Dans le colimaçon menant à la tourelle, je marche pour en affronter l'escalier
cramponné à la rampe pour me hisser jusqu'au gland où l'on devient vigie.
Le Castillet transperce une brume de bruine qui veut aniser les lumières.
Je découvre le Palais inquiétant sur sa butte et sa chapelle haute,
je devine la silhouette sobre du clocher carré de l'église La Réal,
et éclairée, plus loin, la brique de celui de St-Jacques qui veut défier la nuit.
Mon campanile enfin, que l'on croirait tout près, quand je vois mon platane,
imposant sa verdure à cet amas de toits au halo de lueurs indiquant une place.
C'est la mer, non le ciel, qui postillonne ici son crachin de novembre aux portes de l'été.
Un nuage poisseux de mouettes et fausse pluie, qui nappe de brouillard la skyline de ma ville.
C'est un smog d'océan, d'un bleu gris doux de cendres, de sable saharien tenté par le orange,
d'une eau qui hésite à pleuvoir, flottant sur nos collines avec l'opacité étrange d'un agua lemon.
Au mât du navire mauresque, ventru, crénelé, j'avais cette émotion assez inattendue
du parisien concédant aux amis provinciaux l'ascension si longtemps méprisée de la tour Eiffel.
Voilà bien des lieux devant lesquels nous passons tous les jours et font partie des meubles.
Que l'on ne voit plus. Pour lesquels la curiosité ne se réveille plus qu'au regard des touristes.
Et l'opportunité de les découvrir ravit finalement autant l'étranger que le guide.
Je scrute l'horizon depuis ma tour de gué et j'invente tout ce qu'il dissimule.
Ce n'est pas le clocher de Collioure, mais la tourelle en a l'aspect phallique.
Elle domine une terrasse où l'on aimerait organiser quelques fêtes privées.
Une dernière caresse à cette mer de tuiles chaotique avant de m'engouffrer
dans le colimaçon médiéval me ramenant sur le plancher des vaches.
Pour la Nuit des Musées, les Beaux-Arts ouvrent leurs portes.
L'occasion d'ausculter tendrement une jeunesse qui ne s'offre qu'ici.
Bouillonnante et fiévreuse, soucieuse d'exister, de paraître, comme de s'exposer,
elle grouille sur la passerelle à l'étage, protégée de la rue à hauteur de feuillages,
fumant et buvant à la lumière d'une projection sur un mur de façade.
Les embruns nocturnes ajoutent à l'étrangeté du lieu et des looks improbables.
Les filles affichent des maquillages d'une grande sophistication. Désirables et désirées.
Les garçons affichent des maquillages similaires pour ceux qui aiment l'ambiguïté.
Je traîne ma barbe de vieux pervers au milieu des installations attendues,
sans me sentir loup dans la bergerie pour avoir dix-neuf ans et me penser comme eux.
L'art contemporain a ses codes. Les mêmes à New York, Paris, Barcelone, Montréal.
Quand je retrouve les tics de plasticiens, les tocs de vidéastes, ici à Perpignan.
Manquait une performance. Musicale. Chorégraphique. Pornographique.
Quand ces enfants bien sages ne m'ont pas attendu pour se dévergonder.
Mon sourire satisfait hurle à qui veut l'entendre que je les encourage à tout déstructurer,
repousser les limites, inventer, dénoncer, singer les interdits ou bien les transgresser.
Tout cela est ludique. Tant pis pour ceux qui se prennent au sérieux.
Ceux-là, je le crains, seront condamnés à être malheureux.
J'aime ces gosses. Leurs postures et leurs tourments mis en scène.
La théâtralisation de leur condition. Et la réalité de leurs voies d'excommunication.
Ce chemin difficile et nécessaire dont la société voudrait faire abstraction.
Le coeur léger comme la brume, je me glisse dans l'envolée ample de l'escalier
qui me dépose à La Source, ce café amputé de son arbre, au coin de St-Mathieu.
Au bras d'une soeur aussi enthousiaste que moi au spectacle de cette relève prometteuse.
Nous dérivons jusqu'à la Place Arago où l'ambiance est soudainement bien classique.
Des couples sont venus dîner au Café de la Paix ou au Vienne, malgré le mauvais temps.
Je vais retourner à la place devinée au pied du campanile depuis le Castillet.
Au pied de mon platane téméraire qui se dresse contre Dieu et son marbre arrogant.
Celui de ma cathédrale d'amour et de sexe, d'allégresse et de fièvres, de rendez-vous galants.
Le nid de mon histoire. L'écrin de mon idylle. Le coffre à jouets de l'auteur hystérique.
Amoureux comme un fou du chaos de sa ville. De l'amour de sa vie.
Quand les deux se confondent au crachin incendiaire d'un brumisateur d'octobre.
Je me perds dans le temps. Lorsque j'ai dix-neuf ans. J'étudie à la fac. Aux Beaux-Arts.
C'est la rentrée scolaire. C'est l'automne. Au café de La Bourse. Je ne te connais pas.
Trop jeune sans doute pour tomber amoureux. Quand je ne pouvais l'être que de toi.
Je fais le con à Paris. Prends l'avion et m'éloigne. Je reviens. Je repars. Ne suis jamais parti.
Et me voilà chez nous. A tes fesses admirables comme à tes merveilleux genoux.
Dans tes bras voluptueux où je pourrais dormir. Respirant à ton cou.
La confusion n'est pas celle des genres ni même des sentiments. C'est celle des saisons.
Quand je sais qui je suis et ce que je ressens. Que je suis bienheureux de me foutre du temps.
Le climat de Biarritz, Cap Breton ou d'Hendaye. Perpignan-Bilbao. L'océan à mes pieds.
J'ai passé la seconde de vingt ans à te trouver enfin au coeur du labyrinthe.
Dans ce laboratoire où je tiens la formule de l'amour impossible devenu immortel.
Je le consomme au-dessus de l'écume, des tempêtes contenues dans le creux d'un verre d'eau.
Quand je tiens dans ma main prête à l'écrabouiller la peur d'être trahi ou d'être abandonné.
Le brouillard est complice. Un voilage aux fenêtres.
Une buée compacte pour nous soustraire au monde.
Qui nappe le miroir où je t'écris un mot.
Et Perpignan entière qui peut bien disparaître.
Philippe LATGER
Mai 2012 à Perpignan