J'en veux. J'en viens.
De cette lumière froide, clinique, acier, tranchante.
De ce soleil d'hiver comme on en trouve au Québec.
J'en veux encore. Avant que le printemps ne vienne.
Céret en pleine gloire. Les ombres sur les façades nues.
De platanes sans feuillages. De platanes immenses, impavides et secs.
Sur du bleu qui me brûle les mains même au fond de mes poches.
J'en viens. Je me réchauffe. Aux rayons qui frémissent au coin d'une terrasse.
La lumière est meilleure pour prendre des photos. Meilleure qu'en été.
Que lorsqu'il fait trop chaud. Que le soleil au zénith est trop haut.
Qu'il dévore tout. Les contrastes. Les mystères. Qu'il écrase les villes.
Ici, en ce jour, il les frôle, il les rase. Il s'encline pour faire quelques effets.
J'avais consulté, fébrile, les prévisions, quotidiennement, de Météo France.
Choisi la date. Avec le trac au ventre. Entre passages nuageux et averses.
Ils annonçaient du beau fixe pour ce dernier jour de janvier.
Qui était mon dernier jour de chance.
J'ai promis ces photos. Le ciel est avec moi. Et avec mon esprit.
Je traverse Perpignan en trottant, courant presque,
pour la gare routière où je prendrais un bus, n'ayant pas de voiture.
Contre la coque colorée du Centre del Mon, des dizaines de quais.
Un chauffeur que je salue. A qui je paie ma place.
L'autocar dans ses éructations s'ébranle pour dériver.
S'élance sur la route. M'arrache à Perpignan.
J'ai envie de pleurer. Je ne sais pas pourquoi. La journée est superbe.
Le Canigou somptueux. Trônant dans nos fenêtres. La plaine du Roussillon.
Qui m'échappe. Me caresse. Et j'en veux. Et j'en viens.
A la vitesse molle d'une allure de rien.
Le soleil sur la neige. La neige sur les sommets.
Au-delà de nos vignes. Au-delà des clochers.
Nos montagnes sont bleues et de blanc dévorées.
Le lieu où je vais est un autre pays. Celui du Vallespir.
Où j'ai été reçu la semaine passée. Et j'en veux. J'y reviens.
Pour prendre mes photos. Une journée sans pluie.
J'avais promis. Et j'y retourne. Céret, me revoici.
Je descends cette fois au tout premier arrêt.
Je veux prendre les ponts. Je veux prendre les trois.
Ces trois ponts délirants. Côte à côte. Sur le Tech.
Et me voici à pied seul au bord de la route. Je marche le coeur léger.
Vers l'arche fantastique qui franchit la rivière au bon vouloir du diable.
Construction médiévale. Et sa modernité. Qui m'ensorcelle et me fascine.
La campagne est paisible. Presque fumante. S'étirant à midi.
Et je sais déjà que je vais carburer, que j'aurai ce que je suis venu chercher.
Le village, plus bas, sommeille sur ses ravines, épouse des collines,
sur le flanc des Albères qui s'enfuient vers la mer.
La lumière. J'en veux. Me fait étreindre l'air que je sens sur la peau,
chaud et froid à la fois, comme aux jours de soleil qui s'invitent en hiver.
Le pont du chemin de fer. J'aime cette architecture. Industrielle.
D'une révolution. Les halles des marchés comme les halles de gares.
Dans les vallées, ce que l'on nomme si justement ouvrages d'art.
Pour conduire des trains au-delà des obstacles, au bout de nos délires.
Le pont du chemin de fer se reflète dans l'eau comme le Pont du Diable.
Et je suis comme un gosse. Je mitraille. Je panique. Je m'arrête.
Tout est trop beau. Partout. Et je ne sais où donner de la tête.
Je descends des sentiers pour m'approcher de l'eau.
Passer sous les jupes. Sous les arcs. Cherchant de nouveaux angles.
Aveuglé par le jeu du soleil et des flots.
Dans la nature heureuse, j'ai pu passer ma main
sur les aberrations dues à la main de l'Homme.
Fou de joie à la débauche démente de choses belles à voir,
à ce point de rencontre de tant d'intelligences.
J'essaie de tout saisir. De tout retenir. Je veux tout.
Et je m'épuise comme aux fins des orgasmes.
Vidé de moi-même. Je m'éloigne du fleuve pour aller au village.
Des maisons s'éparpillent sur de fausses falaises. Et j'avance.
Dans les rues où l'urbain se réveille. La ville se densifie.
Les mimosas qui osent tant de jaune et de vert aux jardins suspendus.
Et j'ai hâte d'arriver aux cours qui servent de boulevards pour y prendre un café.
Je suis un mauvais peintre. Mais je prends des photos.
Pas pour faire du beau mais pour faire exister.
C'est ce que je veux faire. Saisir et faire rester.
Baiser la gueule au temps. Lui arracher l'instant.
Fixer ce qui a été. L'empêcher de vieillir. L'empêcher de mourir.
C'est avec cette rage que je prends mes clichés. J'aimerais tout garder.
Ma progression est lente quand je suis ralenti par tout ce qu'il faut prendre.
Puisqu'aux rues que je monte, la République, St-Ferréol, le soleil rend aimables
de longs alignements de façades modestes aux couleurs sublimées.
C'est doux et c'est violent. Comme l'homme sait l'être. Tout comme ce pays.
Qui vous aime et vous mord, vous veut et vous insulte.
J'aimerais être en terrasse. Profiter du soleil. Et ne penser à rien.
Mais je suis arrêté tous les trois pas peut-être par un nouveau tableau
qu'il me faut honorer, qu'il me faut encadrer dans mon petit smartphone.
Une contrée de liège, de pierre et de fagots, de cerisiers qui saignent,
comme au sang des taureaux, d'exilés pathétiques. Sardanes et Flamenco.
Et tout devient ivresse. Quand je sens le passé qui me tire vers le haut.
Au soleil irréel d'un hiver qui s'amuse.
De l'Espagne qui s'agrippe. J'en veux. J'en viens.
Quand des Républicains mêlés aux Catalans savent faire un seul peuple.
Si moi, je suis un traître, quand je ne suis ni l'un, ni l'autre, je le crains,
je deviens l'un et l'autre pour être ce que j'aime lorsque j'aime les deux.
Je marche vers le ciel. Je marche sous du bleu. D'une pureté criante.
Elle me hurle une essence qui vient me diluer comme un amas de gouache.
Je m'étale aux trottoirs parmi de longues ombres qui rampent avec moi,
celles de vieux platanes dessinés sur l'allée comme autant de panaches.
Je retrouve le Musée. L'effet de la courbure d'un canyon merveilleux.
Où se promènent toujours quelques jeunes, quelques vieux,
et une foule de fantômes.
Et des morts m'accompagnent, avec tous les absents,
qui m'escortent partout où je me sens heureux.
La mère qui n'est plus comme l'homme que j'aime.
Les amis qui ne sont pas si loin et ceux que j'ai perdus.
Je ronronne en hiver aux marches de mes terres, Catalogne ou Castille,
quand je suis un bâtard ou fils des ennemis criblé de banderilles.
Le café est servi. Je le prends avec toi. J'en aime l'amertume.
Au soleil qui s'incline, qui décline, même aux jours qui s'allongent.
Il me faut faire vite. Je n'ai qu'une heure ou deux.
C'était la bonne date pour croquer dans Céret.
Mes croquis de pixels. La Douleur de Maillol. La fontaine des neuf jets.
Aux lumières d'été qui se pensent hivernales. Aux lumières du froid.
A celles des frontières. Et celles des Pyrénées.
Aux lumières de chaleurs en Méditerranée.
J'en veux. J'en viens.
Janvier.
Philippe LATGER
Janvier 2014 à Perpignan