Valérie Trierweiler n'est pas aimée du bon peuple ?
On se pose la question du statut de la 1ère dame de France,
des conflits d'intérêts entre responsables politiques et épouses journalistes,
qui sont des questions un peu dérisoires me semble-t-il dans la période que nous traversons.
Lorsque les deux questions soulevées n'ont pas à être constitutionnelles ni même juridiques.
Un candidat à la présidence de la République peut être célibataire ou homosexuel.
Il peut même être une femme. Et c'est la fonction du président qui doit être encadrée.
Pas celle de son neveu, de sa voisine ou de son chien, lorsque sa vie privée le regarde.
On se fout des personnes avec qui il dîne, petit-déjeune, passe des vacances.
Pour tout dire, on se fout des personnes avec qui il couche,
du moment que cela n'interfère en rien sur le bon fonctionnement de l'Etat.
Nicolas Sarkozy était allé seul rencontrer George Bush dans le Maine.
Pour ce qui est de l'étiquette, du protocole, de la représentation publique,
au-delà du Vatican et de quelques monarchies poussiéreuses, les démocraties modernes
devraient pouvoir s'arranger de tous les cas de figure sans faire d'histoires.
Qui en avait voulu à Cécilia à l'époque d'avoir décliné l'invitation de la famille Bush ?
En vacances dans le New Hampshire voisin, nous imaginions volontiers, non sans malice,
qu'elle ait pu donner une fausse excuse pour s'épargner un barbecue en mauvaise compagnie.
Qui ne s'est pas imaginé une gastro foudroyante pour éviter un dimanche interminable
avec des amis de façade ou la belle-famille à qui l'on n'a rien à dire ?
Cécilia Sarkozy, peu intéressée comme sa successrice par les rumbas diplomatiques,
pouvait bien avoir la migraine, lorsque les Français pour la plupart, ont apprécié le camouflet
à la famille américaine la plus détestée de tous les temps avec une certaine jubilation.
Ici comme ailleurs, on découvre l'aspect humain d'un chef de l'Etat, qui rencontre parfois
les mêmes problématiques personnelles que tout le monde, ce qui peut être rassurant.
Pour les tenants de la présidence normale, le destin fut généreux.
En effet, François Hollande rencontre les mêmes situations que bien des Français, tiraillés
entre plusieurs femmes et familles, avec autant de susceptibilités et d'orgueils à ménager,
pris dans l'exercice périlleux de faire accepter une nouvelle compagne à des enfants,
et autres acrobaties ardues que nous épargnait l'hypocrisie décriée des maîtresses cachées.
La double vie (pour ne parler que de celle-ci) de François Mitterrand avait en effet
été tenue secrète, ce qui était peut-être choquant pour les intégristes de la transparence,
mais nous avait au moins gardés de situations aussi embarrassantes que grotesques.
Tant que les responsables politiques ne commettent pas de délits ou de crimes,
d'un point de vue juridique seulement, la morale n'étant qu'un point de vue subjectif,
nous leur devons le droit à une vie privée, digne de ce nom, qui ne saurait venir polluer
les enjeux des mandats que nous leur avons confiés.
Dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, qu'il aime les femmes n'est pas un problème.
Il peut aimer le sexe, les partouzes, le bondage, porter de la lingerie fine si il veut,
faire abstinence et se rabattre sur la nourriture ou le Bon Dieu, c'est son affaire.
Tant que nous sommes dans des pratiques entre adultes consentants, grand bien lui fasse !
Dans les dossiers ouverts à Lille ou à New York, personne ne peut lui faire le reproche
de son appétit sexuel ni de ses goûts en la matière, lorsqu'il a même le droit d'être infidèle,
et que la gestion d'un couple ne regarde que les deux intéressés.
Nous sommes ici dans des soupçons de viol, en réunion ou pas, et le viol est un crime.
On peut ne pas être d'accord à titre personnel, avoir telle ou telle opinion sur la question,
comme sur l'avortement ou sur la peine de mort, il se trouve qu'il fut décidé par la société
qu'un viol serait considéré comme un acte plus grave qu'un simple délit.
Ainsi, même s'il n'y avait pas mort d'homme, les accusations étaient assez lourdes
pour que l'on donne l'opportunité à chaque partie de s'expliquer sur les faits.
Et il est normal de chercher à connaître la vérité quand la communauté a besoin de justice,
à commencer par les victimes et leurs proches, et de demander des comptes aux inculpés.
En revanche, concernant DSK, j'ai été écoeuré par les spéculations sur sa vie de couple.
Impliquer Anne Sinclair était insupportable. Quoi que l'on pense d'elle et de sa communication.
Lorsque nous sortions allégrement du champ judiciaire et politique.
Cette journaliste et ce leader de premier plan avaient le droit de s'aimer inconditionnellement.
Comme ils avaient le droit d'être carriéristes, opportunistes, de se servir l'un de l'autre,
de n'avoir pas ou plus d'intimité sexuelle, et même de n'avoir jamais été vraiment amoureux,
et, bien que personnalité publique, brandir Anne Sinclair comme épouse bafouée qu'il fallait
béatifier absolument comme martyre au nom de toutes les femmes trompées de ce pays
ou simplement plaindre en lui trouvant un courage dont on n'a pas besoin dans pareille situation,
ou comme affreuse manipulatrice manoeuvrant froidement son pur-sang de mari pour accomplir
une ambition à la fois personnelle et communautaire, était dans les deux cas déplacé.
La victime présumée dans cette histoire ne s'appelait pas Anne Sinclair mais Nafissatou Diallo.
Et personne n'a à juger les comportements que l'on peut diversement apprécier comme
de l'abnégation ou du courage pour les uns, du pragmatisme et de l'arrivisme pour les autres,
des épouses de responsables politiques, se nommeraient-elles Anne Sinclair ou Hillary Clinton.
J'en profite pour dire que je ne vois pas en quoi, en cas de femmes sincèrement amoureuses
et fidèles à leurs maris, le fait qu'elles subissent de telles humiliations publiques puisse faire
d'elles des Saintes ou des modèles admirables, lorsque, si nous pouvons compatir à leur douleur,
j'aurais personnellement davantage applaudi à leur émancipation qu'à leur sacrifice.
Ceci étant dit, il me paraît évident que de tels développements dans la presse, sur des affaires
qui participent à la peoplisation de la politique, sont de bonnes occasions de faire diversion.
Je ne suis pas de ceux qui diront que le phénomène est nouveau quand il ne l'est pas.
Mais de ceux qui se désolent qu'on lui accorde une telle importance dans les médias.
Lorsque bien sûr, comme les faits divers, les histoires de cul de nos élus,
comme celles des têtes couronnées dans un même type de presse, réveillent en chacun de nous
toutes les passions les plus primaires et les plus constitutives, par le biais de l'identification.
Bien sûr, Madame Michu, si vous aviez été à la place de Carla, vous auriez fait comme ceci.
Quant à vous, à celle de Rachida Dati, vous auriez sans doute fait cela, je comprends bien,
parce que vous êtes comme ça et pas autrement, à ceci près que vous n'y êtes pas.
Au-delà des conversations de salons de coiffure, il y a des débats sur les plateaux de télévision.
Je ne parle pas d'NRJ12 et de W9 qui se font au contraire une spécialité de savoir si Linda
a embrassé Geoffray dans la dernière télé-réalité de la chaîne, mais d'émissions politiques,
à grand renfort de journalistes et d'éditorialistes qui s'honorent de vouloir éclairer l'opinion.
En quoi la popularité de Valérie Trierweiler est un problème pour François Hollande ?
Quand Valérie Trierweiler, si elle est quelque chose pour le Président de la République,
n'est absolument rien pour le pouvoir d'achat, les retraites, et l'Education Nationale.
Elle devient un problème quand la presse et les médias en font un.
On pourrait penser comme d'autres sur la polémique bien commode du twitt :
" Si François Hollande ne sait pas tenir sa compagne, comment tiendrait-il
son gouvernement et l'Etat ? ", voyant ici une belle occasion de mettre en doute son autorité.
(Puisque cela va souvent plus loin, en remettant carrément en question jusqu'à sa virilité.)
On pourrait aussi penser comme moi, que, si le seul problème de François Hollande
était le comportement de sa compagne, ce serait bon signe, et formidable pour notre pays.
On comprend ce qui se passe dans l'opinion : Valérie, c'est la méchante belle-mère.
Pour beaucoup de Français, la gentille, c'est la maman des enfants. C'est Ségolène.
Lorsque, infantilisés, nous avons des égards pour l'ex épouse. L'image de la mère.
Une affection pour cette femme que nous avons aimé détester quand elle était candidate.
Bien sûr que Valérie n'est pas populaire. Valérie, c'est la pute. La nouvelle qui ne doute de rien.
Et, encore une fois, nous projetons nos propres histoires sur celle des personnalités publiques.
Ségolène fait partie du décor depuis des années, a pris des risques, passé chaque étape,
et le baptême du feu, elle a fait les choses dans l'ordre, mérité notre considération.
Quelle est cette petite intrigante, parvenue, qui veut doubler tout le monde par la droite ?
Madame Michu ne supporte pas d'entendre ce nigaud de François clamer dans Gala
que Valérie est la femme de sa vie. Quid de la mère de ses enfants ?... Insoutenable.
Moi-même, j'ai une part de madame Michu en moi, lorsque je confesse devant vous
que j'ai une tendresse pour Ségolène Royal que je n'ai pas encore pour la première dame.
Mais enfin, l'émotion passée, ne pouvons-nous pas remettre les choses à leur place ?
Outre le machisme qu'il faut, pour imaginer que Ségolène comme Anne (ou Hillary)
sont de pauvres petites femmes fragiles qu'il nous faut protéger de la goujaterie masculine.
Il faut savoir qu'elles ont le cuir aussi épais que ces messieurs quand elles s'exposent,
précisément, de leur plein gré, à la critique, au jugement, aux insultes parfois,
entre autres réjouissances impensables qui sont le prix à payer pour une notoriété.
Il n'y a pas de problème Trierweiler pour la France.
Et l'on se moque bien de ses problèmes de positionnement et de carrière.
Si elle veut être journaliste, qu'elle le soit, elle en a le droit. Qu'elle prenne ses responsabilités.
Si elle veut vivre à l'Elysée et jouer les Jacky Kennedy sur les tarmacs du monde entier,
qu'elle le fasse, elle en a le droit - et l'opportunité - mais qu'elle choisisse !
Voilà une petite fille ravissante à qui le destin a souri. Et la voici qui panique.
Un mandat, c'est cinq ans. Deux mandats, une décade. Elle peut tout faire !
On voit bien que Carla peut désormais reprendre sa guitare et murmurer ses ballades,
Comme si de rien n'était, puisqu'il y a plusieurs vies dans une vie.
Comme elles sont mignonnes nos Béatrice Schönberg, nos Audrey Pulvar,
nos Christine Ockrent qui se posent tant de problèmes existentiels, de cas de conscience,
et n'assument pas toujours le fait de vouloir à la fois le beurre et l'argent du beurre.
Qui veulent à la fois briller par elles-mêmes, être autonomes, et se faire valoir aussi
par les fonctions de leurs ministres de maris ou compagnons, les ors de la République,
sans qu'il n'y ait forcément - pas de procès d'intention - l'idée du conflit d'intérêt.
J'imagine que partager la vie d'un ministre n'est pas chose facile.
On pourrait demander à messieurs Simone Veil, Edith Cresson, Margaret Thatcher,
Condoleezza Rice ou Angela Merkel. On pourrait le demander aussi bien,
à toutes les femmes de ministres que l'on ne connaît pas. Et doivent avoir leurs problèmes.
Après tout, dans tous les couples, je suppose, il y a des accords et des équilibres à trouver.
Sur les rôles de l'un et de l'autre. Les compromis. Le partage des tâches. Who cares ?
Combien de femmes doivent prendre des décisions aussi cornéliennes, partout,
tout le temps, lorsqu'elles travaillent et qu'elles veulent aussi être mères ?
Est-ce que je préfère la maternité à ma carrière ? Est-ce que je dois m'arrêter ?
Peuvent-elles compter - quand elles en ont un - sur leur compagnon ou leur entourage ?
Alors bien sûr, non, pardon, je ne vais pas m'apitoyer sur le sort de Valérie Trierweiler.
Qui, en fait d'embarras, n'a que celui du choix. Mais, continuez à la détester, et, peut-être,
finirais-je par l'aimer en réaction, à avoir une sympathie pour elle dont elle n'a que faire.
Le couple présidentiel n'est pas un ticket. Auprès du président, constitutionnellement,
la place est prise, par un premier ministre. Monsieur Jean-Marc Ayrault en l'occurrence.
C'est le seul couple qui vaille pour la bonne marche des politiques de notre pays.
Et ce qui donne le droit à Bertrand Delanoë par exemple d'aspirer à l'Elysée.
Que les "femmes de", au même titre que les "maris de", restent à leur place,
ou changent de place, mais ne viennent pas saboter l'entreprise en envahissant l'espace public
parce qu'elles veulent exister ou être aimées à tout prix, et tout se passera merveilleusement.
Quant à l'inconscient collectif, élites comprises il faut croire,
je sais que nous avons en France la nostalgie de la monarchie, mais il serait temps,
bons enfants que nous sommes, que nous grandissions un peu, et que nous puissions
embrasser la démocratie à pleine bouche, sans avoir pour cela besoin de tenir encore et encore
la main de papa et maman.
Philippe LATGER
Octobre 2012 à Perpignan