Malgré la Batmobile autour de laquelle étaient installés candidats et journalistes,
à cette table de chauve-souris en manque de super-héros,
rien d'épique ni de flamboyant, ni dans la forme ni dans le fond, en presque trois heures de débat.
La seule surprise peut-être tient à la pugnacité de François Hollande qui a bien tenu,
face à un président sortant qui n'a retrouvé son énergie habituelle que tardivement,
sur le volet concernant l'immigration et les frontières, comme on pouvait s'y attendre.
Aucune phrase digne de rentrer dans l'Histoire de la Présidentielle,
aucune saillie, aucune de ces reparties qui pouvaient couper le souffle et changer la donne.
Malgré cet espoir toujours présent bien que honteux de voir l'un d'eux envoyé au tapis,
un vieux truc archaïque que l'on retrouve autour des combats depuis ceux des gladiateurs,
et qui, je le confesse, m'a tenu jusqu'au bout du programme en me disant qu'il allait forcément,
à un moment donné, d'autant plus avec de telles personnalités, se passer quelque chose,
j'ai dû lutter moi-même pour suivre un échange de gestionnaires, extrêmement comptables,
se renvoyant des chiffres et des responsabilités, sans ouvrir la moindre perspective
ni proposer dans l'absolu aucun modèle de société.
Ces messieurs ont devisé sur la bonne gouvernance d'un même système.
Avec les divergences marginales sur des points de TVA et nombre d'immigrés légaux,
résumant l'Europe à un traité qui ne dit rien à la population,
se contentant de servir le bon vieux clivage droite/gauche attendu,
qui propose le même choix prétendu idéologique depuis 1974.
Au-delà des portes virilement enfoncées, bien que toutes grandes ouvertes,
des discours enflammés des meetings pour exalter des foules gagnées d'avance,
où l'on martèle des idées neuves comme celles de la justice ou du mérite,
où l'on explique avec brio que celui qui travaille devrait gagner plus que celui qui ne travaille pas,
ou, avec tout autant de verve, qu'il vaut mieux avoir de bons services publics que de mauvais,
qu'en effet nier les libertés et les différences est aussi injuste que piétiner l'égalité des chances,
que la pluie mouille, que le vent souffle, et que l'on est toujours pris, depuis l'aube de l'humanité,
collectivement comme individuellement, entre l'intérêt général et l'intérêt particulier,
j'avais l'innocence d'attendre peut-être les pistes originales d'un nouveau paradigme.
Un peu contrarié de m'être laissé prendre à la fièvre collective comme au teasing des médias,
toujours prompts à gonfler des évènements pour assurer leurs audiences
à grands coups de bandes-annonces dignes de blockbusters américains,
où l'on promet de l'action, du suspens, et parfois même du sexe,
lorsque la campagne, depuis un an, avait bien donné le ton du conservatisme le plus paresseux,
je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même, et j'ai éteint le téléviseur avec un sentiment d'amertume.
Celui que je partage finalement avec les 18% de Français qui ont voté pour Marine Le Pen.
C'est à dire le constat selon lequel le système se protège
en ne concédant qu'un simulacre de démocratie.
Sentiment partagé à vrai dire, par tous ceux qui se reconnaissent dans d'autres courants politiques
que ceux incarnés par les deux grands partis de gouvernement qui concentrent tous les financements.
Une fois que j'ai, à mon tour, enfoncé une porte ouverte, je me retrouve à nouveau face au dilemme
du citoyen à qui l'on fait ce chantage affectif du droit de vote, lorsque tant d'individus ne l'ont pas,
et que l'on nous rappelle les luttes qui nous ont permises de l'acquérir pour bien nous culpabiliser,
mais qui est conscient aussi que ce vote n'est là que pour cautionner ce système et le perpétuer,
signer un chèque en blanc à des équipes qui leur assure la tranquillité d'un mandat à l'autre.
L'Histoire récente peut nous convaincre aisément que l'alternance n'a d'effets que dans la marge,
dont certains peuvent être appréciables sans doute, lorsque le clivage affiché tambour battant
est un jeu de rôle devenu folklorique, dont on a vu le masque tomber à celui de la cohabitation.
Que ces messieurs aient la décence de ne pas nous prendre pour de parfaits imbéciles,
en gonflant les biceps, montrant les crocs et s'invectivant sans cesse, lorsque nous savons bien
que tous ces petits camarades de promo vont dîner ensuite ensemble, journalistes compris,
et se répartir des postes comme des circonscriptions.
Pourquoi attendre un combat de gladiateurs lorsqu'on sait qu'il s'agit plutôt de catch ?
Si les prouesses sportives et athlétiques sont bien réelles, l'affrontement est factice,
et, c'est bien ce qui est fascinant dans le catch, le public joue sa partition avec autant de brio,
faisant consciemment semblant de croire que l'affrontement est réel,
lorsque l'effet de foule finit par le convaincre qu'il craint vraiment pour l'intégrité de son héros.
C'est le conditionnement de masse qui permet à ce système de s'assurer de beaux jours.
Malgré les échecs et les erreurs, qui ne doivent pas cependant balayer les succès, et malgré tout,
des réussites notoires et profitables, nous sommes tenus dans l'impossibilité du changement,
invoqué systématiquement à chaque échéance, y compris par les équipes sortantes.
Lorsqu'on ne change que de personnes, ce qui est sans doute déjà quelque chose,
sans changer de paradigme quand ces dernières sont toutes formatées aux mêmes certitudes,
formées aux mêmes écoles, issues des mêmes milieux socio-professionnels et culturels.
Ainsi, il était touchant de voir ce qui était au fond le véritable enjeu du débat.
Rappeler autant que possible qu'il y a une différence entre la gauche et la droite.
Les deux hommes pourtant appartiennent aux courants réformateurs de chaque camp,
tenants du Oui au référendum sur la Constitution, dont Bayrou aurait pu être le président.
Puisqu'il y a moins de différences philosophiques et idéologiques entre eux,
qu'entre Hollande et Mélenchon d'un côté, ou qu'entre Sarkozy et Le Pen de l'autre.
Et c'était bien l'ambition du MoDem que de réunir les réformateurs des deux côtés,
dans une même majorité, écologistes compris, pour notamment changer d'institutions.
Ici, l'exercice tient à maintenir le statu quo, l'équilibre bétonné assurant quelques privilèges,
à ceux qui exercent la profession politique dans sa dimension strictement carriériste.
L'un comme l'autre, hier soir, a souligné, formellement, fermement, toutes les lignes de fracture :
" voilà ce qui nous sépare ", " ce qui nous différencie ", il y a bien la droite et la gauche,
comme s'il fallait s'en convaincre soi-même, quand il faut convaincre ceux qui, depuis longtemps,
savent bien qu'ils mèneront l'un et l'autre la même politique au service des mêmes intérêts.
Pour le fédéralisme que je défends dès que m'en vient l'opportunité, et je saisis celle-ci,
on peut comprendre qu'aucun de nos princes ne poussent à la construction européenne
dans ce sens qui est pourtant le seul possible, puisqu'en fait de transfert de souveraineté nationale,
il s'agit pour eux de ne rien lâcher de leurs pouvoirs à un exécutif complémentaire.
Et si l'on peut remercier Sarkozy d'avoir affaibli la Commission de Bruxelles,
au profit des chefs de gouvernements qui eux, ont au moins la légitimité des suffrages
dans leurs pays respectifs, on comprend bien qu'il n'est pas question de perdre de l'influence
au profit d'un exécutif européen élu au suffrage direct, qui bousculerait bien des habitudes.
Pour le meilleur (la gestion des affaires courantes) comme pour le pire (la corruption généralisée),
le système est parfaitement cadenacé, avec l'appui assumé des médias et faiseurs d'opinion.
Depuis l'Elysée sans doute, vers le haut - avec une Union Européenne parfaitement kafkaïenne -
comme vers le bas, avec une décentralisation illisible, où personne ne sait qui paie quoi.
Ainsi, au bras de fer outré de nos deux candidats, mon coeur balance. Pas entre eux.
Mais entre aller voter et m'abstenir.
Diluées les idées fortes de Montebourg ou de Manuel Valls.
Diluées les exigences républicaines de Villepin ou de Borloo.
Dans ce grand gloubi-boulga de ce que les cadres du FN appellent habilement l'UMPS.
Nous voici avec deux synthèses tiraillées par leurs contradictions internes, et symétriques,
quand l'une comme l'autre doit faire le grand écart idéologique que l'on dénonce sans cesse,
que l'on moque souvent, mais que l'on valide systématiquement à chaque élection.
Pour ma part, j'attendais de voir et d'entendre. D'avoir un coup de foudre soudain.
Soit pour un programme. Une idée neuve. Soit pour une personnalité. Un tempérament.
Déception prévisible. Quand j'aurais pu écrire d'avance les arguments et les ripostes.
Du réchauffé. Bien tiède à vrai dire malgré les efforts pour entretenir une tension de forme.
Contrairement à ce que pensent les gens, et dont je peux comprendre qu'ils n'attendent
que des gestes factuels, concrets, de variations de taxes ou de rémunérations,
ayant une incidence directe sur leur quotidien, le cadre des institutions est essentiel.
Et à mon avis primordial. Ce n'est pas un machin de juristes ou de journalistes.
De la branlette de constitutionnalistes en soif de virtuosité technique.
Il s'agit de démocratie au sens propre. Savoir qui prend l'argent et qui le distribue.
Avant-même de savoir à qui on le prend et à qui on le distribue.
Pour cette question, il s'agit de politique pure, et il y a des candidats, comme hier soir,
qui vous feront à loisir tout le catalogue des prélèvements et des subventions.
La question préalable est celle des institutions, à tous les niveaux, du local au national,
en passant par la région, qui est la seule pouvant répondre à nos besoins de justice.
C'est dans les failles de ces cadres que la corruption s'installe et prolifère.
Et cette chaîne parallèle peut prospérer sans crainte dans le duo qui nous est imposé.
Aucun des deux n'a proposé un nouveau régime. Personne n'a préconisé un changement.
Ni de République. Ni d'institutions européennes. Alors... Rendez-vous dans cinq ans ?
Quel que soit le gagnant je nous souhaite bon courage, bonne chance et bien des succès.
J'ai encore trois jours pour décider si je mets un bulletin Hollande dans l'urne,
ou si je n'en mets aucun.
Philippe LATGER
Mai 2012 à Perpignan