Des coquilles d'oeufs cassés.
Tu marches sur la pointe des pieds dans ce désordre.
Les bras ouverts, arqués, comme l'albatros prêt au décollage.
Tu évites les pièges, écartes un obstacle du bout de ta chaussure.
Entre les nichoirs à cigognes de Càceres, les chapiteaux de Cordoue,
les couteaux de Tolède, et les braises de la St Jean, les flammèches,
l'explosion nucléaire du soleil sur ta bouche... tu avances. Pas à pas.
Des ronces poussent à tes épaules, se déploient en sinuosités torturées,
couvertes d'épines, comme le barbelé tenant le danger à distance.
Tes doigts sont autant de lames tranchantes, à tes poignets noueux.
Circonvolutions vertigineuses : Shiva ouvre l'éventail de ses membres,
la roue du paon vaniteux, la fleur carnivore qui attire sa proie, tête haute,
l'éclosion solaire et l'espace à ton pecho, comme un vide à combler,
tu es prête à broyer tous les coeurs imprudents.
Tu écrases les coquilles, fait crisser le gravier d'un tapis d'après-guerre,
à pas lents, et craquer le bois d'un parquet bon à faire du feu.
Il y a des femmes O. Toi, tu es fière d'être S. Le S de ton dos.
Lorsque cambrée, tu griffes le plafond de la stratosphère.
Cherchant un passage, la sortie, manquant d'air, claustrophobe.
La femme O doit être fécondée. Elle attend. Le serpent la convoite.
Le S sur le sable. La sueur. Le sang. Le sperme ou la semence.
Eso es. Tu détestes l'eau de l'O. Tu préfères les flammes. Et la suie.
Ou alors l'eau de pluie qui annonce l'orage. Prête à défier les cieux.
La traîne à tes pieds a balayé les cendres. S'enroule autour de toi.
Et dans le déhanché, tu as dégagé la voie où tes talons s'aventurent.
C'est le chemin du diable. Celui que tu suis sans scrupules.
Tu es jalouse ou blessée, tu méprises les O, et aimes ta détresse.
Tu la vends aux démons, tu l'offres à ton bourreau, et les poings sur ton ventre,
comme ovaires externes, voûtée sur le sabre invisible de ton hara-kiri sanguin,
le suicide est permis quand on n'a rien à perdre.
Comme un homme, son égal, toi qui n'es pas des O, tu vas à sa manière,
chercher l'acier du couteau, le canif au contrat, et le coup de cymbale,
serpentant jusqu'à lui, prête à tendre le fruit, prête à la damnation.
Il n'y a rien à sauver, si ton âme est déchue. Et tu conspues les dieux.
Un pied dans chaque monde.
Les cordes à tes chevilles, le luthier tend son arc.
Tendues à tes artères, les flèches à décocher.
Le sultan sans le sou est le coeur de la cible.
A son regard de braise, à son ombre sensible, tu t'enroules à sa jambe
sans jamais le toucher, évitant les jets d'eau comme autant de grenades,
le regardes de haut pour mieux l'envelopper.
Tu le pensais captif mais l'animal se dérobe. Il sombre ou s'évapore.
Et tu fouilles les vagues, en un crawl immobile, hystérique, loin de ton élément.
Que l'eau devienne terre, et sa cache sa tombe !
Qu'il se noie sous tes pieds. Qu'il meure à la seconde.
Le deuil n'a pas de fin. Possession éternelle.
L'un des deux doit mourir. Ou les deux à la fois.
Encorné au rincon, quadrature du cercle, le corps est traîné tout autour de l'arène.
L'assassin est debout, acclamé par la foule, écumant, hébété, sur ses quatre sabots.
Il gratte le sol. Prêt à charger. Et passe sous des muletas imaginaires.
Tu te redresses, comme sortant de l'eau, revenant chercher l'air à la surface.
Etirant le cou, renversant le menton, les épaules, joignant les omoplates,
entre lesquelles aucune lame n'a pu être enfoncée, tu te retrouves seule...
le marin a sombré, le désir inhibé, au milieu du désastre, au milieu du massacre.
Tu as fait trembler la terre à tes talons. L'étincelle aux ergots. L'éperon électrique.
Pour l'ultime combat - le coq est égorgé, le cheval éventré - et le diable jubile.
Ton amour poignardé. C'est un double suicide. Et la raison fulmine.
A notre cuir fumant, pris aux sombres volutes. Eso es.
Tu te débats dans ta robe écharpée, prisonnière à jamais,
aux confins des deux mondes
et dans ta solitude.
S.O.S
Philippe LATGER
Juillet 2010 à Perpignan