Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:47

 

 

 

Dimitri

Je peux savoir pourquoi elle est passée avant moi ?

Couperet

De qui me parlez-vous ?
Vous avez bien le numéro 152 ?

Dimitri

Le 152 oui...

Couperet

Avant vous est passé le numéro 151...
ça vous pose un problème ?

Dimitri

Non non non...
Cette créature blonde, avec ses lunettes noires et son chapeau,
qui a fait tant de manières, elle n'avait pas de ticket...

Couperet

Parlons plutôt de ce qui vous amène dans mon bureau.
Vous voulez mettre à jour votre profil de compétence ?

Dimitri

Un intant s'il vous plaît. Je n'ai pas fini...
Elle n'a pas remercié le blaireau qui lui a tenu la porte comme un con,
a eu tout de suite l'air indisposé par le monde qui attendait,
a joué la star durant toute la longue et interminable minute qu'elle a partagée,
bien à contre-coeur, certes, avec nous, qui sommes là depuis plus d'une heure...

Couperet

Ecoutez...

Dimitri

Je n'ai rien contre les passe-droits, mais qu'on me dise au moins qui elle est !
Une princesse en déroute ? Une actrice de cinéma ?
Une célébrité ? Ou simplement votre maîtresse ?...

Couperet

Vous êtes sérieux ? Vous ne l'avez pas reconnue ?

Dimitri

Euh... excusez-moi.

Couperet

C'était Gina.

Dimitri

Gina.

Couperet

Gina !

Dimitri

Gina ?

Couperet

Oui, Gina, la Gina... quand même.
Excusez du peu.

Dimitri

Votre maîtresse s'appelle Gina.

Couperet

Enfin, voyons ! La Star de la télévision.
Gina ! La gagnante du concours Top d'un Soir sur Canal 55.
Elle a fait la une de Canal 55 Magazine !

Dimitri

Désolé, je n'ai pas regardé ce programme.
Enfin, pas cette année...

Couperet

Elle a remporté le concours de l'année dernière.
Cette année, pour info, c'est Tina qui l'a gagné.

Dimitri

D'accord. Très bien.

Couperet

Mais personnellement, je préfère Gina.
Elle est tellement...
D'ailleurs, Tina est venue la semaine dernière.
Elle a pris un ticket, comme tout le monde.

Dimitri

Tina... la gagnante de cette année.
Elle est venue ici faire un profil de compétence ?

Couperet

Les jobs de Stars, comme les autres,
sont difficiles à trouver de nos jours.

Dimitri

Je suis navré, je ne savais pas que j'avais vu Gina en chair et en os.

Couperet

C'est qu'elle est discrète et tient à garder son anonymat.

Dimitri

C'est réussi.
J'aurais dû lui demander un autographe.

Couperet

Je peux vous en avoir un si vous voulez.
Elle a fini son contrat d'animatrice sur Canal 55 FM
et venait me consulter pour son avenir artistique.

Dimitri

Artistique...

Couperet

Elle hésite entre une ligne de lingerie et un livre.

Dimitri

Un livre ?

Couperet

Oui, une autobiographie.

Dimitri

Ecrite par qui ?

Couperet

Canal 55 Editions regorge d'auteurs.

Dimitri

Elle n'aimerait pas faire un disque par hasard ?...
Moi-même, je suis pianiste de formation et...

Couperet

Elle a déjà sorti son premier album.

Dimitri

Mais elle peut en faire un deuxième.

Couperet

Pourquoi faire ?
Ce premier album réunit déjà tous les tubes de sa carrière !

Dimitri

Ah bon...

Couperet

On commence toujours par le best of mon vieux. On gagne du temps !
Je l'ai ici, vous voulez l'écouter ? Il est tellement...
C'est une chanteuse de Canal 55 Records qui l'a enregistré pour elle,
une inconnue, mais qui a une très belle voix, objectivement...

Dimitri

Vraiment, je suis confus de n'avoir jamais entendu parler de cette fille.
Je connaissais vaguement Rita de Télé-City, et Nina de TV12, mais...

Couperet

Oui, Nina est passée dans ce bureau aussi.
Elle est vedette du réseau interne de Canal 55 Assurances.
C'est à deux rues d'ici.

Dimitri

Le réseau interne ?

Couperet

Oui. L'intranet.

Dimitri

Mes Stars à moi, vous savez, seraient plutôt... Bach... ou Chopin.

Couperet

Connais pas.

Dimitri

Ils auraient dû prendre un ticket aussi alors...

Couperet

Comme tout le monde.
Alors, numéro 152... dites-moi.

Dimitri

Oui, je... j'ai donc une formation de pianiste,
et j'aimerais savoir s'il y a des places à pourvoir.

Couperet

Pianiste. Pianiste...
Vous jouez donc du piano. Nous sommes d'accord.

Dimitri

Précisément.
Piano droit, piano à queue, demi-queue, quart-de-queue, crapaud...
Même électrique s'il le faut...

Couperet

Vous devriez être plus précis. Ou choisir une spécialisation.
Nous pouvons avoir un poste, mais pour du demi-queue seulement.
Voyons.

Dimitri

L'idéal serait de jouer en public.

Couperet

Alors... J'ai un poste pour du piano à bretelles, est-ce que ça irait ?
Dans un ascenseur de Canal 55 Assurances justement.

Dimitri

Non, c'est de l'accordéon, je ne sais pas...

Couperet

Ah, vous voyez !... si vous n'êtes pas plus précis,
nous allons cumuler les malentendus et perdre du temps.

Dimitri

Vous savez, pour payer mon loyer, je fais chirurgien le jour, à l'hôpital public.
Je faisais aussi taxi la nuit, mais à force, je n'y voyais plus très clair
et j'envoyais trop de patients à la morgue, qui est déjà débordée...
Alors, j'ai arrêté le taxi. De toute façon, je ne savais pas conduire.
Souvent, les clients finissaient par prendre le volant.

Couperet

Votre poste de chirurgien ne vous convient plus.

Dimitri

Je préfèrerais pianiste...

Couperet

Eh bien, je n'ai rien d'autre pour l'instant.
Si, attendez... peut-être...
peut-être un piano au vestiaire du théâtre.

Dimitri

Au vestiaire ?
Mais... ce n'est pas le poste de Madame Langlois ?

Couperet

C'était. Elle est décédée.

Dimitri

Ah bon ? Décidément.

Couperet

Cet après-midi.

Dimitri

Pas chez nous, je l'aurais su.

Couperet

En clinique...
On meurt aussi beaucoup dans le privé, vous savez...
La différence peut-être, est qu'on attend un peu moins longtemps.

Dimitri

Je lui avais dit de revenir...
J'aurais bien aimé la suivre et l'opérer au besoin.
Elle ne m'a pas fait confiance, alors que,
vu le résultat, j'aurais fait aussi bien.

Couperet

Pour le poste, c'est un piano droit.
Il me faudrait une attestation de spécialisation, certifiée valable.

Dimitri

Je n'en ai pas.

Couperet

Alors trouvez-en une rapidement.
Ce poste ne restera pas libre longtemps, s'il n'est pas supprimé.
Revenez la semaine prochaine.

Dimitri

Vous avez mes coordonnées au cas où... d'ici là...
Concentrons-nous sur le piano droit, c'est à ma portée.

Couperet

Je vous contacte si j'ai des touches.

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:41

 

 

Nous sommes sortis de l'hôtel pour nous mettre dans le vivier de Times Square,
avons dérivé sur Broadway jusqu'au Flat Iron, puis sur la 5ème jusqu'à Soho.
Cette fois, je n'étais pas seul à mitrailler compulsivement le moindre carrefour,
les vitrines et les devantures, les scènes de rue, les superpositions d'immeubles
et les visages sculptés dans les frises.
Dominique était photographe.
Impossible de me perdre à New York lorsqu'il suffisait de repérer le craquement sec
de la roulette de mes appareils jetables qui alternait avec celui de mon briquet.
Domie avait pour sa part du matériel sophistiqué, avec un zoom redoutable
qui permettait d'aller chercher les détails de buildings qui échappaient à mon viseur.
Elle suivait des cours à Paris, était passionnée, et trouvait ici un terrain de jeu idéal.
Nous avons fait une pause au soleil à Washington Square.
Isolés de la circulation automobile, nous pouvions nous détendre, autour du bassin
où une foule de New-Yorkais indolente, débraillée, profitait du beau temps,
les pieds dans l'eau, assis sur les margelles, en débardeur ou torses nus.
Des touristes se mêlaient à cette faune sympathique,
heureux de voir ce que l'on pouvait se permettre en plein coeur de Manhattan,
au pied de la New York University.
Des étudiants et des marginaux de Greenwich, des familles avec chiens et enfants,
étaient tous venus chercher un havre de fraicheur dans le parc.
Au-delà du trac délicieux qui dans cette ville, ne vous lâche jamais,
j'avais un caillou dans la chaussure : un coup de téléphone à passer.
Nous avions convenu que je devais l'appeler une fois arrivé à Manhattan,
pour organiser un rendez-vous. Celui de notre rencontre matérielle.
Je laissais passer les heures pour y mettre le plus de désinvolture possible,
comme s'il n'y avait rien de pressé, prendre les choses avec sérénité et confiance.
Lorsqu'au fond, je ne faisais que faire durer mon supplice et mon anxiété,
partagé entre l'impatience et le désir de fuir.


( ... )


Le Washington Arch, derrière nous, était éclatant de blancheur.
La réverbération ajoutait une lumière aveuglante digne des plateaux de cinéma.
Nous quittions la verdure du square pour pénétrer dans Soho par Thompson Street.
Au bout de la rue, au-dessus de la voûte des arbres, se dressaient au loin
les deux tours du World Trade Center, indiquant la situation du Financial District.
Nous nous sommes arrêtés au coin de Bleecker pour déjeuner, en terrasse,
et l'appréhension revint s'abattre sur moi aussitôt.
Retour à la réalité : il fallait que j'appelle J&B.




Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:38

 

 

 

Dimitri

Bonjour Madame Tornillon.
Je suis en retard.

Madame Tornillon

Oui, c'est ce qu'on dit habituellement
quand on n'arrive pas à l'heure convenue.

Dimitri

Désolé.
Où est Boris ?
Il a bien travaillé ?

Madame Tornillon

Vous l'avez dit vous-même Dimitri.
Vous êtes en retard...

Dimitri

De cinq minutes...

Madame Tornillon

C'est déjà trop pour notre règlement,
vous le savez...

Dimitri

J'ai profité d'un après-midi de repos
pour voir le conseiller d'orientation officiel...

Madame Tornillon

Ne vous fatiguez pas...

Dimitri

Gina, la Gina m'est passée devant et...

Madame Tornillon

Gina ?... de Top d'un Soir ?

Dimitri

Oui, non... pas Gina Lollobrigida, en effet.
Enfin, ça m'a pris plus de temps que prévu.

Madame Tornillon

Vous l'avez vue ?

Dimitri

Qui ?... Mon fils ?

Madame Tornillon

Gina !

Dimitri

Je l'ai aperçue oui ...
Et Boris, où est-il ?

Madame Tornillon

J'étais de ceux qui ont suivi Top d'un Soir l'année passée.
Je l'adore. Elle est tellement...

Dimitri

Il est là ?

Madame Tornillon

J'ai acheté son best of.

Dimitri

Vous l'avez gardé avec vous ?...

Madame Tornillon

Et son calendrier.
Bien sûr que je l'ai gardé.
C'est son meilleur album !
Il est tellement...

Dimitri

Pas le best of de Gina,
je vous parle de mon fils Boris.

Madame Tornillon

Ecoutez Dimitri. Vous connaissez notre contrat.
Si vous saviez que vous alliez être en retard,
il suffisait de nous appeler. C'est la règle.

Dimitri

Mais je pensais être ici à l'heure pile.

Madame Tornillon

Vous avez une bien jolie montre.
Est-elle à l'heure exacte au moins ?

Dimitri

Ce sont les embouteillages !
Le centre d'orientation est à l'opposé et...

Madame Tornillon

C'est le troisième que vous perdez ce trimestre.
Faites attention...

Dimitri

Vous ne l'avez pas gardé...

Madame Tornillon

Nous l'aurions fait si nous étions dans une garderie.
Mais nous sommes dans une école, Dimitri.
Ce n'est pas notre fonction de garder les enfants.

Dimitri

Vous n'avez pas gardé mon Boris...

Madame Tornillon

Pas plus que Stanislas ou Sacha.
Le troisième du trimestre ! Dimitri.

Dimitri

Mais c'est mon dernier fils !
Je n'en ai plus ...

Madame Tornillon

Faites-en d'autres !...

Dimitri

Il avait été sage aujourd'hui ?

Madame Tornillon

Oui, comme toujours.
C'était un excellent élève.
Il a très bien travaillé. C'est dommage...

Dimitri

Il était plus studieux que Sacha,
plus espiègle que Stanislas...

Madame Tornillon

Et mignon avec ça...
Passées les trois minutes de marge autorisée
instaurée par la dernière circulaire,
nous avons dû appeler la fourrière,
comme le stipule l'arrêté municipal que vous connaissez.
Nous ne pouvons pas faire d'exceptions à la règle.

Dimitri

Je n'ai pas assez d'argent pour la fourrière.
Je ne pourrai pas le récupérer maintenant.

Madame Tornillon

Je crois que vous pouvez payer l'amende en plusieurs fois.

Dimitri

Si je voulais récupérer mes trois fils,
il me faudrait braquer une banque !
Je ne gagne pas assez à l'hôpital...

Madame Tornillon

Ne comptez plus sur Sacha et Stanislas.
On nous les a pris il y a plus d'un mois maintenant.
Au bout d'un mois, vous savez...

Dimitri

Oui... ils les vendent à des familles d'accueil.

Madame Tornillon

S'ils peuvent, oui, naturellement.
Les écoles sont surchargées. Les fourrières aussi.
Mais pour Boris, si vous réagissez vite...

Dimitri

Avec mes deux aînés, plus le temps passait,
plus c'était insurmontable :
ils font payer un forfait journalier en plus de l'amende.

Madame Tornillon

C'est normal. Ils les logent et les font manger.
Plus vous attendez, plus ça vous coûtera cher, c'est un fait.

Dimitri

Bon sang, à deux minutes près !
Il n'y aurait pas eu cette Gina...

Madame Tornillon

Doucement... ça va être de sa faute maintenant.

Dimitri

Bon... il est à la fourrière du secteur ?

Madame Tornillon

Oui, par chance, ils avaient encore de la place.

Dimitri

Bon. Très bien.

Madame Tornillon

Si vous voulez vraiment le récupérer,
vous pouvez peut-être emprunter...

Dimitri

Non. Je n'ai pas assez de garanties.
Je ne suis jamais que chirurgien.

Madame Tornillon

Ah. Je vois... Je suis désolée Dimitri.
C'est vrai que c'est dommage.
Votre Boris était attachant...

Dimitri

Oui... et brillant.

Madame Tornillon

Au revoir ?...

Dimitri

Oui...

Madame Tornillon

Vous devrez m'excuser, mais nous devons nous quitter maintenant.

Dimitri

Oui...

Madame Tornillon

J'aurais aimé en parler davantage,
mais... nous devons libérer les lieux.
L'école est réquisitionnée le soir... pour les sans-abris.

Dimitri

Pardon ?

Madame Tornillon

Les services sociaux vont arriver pour aménager les classes en dortoirs,
comme tous les soirs, nous ne pouvons pas rester là...
Vous devez avoir des cellules psychologiques à l'hôpital.
Si vous êtes choqué, vous aurez peut-être besoin d'une aide.

Dimitri

Oh... non. Non. Merci.

Madame Tornillon

Bon. Vous êtes solide. C'est bien.
Alors, je vous dis au revoir ?
Revenez me voir si vous avez d'autres enfants à scolariser un jour...

Dimitri

Oui, oui, sans fautes...
Merci pour tout Madame Tornillon.
Bonne continuation.

Madame Tornillon

Oui ! De mon côté, la journée est loin d'être finie.
Je file au théâtre où j'ai décroché une place de pianiste,
à mi-temps, au vestiaire.

Dimitri

Le poste de Madame Langlois ?

Madame Tornillon

Précisément. Vous la connaissiez ?

Dimitri

Oui, j'ai tué son mari ce matin.
Il est resté sur le billard.

Madame Tornillon

Le monde est petit.

Dimitri

Un mi-temps vous dites ?

Madame Tornillon

Absolument, que je partage avec le fils du directeur du théâtre.
C'est mieux que rien...

Dimitri

Evidemment.

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:36

 

 

Il y a ces petites cabines alignées sur le trottoir,
dans lesquelles on fait glisser une pièce de 25 cents.
La tonalité, grave et profonde, épaisse comme des gouttes dans les oreilles,
qui s'emballe soudain en cherchant le correspondant.
Quelqu'un décroche. C'est elle. Aussi étonnée que moi. Qui masque son émotion.
J'essaie de dissimuler la mienne. De garder un ton léger, enthousiaste.
Nous parlons de choses et d'autres. Brièvement. Le voyage s'est bien passé.
Oui. L'hôtel est très bien. Nous avons profité du beau temps et beaucoup marché.
" Voyons-nous demain soir ... " Parfait. Demain soir. Vendredi. Une journée de sursis.
J&B me donne l'adresse d'un bar où nous pourrons prendre un verre.
Avant d'aller dîner. Bien sûr. Rendez-vous à 19h. Ok. On s'embrasse.
Je raccroche, soulagé. Mon coeur bat lourdement sur mes tempes.
A mes poignets. Dans ma gorge.
Heureux de ne pas avoir fui. De ne pas avoir reculé. I did it.
Libéré d'un poids, j'étais tout entier disposé à savourer ma soirée,
avec Dominique, à ne rien perdre de sa compagnie et de notre programme.
Cabaret comptait parmi mes comédies musicales favorites. Certes.
Et nous allions de surcroît, la redécouvrir dans le théâtre mythique
du New York d'Andy Warhol et de tous les excès d'une époque prodigieuse,
cet ancien club qui était le top de la vie nocturne de la fin des Années 70 et début 80.
J'ai cherché dans les murs le souvenir des grandes soirées délirantes, la drogue et le sexe,
les vanités et excentricités d'une jet set décadente. Le Studio 54.
Cette salle devenue sage, mais qui fut témoin de tant de monstruosités.
J'étais émerveillé par ce que mon imagination me laissait percevoir de l'endroit.
Avec l'émotion d'un archéologue découvrant les ruines d'un palais oublié dans la jungle,
j'étais ici dans le temple de la fête de tout une génération d'artistes et de gigolos,
qui au son du Disco le plus kitsch, d'électro balbutiante, se gavait d'alcool et d'acides.
Très vite, l'ouverture de la comédie musicale nous transporta
au coeur d'une autre époque de dépravation.
Avec la même jubilation, je me laissais mener des Années 70 aux Années 30,
de New York à Berlin, et retrouvais encore les plaisirs de la dérive et du désoeuvrement,
les nuits sulfureuses et leurs addictions délicieusement suicidaires.
Les deux époques se superposaient, fusionnaient, avec leur identique
volonté farouche de désinvolture, avec une violence à la hauteur de leurs désillusions.
Faire la fête à tout prix, à tout rompre, quand on ne croit plus en rien.
J'étais ému et troublé par la dose de désespoir sensible au fond du verre,
dans la seringue, dans les éclats de rire outrés, et les étreintes des condamnés.
Au Kit Kat Club, au Studio 54, les mêmes errances qu'au Unity ou au Campus,
le même cynisme qu'au Limelight ou au Queen, la même mascarade pathétique.
La pulsation des solitudes de Manhattan embrasait la nuit de désirs insatisfaits.
Je la pris en pleine figure, un peu ivre, en sortant du théâtre.
Et j'eus envie de la prendre toute entière, à bras le corps, à pleine bouche.
Les taxis et les limousines crépitaient de lumières dans la 54e rue ouest,
lorsqu'une foule joyeuse nous entraîna sur le trottoir jusqu'à Broadway,
pleine de vides à combler.



 



Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:19

 

 

Si les ascenseurs de l'hôtel Carter montaient toujours laborieusement les étages,
ils menaçaient de céder et de s'écraser aussi à la descente.
Chaque numéro s'allumait de rouge, l'un après l'autre, sur le cadran vert-de-gris,
jusqu'à ce que le timbre annonce enfin l'ouverture des portes au niveau du lobby.
Dominique et moi étions prêts pour une nouvelle partie de chasse.
Nous allions remplir nos besaces de clichés de la 5e Avenue.
Les lions de la Public Library, les clochers d'albâtre de St Patrick,
l'Atlas musculeux de Lee Lawrie, digne du Gotham City de Batman,
le jardin suspendu de l'orgueilleuse et clinquante Trump Tower,
l'horloge de chez Tiffany et la grille richement décorée de chez Harry Winston.
Les sculptures du Crown Building, l'arrogante façade du Plaza, écrasante,
les calèches au coin du parc, les lanternes du Sherry-Netherland
ainsi que sa flèche menaçante à la toiture de cuivre rappelant le Canada.
Les vitrines de Bergdorf Goodman, les voituriers de l'hôtel Pierre,
les chevaux de la police montée, le manoir du Consulat de France.
Pénétrant dans Central Park, à l'affût, parmi les ornithologues en embuscade,
nous allions mitrailler des familles bronzant sur les pelouses du Sheep Meadow,
les baseballers, les photos de mariage de Japonais romantiques, les jeunes cavaliers,
les joggers du Reservoir, les marchands de ballons de la Bethesda Terrace,
les tours jumelles du Majestic ou du San Remo se dressant au-dessus des arbres.
Nous avons marché sans nous en rendre compte, et marché encore.
Jusqu'aux marches du Metropolitan Museum.
Jusqu'à la spirale énigmatique de Frank Lloyd Wright :
celle du prestigieux Guggenheim.
Mais c'est dans le jeu de cubes de granit du Whitney que nous sommes allés,
nous déportant sur Madison Avenue, nous enivrer de culture américaine.
Je ne découvrais rien. Mais étais toujours subjugué.
Comme les trois premières fois. Avec la même émotion. La même violence.
Au bout de combien de séjours allais-je finir par être blasé ?
Combien de séjours encore pour en être écoeuré, vacciné, définitivement libéré ?
Les New-Yorkais eux-mêmes finissaient-ils un jour par être indifférents ?
J'en avais oublié l'heure. J'en avais oublié notre rendez-vous au G Bar.
J'ai compris pourquoi Nicolas avait choisi de finir son week-end à Manhattan.
Cette ville mange tout. Efface tout. Vous débarrasse de tout ce qui gêne.
Jackson Pollock. Charles Demuth. Louis Lozowick. Georgia O'Keeffe.
Les boxeurs de George Bellows. Les créatures étranges de Guy Pène du Bois.
Les drapeaux de Jasper Johns. Les couleurs sublimes de Mark Rothko.
Les vignettes de Roy Lichtenstein. Celles d'Alex Katz. La libido d'Eric Fischl.
Le consumering jubilatoire de Rosenquist. Les obscénités de Tom Wesselmann.
" Je veux tout ... j'aime tout ... " Mais bon ...
Il nous fallut quitter le musée pour rentrer à l'hôtel nous changer.
Il arrive qu'il soit 19 heures. Tous les jours. A New York aussi.
Une nausée vint m'envahir avec la lumière du soleil déclinant, étirant les ombres,
s'allongeant sur le New Jersey, annonçant soudain le crépuscule rougeoyant de mai
sur les façades comme sur nos visages. Et mon estomac se noua.
En revenant vers la 43e rue, la douleur dans le ventre se fit plus vive.
Le désir en suspens, la veille, était revenu, plus féroce, se sentant si près du but,
piaffant dans mes boyaux comme dans ma poitrine. Me rendant malade.
Un mélange insupportable d'impatience et de panique.
Arrivant à Times Square, je ne savais plus si j'avais envie de chialer, de vomir,
d'aimer ou de mourir, retrouvant la volupté de Manhattan avant la tempête de la nuit,
électrique, avec ses prouesses de plaisirs et d'extases qui me rendaient dingue.
Sur les gratte-ciel, les chromes des taxis, les enseignes lumineuses, les écrans géants,
les bouches d'égoûts, les caméras des touristes, les vitrines des restaurants,
tout annonçait une soirée magique, mémorable, avec une certitude déconcertante.
Cette insouciance me fit peur. Elle m'émerveillait autant qu'elle me fit souffrir.
Les odeurs de bouffe et de pollution étaient devenues légères et douces,
comme le sourire des passants, comme la couleur du ciel qui attend le couchant.
Des percussions et des batteries de musiciens de rue, déchaînées,
à peine couvertes par le vrombissement incessant de la circulation monstrueuse,
pétaradaient de tous leurs roulements qui résonnaient avec la réverb' due à la hauteur
des buildings, jusque dans ma cage thoracique, me faisant vibrer et rire aux éclats.
Le tremblement sourd et puissant du métro vint me labourer la chair de son souffle,
ajoutant au chaos, aussi délirant en altitude que dans les profondeurs souterraines.
J'étais fébrile comme un animal à l'approche de l'orage. Ne savais où donner de la tête.
Une soirée de mai comme il y en a peu dans une vie, et si souvent à Manhattan ...
Le bonheur m'étreignait de toutes ses forces
et m'empêchait de respirer.

( ... )

J'étais toujours sous l'emprise du trac.
" C'est sur la 19e, si tu n'as pas trop mal aux pieds, on peut y aller en marchant. "
En entrant dans la cabine, je savais que, comme chaque fois, l'alcool ferait des miracles.
C'était après tout comme quand je sortais au Unity.
L'excitation et l'appréhension mêlées finissaient par être apprivoisées,
puis complètement oubliées.
" Mais si tu préfères, on peut y aller en taxi ... "

Sortis de l'hôtel, nous sommes allés sur la 8e pour la descendre jusqu'à Chelsea.
New York frémissait déjà de ses milliards d'étincelles.
Fenêtres de bureaux et d'appartements où l'on avait allumé une lumière
comme pour devancer la nuit, faisaient crépiter des façades entières
se mêlant aux derniers reflets aveuglants du soleil sur les immeubles vitrés,
et aux guirlandes interminables de feux de voitures et de signalisation au fond du ravin.
A notre gauche, entre deux tours, un dégagement nous permettait parfois
de voir la flèche de l'Empire State Building qui n'avait pas encore coloré sa couronne.
J'avais oublié les déboires de mes rencontres liées à internet.
Six mois plus tard, j'avais oublié les affres de la passion.
J'étais régénéré. Debout et conquérant. Sûr de moi.
J'étais précisément au bon endroit avec les bonnes personnes.
Une amie indéfectible. Moi-même. Et New York.
Il ne pouvait rien m'arriver.






Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:14

 

 

 

Samper

Qu'est-ce qui t'arrive ?

Dimitri

J'ai encore tout foiré.
Je n'ai pas su contenir l'hémorragie.
Y'a du sang partout.

Samper

Tes statistiques ne s'arrangent pas Dimitri.
Tu vas finir par alerter le comité d'éthique.

Dimitri

Et de 10...

Samper

Et nous sommes ?...

Dimitri

Ben, jeudi !

Samper

Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

Dimitri

Ah, Samper, si tu savais...
Je suis fatigué.
Hier, je suis arrivé en retard à l'école.
La fourrière m'a pris mon dernier garçon.

Samper

Ton petit Boris ?

Dimitri

Oui. La maison est bien vide maintenant.

Samper

Tu ne peux pas le récupérer ?

Dimitri

Si tu me prêtes de quoi payer l'amende, pourquoi pas ?

Samper

Mouais...

Dimitri

Et puis, la place de pianiste est prise.

Samper

De quoi tu parles ?

Dimitri

Le place qu'occupait Madame Langlois au théâtre...
Il me fallait une spécialisation en piano droit que je n'avais pas.

Samper

Ah bon.

Dimitri

C'est l'institutrice de Boris qui a pris le poste.

Samper

Ah bon.

Dimitri

A temps partiel.

Samper

Le monde est petit.

Couperet

Docteur ?

Dimitri

Oui ?

Couperet

Ah, c'est vous ?

Dimitri

Ah, c'est vous !

Samper

Le monde est petit.

Couperet

C'est vous qui avez opéré ma femme ?

Dimitri

M'en parlez pas. Une vraie boucherie.

Samper

Il opère en cuisine.

Dimitri

Il y a eu des complications.
Je me suis débattu comme un diable.
Le sang giclait partout.
J'ai sectionné une artère, près du coeur.
Enfin... je crois.

Couperet

Ben oui, je vois, vous avez sali votre blouse.

Dimitri

Mon assistante a tourné de l'oeil.
Pour une fois que j'en avais une !
J'ai dû me démerder tout seul...

Couperet

Pour la blouse, faites-la tourner à l'eau de javel.

Samper

Elle est bonne pour la poubelle, oui...
Le sang, ça ne part pas comme ça.

Dimitri

J'ai essayé de maintenir l'artère,
mais... c'est fou la pression qu'il y a là-dedans !
Elle m'a échappé et...

Couperet

C'est à dire que le blanc...

Samper

... c'est super salissant, ben oui...

Dimitri

Elle s'est agitée dans tous les sens,
j'en ai pris dans la figure.
Une équipe est en train de nettoyer les cuisines
avant le service de midi.

Couperet

Alors ?...

Dimitri

Eh bien ?... Quoi ?

Couperet

Comment va ma femme ?

Dimitri

Elle est morte mon vieux !

Couperet

Ah... je n'avais pas compris ça...

Dimitri

Vous vous rendez pas compte,
le sang qu'elle a perdu !
Elle n'avait aucune chance.

Couperet

D'accord, OK. J'avais pas compris.

Dimitri

Non... Aucune chance...
D'ailleurs, je n'ai même pas recousu,
on l'a laissée comme ça...
C'était... pff... beurk.

Couperet

Vous avez sauvé le bébé quand même ?

Dimitri

Hein ?

Couperet

... même pas ?

Dimitri

Il y avait un bébé ?

Couperet

Oui. Ma femme venait pour accoucher.

Dimitri

Vous êtes sûr de ça ?

Samper

Qui avais-tu ce matin ?

Couperet

Madame Couperet.
Ma femme s'appelle Eugénie Couperet.

Samper

Monsieur... Couperet donc,
vous êtes sûr qu'elle devait accoucher dans cet hôpital ?

Couperet

Absolument certain. Oui.
Laissez-moi la voir, je vous dirai si c'est elle.

Dimitri

Elle sera difficile à identifier. Je vous préviens.
Dans mes ébats, j'ai un peu amoché son visage, et...

Couperet

Même défigurée, je la reconnaîtrais, ne vous en faites pas pour ça.

Samper

Est-ce qu'elle avait l'air d'être enceinte ?

Dimitri

Ben, maintenant que vous le dites...

Samper

Venez Monsieur Couperet, je vous accompagne.
Nous en aurons le coeur net.

Couperet

Oui, volontiers.

Dimitri

Je vous confie à Monsieur Samper.
A bientôt ?

Couperet

Merci Dimitri.
Au fait, la place du piano droit est prise au vestiaire.

Dimitri

Oui, je l'ai su.

Couperet

C'est allé vite.
Le directeur du théâtre en a profité pour placer son fils.

Samper

Ma nièce a perdu sa place de trombone...

Dimitri

Oui... à mi-temps.

Samper

Dans la baignoire...

Couperet

Exact. Je vois que vous êtes au courant.
Je suis désolé.

Samper

Dans les baignoires, ils jouent de la guitare maintenant.

Dimitri

Non. C'est...
Je ne vous en veux pas.

Couperet

Nous faisons tous notre possible, n'est-ce pas ?

Dimitri

Ne soyez pas désolé.
Nous trouverons autre chose.

Couperet

Vous avez fait faire une attestation pour la spécialisation ?

Dimitri

J'ai fait la demande par internet... ça prendra six mois.

Couperet

Revenez me voir aussitôt, nous chercherons une solution.

Dimitri

Merci beaucoup...

Samper

On y va ?

Dimitri

Je me suis permis de garder ses chaussures.

Couperet

Comment ça ?...

Dimitri

Les chaussures de votre femme.
Elles sont pile à ma pointure...
ça ne vous ennuie pas ?

Couperet

Qu'est-ce qu'elle portait comme chaussures ?

Dimitri

Des escarpins gris satinés, très mignons.

Couperet

Des escarpins ? Pour venir accoucher ?
Ne cherchez plus. C'est elle.

Dimitri

Et donc... ces chaussures ?...

Couperet

Bah, oui, gardez-les si vous voulez.
Elle chausse plus grand que moi, de toute façon.
Je flotterais dedans, ce serait ridicule.

Dimitri

Merci beaucoup.

Couperet

Je vous en prie.

Dimitri

Et... désolé pour votre épouse...

Couperet

Nous faisons tous notre possible, n'est-ce pas ?

 

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:11

 

 

" Veuillez boucler vos ceintures, redresser vos sièges et les tablettes devant vous,
nous amorçons notre descente sur Montréal ... "
En regardant la terre couverte de neige par le hublot, je pensai à une conversation.
" Et donc, tu es parti au Québec pensant que tu serais plus heureux en Amérique ? "
Etais-je vraiment parti pour être heureux ? Etre heureux est-il vraiment un but dans la vie ?
Les magazines, la télévision, tout le monde nous mettait la pression avec ce concept.
J'étais triste de quitter la France. Et j'étais heureux de l'être. J'aimais cet état de tristesse.
Un stew me débarrassa en passant de mon gobelet en plastique et je me calai dans mon siège.
Je pensai à Emilie et Ingrid qui avaient grandi, qui étaient magnifiques,
et à notre réveillon chez Jean-François.
Je pensai à mon ami Cédric avec qui nous étions allés à Montpellier.
Mon cousin Frank avec qui nous étions retournés à Barcelone. A mon vieux Papa ...
Le Québec s'étendait sous l'appareil, blotti sous la neige de janvier,
d'une pureté arctique.
Un type devant moi feuilletait un magazine.
J'ai souri en me rendant compte qu'il s'agissait du dernier numéro
de Québec Canada, Grandeur Nature.
Entre les appuis-tête, j'ai aperçu ma photo sur la page de mon billet d'humeur.

J'ai pensé au forum et à l'adorable Ludo que je venais de rencontrer.
Parmi les habitués, il y avait une petite Belge, Eloah, qui était des plus réactives.
Après Ludovic, c'est elle que j'allais rencontrer en 3D.
Elle venait à Montréal rendre visite à une amie, et m'avait proposé de nous voir.
Le Boeing toucha le sol. Tous les passagers applaudirent joyeusement le pilote.
En sortant de l'aérogare de Mirabel pour monter dans le bus,
une envie folle de retrouver mon petit appartement chassa les derniers nuages de nostalgie.
Il faisait un froid de canard. J'étais là où j'étais, et pas ailleurs.
J'allais retrouver Pierre et René, le petit vendeur d'Ademar Zog sur Ste Catherine,
et les nuits brumeuses du Unity.
 

 



Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:04

 

 

Eloah et moi nous sommes retrouvés au Drugstore.
Après Nicolas et Ludo, c'était la troisième personne venue du forum que je voyais.
J'avais atterri l'avant-veille, et après plus d'un mois d'absence,
il me tardait de retrouver la magie des nuits sur la rue Ste Catherine.

( ... )

Après ça, le week-end à la campagne chez Lise m'a fait le plus grand bien.
J'ai pu cuver mon whisky dans la jolie maison de Drummondville, en toute quiétude.
Pierre et René m'ont embarqué dans la voiture le samedi à 11 heures.
Il me fallut mettre le réveil la veille, pour ne pas manquer le départ.
Je connaissais déjà l'itinéraire, sur la rive sud du St-Laurent,
et cette autoroute Jean-Lesage, sur laquelle j'ai probablement dû m'endormir.
C'était précisément celle que l'on empruntait pour aller à Québec.
Au-delà de Saint-Hyacinthe, au nord de Granby,
nous arrivions dans la région d'Acton Vale où tout était devenu blanc.
Le ciel et la terre.
Seuls des bois pouvaient parfois marquer l'horizon d'une ombre en contraste.
De l'autoroute, nous étions passés à une route principale,
et de la route principale à un rang, sans qu'Ulysse ne paraisse s'en inquiéter.
Comme moi, à l'arrière, il s'était réveillé et, par la fenêtre, regardait la neige
à perte de vue avec bonhommie, quand je la considérais avec angoisse.
Pierre et René s'en amusaient. Pour moi, la campagne était anxiogène.
On m'avait promis que l'on reviendrait dès le lendemain à Montréal.
Comme perdus au milieu d'un océan, nous dérivions au milieu de nulle part.
J'avais l'impression que l'habitacle de la voiture était le seul endroit habité.
Un chemin de crête nous conduisit sur un petit plateau,
où l'on devina enfin le toit d'une maison entourée d'arbres.
Nous nous sommes engagés dans l'allée qui menait chez Lise,
perpendiculaire à la route, et faisait un coude dans une ravissante érablière.
La voiture en freinant fit craquer la neige.
C'était une maison cossue avec un grand toit à deux pans
aggrémenté d'un chien-assis au-dessus de l'entrée.
Une large surface en rez-de-chaussée, et un étage mansardé, sous les combles,
sans balcons ni terrasses, n'acceptaient aucune fioriture.
Sylvain et Luc-Etienne comme Anne et Lucette, étaient tous du week-end.
Dans un intérieur douillet, décoré avec goût, nous avons bu du champagne
devant la cheminée, avant de dîner ensemble, rire, et boire encore ...

Le bonheur, c'est la conscience du bonheur.
Etre heureux, c'est être conscient de l'être.
Dominique et moi étions dans cet état
lorsque nous avons tourné dans la 19e rue.
Hésitant sur les numéros, nous avons repéré l'enseigne du G Bar,
et repris une foulée décidée en longeant la baie vitrée du club
qui s'ouvrait largement sur le trottoir.

( ... )




Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 18:01

 

 

 

Salière

Bonjour Dimitri, installez-vous.
Prenez place.

Dimitri

Oui Monsieur.
Merci.

Salière

Bon ...
Dimitri ...
Dimitri Dimitri Dimitri.
Mon cher Dimitri.

Dimitri

Les chiffres sont mauvais ...
C'est ça ?

Salière

Dimitri ...

Dimitri

J'en ai tué des tas.
Peu sont sortis vivants des cuisines ...

Salière

Cher Dimitri ...

Dimitri

14 sont morts cette semaine.
Et nous sommes ? ...

Salière

Vendredi.

Dimitri

C'est normal que vous me rappeliez à l'ordre.
Les statistiques vont s'effondrer.

Salière

Allons ...

Dimitri

Je n'ai pas su sauver Samper.
Ce brave Samper ...
Quelqu'un d'autre aurait dû l'opérer.
D'ailleurs, était-on obligé de l'opérer ? ...

Salière

Dimitri, reprenez-vous ...

Dimitri

Une simple appendicite !
Et nous perdons un précieux chef de service.

Salière

Ce bon vieux Samper.

Dimitri

Je devrais faire autre chose.
Je ne suis pas doué pour la chirurgie.

Salière

Un cigare ?

Dimitri

Je suis pianiste de formation vous savez.
Non merci Monsieur.
Vous l'avez vu sans doute dans mon cv.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis musicien,
ça non, je n'ai pas cette prétention,
mais pianiste, oui, je me débrouille bien.

Salière

Cigarette ?

Dimitri

Bien mieux que comme chirurgien.
Non merci Monsieur.
Et puis, je ne sais même pas repérer une femme enceinte !
Vous avez su pour Madame Couperet ?

Salière

On a sauvé le bébé, oui, c'est bien.

Dimitri

Il gisait en hurlant sur le sol de la cuisine quand ils sont arrivés.
C'est gênant. Je n'avais rien remarqué. Rien du tout !
J'étais trop occupé à essayer de maîtriser cette artère qui pissait le sang.
Je comprendrais que le comité d'éthique me donne un avertissement.
Mais peut-être avez-vous déjà pris votre décision ...

Salière

Dimitri ...

Dimitri

... et allez-vous me virer, ce que je mériterais naturellement.
Je ne veux pas entâcher la réputation de l'hôpital.

Salière

L'hôpital va fermer.

Dimitri

Et une réputation, une fois qu'elle est faite ...
Pardon ?

Salière

Mon cher Dimitri.
Je n'ai pas l'intention de vous virer.
Vos résultats sont dans la moyenne nationale.
Peu de chirurgiens aujourd'hui font mieux que vous.
Privé et public confondus.
Ce nest pas la question.
Nous sommes tous virés.
L'hôpital ferme ses portes. C'est fini.

Dimitri

Comment ça ... fini ?

Salière

Nous sommes déficitaires.
C'est la faillite.

Dimitri

Mais nous n'avons rien dépensé !
Nous n'avons même pas de matériel ...

Salière

A vrai dire, si ... j'ai beaucoup dépensé.
Pour mon train de vie personnel.
Villas, appartements, voitures, voyages ...

Dimitri

Je comprends.

Salière

Canal 55 va installer dans nos locaux
leurs nouveaux studios de cinéma.
L'affaire est déjà faite.

Dimitri

Du cinéma ? ... Ici ?

Salière

L'entreprise va investir des sommes colossales,
pour tourner des séries, pour leurs chaînes de télévision,
et quelques longs métrages pour le grand écran.
J'ai vendu mes biens pour payer mes dettes.
Ceux qui n'ont pas été saisis par la justice.
J'aurai peut-être une opportunité d'être intégré à l'équipe d'entretien.
Une façon de rester dans les murs ...

Dimitri

A l'entretien ?

Salière

Oui ... le ménage, c'est ça.
Je connais bien la maison.

Dimitri

Monsieur le Directeur ... je ...
Et les autres ?

Salière

Tout le monde est remercié.
Vous compris, je le crains.

Dimitri

Bon ...

Salière

Peut-être pourrez-vous en profiter
pour essayer de vous consacrer au piano ? ...

Dimitri

Canal 55 n'aurait pas besoin de pianistes ?

Salière

Voyez avec Couperet, c'est votre conseiller, non ?

Dimitri

Aux dernières nouvelles,
il y a une place, mais pour jouer en direct les musiques du téléphone,
dans la filière téléphonie de Canal 55.
Les musiques pour vous faire patienter, vous savez ...
Je ne savais pas qu'elles étaient jouées en direct.
Canal 55 Mobile cherche deux pianistes pour ce poste.
Mais il faut une spécialisation en piano quart-de-queue.
Et je vais en obtenir une d'ici six mois, en piano droit seulement.

Salière

Eh bien, bonne chance.

Dimitri

Quoi ? ... C'est tout ?

Salière

Ben, oui, voilà, vous savez tout.
Vous pouvez disposer.

Dimitri

Je n'ai pas une prime ?
Quelque chose ?

Salière

Je vous ai proposé un cigare que vous avez refusé.

Dimitri

Bien, alors, bonne chance à vous aussi.

Salière

Jolies chaussures.

Dimitri

Merci.
Elles étaient à Madame Couperet.

Salière

Mmm ...

Dimitri

Au revoir Monsieur le Directeur.

 

  Next

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 17:54

 

 

Après mon week-end à Drummondville, j'ai revu Eloah et Geneviève.
Une de leurs amies, Johanne, avait organisé une soirée chez elle où je les ai rejointes.
Nous avions terminé la nuit, en comité restreint, à l'after du Stereo.
Un dernier dîner eut lieu au Continental, la veille du départ pour Bruxelles.
Eloah repartait en Belgique, et nous retrouverions désormais, nos jeux sur internet,
l'animation du forum assurée par nos contributions loufoques.
A ma grande surprise, Geneviève Simard manifesta le désir de me revoir.
Elle commença par m'inviter à une expo à la Galerie Vox dont elle s'occupait,
me proposa de la retrouver le lendemain avec ses amis au Drugstore.
Grâce à internet, j'ai rencontré Eloah, grâce à qui je gagnais une véritable amitié.
Geneviève et moi partagions de nombreux centres d'intérêts, dont l'art contemporain,
le bon vin et la fête, et ce plaisir incommensurable de marcher bourré dans la neige.
Une semaine après le départ d'Eloah, c'était à mon tour de partir. Quinze jours en Floride.
J'ai rejoint Laetitia arrivée directement de France à Miami.
A mon retour, outre le clan fidèle de Pierre et René, m'attendait une nouvelle affection.
Gen' fut la seule personne à Montréal, avec qui j'ai parlé politique et refait le monde.
Plus rock & roll et subversive que d'autres, elle adorait la transgression,
au point que je me suis parfois trouvé bien conventionnel à son contact.
Nous partagions une folie douce qui nous a beaucoup attirés l'un vers l'autre.
Elle aimait organiser des soirées vins et fromages.
J'avoue que je ne recevais jamais.
Les seules personnes qui venaient au 1841 de la rue St-Timothée jusqu'alors,
étaient mes visites de France, famille et amis, ou mes trophées nocturnes.
Et encore ... sur ce dernier point, la plupart de mes aventures finissaient
généralement dans les chambres de l'hôtel Gouverneur, Place Dupuis.
Et tous les dîners et apéros avaient invariablement lieu à côté, chez Pierre et René.
Nicolas était le dernier privilégié à avoir évolué sur le linoléum bleu anthracite de l'appartement.
J'allais acheter du vin à la SAQ, elle amenait du pain et du fromage français.
Geneviève, sans s'imposer, avait réparti les tâches spontanément, suggérait une heure,
décidai de nous retrouver chez moi qui vivais dans le Village, puisque nous sortirions ensuite,
sans que je puisse protester, puisque tout cela était l'évidence même.
J'étais très heureux de ses initiatives.
Sur la toile cirée de vichy bleu de la cuisine, entre les bougeoirs romains,
nous ouvrions les papiers odoriférants de divers fromages, une première bouteille de rouge,
et commencions par parler du disque que nous venions de mettre dans la platine laser.
Cela me rappela les soirées avec Anne et Vanessa dans la cité universitaire de Perpignan.
Impossible de parler avec Geneviève de la pluie et du beau temps.
Si nous parlions de choses et d'autres, c'était pour aller au fond des sujets, les décortiquer,
les analyser, devancer la contradiction, émettre des hypothèses ou des objections.
La culture anglo-saxonne, dominante historiquement et géographiquement,
avait appris aux Québécois le civisme et le pragmatisme qui manquent tant aux Français.
Pour eux, comme pour le reste des Américains, les Européens avaient tendance
à parler beaucoup, et souvent, à parler pour ne rien dire.
On estimait ici que les Français, maîtres dans l'art de la causerie, se perdaient en palabres,
perdaient souvent un temps précieux, en débattant au lieu d'agir.
Dans cette société où le résultat prime sur la théorie, le principe de réalité sur la probabilité,
les discussions sans fin dont on sort sans n'avoir rien réglé ni convaincu quiconque,
paraissaient tout à fait exotiques et, définies comme une particularité bien française,
étaient sources de plaisanteries ancestrales plus ou moins tendres et bienveillantes.
Geneviève, elle, se prêtait au jeu volontiers. Elle adorait deviser ou réfléchir à voix haute.
Et prenait un pied terrible à sortir du cadre du politiquement correct.
Ce pacte social américain qui protégeait toutes les populations, toutes les catégories,
les minorités et les différences, mais qui bridait la très sainte liberté d'expression.
Plus d'autocensure. Avec moi, Geneviève pouvait lâcher les chevaux.
Sur les guitares de Jean Leloup, nous débouchions une deuxième bouteille.
A la recherche de la vérité.

Un merveilleux restaurant français sur la 7e Avenue.
Le Singe Vert était une des meilleures tables de Chelsea.
Sur un magnifique carrelage en damier, entre les chaises de bistrot,
les serveuses semblaient danser, portées par le brouhaha de la salle.
L'une d'elles nous a distribué les menus, une autre nous a demandé
si nous désirions boire un apéritif.





Philippe LATGER

  Next

 

Partager cet article
Repost0

Lectures

 

 

Stéphane Facco  Stéphane Facco 

 

Lambert Wilson  Lambert Wilson 

 

  Contes du Jour et de la nuit

      Véronique Sauger     

 

Lettres à ma ville

  (spectacle des Estivales juillet 2000) 

 

 

  publication chez Soc&Foc 2012 

La terre est rouge

 

interview la terre est rouge

 

 

 

 

  Parolier / Discographie 

 

LaViedeChateauArtMengo

 

 BlondedanslaCasbahBiyouna

 

 

BOAzurAsmar

 

 MeskElilSouadMassi

 

 LoinLambertWilson

 

 7ViesTinaArena

 

 BetweenYesterdayandTomorrowUteLemper

 

 CestTropMissDominique

 

 SijenétaispasmoiMissDominique

 

 

WinxClubenConcert

 

 

OuvontlesHistoiresThierryAmiel

 

 

Live en trio 

 

 

 

 

  Compilations  

        Compilation 2009

 

 

Compilation 2010 Universal

 

 

 

 

cinéma

 

MauvaiseFoi

 

 

 

 

  spectacle café de la danse 

MadreFlamenco