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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 16:32

 

 

Quelques lignes sur le geste quotidien du rasage, voilà qui est sweet, et homoérotique.
L'effet des lames pressées dans la bave indécente et juteuse du savon étalé sur la peau.
Couper le poil. C'est contrer la nature. La domestiquer. Comme on taille les arbres.
C'est imposer la civilisation à l'ordre naturel. 
Mais quoi... à cette évocation comme à l'idée de gérer des mégots jetés dans la rue,
je n'aurais plus rien à dire, plus d'inspiration, ni la flamme des sentiments fiévreux ?
La buée se retire du miroir où je peux torse-nu voir ce que je fais avec mon arme blanche.
La mâchoire inférieure en avant, le menton tendu et pointé vers le haut pour dégager mon cou,
j'enfonce le rasoir dans la chair et le fait remonter, en bandes régulières et ordonnées,
et le sang coule sur ma poitrine avec les coulées de savon et d'eau chaude,
lorsque de longs copeaux de peau se recourbent et s'enroulent, et c'est comme détapisser,
ou peler une pomme de terre, je suis une pêche à vif, promène la lame sur sa lymphe
et la viande luisante, décortiquant le fruit, déshabillant mon gosier, l'oesophage,
cette pomme d'Adam que j'extirpe comme un noyau d'avocat sanguinolent.
Je suis heureux en amour et n'ai plus rien à dire. N'est-ce pas ? Mon travail est terminé.
Je n'ai plus les mots et la rage du poète agité et violent qui aurait pu vous plaire.
Le républicain et sa fougue, l'amoureux et ses lunes, tout part dans la bonde du lavabo,
avec une mélasse de mousse parfumée et de poils, d'épluchures d'épiderme et de sang.
La vapeur embue le miroir à nouveau. Comme les vitres de la cuisine où je me tiens debout.
Je fais la vaisselle. Jules est couché. Je lui ai lu une histoire. En fait, c'est lui qui me l'a lue.
Je ne l'ai pas gardé depuis quelques temps déjà. Il lit de mieux en mieux. A fait de nets progrès.
Assis au bord du lit, cette constatation a su m'émouvoir. Le petit bonhomme fait son chemin.
A chaque page, les dauphins et les orques, et les choses incertaines que cela évoque
dans son imaginaire, dans les rêves qui prendront forme dans son sommeil d'enfant.
J'ai laissé la petite lampe allumée, comme de coutume, au pied du lit, puisque Jules,
il faut croire, ne peut souffrir l'obscurité totale, n'y trouve pas la sérénité et la confiance
qu'il faut pour lâcher prise, s'abandonner au repos, et j'ai rabattu la porte avec un sentiment
de fraternité, le plus humain de tous, quand je partage toujours, à quarante ans, avec ce gosse,
cette défiance pour les ténèbres absolues, et une préférence pour la lumière et le bruit.
A l'évier de la cuisine, je ne me rase pas, je ne mutile pas mon corps avec des lames de rasoir.
L'eau chaude n'est pas là pour faciliter ma besogne de psychopathe mais pour dégraisser.
Les larges assiettes transparentes que je rince sous les chutes raides de l'eau du robinet,
scintillent d'étincelles argentées dans une brume enveloppante sous la paume de ma main.
Je caresse le verre épais, parfaitement propre, parfaitement lisse, avec satisfaction.
Sans me soucier du bruit que je fais en disposant la vaisselle de côté pour qu'elle sèche.
L'activité humaine. Ostentatoire. Ou assumée. Qui ne dérangera pas Jules à l'étage.
Lorsque je sais au contraire qu'elle l'encourage à s'endormir.
Avec la conviction d'être en sécurité.

Une nuit blanche. Oui. Avant un déjeuner important. Où je dois être présent.
Qu'aurait-il fallu au juste pour que je puisse fermer les yeux à onze heures du soir,
me permettre de dormir huit heures et me lever reposé, les idées claires, et du bon pied ?
A deux heures du matin. A trois heures. A cinq heures. Je cherche à canaliser mes forces.
La nuit se passe sans que je parvienne à en faire une mère rassurante qui caresse les cheveux.
Le silence et la noirceur peuvent on ne sait comment inspirer la méfiance.
Et si c'est de mégots de cigarettes que je dois parler, j'en parlerai, pour occuper l'espace.
Je prends cet homme dans ma chambre pour le coller au mur avec une colère soudaine.
Mon avant-bras plaqué en travers de sa poitrine, sous son col, le poing serré,
et le voici, suffoqué, levant le menton comme pour chercher de l'air, en panique.
Il m'offre ce cou que je pourrais raser. A ma façon. Je devine des veines. Dilatées.
Et j'hésite, à l'urgence de maîtriser ma violence, à l'exorciser en lui tranchant la gorge,
où en léchant comme un chien la grosseur de sa pomme d'Adam avec lubricité.
Je n'ai plus d'inspiration, hein ? Je n'ai plus de passions à extraire de mes fibres ?...
Entre la violence sanguinaire et la violence sexuelle, pourquoi devrais-je choisir ?
Cet homme, à ma merci, pourrait craindre le pire et ne pas pouvoir réprimer une érection.
Je le sens respirer. Il est un amas de vaisseaux, d'artères, de tuyaux et de liquides.
Je sens l'agitation de la circulation, la répartition des flux dans son corps.
Et j'ai le pouvoir d'orienter l'issue de la prise. Le choix entre le massacre et l'orgasme.
Quand je sens qu'il hésite lui-même, ne sait pas vraiment ce qu'il préférerait que je fasse de lui.
Il habite ma chambre. Habite l'insomnie. Alors, Hyde ? Je ne sais plus écrire ?...
Mon bras droit est plié contre le mur de la pièce, qui n'a pas le confort d'une poitrine d'homme,
quand ma main gauche pourtant a trouvé son sexe pour le masturber avec un mélange d'idées.
L'envie mêlée de lui faire du mal et du bien à la fois.
La violence, aussi animale ou cruelle soit elle, est toujours l'expression de la peur.
Contre le mur de ma chambre, dans ma lutte, c'est mon sexe que j'ai saisi et masturbé.
Hyde peut soudain oublier sa mission diabolique pris par d'autres démons.
Apparu pour semer le doute, j'ai désamorcé son travail en le livrant au plaisir.
Captif. Il peut refluer à la montée puissante d'une ivresse des sens qui le démobilise.
Et c'est moi qui ai repris le contrôle. Anéantissant son dessein dans des giclées de sperme.

Où est passée l'intensité de mes écrits ? Où sont mes forces et ma violence ?...
Hyde ne se sait-il pas vaincu quand je suis amoureux et heureux en amour ?
S'il ne supporte pas la baisse de régime, si les montagnes russes lui manquent,
je ne vais pas gâcher le bonheur que je tiens pour alimenter des sentiments furieux.
Je ne vais pas briser mon dû pour avoir du grain à moudre et défoncer mes écrans.
Replonger dans la rage du désespoir et de la frustration, de la colère et de la folie,
pour en faire un matériau littéraire et des choses à hurler.
Hyde, pardon. Mais je parle de mes putains de mégots de clopes si j'en ai envie.
Et je me fous que cela n'impressionne personne. Hyde est un mégalo.
Et s'il veut du rock et du soufre, je lui en trouverai dans des partouzes immenses.
Dans les délires d'une libido tordue de jouissances collectives, maximales et éternelles.
Pardon. Mais j'irai à ce déjeuner. Les yeux en face des trous. Même après la nuit blanche.
Je ne gâcherai ni mon histoire d'amour, ni mes engagements, pour lui faire plaisir.
La vie ne peut être ni une fête continue ni un orgasme permanent.
Lorsque l'homme doit aussi gérer d'autres contrastes comme d'autres paradoxes.
Je suis aussi sensoriel que spirituel. Je suis aussi sexuel qu'intellectuel. La condition humaine.
La nuit est là pour que le jour existe. Le mal existe pour que le bien puisse être.
Et mes platitudes serviront à mettre en valeur les fulgurances lorsqu'elles seront de retour.
Au restaurant, j'ai pris place. Le manque de sommeil trouble un peu mes perceptions.
Je ne suis pas épuisé au point de ne pouvoir faire la conversation. Je fais bonne figure.
La journée sera longue. On compte sur moi en suivant pour garder des enfants.
Je commande un tartare. On me sert un verre de vin. Je réponds aux questions qu'on me pose.
Je suis dans mon corps. A ma place. Dans une réalité brouillée par un voile de confusion.
Comme si la nuit n'était pas terminée. Que je gardais l'empreinte de luttes virtuelles.
On me parle de choses concrètes et pratiques. Comme si tout était normal. Je joue le jeu.
En sachant que je ne suis pas fou, comme tous les fous de mon espèce.
Je plaisante. J'ironise. Suis surpris de voir que l'ironie est perçue et comprise.
Même en pilote automatique, il semble que je puisse compter sur moi-même.
La lourdeur sur mes épaules n'est sentie que par mon propre corps. Le poids de la fatigue.
Je n'ai rien écrit d'important et je m'en accommode. Hyde attendra. Comme tout le monde.
Et je ne sacrifierai ni ma vie sociale ni ma vie amoureuse pour satisfaire ses caprices.
J'irai garder les enfants de mes amis. Leur préparerai leur repas et ferai la vaisselle.
Elle brille dans la cuisine. Je me sèche les mains. Lola est devant l'ordinateur.
Son frère dort déjà. Je dois dire à son père qu'il a très envie de pancakes.
Et je pense à quelqu'un qui est entré dans ma vie et que j'aime comme personne.
Sans avoir à y penser vraiment quand c'est une énergie qui peut m'accompagner.
Et qui est tout le bois des flambées invisibles qui font que je respire
et que j'existe encore.


 

 

Philippe LATGER
Décembre 2013 à Perpignan

 

                
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