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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 19:46

 

 

Dans le tourbillon de sa robe mouchetée, aérienne,
elle se cambre avec orgueil, fierté méditerranéenne,
arquant ses bras pour des banderilles invisibles,
hérissés de doigts rouges sang, appels imprévisibles.
Ses talons martelant le sol, dans une démence maîtrisée,
parade érotique pour enivrer l'étalon méprisé
qu'elle attire dans un sourire arrogant, pour mieux le repousser,
l'épouser un instant puis lui tourner le dos, les lèvres retroussées.
Sous la noirceur d'un chignon, grimace du désir, de la douleur,
le visage se tord de désespoir, invoque le malheur.
Le corps écorché se raidit, s'étire et se contorsionne
avec la souplesse du chat, la noblesse de la lionne,
tigresse enragée, bête fauve possédée, envoûtée,
ensorcelant les prétendants désarmés, fiévreux mais déroutés.
Un grand châle noir endeuillé tournoyant sur ses épaules nues,
enveloppe sa chair brûlante, ses gestes enflammés, puis contenus.
Elle esquisse une estocade, s'offre enfin dans un élan tragique,
tord ses poignets et se déploie dans une grâce tauromachique.
Sorcellerie sulfureuse, célébration du sang, culte païen,
le désir bouillonne, la raison s'égare et la Mort revient.
Son oeil noir est assassin, sa bouche écarlate jalouse.
Créature gitane, maure, indienne ou andalouse,
déesse sous son peigne ou ses fleurs d'oranger, insolente,
ses talons crépitent, tour à tour hystérique et indolente.
Elle se dissimule derrière un éventail imaginaire,
redresse la tête et tend ses bras vers le soleil qu'elle vénère,
puis vers le mâle qu'elle attend, dans sa chaleur grenadine,
cet hidalgo élancé mais à la puissance taurine.
Claquement de mains, de guitares, qui vient fouetter le sang,
excite les sens des amants déchirés, en un jeu menaçant.
Elle s'abandonne puis résiste ; on se craint, on se toise,
on s'ignore avec dédain, pourtant, les regards se croisent.
On danse sur des braises, on s'aime dans la poussière.
La passion sera brûlée vive, comme une sorcière !
De ces ébats stériles, seul le désespoir sortira vainqueur.
Elle torture son amant pour qu'il lui arrache le coeur.
 

 



Philippe LATGER 1998

 

Publié dans le Damier # 2 ( Editions Feel ) 2001

 

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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 19:32

 

 

Elle me relève un sourcil, comme autant de vagues sur le front.
Et mes cheveux qui poussent. Et mes cheveux qui frisent...
Le jour en pleine nuit. Et la mort ivre morte. Pleins phares.
La tempête au volant. Mes bouteilles. L'une est pleine. L'autre est vide.
Et mes canines s'allongent. Les poils poussent. Au menton. Aux oreilles.
Dans les bois, elle vibre dans les branches. Et les poils sur mes jambes.
La chouette effrayée. Les oiseaux font silence. Les loups se sont assis.
C'est le conseil des sages. Celui des druides. Et des grandes marées.
Mes bouteilles à la mer. Je dévore le ciel. Les étoiles. Et la grande ourse.
Je déchire la terre. La gueule béante. Et le dos rond.
Elle me tire les oreilles. Me fait craquer les os.
Tout est confus. Au jeu de la gravitation. Les lois sont changées.
Et l'attraction céleste. Je m'étire. Dépasse les arbres. Et les clochers.
La lune boit. Au temps pour moi... Le piège à loup.
Une piqûre dans la cuisse. Chevrotine. Hypothermie.
On veut m'abattre. La chasse à l'homme.
La nuit est une voûte. Ma cage thoracique.
Je respire au halo. Au bruissement des vagues.
A cet or crépitant sur le dos de la mer, au miroir de la baie.
J'ai couru sur trois pattes jusqu'au dernier rivage.
Prier le dieu des ténèbres de me tirer de là.

Prier celui du vent, et celui des messages...
Mes bouteilles brisées. L'une est pleine. L'autre est vide.
Le dieu des sauterelles et des déconvenues... veut la transformation.

J'ai perdu trop de sang. Et le sel me consume.
Le disque est suspendu. Il m'attire et m'appelle. Et je monte. Et je monte.
A la terre contraire. Comme ultime demeure.

 



Philippe LATGER
1997 à Bordeaux

 

 

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12 juin 2010 6 12 /06 /juin /2010 03:34

 

 

Bon. Philippe.

Il y a longtemps que je te devais cela.
Mais il me fallait du temps pour te donner une réponse à la hauteur de ce que j'ai vu.
Nous parlions à l'instant de cinéma... c'est de cela qu'il s'agit.
Je ne suis ni un expert, ni un critique,
juste un parolier " en développement " comme ils disent,
et je vais essayer d'être clair dans mon propos.
Après tout, c'est bien le job d'un auteur que de tenter d'exprimer
le plus précisément possible
les choses les plus confuses...
c'est bien ce que vous avez fait avec Never Sleeps.
Je ne sais pas pourquoi, je me sens prêt, ce soir, à... donner le change.
Autant que possible.

Evidemment, je me lance de nuit, dans cet espace suspendu où tout prend du sens,
un espace entre deux mondes, comme le tarmac désert d'un aéroport,
un cadre à la fois inquiétant et rassurant, étranger et familier, le départ et l'arrivée,
quelque chose d'immobile, pour servir la théorie du référentiel.
D'assez vaste ou profond pour se sentir exister.
C'est froid. Comme un cylindre d'acier. C'est vide et c'est froid.
Et c'est tout le contraire dans le même temps.
L'immobilité hurle le mouvement. Le noir hurle le blanc. La vie hurle la mort et j'en passe.

Il y a cet homme avec sa cravate trop courte, avec une allure qui me fait penser à Chaplin,
- le rire hurle les larmes - ou à Jacques Tati quand on le suit à Berlin dans les étages,
après le plan sur l'interphone entre deux portes. La symétrie hurle le désordre.
Je me vois dans une chambre d'hôtel, maniaque, dépressif, surtout maniaque...
rangeant les chaussettes et les caleçons... méthodiquement... 
La peur d'oublier quelque chose. La peur de perdre le contrôle.
Répéter les gestes. Un cérémonial. L'intimité hurle l'universel.
On ne verra pas Berlin. On ne verra guère plus la ville suivante.
L'hésitation au passage clouté. L'inversion de la circulation automobile bien sûr.
L'espace d'une seconde. C'est bien Londres.

Je l'ai remarqué, dans les salles d'attente,
il y a toujours une chaise vide entre deux personnes.
Une puissance comique. Celle de l'absurde.
Jacques Tati encore, concentré, dubitatif, à l'écoute d'un discours,
celui du gars du secteur des professionnels,
la grimace de celui qui veut comprendre, essayer de comprendre,
avec toute la bonne volonté de la terre, comme celle que j'affiche depuis dix jours
en écoutant les experts commenter une crise financière.
Le sérieux hurle le ridicule. Et le ridicule le pathétique.
On aimerait avoir de la compassion.

De la compassion, j'en ai eu en voyant Chaplin cirer compulsivement ses chaussures.
La répulsion hurle l'attirance. J'avais l'odeur du cuir encore chaud. Celle du cirage.
Une image d'une intimité dérangeante. L'odeur de l'intérieur d'une chaussure.
Cela met mal à l'aise. C'est une odeur intime.
Quand tous les intérieurs de chaussures en cuir ont la même odeur.
Assis au bord du lit comme on est assis au bord d'une chaise. Prêt à partir.
L'homme regarde son sac posé à sa gauche. Le pose finalement à sa droite.
Indeed, quand on attend un taxi ou un avion, que l'on est sur le départ,
on n'est déjà plus à l'endroit où l'on est, ni encore à celui où l'on doit se rendre.
Comme sur le tarmac désert, comme dans la nuit dont je profite pour écrire,
on est nulle part.

Ma ville chérie. Barcelone. Où j'ai passé tous mes étés. Maison de famille. Vacances. Enfance.
La ville où l'on fait la fête. Un devoir de fête qui oppresse quand on n'a plus le coeur à ça.
On ne la verra pas davantage.
J'ai aimé l'échange avec la fille de la réception. Et me suis vu avec horreur.
J'ai vu toutes les occasions manquées.
Elle avait dit oui. Un premier élan. Le désir. L'aventure. La force.
Le sentiment d'être invincible. Eternel. Que l'on n'a rien à perdre.
Qu'est-ce qui nous retient soudain ?... Elle avait dit oui.
A quoi a-t-elle pensé ? Qu'est-ce qui lui a traversé l'esprit ?
Pouvait-elle espérer mieux ? Préférait-elle vraiment un autre possible ou sa solitude ?
Combien de fois ai-je dit non ? Pour quoi ?
La musique est enfin arrivée dans le couloir. Elle hurle le silence.
Je l'ai attendue sans l'attendre.
Et puis... Une scène extraordinaire ...
une performance à mes yeux... la danse dans le bar.
Déchirée entre l'envie de rire et de chialer. L'amertume qui perle dans un décor pourri.
Un devoir de fête qui oppresse quand on n'a pas le coeur à ça.
Je me suis rappelé combien Barcelone était capable de cruauté.

Au Festin de Babette j'enlève le froid et la pudeur, la maison dessinée par l'enfant,
avec ses deux yeux, plantée dans un paysage de glace, la pudeur des Gens de Dublin,
et les mythes nordiques, la terre des dieux, le désert du tarmac et les nuits de six mois.
Le taxi barbu aux yeux délavés chante sa berceuse, sa comptine, les yeux dans le vide.
Le toit vert au bout de la route. De l'humour encore. Presque naïf. L'aller et le retour.
Ramenez-moi à l'aéroport.
2 ans au Québec. 2 ans et demi. Ce n'est pas l'Islande. Une terre voisine. Un peuple voisin.
Où l'hiver entretient le culte de la solitude. De solitudes qui hurlent la solidarité.
Le froid hurle la chaleur. Comme ici. Le froid est incandescent. De la neige sur les braises.
Et le feu a pris, soudain, sur une réplique du chauffeur de taxi. Proche de la colère.
Ce merveilleux discours sur le référentiel. L'inaction est une action. Le silence est un bruit.
Le noir une couleur. Indeed. La vie et la mort ne font qu'une. Le rêve et la réalité.
L'immobilité est un mouvement.

Je me revois dans mes avions entre Paris et Montréal, rangeant les emballages du plateau-repas.
La serviette en papier, en boule dans le gobelet en plastique, lui-même calé entre les couverts alignés
et l'aluminium froissé du reste de poulet. Maniaque. Dépressif. Au bord de la tablette.
Tout ordonné comme les caleçons et les chaussettes dans les poches de bagages.
Des gestes précis pour lester le volatile, pour fixer l'insaisissable, arrêter le temps.
Garder le contrôle. Se donner du courage. Il y a cette odeur.
L'odeur impudique des intérieurs d'avions, aussi forte que celle des intérieurs de chaussures en cuir.
L'odeur des autres. Ou la sienne. Sans savoir laquelle nous dégoûte le plus.
Il y a une île qui concentre toutes ces odeurs...

Manhattan. Qui sent le caramel, la sueur et le pétrole.
Le barrissement des camions de pompiers.
Une ville de couloirs. Jamais la même.
On y retourne et tel building a été rasé, telle tour construite,
et Monsieur Wang a disparu.
10 millions d'habitants précise le cab driver
avec un accent tantôt arabe, tantôt haïtien, tantôt pakistanais...
Plus on est de fous, plus la solitude est palpable.
New York, la ville où tout est possible, au plus proche du centre de nous-mêmes,
l'endroit où nous sommes vivants, pour être plus seuls que jamais.
Le plus peuplé des déserts.
7 fois... J'y suis allé 7 fois. Seulement.
L'année dernière, j'y suis allé seul. Précisément.
Et je me suis vu hésiter à l'entrée du restaurant chinois.
Elle avait dit oui. Qu'est-ce qui nous pousse à dire non ?
De quoi avais-je peur ? Il me fallait bien manger. Même seul.
J'avais choisi cette situation. La liberté a un prix.
J'étais descendu à l'Hôtel Carter,
à trois rues de l'Hôtel Milford dont j'ai reconnu aussitôt l'enseigne lumineuse.
Un Hôtel de briques brunes, de la même époque, un building austère à gradins, des Années 40,
en équilibre entre la démence de Times Square et le grand vide obscur de la 8e Avenue.
J'ai reconnu le grand M sur le toit.
Une ville de couloirs.

Une douche à l'Hôtel Milford.
Dans les étages, peu de pression,
et l'impression que l'eau est sale.
Le calcaire, la pollution, la fureur de la ville...
Comment se laver avec une eau sale ?
Il faut fermer la fenêtre pour ne pas entendre la fureur de la ville.
Le bourdonnement permanent. Une insulte à notre solitude.
Une provocation incessante. L'appel du désir.
Et la voilà incarnée, la solitude. Presque maigre. Sublime.
Chemisier blanc dans les couloirs.
Ces couloirs aux moquettes épaisses qui sentent la poussière.
Les couleurs d'Edward Hopper laissent la place à Georges de La Tour.
La Madeleine à la Veilleuse. Un auguste profil dans un halo de lumière.
Les cheveux relevés sur la nuque comme dans l'imagerie flamande.
Comment résister à une femme qui parle de flash au magnésium ?
Sulfureuse. Elle sent la poudre. Le soufre. La foudre. Et autres coups bas.
Successions de plans sublimes de la chambre. Dont celui sur les rideaux crème.
Un nouveau profil grandiose de Johanna sur fond blanc immaculé.
Le cinéma hurle la photo. L'immobilité est un mouvement. Violent.
Violent comme le sexe. Violent comme la mort.
J'hésite. Ce que j'ai vu était peut-être une masturbation inspirée.
Alors, la dame ne fut qu'un fantasme. Le désir incarné.
A l'Hôtel Carter, aucune femme ne m'a attendu allongée sur le lit de ma chambre.
Elle prend le dessus. Nouvelle performance d'acteur. Le sexe.
Deux solitudes. Qui se cognent au carreau d'une même fenêtre. La fusion est impossible.
Nous sommes des cylindres d'acier. Pleins de vides.

Le taxi parcourt le damier nocturne de New York. 10 millions d'errances.
Un couple hollywoodien dans la lumière jaune. Un peu de vert à la David Lynch,
je t'en avais déjà parlé. Des feux de signalisation sur des rues désertes.
Qui passent au vert pour personne.
Plus encore qu'au Québec, le vide aux Etats-Unis devient vertigineux.
Et comme tous les gens qui ont le vertige, j'ai toujours été attiré par le vide.
Le désir rend malade. Le pire des poisons. Il faudrait être des cylindres.
Pas ces choses de chair et de sang qui transpirent la peur et le sperme.
C'est à vomir.
Heureusement, les habitudes reviennent nous sauver.
Retrouver le confort de ses chaussettes et caleçons à ranger.
Je ne me suis jamais senti autant en sécurité que dans un avion, un train,
ou un bus de nuit. Entre le départ et la destination, il n'y a plus qu'à se laisser porter.
Et je vis l'arrivée comme une agression.
Les couverts bien alignés... La symétrie hurle le désordre.
La fille de Barcelone a eu peur du désordre.
Comme j'ai eu peur du désir à New York. L'année dernière.
Préférant dire non à mon tour.
Pour se protéger de quoi ?
D'échanger une folie pour une autre ?

Dans la foule diurne (pas si indifférente... bien des passants s'inquiètent pour toi)
l'homme vacille, avec cette inclinaison qui rappelle la scène pénible
du face à face dans les toilettes. Presque insupportable d'intensité.
Imperceptiblement, la silhouette se penche, se voûte, s'affaisse.
Les profils se rapprochent. L'image semble fixe. Un superbe tableau.
Comme avec la mer au coucher du soleil : tout semble immobile.
Soudain, l'esprit se reprend, sursaute, réalisant que quelque chose a changé,
que le mouvement nous a échappé.
Il faut un moment pour comprendre, hypnotisés, engourdis, que l'homme pleure.
Il ne rit pas ? Non non. C'est bien ça. Il pleure.

Tout le monde a tenu des oreillers en équilibre sur sa tête.
Tout le monde a répété les mots d'une langue étrangère à voix haute.
Il suffit d'un Wang qui disparaît et tout bascule.
Tout le monde a besoin de répéter les mêmes gestes.
De remettre chaque chose à sa place. Maniaque. Dépressif.
L'intime hurle l'universel. Avec ces odeurs d'avion et de cirage.
Et qui pleure sur soi pleure sur la condition humaine.

Il faut absolument que je retourne à Manhattan.
En attendant... je vais me coucher.
Si Never Sleeps
moi, il faut que je dorme...

 

 

 

 

 

Philippe LATGER
Octobre 2008 à Paris 

 

 

 

Never Sleeps

 

 

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3 mai 2010 1 03 /05 /mai /2010 19:29

 

Passage express à Perpignan où vit ma soeur. Je rentre d'Espagne.
Micro-ondes de la plage avec des amis... et ma soeur m'appelle :
" Oui, expo machin, CharlElie, Centre du Monde,
voilà, New York, très bien... 17 h 00 ?...
- Euh... TGV Paris 17h37, un peu juste, ok... 17 h 00... Pas le choix."

Je cours dans le foutoir du quartier d'une gare qu'un Dali aurait sublimée en d'autres temps,
roulettes de mon bagage malmenées sur des trottoirs étroits et défoncés, en plein soleil,
jusqu'à la verrière d'une coopérative viticole transformée en galerie.
J'y retrouve la sister, radieuse. Qui me pousse à partir m'installer à Manhattan.
(J'ai le numéro spécial du Nouvel Obs' dans mon sac,
sous un volume de l'Histoire de New York de François Weil.)
C'était bien ça... un type à la barbichette malicieuse, Merlin l'Enchanteur, élégant,
qui n'en prend que pour les collectionner d'après un mémorable reportage télé,
avait planté un Empire State Building aux reflets de nacre, en plein bourbier perpignanais.
Je n'ai qu'un quart d'heure pour monter dans ce foutu TGV et rentrer à Paris. Nous sommes hier.
Mais nous ne sommes qu'à " Cent mètres du Centre du Monde "...
La jeune femme de la galerie, sophistiquée, à l'accent catalan, barcelonaise, de toute évidence,
me laisse entrer gratos... " Ne loupez pas votre train... "
Je refoule mon envie de lui rouler une pelle pleine de gratitude
et parcours le damier de Manhattan.
Des taches de rouge orangé sur un fond bleu me rappellent le Miro
qui me faisait marrer quand j'étais gosse, à la fondation, immaculée,
perchée sur le flanc de Montjuïc dominant le damier de Barcelone cette fois.
Barcelone... C'était mon New York à moi...
Je montre à ma nièce de 16 ans, la pagode improbable du Belvedere
répondant au campanile du Metropolitan Life.
" Ils construisent une tour au One Madison Park "...
Des condos... des condos... growing up...
Il y a longtemps que l'Enchanteur parle d'avions sans ailes.
On peut toujours couper... à New York, ça repousse...

Le train démarre. Je suis en nage. J'ai un peu couru.
Je vois défiler ces merdouilles de pavillons aux clôtures immondes,
qui s'étalent autour des villes au sud de Valence.
En zones inondables comme sous les lignes à haute tension. Impunément.
Les entrées d'agglomérations avec leurs ronds-points dégueulasses
et leurs centres commerciaux pathétiques.
La région est superbe. C'est chez moi... ça sent les cigales et les pins parasols.
Mais tout est cheap. J'ai envie de chialer.
Les petits barons locaux, mégalos, ont niqué le paysage.
Le mobilier urbain est à gerber. Il n'y a aucune cohérence.
Si ce n'est celle de la corruption.
Je revois le Crown Building
déstructuré par la façade de verre de son voisin... devenu cubiste.
La corruption à New York, au moins, a de l'allure.

La tour de condos sur Barclay est très laide, certes,
mais le Woolworth la rend acceptable.
La résille d'acier du nouveau Goldman Sachs n'annonce rien de nouveau,
une tour de verre sans intérêt, mais réveille un peu le cratère de Ground Zero.
On menace de détruire l'hôtel Pennsylvania, comme on a détruit le Drake,
pour construire de vulgaires glass boxes sans âme, mais par ailleurs,
Renzo Piano déroule les espaliers du New York Times pour des spidermen intrépides,
l'émeraude de l'ex Verizon sur Bryant Park
joue avec le gris perle du mastodonte de la Bank of America,
et Jean Nouvel au MOMA, comme Frank Gehry sur Spruce Street,
promettent de l'audace digne des Années 30.

" Artiste parmi les milliers d'artistes qui profitent des forces telluriques ",
l'Enchanteur est dans la place.
Ce que je l'envie... Ma soeur a raison. Il faut que je traverse.
Comme des millions d'émigrants avant nous.
Le trac au ventre. Rues perpendiculaires. Avenues parallèles. Tout est fulgurant.
On m'a confié les adaptations de deux titres du nouvel album de Ute Lemper.
New-Yorkaise avant d'être Allemande. Nue et enceinte dans un film de Robert Altman.
Elle chante au Carlyle. Elle m'envoie un e.mail. Me remercie. Me félicite.
Et je me vois déjà en train cloper au coin du Park, au pied du Plaza,
jetant un oeil méfiant à la flèche menaçante du Sherry-Netherland.
J'arrive à Paris avec les contrastes d'ombres et de lumières des canyons de la grande ville,
que Merlin sait si bien saisir, avec ses ambiances d'aubes ou de crépuscules ou d'après la pluie,
le sentiment d'être toujours entre deux états, entre deux mondes, entre deux chaises,
saisir le vide et la solitude, courant dans les rues de New York
comme dans The World, The Flesh and The Devil...
le temps s'est arrêté. Miracle.

Bon, il paraît que même à Spielberg on a dit non.
Au moins, non, c'est une réponse. Cash.
On ne perd pas de temps. On peut passer à la suite.
Pas facile d'obtenir un " non " à Paris.
Je jalouse le roman de Ray Loriga : L'Homme qui inventa Manhattan.
Et j'envoie mon Hôtel Carter à qui veut y descendre, y séjourner peut-être.
Mes errances entre Times Square et le Terminal des autobus. Entre Chelsea et Canal Street.
Faut-il que je revienne sur la rive d'où je suis déjà revenu ?
Merlin s'est donné les moyens. Au fond, il n'y a rien de magique là-dessous.
Il suffit de faire ce qu'on a à faire sans se poser de questions.
Alors, je te préviens... j'ai bien l'intention d'être l'un de ces artistes,
" parmi les milliers d'artistes qui profitent des forces telluriques... "
au diable les ronds-points et les géraniums du sud de la France.
Je veux voir l'après Bush et la construction de la Freedom Tower.
Parler espagnol et redécouvrir Harlem. La neige. La canicule.
Assister à la chute de Babylone qu'on nous promet en France depuis trente ans.
Les banquiers ne se jettent pas encore par les fenêtres
(probablement parce qu'ils n'y ont pas encore intérêt)
et les émigrants continuent d'affluer.

Alors... il est où ce Centre du Monde ?
A l'endroit précis où nous sommes. Sans doute.
Pour ma part, même à Perpignan (et ce, un peu à cause de toi)
je suis toujours à New York...

Merci.

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2008 à Paris 

 

 

 

CharlElie 

 

 

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22 avril 2010 4 22 /04 /avril /2010 15:47

 

 

Nicolas Doray, Eric Héliot, Alexis Nesme, Olivier Bouquet, Stéphane Bazire ou Bruno Marchand
avaient déjà mis en cases des chansons de Serge Gainsbourg. Un livre qu'on m'avait offert.
" Les Chansons de Gainsbourg en bandes dessinées "...
Je l'ai encore dans ma bibliothèque,
à côté du " Serge Gainsbourg, mort ou vices ", entretiens avec Bayon,
dont la couverture était un Gainsbourg en Saint Sébastien
(celui de Mantegna qu'adorait l'artiste) par Béatrice Turquand d'Auzay,
lui-même à côté de divers recueils de textes ou du fameux Evguénie Sokolov.
Le 2 mars 1991, je n'avais pas encore 18 ans, et me suis levé comme un ressort quand le radio-réveil
m'a annoncé la nouvelle du décès, bouleversé, séchant les cours pour enregistrer compulsivement
tous les hommages, les témoignages, toutes les compilations d'images et d'interviews,
avec le sentiment d'avoir perdu un grand-père idéal, un père spirituel, un proche, un modèle absolu.
Grand-père Gainsbarre s'adressait tendrement à ses " petits gars " et à ses " petites pisseuses ",
à ses " enfants de la chance " qu'il mettait en garde, et dont je faisais partie.
J'avais usé le double album du Casino de Paris et mon premier disque laser fut You're under arrest.
Un certain Sébastien Roch, assis sur les marches du Virgin des Champs Elysées, expliquait à Caroline
Tresca ce que représentait Gainsbourg pour sa génération. La mienne. Je l'ai maudit, je l'avoue.
Comme j'ai maudit tous ceux qui récupéraient le personnage ou l'ont récupéré depuis.
Je pense à Benjamin Biolay, à qui je dois bien reconnaître du talent,
mais à qui je reprochais amèrement de faire du sous-Gainsbourg plutôt que du Benjamin Biolay,
allant jusqu'à reproduire les tremblements et coups de tête, de profil, qui participaient à l'art maniériste
de fumer une cigarette une main dans la poche et l'air blasé.
Jouer du zippo. Je l'ai fait aussi. Dans des chemises en jean ouvertes.
Je n'ai jamais poussé le vice jusqu'à sortir pieds nus dans des Repetto blanches, mais j'ai aussi chaviré
aux cordes de Jean-Claude Vannier dans Melody Nelson, qui, à ma stupéfaction - et consternation -
devenait systématiquement l'album de référence de tous les musicos branchés du moment.
Décidément, être Gainsbourgeois pour les uns, ou Gainsbourien pour les autres, devenait vulgaire.
S'il était encore subversif de l'aduler de son vivant, il devenait ensuite commun de se réclamer de lui.
Prévisible et lassant en somme. Presque écoeurant.
J'ai eu cette même nausée en découvrant qu'on préparait un film sur la vie de l'artiste.
Vingt ans après, ce même pincement, et l'envie de claquer mon zippo sur la première taffe avec dédain.

Des dessinateurs de BD sur ce recueil qu'on m'avait offert, avec un paquet de Gitanes, bien sûr.
Je n'ai pas été surpris de découvrir que le réalisateur ne serait autre que Joann Sfar
(Donjon / Le Chat du Rabbin), né en 1971, deux ans avant moi,
qui avait dû aussi chavirer aux cordes de Vannier sur Melody Nelson,
applaudir au billet de 500 francs à 7 sur 7, à l'échange jubilatoire sur l'art mineur
avec Guy Béart chez Pivot, rire au " I want to fuck her " chez Drucker destiné à Whitney Houston,
comme à la baudruche phallique et pétomane d'un sulfureux Droit de Réponse de 82,
et maudire le jeune Sébastien Roch exprimant son chagrin sur les marches du Virgin Megastore.
Après le film sur Coluche, je ne pouvais pas m'étonner qu'on en prépare un sur Gainsbarre.
S'il y avait une chose que nous avions tardé à emprunter aux Américains, c'était bien cette aptitude
décomplexée à produire des films sur des personnages ou des évènements récents de l'Histoire.
Après Piaf, Coco Chanel ou Françoise Sagan, il aurait été injuste que mon idole n'ait pas sa fresque cinématographique. Cela m'a fait grincer des dents. Et j'ai failli à nouveau me draper dans mon rôle
de fan, qui comprenait forcément l'oeuvre et la démarche mieux que quiconque, quand les autres
n'étaient qu'un ramassis de charognards malhonnêtes ou d'imbéciles qui n'avaient rien compris.
Mais mon poing et son couteau vengeur sont restés figés en l'air, incapables de frapper
lorsque j'ai découvert la personne et l'oeuvre de Joann Sfar. Le fan décide de lui laisser une chance.
Mieux encore. Dans sa grande clémence, le fan ira même voir le film.
Il me faudra faire beaucoup d'efforts pour refouler mes convictions, réfréner mes préjugés,
faire une place à une vision de Gainsbourg différente de la mienne, mais je suis prêt à m'y essayer.
Quand je réalise l'ampleur de mon intransigeance, de mon intolérance de gardien du temple
autoproclamé, je comprends tout à coup l'angoisse de François-Xavier Demaison qui relevait
le challenge d'incarner un autre monstre sacré de l'époque. Exercice périlleux. Dangereux.
Et je prie pour le comédien qui incarnera sans doute prochainement le rôle de Michael Jackson.

12 mars 2009. Je suis au Palace pour applaudir Jane Birkin.
Cette salle qui fut pour moi, longtemps, celle du concert reggae de Gainsbourg,
avant de la découvrir de mes propres yeux lorsqu'elle était encore une boîte, à 17 ans.
J'ai découvert que c'était notre Studio 54. Décadent. Bien après Lola Rastaquouère.
Très ému donc, de redécouvrir ce théâtre magique où j'avais été initié aux plaisirs de la nuit,
pour écouter Jane chanter Gainsbourg, une fois encore,
et expliquer que c'est le fidèle Philippe Lerichomme qui fit cette suggestion d'inclure au spectacle
un des titres que son pygmalion avait chanté lui-même, trente ans plus tôt, sur ce même plateau.
" Pas long feu, pas long feu, pas long feu "...
Le puriste que je suis connaissait les paroles. Mais le public ne suivait pas. What ?...
M'étonnant du manque de réactions autour de moi, songeant avec effroi que les gens au balcon
ne semblaient pas savoir de quoi il s'agissait, de quoi l'on parlait, je me suis senti isolé, et,
ressortant aussitôt ma vieille toge de vestale, j'ai dû penser à nouveau que, décidément,
les gens ne comprenaient rien à rien.
On se calme. Gainsbourg ne m'appartient pas.
Pas plus que Barcelone ou l'Amérique. Ou bien, je dois apprendre à partager.
A accepter que l'on puisse y voir autre chose. Pire encore, que l'on ne s'y intéresse pas. Ou plus.
Libre à moi de vous parler de mon Gainsbourg. Libre à Joann Sfar de nous parler du sien.
Il n'y a pas de vérité historique. Il n'y a que des points de vue.
Et autant de points de vue que de témoins. Tous utiles. Tous précieux.
Joann Sfar a le droit d'avoir été inspiré. Son travail ne saurait être illégitime.
En découvrant une interview filmée pour Le Figaro, je réalise qu'il y a un homme,
passionné par son sujet, qui a le mérite d'avoir fait quelque chose, mené à bien un projet,
et qu'on ne peut critiquer un film qu'on n'a pas encore vu.

Après Sylvie Testud ou François-Xavier Demaison,
Eric Elmosnino se frotte à cet exercice impitoyable.
Incarner des gens qui ont réellement existé est déjà une foutue responsabilité.
Casse-gueule lorsqu'il s'agit de surcroît d'icônes ou de figures populaires.
Le fan hystérique que je suis a identifié la part de jalousie, de snobisme et de mégalomanie,
tout un comportement irrationnel, et, penaud, a rangé sagement son couteau.
Songeant que ceux qui ont connu, réellement ou supposément l'intéressé,
puisqu'il en reste beaucoup, viendront immanquablement porter des coups bien plus terribles.
J'ai pardonné à Benjamin Biolay, d'autant plus volontiers qu'il a su devenir lui-même,
à Sébastien Roch d'avoir parlé de Gainsbourg à la télévision à ma place,
comme j'ai pardonné au public de Jane Birkin de ne pas connaître ses classiques.
Et j'irai voir cette " vie héroïque " au cinéma. Quitte à me bourrer la gueule en sortant.
Pour fêter des retrouvailles et me pardonner d'avoir vieilli.
Ou de n'avoir rien fait.

 

 

 



Philippe LATGER
Juillet 2009 à Paris

 

 

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