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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 02:28

 

 

Faut-il qu'au mal qui est fait aux victimes, s'ajoute le poids de la culpabilité.
Faut-il qu'au mal qui leur a été fait, s'ajoute le tourment de la justice ou celui du pardon.
Le pardon n'est utile qu'à celui qui le demande.
Pardonner fait une belle jambe aux victimes, dont le quotidien sortira inchangé.
Quand être pardonné peut devenir vital. Il faut croire. Pour ceux à qui il reste une conscience.

La Justice ne peut pas rendre un enfant assassiné à ses parents.
Ne peut pas rendre l'époux décédé sur la route par la faute d'un chauffard.
Ne peut pas rendre une soeur déportée et gazée dans un Camp de la Mort.
Ne peut pas rendre l'innocence à l'adolescent qui a été violé.
Le mal ayant été fait, trop tard pour les victimes, la Justice est là pour protéger le reste de la société.
Protéger la communauté du violeur, des Nazis, des chauffards ou du pédophile.
Elle est là pour mettre le criminel hors d'état de nuire. L'interner. L'incarcérer. L'exécuter.
Quand il y a bien des façons d'empêcher un coupable de récidiver, d'être un danger pour autrui.
C'est la fonction première du Droit. Permettre l'ordre. Définir où commence le crime et le délit.
Au-delà de toute conviction morale ou religieuse. Le consensus d'une société. Perfectible.
Non pas sur les limites du Bien et du Mal. Mais de ce qui est légal et de ce qui ne l'est pas.
De ce qui est délictueux et de ce qui est criminel. La grille élémentaire du contrat social.
Et la première urgence pour les tribunaux est d'avoir moins d'innocents dans les prisons
que de coupables en liberté, quand il s'agit d'assurer au mieux la sécurité de la population.
La Justice a aussi fonction d'exemple. Et un rôle évident de dissuasion.
S'il est trop tard pour empêcher le drame que l'on juge, il est encore temps de communiquer,
de faire de la pédagogie, de prévenir, d'informer, de débattre, témoigner, éveiller les consciences.
Oui, un homme est capable de violer une femme. Capable de violer sa propre fille.
Oui, une mère est capable de mettre ses nouveau-nés dans un congélateur.
Non, Adolf Hitler n'est pas le Diable. Et je m'insurge contre cette image ambiguë.
Un homme, et c'est une leçon de l'Histoire, a été capable d'envoyer des populations entières à la mort
- ce qui en soi, défiait déjà l'entendement, même si ce n'était pas une première - et les exterminait
non pas pour les punir de ce qu'elles avaient pu faire mais pour les punir de ce qu'elles étaient.
Le pire outrage. Le pire blasphème. Niant à des humains tout déterminisme et toute rédemption.
Et derrière cet homme, ce sont des milliers, des centaines de milliers d'hommes qui ont suivi.
Qui ont participé. Qui ont contribué. A cette abomination collective.
Adolf Hitler n'était pas le Diable. En revanche, il lui a donné une leçon.
Je trouve dangereux et malsain qu'on veuille lui attribuer une force paranormale.
Il était un être humain, probablement aimable pour avoir été aimé par les siens,
quand il a été un petit garçon, a grandi, avec ses espoirs, ses joies et ses frustrations,
et a, en effet, été capable et coupable de ce que l'on sait.
Rien de plus humain que la barbarie et la monstruosité.

J'aurais pu rencontrer Adolf Hitler et lui trouver du charme. Être séduit. J'aurais pu.
J'aurais pu, ignorant les déportations et les crimes de masse, la doctrine de son parti,
rencontrer un homme sympathique, un peu nerveux peut-être, mais touchant.
Me lier d'amitié avec lui. J'aurais pu, en parlant, être horrifié par ses points de vue.
Découvrir son idéologie. Et, autour d'un cognac, j'aurais pu tenter de comprendre.
Comprendre sa logique. Ses motivations. Comprendre d'où pouvait venir sa colère.
J'aurais pu, en le connaissant, lui trouver des circonstances atténuantes.
J'aurais pu être son ami d'enfance. Avoir été témoin de ses blessures et de ses traumatismes.
Et j'aurais été déchiré mortellement de découvrir le monstre qui avait sommeillé en lui.
De n'avoir pu rien faire pour l'empêcher d'apparaître, de prendre le contrôle, et faire le mal.
Alors oui. La Justice n'est pas là uniquement pour dissuader les criminels.
Expliquer aux violeurs, aux dictateurs, aux pédophiles ou aux chauffards,
que la société les traquera et les punira, fermement, à la hauteur de leurs forfaits.
Elle est là aussi pour nous dire à tous que votre voisine, en effet, qui était une dame adorable,
bien comme il faut, était capable, à la sortie de la messe ou après le thé, de dévorer son époux.
Elle est là pour dire que ce monsieur très distingué, une fois bourré, cognait sur son épouse.
Pas pour nous rendre paranoïaques, mais rappeler que l'inhumain n'est pas ailleurs qu'en nous-mêmes.
Que l'inhumanité est le propre de l'Homme. Capable des pires atrocités et des pires folies meurtrières.
Cette bête, pour qui ose y réfléchir, nous l'avons tous tapie quelque part au fond de nous.
Et c'est parce que nous en avons l'intuition, un brin effarés, que nous sommes capables de compassion.
Le drame n'est pas que celui des martyrs. Il est en premier lieu celui de l'assassin ou du violeur.
Si j'osais, je dirais que les victimes, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment,
subissent dans leur chair des dégâts collatéraux - aux conséquences plus terribles, avec outre le mal,
l'insupportable sentiment d'injustice - quand le premier drame est celui du passage à l'acte.
Pour celui qui le commet. C'est la première vie détruite par cette folie réveillée et échappée.
La première victime. Et la compassion, bien qu'indéfendable, est permise pour le monstre.
Parce qu'il est humain et que nous le sommes aussi. Que l'ignorance nourrit la violence.
Et que nous pouvons pleurer sur la déficience des êtres qui n'ont pas été capables de se maîtriser,
pas été capables de contrôler leurs pulsions, ou de venir à bout de leurs démons.
Comme nous pleurons sur tout le mal qu'ils ont fait pour ne pas avoir été arrêtés à temps.

Mon respect pour les victimes m'empêche tout sentiment de pitié.
On ne ressent pas de pitié face aux gens qui trouvent la force de vivre, dignes, debout,
lorsqu'ils ont été brisés par un monstre. De la compassion. Et du respect. Pas de pitié.
Quand ils me donnent une leçon d'humanité. De résilience. De courage.
Me montrant combien l'homme a des ressources. Continue à vivre avec des jambes en moins.
Avec une famille détruite. Rayée de la carte. Avec ce cauchemar perpétuel qui revient chaque nuit.
A mes yeux, c'est un paradoxe, bouleversant : les victimes ont de la force.
Lorsque ce sont les bourreaux qui sont faibles. Et que ce sont eux qui m'inspirent de la pitié.
Et je pleure aussi sur leur fragilité, une forme de vulnérabilité, comme sur leur lâcheté désastreuse.
Le débat est ouvert régulièrement. Je me rappelle de dîners animés, entre amis. Un classique.
Le débat sur la peine de mort. Où l'on me retournait volontiers que, si j'étais moi-même victime
d'un fou furieux, touché dans ma propre chair, avec toujours cet exemple : " si on violait ta soeur,
si on assassinait tes enfants, comment réagirais-tu ? " Eh bien, je ne réagirais pas.
Je serais accablé par le chagrin. Inerte. Envahi par ma propre souffrance. Désespéré. Anéanti.
Mais on avait beau me servir les images les plus atroces pour réveiller ma colère ou ma révolte,
jamais je n'ai éprouvé une seule fois dans ma vie un sentiment naturel et profondément humain :
le désir de vengeance. Et serais déjà mort à mes yeux s'il devait m'arriver de l'éprouver un jour.
Là encore, comme humain, je le comprends comme manifestation humaine.
Je le comprends mais ne le ressens pas. Le oeil pour oeil, dent pour dent. Double peine.
C'est ajouter le drame au drame. Ajouter le mal au mal. Et libérer à son tour sa propre bête meurtrière.
J'aurais personnellement assez de ma propre souffrance pour ne pas y ajouter celle de la culpabilité.
Sachant que, pour ma part, la vengeance ne m'apporterait aucun réconfort. Aucune paix.
Me venger ne ramènerait pas mes enfants assassinés. N'effacerait en rien le crime initial. Originel.
Ni la douleur éternelle qu'il me promettrait.
Malheureux pour malheureux, je préfèrerais rester victime. Victime. Mais avec la conscience tranquille.
Etre tout à ma souffrance, mais les mains propres. Sans ajouter l'épouvante de devenir bourreau.
On me demande si je pourrais pardonner. Je réponds que je ne pourrais pas le faire.
Et c'est là que la Justice est utile, une fois encore. Ce n'est pas aux victimes de juger.
C'est à la société. Lorsque les réparations obtenues sont toujours dérisoires. De toute façon.
Le coupable peut demander pardon. Révéler ainsi qu'il a une conscience.
Signifier aux victimes qu'il a pris conscience de son geste. L'aveu du regret et du désespoir.
Ce qui, dans le vertige de la douleur, est tout de même un réconfort.
Il peut demander pardon. Mais la victime peut-elle pardonner.
Je ne suis pas convaincu qu'elle ait à le faire. Peut-être est-ce hors propos.

Il est clair qu'il y a deux dimensions assez distinctes. La société et soi-même.
Ainsi, on peut trouver des femmes qui, en toute cohérence et honnêteté intellectuelle,
vont à la fois porter plainte contre leur violeur et être capable de leur pardonner.
On peut trouver d'autres femmes qui, avec des arguments tout aussi intelligibles et acceptables,
vont à la fois ne jamais porter plainte contre des violeurs à qui elles ne pardonneront jamais.
Traîner son bourreau en justice et lui pardonner, sont deux actions autonomes,
qui n'ont pas les mêmes ressorts pour se trouver sur deux plans superposés.
Le besoin de justice est peut-être le trait le plus touchant de notre espèce.
Et il est réconfortant de savoir que certains de nos semblables s'attachent, quotidiennement,
à créer des lois pour les uns, à les faire appliquer pour les autres, afin de nous protéger. 
Il s'agit de nous protéger de nous-mêmes. Quand l'homme est la première menace pour l'homme.
Et qu'on n'imagine pas traîner un volcan, une plaque tectonique, ou Dieu en personne en justice,
pour avoir tué des milliers et des millions de personnes lors de catastrophes naturelles.
C'est le procès de l'homme, supposé avoir le libre arbitre, une conscience.
Et le choix de faire le bien ou le mal. De passer à l'acte ou non. En connaissance de cause.
Le procès de l'homme par l'homme. Donné publiquement pour les raisons qu'on a dites.
La pédagogie. L'exemple. La dissuasion. En plus de la reconnaissance de l'outrage à l'outragé.
Mais la mise en scène de la Justice, salutaire pour la paix civile et la cohésion du groupe,
ne règle en rien les tourments intérieurs de deux individus en particulier : le bourreau et sa victime.
Liés à jamais par un lien obscur et complexe, de façon irréversible. Une tache indélébile.
Le lien de la haine souvent, aussi liant que celui de l'amour. Quand les deux sont assez proches,
on le sait, même si nous nous étonnons toujours, fascinés, du Syndrome de Stockholm,
avec un mélange d'émerveillement et d'effroi, désarmés à l'idée que cela puisse être possible.
Ainsi, la Justice rendue, la société apaisée, avec ce sentiment un peu rapide d'avoir trouvé
à un problème une solution, rien n'est humainement réglé à l'échelle des personnes.
Le bourreau peut être en prison. Il peut avoir été castré. Guillotiné ou fusillé.
La victime trouvera-t-elle la paix pour autant ? La Justice ne guérit aucun traumatisme.
Et le visage du SS, le sourire du grand-père violent ou de la mère incestueuse,
continueront à hanter bien des nuits comme à influer sur des vies chaque jour qui est fait.
Si ce n'est pas à la victime de juger son bourreau. Ce n'est pas à la Justice de soigner les victimes.
Les juges jugent. Quand on laisse aux victimes ce travail d'une vie qu'est d'apprendre à vivre avec.
Comme on apprend à vivre avec un membre amputé. Comme on apprend à vivre en fauteuil.
On apprend à vivre avec la personne qui vous a fait du mal. Et dont on ne se débarrasse jamais.
Pardonner ou pas, c'est, j'imagine, à la discrétion de chacun.
Quand on ne fait jamais que ce qu'on peut. Et qu'il s'agit de savoir, le plus égoïstement du monde,
ce qui, de la Peste ou du Choléra, peut nous rendre le moins malheureux. Puisqu'il faut avancer.
Continuer à vivre. Avec prothèses et béquilles. A tout prix se sauver.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan

 

 

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G
Merci
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