Alix est partie au petit jour.
Avant que la maison ne se réveille. Et tout le quartier au-delà.
Le soleil s'était déjà levé sur une mer d'huile aux reflets de nacre.
Difficile l'été de quitter le lit d'un one-night-stand avant l'aurore.
Je m'étais à peine redressé pour lui dire au revoir, lui donner un dernier baiser peut-être.
L'alcool de la veille avait engourdi tous les muscles et faisait peser le sommeil.
Je ne sais combien de temps après m'être rendormi, les voix claires des enfants
doublées des pépiements d'oiseaux me firent ouvrir l'oeil.
La vie avait réinvesti la maison, et la lumière de midi fit valser mes draps.
Sortant de la douche, je suis descendu rejoindre ma petite famille
et leur journée déjà bien entamée.
Je demandai l'air de rien si tout le monde avait bien dormi.
Geneviève répondit simplement à ma question sans se répandre.
Tout en me préparant un petit-déjeuner rudimentaire,
j'ajoutai que j'avais posé la question parce que j'étais rentré tard,
et espérais n'avoir pas fait trop de bruit.
Ma soeur alors, me mit à l'aise en me taquinant.
Certes, nous n'avions pas fait de bruit en entrant dans la maison.
Mais le bruit que nous aurions fait en ouvrant la porte d'entrée franchement,
en bousculant quelques chaises au passage, en agitant le trousseau de clés,
n'aurait rien été comparé à celui que les cloisons avaient eu du mal à contenir ensuite.
Je rougis soudain en réalisant que Gene, dans la chambre voisine, n'avait rien manqué
de mes ébats, et rougis davantage encore en songeant aux enfants.
Dans un instant de panique, je cherchai les filles des yeux aussitôt,
et les trouvai vite, en train de jouer tranquillement sur la terrasse.
Absorbées, elles ne semblaient ni traumatisées, ni inquiètes.
Aucun regard désorienté ou interrogateur de leur part.
Quand je replantai le mien aussi sec dans celui de ma soeur,
je vis avec soulagement que le sien était dépourvu de reproches.
Elle dissimula simplement un sourire.
J'ai pensé, le nez dans ma tasse de café, qu'elle avait surpris mon embarras.
Si c'était assez pour provoquer un sourire, celui qu'elle n'arrivait plus à réprimer
me fit penser qu'elle n'avait pas encore abattu toutes ses cartes.
Comme elle restait énigmatique, silencieuse, faisant durer le suspens,
j'ai posé ma tasse brutalement, écarquillant les yeux en une grimace hésitante
qui voulait dire : " Alors, quoi ? ... "
Geneviève, mutine, lâcha le morceau :
" Il n'y a pas que moi qui sais ... que tu n'es pas rentré seul cette nuit ...
Tout le quartier est au courant. "
Levant les yeux au ciel, consterné, je m'attendis au pire.
Nous qui n'avions pas menagé nos efforts pour une discrétion maximale ...
J'allais prendre la mesure et l'ampleur de notre réussite. Et de notre ivresse.
Pendant mon sommeil, ma soeur avait discuté sur le pas de la porte avec des voisins,
qui s'étaient interrogés sur la présence d'une voiture devant chez nous.
Une voiture volée peut-être ? A qui pouvait-elle appartenir ?
Toute la rue en avait débattu.
Déjà, je m'estimais heureux. Il ne s'agissait pas de hurlements intempestifs.
Ce seul véhicule, que personne n'avait reconnu, n'avait pas seulement alimenté
conversations et commérages, il avait purement et simplement gêné la circulation,
garé devant le portail, bien parallèle au caniveau,
un créneau parfaitement réussi, certes,
mais au beau milieu de la rue, à plus d'un mètre du trottoir.
Philippe LATGER