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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 11:02

 

 

La concierge de la résidence Le Bienvenue, boulevard René Lévesque,
était une fille aux joues rouges, toute en rondeurs.
Le visage, le menton, les boucles grisâtres de ses cheveux,
la monture bon marché de plastique épais et transparent, couleur rose bonbon...
tout chez elle était courbe, jusqu'aux lignes de sa poitrine pesante.
Elle était forte et joviale, comme on imagine les filles de ferme bavaroises,
avec une voix et un rire qui portent, à faire trembler les murs.
Côté vestimentaire, il était clair qu'elle récupérait des fringues,
comme elle récupérait les vieux meubles que son mari stockait au sous-sol.
Un peu démuni, isolé, j'avais passé mon Réveillon de Noël avec ma bougie allumée,
appuyé sur mes poings et mes bras tendus sur l'évier, regardant
par la longue et étroite fenêtre de la cuisine, la circulation du boulevard,
et la lumière du building Place Ville-Marie tournoyer dans le ciel.
Les sirènes lascives des ambulances se déroulaient dans mes oreilles,
me distrayant à peine du poids qui plombait mon ventre comme ma gorge.
" Qu'est-ce que vous faites tout seul, comme ça, à Montréal ?... " me demanda-t-elle
avec un sourire entendu et un regard par en-dessous qui se voulait aguicheur.
Elle me regardait, comme elle regardait tous les jeunes hommes :
avec un mélange de gourmandise assumée et de voracité honteuse.
Débraillée, elle était sortie de sa loge en traînant les pieds,
pour venir encaisser le loyer derrière une petite fenêtre à comptoir,
qui avait l'air d'un vieux théâtre de marionnettes. Je payais cash.
" Vous étudiez à l'UQAM ? Vous avez une job en ville ?...
- J'écris... répondis-je sobrement.
- Vous êtes romancier ? Ce que vous écrivez, c'est quoi là ?
- Presse écrite. Poèmes. Chansons...
- Mon Gaston, il a écrit des chansons !
- Vraiment ?...
- Oui, il a écrit pour Ginette Reno dans le temps !
Vous la connaissez en France ?
- Bien sûr, Ginette Reno, oui...
- Pis pour Marie-Louise Lemieux.
- Connais pas.
- Faudra passer nous voir chez nous à l'occasion...
On se réunit le soir pour faire de la musique... "
Je ramassais la monnaie alignée sur le comptoir du guichet,
lui rendis un sourire poli, faisant l'effort de la regarder droit dans les yeux.
Ce que j'y vis m'effraya un peu et je dus détourner mon regard.
" Pourquoi pas... bredouillai-je. Merci pour tout en tout cas.
- Bienvenue Philippe...
- Oui... Merci... "





Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 11:01

 

 

Je ne pouvais plus reculer... il me faudrait le lendemain
prendre l'autobus pour l'aéroport de Dorval et l'attendre aux arrivées.
Quelques photos comme points de repère, et l'intuition en bandoulière.
Que ça marche. Que ça ne marche pas.
Je ne savais pas au fond de quoi j'avais le plus peur...

( ... )

 


Pierre et René étaient heureux de me revoir sortir au matin, bien vivant.
" J'ai eu peur qu'on ne te retrouve pendu chez vous, ou égorgé dans ta chambre. "
Mon large balcon de bois, à l'arrière, perchoir dans les feuillages, un nid dans les arbres,
surplombait leur jardin, comme une loge de théâtre domine la scène,
d'où mes voisins installés dans leur mobilier extérieur me saluèrent.

J'étais allé en autobus comme prévu me mêler aux charriots à bagages,
aux familles venues chercher un cousin, un époux, des amis,
des gens qui arrivaient ou qui rentraient à la maison.
Bouleversé par l'impatience et l'émotion de femmes et d'enfants
qui retrouvaient des êtres chers, qui leur avaient tant manqué,
j'étais moi-même fébrile, entre bouffées de chaleur et sueurs froides,
essayant de me convaincre que ma présence à Dorval était légitime et naturelle,
quand le reste du temps, je me demandais ce que diable je fichais là...
L'effusion de retrouvailles autour de moi auraient dû m'attendrir,
et me distraire tout autant d'une nausée tenace, lorsque ce bonheur étalé
me jetait à la figure, violemment, mon insoluble solitude,
me rappelant avec cynisme que je ne connaissais pas
la personne que je venais chercher.

( ... )

Toute la semaine, le doute s'était immiscé dans mes veines,
s'était répandu comme un poison, jusqu'à ce vendredi fatal.
Dans l'autobus, ce n'était pas le trac amoureux qui me tordait le ventre.
Je partais à l'abattoir, sans aucun espoir de résurrection.
Dans le hall des arrivées,
je me suis rendu compte que j'avais saboté le week-end.
Il était déjà perdu.
Perdu d'avance.
 

 



Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:44

 

 

Nathalie était aussi saoule que moi.
Le poster blanc bleu de Matisse s'était fondu sur le mur, comme la voix
de Véronique Sanson s'était étirée dans des profondeurs sous-marines,
alors que Valérie et Marlène dansaient en riant de leur propre ivresse.
Mes mains s'étaient agrippées sous le pull-over,
saisissait un avant-bras, puis la nuque, se perdait dans la chevelure,
enveloppaient la boîte cranienne comme celle d'un nouveau-né, épousant le galbe,
se portaient au cou comme pour l'étrangler, fuyaient le long d'un membre,
contournaient les obstacles textiles, caressaient l'échine ou le ventre ou le sein.
Mes bras devenus trop longs étreignaient un buste frêle et fragile.
Ma bouche devenue trop molle cherchait la sienne.
Elle était assisse sur mes cuisses. J'étais assis sur une simple chaise.
Une chaise qui ne pouvait plus contenir nos ébats éthyliques.
Ni l'ampleur, ni la fougue de nos mouvements emportés,
aussi ludiques que farouches, aussi espiègles qu'inspirés.
C'est en riant de nous-mêmes que nous nous sommes embrassés, à pleines bouches.
Singeant d'abord les amoureux qui s'embrassent et qui s'aiment.
Y prenant goût peut-être. Mon coeur, lui, ne riait plus.
Une simple chaise ne pouvait plus accueillir deux corps aussi enfiévrés qu'alcoolisés.
Nous avons perdu l'équilibre et sommes tombés par terre comme des merdes.
Il ne nous restait plus qu'à éclater de rire, l'un et l'autre, l'un sur l'autre,
provoquant la surprise puis l'hilarité de Marlène et Valérie.
Le plaisir de l'échange, malgré le vin rouge, avait à peine commencé à nous rendre sérieux,
à habiter chacun de nos gestes, à leur donner subitement un sens différent, presque grave,
que tout dérapage vers le mystérieux, le magique, le vertige irréparable, fut enrayé,
coupé net, empêché définitivement par un autre dérapage, une chute grotesque,
qui coupa l'élan, les ailes, le sifflet, les effets, le son, la musique et le souffle.
D'abord surpris, puis penauds, la situation, à terre, n'offrait qu'une issue de secours,
une seule porte de sortie : le fou rire.
Cette douche froide nous remit chacun à notre place,
dans notre bonne vieille position de bons copains, de bons camarades,
dans cette relation claire, amicale et virile.
Entre potes, on est à peine autorisés à se taper sur les cuisses,
pas à se les caresser, se les empoigner ou se les malaxer furieusement.
L'incident fut clos. Le dossier avec. Tant pis pour moi.
Nathalie n'était pas perdue pour tous les jeunes écrivains de la région.
J'avais perdu la main.
Dans ses cheveux peut-être.






Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:40

 

 

Fasciné par ce masque tragique, qui hésite entre l'expression d'une douleur insupportable
et celle d'un bonheur tout aussi insoutenable, cette grimace qui fait penser à la Mort,
à la fois grave, effrayante et burlesque, souvent ridicule, où le sujet, ne contrôlant plus rien
livre tout de son être, de son âme, dans une fraction de seconde, sans fond,
dans laquelle le temps s'est arrêté.
Voyeurisme absolu.
Le mien n'était pas attaché à des images pornographiques
dont j'étais gavé jusqu'à l'écoeurement depuis longtemps.

( ... )

J'ai refermé la porte avec une sérénité étrange dans ma poitrine et dans mon ventre.
Le vampire était à la fois ému et apaisé. Heureux d'être vivant.
Impressionné par ce visage sublime.
Que je n'oublierai jamais.

 


L'Hôtel de Paris sur Sherbrooke, puis les hindous de l'hôtel sur St-Hubert,
la vue sur la gare routière, le phare dans le ciel, le Donkin Donuts.

Les contributions sur le forum de discussion ne m'intéressaient plus.
Son visage était encadré de bois rouge,
baigné dans une lumière orange, verni de reflets ou de silhouettes.
Cette photo m'accompagnait partout.
Comment fait-on pour basculer dans la mort avec confiance ?
Confiance en qui, en quoi ?


 

Un arrivage helvétique dans le hall de l'aéroport, avec des couples qui se retrouvent,
des échanges de baisers, d'accolades et de bouquets de fleurs,
les accents français, suisses, québécois, anglais, qui se répondent,
et moi, malade, au milieu de cette scène de cinéma,
refusant de jouer ce rôle que j'avais pourtant écrit moi-même.

La foule des voyageurs et des charriots à bagages,
des hôtesses de l'air et des chauffeurs,
un flux d'êtres humains entre deux mondes,
entre deux eaux, internationales ...

( ... )

Elle m'a pris toute mon énergie, toutes mes forces,
diurnes, nocturnes, crépusculaires et matinales.
C'est pour cela que tu devais venir.
Pour nous débarrasser de cette emprise. Pour tuer ce mythe. Nous en libérer.
Cette dépendance m'avait fait perdre la notion du temps, du jour et de la nuit.
Je sentais qu'on atteignait des doses limites, que je perdais le contrôle.
Tu ne venais pas me tuer. J'étais déjà mort.

 




Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:30

 

 

Il me fallait passer chez eux, je n'avais pas le choix.
Leur théâtre de marionnettes était déjà fermé.
Je ne sais plus s'il s'agissait d'une clé à récupérer, d'une dette à payer,
d'un problème de facture, de courrier à relever ... peu importe.
Il était un peu tard, huit ou neuf heures du soir, tout au plus,
mais Gaston m'avait mis à l'aise, je pouvais passer quand je le voulais.
Dans les couloirs verdâtres de la résidence,
je me suis posté devant la porte de la loge.
J'ai frappé et le concierge est venu m'ouvrir.
Ses joues creuses sous ses lunettes des Années 60,
ses cheveux hirsutes, gris et jaunes, son absence de musculature,
le marcel sale qui flottait sur un buste rachitique, un peu voûté,
son odeur de bière ... tout provoqua chez moi un mouvement de recul.
" Euh ... excusez-moi de vous déranger si tard ... "
La pièce derrière lui semblait plongée dans l'obscurité.
" Tu nous déranges pas pantoute mon garçon.
Veux-tu entrer te joindre à nous ? ... "
L'espace d'un instant, considérant le petit monsieur,
j'avais du mal à croire que j'avais devant moi un parolier de Ginette Reno.
Il semblait tombé du lit, mais offrit le plus beau sourire dont il était capable.
" Je ... c'est à dire que ... c'est gentil de me le proposer, mais ... "
Je vis par-dessus son épaule, son épouse, au travers d'épaisses nappes de fumée,
avachie amoureusement sur un canapé défoncé, digne du mobilier stocké au sous-sol,
qui, en pantalon de jogging, débraillée, une cannette de bière à la main,
faisait les yeux doux à un jeune homme brun, superbe, de type méditerranéen,
qui menait de front deux activités : finir un joint et jouer de la guitare.
En m'apercevant, la femme du concierge se redressa et s'illumina d'un immense sourire.
" Veux-tu boire une Molson ? On est justement avec des chums musiciens ... "
insista Gaston en ouvrant plus largement la porte et dégageant le passage.
Il semblait qu'il y avait une autre personne avec eux que je ne vis pas.
Mais le guitariste, je le concède, donnait franchement envie de faire sa connaissance.

" Bonjour Philip' ! lança madame en arrangeant ses cheveux gras d'une main coquette.
Voici Paul qui vit icitte à la résidence avec nous autres.
- Bonjour ... m'excusai-je en restant sur le pas de la porte.
- Philip' nous vient des Vieux Pays. "
Paul, dans son débardeur blanc plein à craquer, arc-bouté sur son instrument,
tirant sur le cône d'un air inspiré, m'adressa un regard ténébreux qui me fit frissonner.
J'ai dû régler l'affaire pour laquelle j'étais venu, un peu troublé par la vision furtive
d'une touffe de poils indécente, sous un des bras musclé du musicien.
Le maillot de corps immaculé tranchait sur le bronzage sexy de ses épaules larges.
Madame paraissait être dans son élément, émoustillée par la bière frémissante,
dans cette pièce où l'air était saturé de cannabis et de testostérone.
" Je ne vous dérange pas plus longtemps ... je vous souhaite une bonne soirée. "
Tout en grattant en boucle trois accords de blues
le musicien ne m'avait pas lâché des yeux.
J'avais improvisé une bonne raison de décliner leur invitation.
" Et encore merci !
- Bienvenue ! "
Il fallait absolument que je trouve
un endroit où déménager.






Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:25

 

 

Luc-Simon Perrault m'avait déjà, satisfait de mes piètres chroniques dans la magazine,
fait participer davantage à la rédaction, en me confiant un dossier sur l'Hiver au Québec.
J'avais pris beaucoup de plaisir à le préparer, puisqu'il s'agissait aussi pour moi
de comprendre la société dans laquelle je m'étais immergé.
J'avais répertorié les inventions que les Québécois avaient mises au point au fil des siècles
pour contourner les obstacles et les pièges d'une météo extrême en tout,
dans le froid comme dans la chaleur, dans la neige comme dans la glace,
pour rendre possible une vie de famille, le confort d'un foyer où élever des enfants,
faciliter les transports, les communications, l'approvisionnement,
malgré la mauvaise volonté d'une saison particulièrement longue et inhospitalière.
Leurs habitudes alimentaires, vestimentaires, architecturales et urbanistiques ...
jusqu'à l'art ou la sexualité ... tout était conditionné par le climat.
C'est lui seul qui imposait sa loi, et les Français comme les Anglais,
et comme les Hurons ou les Inuits avant eux, n'ont eu d'autres choix que de s'adapter.
Le sujet des Grands Ballets Canadiens n'était pas moins passionnant à traiter.
L'occasion d'aller au siège de la compagnie voir qui je pouvais interviewer.
Celle de découvrir la personnalité extraordinaire de la fondatrice, Ludmilla Chiriaeff,
Lettone qui avait survécu au bombardement de Berlin et au travail forcé,
et qui avait retrouvé en émigrant au Canada la Russie de son père.
J'espérais pouvoir obtenir un entretien avec l'étoile Anik Bissonnette.

 

 

 

 

 

Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:20

 

 

" Au plus près du centre de moi-même ... "
Ce n'était pas une formule littéraire, ni une image habile,
mais la réalité de ce que j'avais ressenti en lisant certaines de ses lettres.
J'avais été bouleversé par cette révélation.
Comme découvrant que quelqu'un m'attendait dans la chambre de ma solitude.
Cette illusion sans doute de ne pas être seul. Celle du sentiment amoureux.
Le corps est périssable. Il est voué à la casse. Condamné à pourrir dans la terre.
C'est une erreur de capitaliser sur lui.
Il faut investir sur la cargaison, pas sur le vaisseau.
S'il est jeune, il vieillit. S'il est beau, il disparaît.
Le corps est un instant. Un reflet. Une impression.
Comme un moine à la recherche de l'illumination, de la transcendance,
je ne voulais pas retomber dans la logique sordide de la boue.
Mais à Dorval, avant-même son arrivée, je compris que c'était déjà derrière moi.
J'avais déjà réussi, sans m'en rendre vraiment compte.
L'élévation recherchée, je l'avais vécue devant mon ordinateur.
Sur les ondes d'un monde décrit comme virtuel,
j'avais touché la quintessence de l'immatérialité.
Pourquoi alors avoir voulu nous confronter physiquement ?
Dans un cas, l'absence de désir nous affligeait une amère déception.
Dans l'autre, nous nous retrouvions dans une configuration heureuse mais ordinaire.
Quoi qu'il arrive, nous étions voués à l'échec.
En fait, cela devint clair à mes yeux. Les dés étaient jetés.
Et notre histoire d'amour était déjà consommée.


" C'est toi qui aurais dû lui demander 100 dollars pour tes services !
Tu fais venir une pute et c'est toi qui fais le boulot ? ... "
Je l'ai payée pour avoir le plasisir de le faire. Etait-ce si difficile à comprendre ?
Et puis, il y avait un désir ancien d'avoir affaire à la prostitution,
d'une façon ou d'une autre. Un nouveau dépucelage.
Je n'avais pas, comme la plupart des garçons de ma région,
fréquenté les bars à putes de la Jonquère, à la frontière,
où des générations entières sont venues se déniaiser à bon prix.
Pour ma part, je n'avais pas eu à payer, lorsqu'à 16 ans, je décidai de passer à l'acte.
J'avais trouvé à Perpignan, ce qu'il fallait pour passer dans le camp des adultes,
bien que dans des conditions tout aussi sordides.
Pourtant, les établissements espagnols dont on me parlait m'intriguaient beaucoup
et les ragots comme les récits d'exploits alimentaient mes fantasmes.
Au-delà de la curiosité, allez savoir pourquoi, je m'étais mis dans la tête,
qu'on ne pouvait pas vraiment devenir un homme sans avoir au moins
une fois dans sa vie, payé quelqu'un pour ça.
C'était dans mon imaginaire une étape dans le parcours initiatique.
Comme contracter des maladies vénériennes.
Une démonstration de sa virilité.
Comme cracher loin et savoir roter,
deux choses, à mon grand désespoir, que je n'ai jamais su faire.
Ainsi, si j'ai été très embarrassé vis-à-vis de mes parents,
j'ai aussi été très fier d'avoir à 17 ans ramassé mes premiers morpions.
Un baptême aussi constitutif que le Bac et le permis de conduire.
En revanche, je n'avais jamais eu l'opportunité d'aller dans les cabarets,
interdits côté français, où les filles se vendaient aux adolescents comme aux routiers.
Dans une zone industrielle sinistre, au milieu des gares de triage et des parkings,
entre les semi-remorques et les containers, de petites baraques, en retrait,
signalées par des enseignes et des néons sans équivoque,
brassaient la principale manne économique de la petite ville frontalière.
L'ambiance était à mes yeux digne d'un road movie
dans le désert du Nevada.


 



Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 18:10

 

 

L'envie d'en découdre me vint à Barcelone, cette année de mes 17 ans,
année de tant de premières fois, morpions compris.
Barcelone, où j'avais invariablement passé tous mes étés, en famille,
prenait une autre couleur, une saveur différente de celle de l'innocence,
d'une enfance heureuse et protégée, lorsqu'un séjour organisé par le lycée
me permit d'y aller sans la garde rapprochée de mes parents.
Les désirs de l'adolescence transfiguraient la ville,
lui donnèrent un aspect et des attraits qui m'avaient échappés jusque là.
Loin de la maison de Castelldefels, de sa pinède paisible sur la plage,
c'est dans le chaos de la métropole que nous allions être logés pour une nuit,
dans des familles d'accueil assez libérales que nous avons à peine croisées.
Après une journée de visites et de shopping, de promenades et de terrasses,
les plus téméraires étaient prêts à sortir le soir-même, à faire la fête,
accompagnés par Madame Blasi, notre professeur d'espagnol.
Sachant que je connaissais la ville comme ma poche,
elle me confia la tâche de guider le chauffeur du bus qui nous servit de taxi,
pour nous conduire au coeur de l'Eixample, quartier qui, en ce début d'Années 90,
était le haut-lieu de la nuit barcelonaise et du design européen.
Les bars et les clubs y rivalisaient d'excentricités et d'innovations,
du Nick Havanna à la Fira, en passant par le Velvet ou l'Otto Zutz,
où de jeunes architectes et décorateurs, plus talentueux les uns que les autres,
avaient créé une ambiance unique, inégalée depuis, phosphorescente et glacée,
qui attirait journalistes, mannequins, hommes d'affaires du monde entier.
La ville allait s'exhiber en mondiovision aux Jeux Olympiques, était prise de frénésie,
d'une vertigineuse et créative confiance en elle-même.
Outre les chantiers pharaoniques qui éventrèrent la cité de toute part,
l'effervescence était partout palpable, excitant l'imagination de tous les artistes,
et la nuit, à la pointe de cette révolution post-moderniste, atteignit des sommets.
Synchronisation parfaite. La révolution de mes 17 ans avait trouvé un théâtre
à la mesure de son ivresse, un cadre idéal pour alimenter les fantasmes,
fashion et aventureux, glamour et sulfureux,
une liesse en accord avec ma propre folie.
Barcelone muait avec moi.
Mon appétit de découvertes, ma curiosité gargantuesque,
ma soif d'apprendre et d'expérimenter,
ma boulimie d'échanges et de sensations fortes, en état d'urgence,
trouvaient un écho dans chaque parcelle, au coin de chaque rue,
de ces nuits baroques, voluptueuses,
amplificatrices du désir et de l'émerveillement.
J'avais déjà écumé ces adresses mythiques. L'été précédent.
Avais essuyé les plâtres. En privilégié.
M'étais déjà enivré de ces matières high-tech,
de ces éclairages indirects, et de regards prometteurs,
pervers, qui narguaient mon impatience.
Après avoir sagement bu un verre avec mes camarades de lycée,
tout le monde remonta dans l'autobus pour aller se coucher et dormir.
Arrivé chez l'habitant, je ne pouvais me résoudre à en rester là.
Le copain qui partageait ma chambre s'est mis au lit sans faire d'histoires,
quand de mon côté, je ne tenais plus en place, sensible à l'appel de la nuit.
Je suis donc ressorti, échappant à la surveillance de nos accompagnateurs,
et j'ai marché dans les rues désertes du quartier résidentiel,
sur les flancs du Tibidabo, en quête d'un taxi
que je ne tardai pas à trouver.
 





Philippe LATGER

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 00:01

 

 

La ville s'étalait au pied de la montagne, jusqu'au trou béant de la mer.
Les noirceurs du ciel viraient à l'orange, dans une gigantesque nappe de buvard,
sur les braises de Barcelone, qui crépitait, électrique, dans son habit de lumière.
Petit taureau, je me laissais conduire par la voiture, exalté, prêt à recevoir l'estocade.
Au détour d'une large boucle, nous avons pénétré le tissu urbain,
puis dévalé une avenue jusqu'à l'Université, sur les Corts Catalans,
pour nous poster ensuite au sommet des Ramblas.
C'est là que je suis descendu, tout seul, pour chercher quelque chose.
Un an plus tôt, j'étais parti de la même manière, au hasard de la ville,
encouragé par une nuit complice et bienveillante. C'était à Perpignan.
Il s'agissait aussi d'estocade. Et je suis devenu un homme.
Fort de cette expérience, je n'avais plus rien à craindre.
Les marchands de fleurs et d'oiseaux avaient fermé pour la plupart.
Seule une foule éparse coulait sur le dallage de la promenade,
faite de touristes oisifs et de noctambules éméchés,
poussée par les jets des employés municipaux
qui nettoyaient déjà le parterre à grande eau.
J'ai suivi le flot, sous la voûte harmonieuse des arbres lovés dans l'ombre,
au-dessus des éclairages publics, dont les feuillages se fondaient dans le ciel,
le coeur léger mais le trac au ventre, jusqu'au bas de l'artère, près du port,
où la prostitution s'étalait soudain sur les trottoirs.
J'avais assez d'argent pour tout faire. Y compris pour ensuite rentrer en taxi.
Des filles de tous les âges, de tous les poids, adossées aux façades,
m'interpelaient de leurs voix rauques, grasses et cassées, en espagnol,
me donnant du guapo et du cariño, agitant un index ou soulevant leur jupe,
mâchouillant un chewing-gum ou le filtre d'une cigarette.
L'une ouvrait son corsage pour me montrer la marchandise,
l'autre me prenait carrément par la taille pour m'emporter Dieu sait où.
Certaines étaient particulièrement jeunes, et plutôt belles,
des Andalouses et Sud-Américaines, aux cheveux de charbon,
aux courbes voluptueuses, les jambes tendues par les talons aiguilles,
longilignes ou savamment potelées, juste ce qu'il fallait,
aux poitrines opulentes et aux lèvres charnues. Rouge sang.
Celles-ci n'avaient pas besoin d'être verbalement expansives.
Les plus jolies laissaient d'ailleurs à leurs aînées la tâche de racoler.
Elles se vendaient au milieu de collègues moins attrayantes,
dont certaines étaient franchement délabrées.
Les plus antiques avaient carrément l'air d'avoir ici un oeil de verre,
là une jambe de bois, mais tapinaient toujours, debout, la tête haute,
poings sur les hanches, ignorant diabète, syphilis, arthrose,
comme l'idée-même de la retraite.
 

 




Philippe LATGER

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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 23:48

 

 

S'il ne reste rien des maisons longues d'Hochelaga - le Lac aux Castors -
village iroquois que Jacques Cartier découvrit sur la rive nord du Saint-Laurent,
les vestiges ou simples traces de la Ville-Marie, bâtie et fortifiée à proximité
par Paul Chomedey de Maisonneuve, en revanche, ne manquent pas
L'officier français, qui allait créer une petite colonie au-delà de Québec, vers le Sud,
se campe légitimement, avec bottes et chapeau, au centre de la Place d'Armes,
pour n'être rien de moins que le fondateur de la ville de Montréal.
A ses pieds, Jeanne Mance. A genoux.
Créatrice de l'Hôtel-Dieu - réputé pour être l'un des premiers hôpitaux d'Amérique du Nord -
elle accompagna le pionnier sans faillir dans la mission d'évangélisation du bon sauvage,
et dans l'organisation nécessaire à la survie d'une présence française au Nouveau Monde.
Tournant le dos aux superbes colonnes corinthiennes de la Banque de Montréal,
la statue de Mainsonneuve ouvre ses bras avec orgueil au parvis de la basilique Notre-Dame.
Car l'église et la banque se font face, comme plus loin, sur le Square Dorchester,
la cathédrale Marie-Reine-du-Monde fait face au building des assurances Sun Life.
Comme partout au Canada. Comme partout en Amérique.
La religion se dresse face à l'argent. Et inversement.
Par chance, il faisait très beau. Un temps idéal pour faire visiter la ville à Nicolas.
D'apparence austère, avec ses deux clochers grisâtres, l'église des Sulpiciens,
néogothique, jeune d'à peine un peu plus de trois siècles, dissimule des trésors en son sein.
Une explosion de couleurs et de lumières, de l'autel aux grandes orgues,
fait oublier aussitôt une condescendance toute européenne pour la pauvreté de la façade.
En sortant de Notre-Dame, nous nous arrêtons caresser les vieilles pierres du Séminaire
de St-Sulpice, aux troublantes senteurs de Nouvelle-France.
Puis, un demi-tour sur nous-mêmes nous suffit pour gagner deux siècles d'un coup.
Emu, je montre à mon invité un panorama digne de Manhattan.
La brique rouge du premier gratte-ciel de Montréal, le New York Life Insurance Building
et ses huits étages couronnés d'une tour horloge, tranchait vivement sur la blancheur
de l'Edifice Aldred, un superbe immeuble Art Déco en gradins qui dominait l'ensemble.
En revenant au centre de la place, sous la bannière victorieuse de Maisonneuve,
nous observions autour de nous une magnifique synthèse de l'architecture américaine.
Nous avons pris la rue St-Jacques pour aller jusqu'au building de la Banque Royale.
Un de mes préférés, pour avoir lui aussi, une silhouette particulièrement new-yorkaise.
Sous un arc colossal, deux petites portes tournantes, cuivrées et sculptées,
rappelant celles de la 5e Avenue, donnaient accès à un hall pavé de marbre,
flanqué de part et d'autre d'ascenseurs richement décorés, en enfilade.
Face au fronton monumental, de larges escaliers à faible pente
menaient à l'immense et luxueuse salle des guichets.
D'énormes lustres hésitant entre arts Nouveau et Déco, pendaient lourdement
sur une mosaïque d'enclos feutrés et l'opaline verte de lampes de bureaux.
Face à ce superbe open space, mon camarade exprima une certaine indifférence,
un peu blasé, m'expliquant qu'il avait l'habitude, en tant que Suisse,
du faste des établissements bancaires.
Cela me fit sourire, mais ne m'empêcha pas d'admirer encore,
même seul, le travail des architectes américains York & Sawyer
si prolifiques et inspirés à la fin des Années 20
et dont je n'arrivais pas à me lasser bien que le connaissant par coeur.
Nous sommes revenus par la très touristique rue St-Paul à la place Jacques Cartier,
grande esplanade toujours animée qui descend jusqu'aux quais, depuis l'Hôtel de Ville.
Cet énorme pâté disgracieux, réplique des vaniteuses mairies parisiennes,
dont le balcon résonne encore d'un célèbre et inattendu " Vive le Québec libre ! "
surplombait une débauche de terrasses de cafés dégringolant jusqu'au port.
L'endroit idéal pour profiter du soleil.

 



Philippe LATGER

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