydrocarbures de la autopista. Le poulet du dimanche. Et les bonbonnes d'eau.
Le claquement des tongs aux talons. Le coton rêche des serviettes.
Les voix graves et voilées, arabo-andalouses, d'êtres chers, tout autour,
ou d'êtres familiers.

Je suis fait de tout. D'hier et d'aujourd'hui.
Du bonheur passé et de celui qui vient. Cet étrange présent, à peine balisé.
Aux frontières brumeuses. Aux contours incertains. Qui bave ou s'évapore.
Le soleil est stoïque. Il sait que je le tiens. Il sait que je le porte. Dans mes fibres.
Il se moque de l'âge que j'ai. Il se moque de ce que j'ai à faire. Il s'agit d'être ensemble.
Juillet en retard. Peu importe le jour. Peu importe l'horaire. Nous ne faisons qu'un.
Mon corps cède à sa force. S'abandonne au plaisir. Lâche prise et rayonne.
Il gagne en énergie. Se répare tout seul. Effectue des réglages. Se régénère enfin.
Je suis bien dans sa peau. Les muscles affûtés. Le terrain irrigué. Et opérationnel.
Mon cerveau en repos sur son pont élévateur. On s'occupe de tout. Je n'ai qu'à respirer.
On reconnecte les circuits. On reconfigure. On passe tout au peigne fin.
Et je n'ai qu'à sourire aux pensées positives. Aux pensées érotiques.
Quand mon sexe, jamais loin, intervient, prend sa place ou sa part de délice.
Des fonctions autonomes, au contrôle technique, vérifiées au crash test du bonheur absolu.
Mon coeur tient le choc. C'est un moteur Rolls-Royce. Qui ronronne à ton nom.
Il tourne. Comme la terre autour du soleil. Autour de toi. Centrifugeur.
Quand tu me débarrasses de ce qui est inutile, de la rouille et du tartre.
De ce qui paralyse. Le calcaire du temps aux articulations. Et la peur d'avancer.
Ou d'être quelque chose. Pour être enfin présent. Prêt à m'ébouillanter,
aux vagues déferlantes d'un plaisir monstrueux, beaucoup plus grand que moi,
d'un bien-être si fort, à peine supportable, qu'il devient dangereux.
Je me prépare au combat, à tenir la distance, pour ne pas être noyé. Pour ne pas être broyé.
Préparation physique à ces extrémités. Où les sens affolés provoqueraient ma perte.
Je suis prêt à mourir. Je suis prêt à survivre. Je suis prêt à gagner. Je suis prêt à aimer.
Aux mains de ce coach qui me masse au plus haut de la voûte.
Je suis à la dérive, matelas pneumatique, à la surface d'une eau où la vie veut éclore.
Où la vie, du néant, mijote un Big Bang imminent, au fond de ma piscine.
Prêt à tout calciner pour nous faire de la place.

Chaque jour, quand il peut, il revient, comme un ami fidèle.
Il se plante à ma porte. Et force mes fenêtres.
Il monte l'escalier. Sourit à mon sourire. Accepte mon baiser.
Je lui ouvre mes volets. Je lui ouvre mon lit. Je lui ouvre ma poitrine.
L'été à ma façade. La chaleur à mon corps. L'avenir dans les branches.
Il vient mouiller mes draps aussi sûr qu'il les sèche. Il me fait transpirer.
Quand il me gorge de désirs à mesure qu'il me boit et qu'il me déshydrate.
Je suis le fruit juteux et la dalle de schiste. Végétal. Minéral. L'animal polymorphe.
Pulpe et pépins au raisin de ma vigne. Au sirop des agaves. Et au lait de coco.
Au hamac paresseux, il sait faire de l'ombre. En irradiant le reste d'un feu inapaisable.
Il révèle la nuit. Il révèle les ténèbres. Il débusque la fraîcheur comme l'obscurité.
Rend possible le contraste. Sublime son contraire. Et fait aimer la pluie, et l'or du crépuscule.
L'heure de te retrouver, quand le soir se réveille, aux lumières du port et de cieux étoilés.
Le monde lui tourne le dos. En tournant sur lui-même.
Et je t'ai pour l'attendre quand l'aube vient trop tôt.

   

 

 

 

Philippe LATGER
Août 2011 à Perpignan

 

 

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