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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 02:09

 

 

La porte barrée à moitié par un monceau de neige.
Je l'ouvre et trouve l'obstacle à hauteur de ceinture.
Comme si je l'avais ôté de son moule, la tranche est parfaitement plane.
Elle avait épousé le bois du battant sur ses gonds. Un beau travail de plâtrier.
L'escalier enroulé contre la façade avait disparu sous la meringue immaculée.
D'abord émerveillé par l'épaisseur de la couche, une idée vient me faire rire aux éclats.
Comment vais-je sortir de chez moi ? Moi qui n'ai pas de pelles comme tout Québécois.
C'est un matin d'hiver. J'avais senti la veille que le froid reculait. Que l'air s'adoucissait.
Lorsqu'il faut remonter à zéro pour que la neige tombe.
Une trêve après plusieurs jours où le mercure ne décollait pas des -20 degrés.
J'avais dormi comme un bienheureux. N'avais rien vu de la tempête.
Quel mot étrange pour un phénomène de silence et de coton. Presque immobile.
J'avais enfilé mon peignoir, lancé le café en passant, traversant la cuisine.
La lumière déjà, sa réverbération, m'annonçait ce qui ne pouvait plus être une surprise.
La porte ouverte, j'ai bien ri. Embrassant un ciel bleu sans nuages aussi haut que l'espace.
Le soleil faisait briller tout un manteau étincelant. Je dois plisser les yeux. Ebloui. Aveuglant.
A la fête comme on l'est aux situations extraordinaires. Ce que j'étais heureux.
M'imaginant me hisser sur ce grand toboggan, m'extirper de chez moi par la lucarne ouverte.
Sur cette belle neige compacte et craquante, toute neuve, éclatante, venue s'amonceler.
Que j'ai déblayée de mes propres mains virant à l'écarlate, comme un chien aurait fait
avec ses quatre pattes, pour trouver le plancher du palier de mon premier étage.
En face, de l'autre côté de la rue, le parc d'habitude si ordinaire ou quelconque,
s'était métamorphosé en une splendide terre vierge vallonnée de blancheur.
J'avais dû me lever tôt. La chaussée, les trottoirs, étaient tous invisibles.
Le ballet des chasse-neige de la ville de Montréal n'était pas arrivé dans ma rue.
Les plus gros dégageraient les voies automobiles. Les plus petits les sentiers piétonniers.
Et je rendais grâce à ce moment de folie où j'avais entrepris de m'installer ici.
Le café était bon. La journée serait belle. Je n'étais pas sérieux et n'avais pas trente ans.

Internet balbutiait. Et j'avais du courrier. Du postal. Enveloppes Air Mail.
Des nouvelles de France à la Belle Province. On s'étonnait toujours de ce choix improbable.
Moi qui aimais tant la plage, la chaleur, mes étés à la mer, la Méditerranée.
Cigales et canicule. Juillet et Barcelone. Tout ça, c'était acquis. Mon code génétique.
Etait-il difficile de comprendre que c'était précisément pour cela qu'il me fallait l'hiver ?
Qu'il fallait visiter les froidures extrêmes ? Expérimenter le Nord en plus de l'Amérique ?
Me confronter à mon diamétralement opposé ? A l'envers de mon monde. Au nouveau ?
Où j'ai découvert des miracles et bien des voluptés, entre autres choses inimaginables.
Sans parler des personnes connues, des êtres rencontrés, des amitiés solides.
Il me fallait sortir. Marcher sur Ste-Catherine. Rejoindre cette ville et crever l'édredon.
Faire craquer les pas sur ce tapis de neige, sur la Place des Arts et jusqu'à la rue Peel.
Ma cité déglinguée devenue féérique. Montréal bien plus belle que l'idée qu'on s'en fait.
J'ai un manteau de peau pour gravir le Plateau, remonter St-Denis jusqu'au Carré St-Louis.
Des Mexicains sourient. Et des Pakistanais. Marocains. Haïtiens. Autant de frères d'armes.
Dans leurs doudounes épaisses. S'étonnent comme moi. D'être heureux dans le froid.
Sur la chair découverte, la morsure de l'air, coupante comme la glace,
qui laisse une sensation de brûlure, chaleur inattendue, comme de propreté,
et un zeste d'ivresse, qui vous porte sur vos jambes dans un souffle de vapeur,
de cannelle et de thé, quand rouge canneberge, on se sent en santé.
Je retrouve l'odeur du bois désagrégé et rongé par la neige.
J'ai le goût des beignets, des bagels et du whisky-coca.
Un instant je m'arrête. J'y repense. Je m'y plonge. Le sentiment d'urgence.
J'ai aimé la voilure du pont Jacques Cartier. Et ce fleuve nourricier.
Qu'on appelle Saint-Laurent.


 

 

Philippe LATGER
Octobre 2012 à Perpignan

 

 

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