La concierge de la résidence Le Bienvenue, boulevard René Lévesque,
était une fille aux joues rouges, toute en rondeurs.
Le visage, le menton, les boucles grisâtres de ses cheveux,
la monture bon marché de plastique épais et transparent, couleur rose bonbon...
tout chez elle était courbe, jusqu'aux lignes de sa poitrine pesante.
Elle était forte et joviale, comme on imagine les filles de ferme bavaroises,
avec une voix et un rire qui portent, à faire trembler les murs.
Côté vestimentaire, il était clair qu'elle récupérait des fringues,
comme elle récupérait les vieux meubles que son mari stockait au sous-sol.
Un peu démuni, isolé, j'avais passé mon Réveillon de Noël avec ma bougie allumée,
appuyé sur mes poings et mes bras tendus sur l'évier, regardant
par la longue et étroite fenêtre de la cuisine, la circulation du boulevard,
et la lumière du building Place Ville-Marie tournoyer dans le ciel.
Les sirènes lascives des ambulances se déroulaient dans mes oreilles,
me distrayant à peine du poids qui plombait mon ventre comme ma gorge.
" Qu'est-ce que vous faites tout seul, comme ça, à Montréal ?... " me demanda-t-elle
avec un sourire entendu et un regard par en-dessous qui se voulait aguicheur.
Elle me regardait, comme elle regardait tous les jeunes hommes :
avec un mélange de gourmandise assumée et de voracité honteuse.
Débraillée, elle était sortie de sa loge en traînant les pieds,
pour venir encaisser le loyer derrière une petite fenêtre à comptoir,
qui avait l'air d'un vieux théâtre de marionnettes. Je payais cash.
" Vous étudiez à l'UQAM ? Vous avez une job en ville ?...
- J'écris... répondis-je sobrement.
- Vous êtes romancier ? Ce que vous écrivez, c'est quoi là ?
- Presse écrite. Poèmes. Chansons...
- Mon Gaston, il a écrit des chansons !
- Vraiment ?...
- Oui, il a écrit pour Ginette Reno dans le temps !
Vous la connaissez en France ?
- Bien sûr, Ginette Reno, oui...
- Pis pour Marie-Louise Lemieux.
- Connais pas.
- Faudra passer nous voir chez nous à l'occasion...
On se réunit le soir pour faire de la musique... "
Je ramassais la monnaie alignée sur le comptoir du guichet,
lui rendis un sourire poli, faisant l'effort de la regarder droit dans les yeux.
Ce que j'y vis m'effraya un peu et je dus détourner mon regard.
" Pourquoi pas... bredouillai-je. Merci pour tout en tout cas.
- Bienvenue Philippe...
- Oui... Merci... "
Philippe LATGER