Le casque est mal attaché, un poil trop grand, me gêne. N'arrête pas de bouger.
Je suis des gars habillés comme moi. Dans un couloir éclairé d'ampoules nues.
D'ailleurs, elles bougent au plafond. Dans une épaisse bruine de gravats.
Une déflagration très proche. Qui a fait trembler le sol. On commande d'avancer.
Et j'avance, les poings en l'air, comme si je cherchais à boxer quelqu'un devant moi.
Je porte des gants, mais pas de boxe. Le nez et les arcades sourcilières écrasés par des lunettes.
Les lunettes écrasées par le viseur de mon Mk. 18 Mod 0. Plus de trois kilos. Chargé.
Je transpire de la tête. Nous arrivons par un escalier de service dans un hall manifestement désert.
Nous nous séparons. La colonne se divise. Comme dans la chorégraphie d'une comédie musicale.
Nous nous postons derrière des piliers. Nous nous couvrons les uns les autres.
Il y a des tirs hors de l'immeuble. Aux grandes surfaces vitrées. Nous devons monter dans les étages.
Je ne sais pas très bien comment j'ai traversé cette zone à découvert mais visiblement sécurisée.
Je suis déjà dans une cage d'escalier, canon pointé vers le toit, répétant des gestes automatiques.
Ceci n'est pas un exercice. J'ai chaud. Et ce putain de casque m'emmerde.
Nous ne sommes pas à Virginia Beach. Où j'ai bien l'intention d'être rentré bientôt.
Bon, je me suis fait buter tout de suite.
Et je ne sers pas dans les forces spéciales de l'US Navy.
Ces jeux vidéos me dépriment. Bien que fascinants.
Le réalisme du graphisme est à couper le souffle.
Les joueurs encore dans la course continuent de tirer sur tout ce qui bouge.
Nous sommes loin de la console Videopac de mon enfance. Et j'ai le coeur qui bat.
Non. Moi, je suis interné dans un hôpital. Pour avoir mangé le chien de la voisine. Encore vivant.
Et je tue le temps comme je peux avec des compagnons d'infortune. Nous n'avons pas droit à la télé.
Comme si connaître l'actualité pouvait nous donner des idées. Alors que les jeux de guerre, bien sûr.
Le moyen idéal de décharger l'énergie qu'il nous reste quand nous ne sommes pas shootés.
Exorciser le mal. Nous libérer de nos pulsions criminelles. De toute agressivité.
Jacques vient de se faire buter à son tour. Dans le jeu. Mais voilà qu'il nous fait une crise.
Deux gaillards viennent l'emporter pour ne pas contaminer le groupe. D'ailleurs, c'est fini.
Cet incident a sonné la fin de la récréation. Et nous allons devoir regagner nos chambres.
Comme je m'arrête un instant pour voir ce qu'il y a au menu ce soir, Patrick veut faire de l'humour.
" Hey, tu regardes s'il y a du chien à dîner ?... " Je réponds d'un majeur dressé dans sa direction.
" Prends garde qu'il ne te bouffe pas la chatte pendant ton sommeil. " Je lève un sourcil.
C'est Boris. Il est avec moi. Il menace et exagère ma capacité de violence pour me protéger.
Intimider ceux qui me cherchent. Il m'adresse juste un regard pour vérifier mon adhésion.
Le regard que je lui retourne dit sobrement merci. Et me voilà dans les 3m2 de ma cellule.
La fenêtre est trop haute. Je ne peux voir l'extérieur qu'avec un pied sur le bord du sommier.
Ce soir, il y a du poisson.
Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan