Dans le tourbillon de sa robe mouchetée, aérienne,
elle se cambre avec orgueil, fierté méditerranéenne,
arquant ses bras pour des banderilles invisibles,
hérissés de doigts rouges sang, appels imprévisibles.
Ses talons martelant le sol, dans une démence maîtrisée,
parade érotique pour enivrer l'étalon méprisé
qu'elle attire dans un sourire arrogant, pour mieux le repousser,
l'épouser un instant puis lui tourner le dos, les lèvres retroussées.
Sous la noirceur d'un chignon, grimace du désir, de la douleur,
le visage se tord de désespoir, invoque le malheur.
Le corps écorché se raidit, s'étire et se contorsionne
avec la souplesse du chat, la noblesse de la lionne,
tigresse enragée, bête fauve possédée, envoûtée,
ensorcelant les prétendants désarmés, fiévreux mais déroutés.
Un grand châle noir endeuillé tournoyant sur ses épaules nues,
enveloppe sa chair brûlante, ses gestes enflammés, puis contenus.
Elle esquisse une estocade, s'offre enfin dans un élan tragique,
tord ses poignets et se déploie dans une grâce tauromachique.
Sorcellerie sulfureuse, célébration du sang, culte païen,
le désir bouillonne, la raison s'égare et la Mort revient.
Son oeil noir est assassin, sa bouche écarlate jalouse.
Créature gitane, maure, indienne ou andalouse,
déesse sous son peigne ou ses fleurs d'oranger, insolente,
ses talons crépitent, tour à tour hystérique et indolente.
Elle se dissimule derrière un éventail imaginaire,
redresse la tête et tend ses bras vers le soleil qu'elle vénère,
puis vers le mâle qu'elle attend, dans sa chaleur grenadine,
cet hidalgo élancé mais à la puissance taurine.
Claquement de mains, de guitares, qui vient fouetter le sang,
excite les sens des amants déchirés, en un jeu menaçant.
Elle s'abandonne puis résiste ; on se craint, on se toise,
on s'ignore avec dédain, pourtant, les regards se croisent.
On danse sur des braises, on s'aime dans la poussière.
La passion sera brûlée vive, comme une sorcière !
De ces ébats stériles, seul le désespoir sortira vainqueur.
Elle torture son amant pour qu'il lui arrache le coeur.
Philippe LATGER 1998
Publié dans le Damier # 2 ( Editions Feel ) 2001