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15 août 2010 7 15 /08 /août /2010 11:18

 

 

Alors Macklowe... Que vas-tu faire de ce vide béant ?
De cette parcelle arrachée à l'Histoire de la ville ?
Au coin de Park Avenue...
D'avides promoteurs avaient déjà détruit le somptueux Singer Building
et son beffroi qui fut un temps le sommet de Manhattan.
D'autres encore avaient rasé la superbe colonnade de la Pennsylvania Station
de McKim Mead & White, avec son hall inspiré des Thermes de Caracalla,
et son énorme structure d'acier, pour y construire le monstrueux Madison Square Garden.
Il n'en reste que deux aigles d'ornementation, exhibés sur le trottoir de la 7ème Avenue.
Et je passe sur le Circle Building ou le majesteux Savoy Hotel, aux coins de Central Park.
Bien sûr, c'est le génie de cette ville. Qui ne s'attache pas au passé mais regarde vers l'avenir.
Toujours dans le mouvement, dans le présent, l'énergie et la fureur.
N'hésitant pas à détruire pour reconstruire plus haut, ou plus rentable, ou plus moderne,
à la barbe de la Landmarks Preservation Commission.
Si le Paramount Hotel vient d'être classé, à l'automne, qu'adviendra-t-il du Pennsylvania ?
ce lieu hanté par Duke Ellington, Count Basie ou le Glenn Miller Orchestra,
vestige du complexe de la regrettée Penn Station, mastodonte typiquement new yorkais,
que l'on promet à la démolition pour y construire une nouvelle tour de verre...
Bon sang, songez à la Hearst Tower les enfants ! L'architecte et baron Norman Foster,
a bien dû élever son splendide skyscraper sur la base maçonnée du premier building !
Six étages d'un premier immeuble datant de 1928, servant de socle à l'oeuvre contemporaine.
Bâtissez votre nouvelle tour sur l'hôtel Pennsylvania au lieu de le construire à la place !
Mais c'est connu. Il est souvent moins cher de tout foutre en l'air et repartir de rien
que d'avoir à composer avec d'anciennes structures aussi fragiles que capricieuses.

Le bienheureux Paramount Hotel, justement... parlons-en.
J'avais trente ans et avais pris une chambre à l'Hotel Seventeen, plus modeste,
sur le charmant Stuyvesant Square, établissement rendu célèbre par Woody Allen
et son film Manhattan Murder Mystery.
Mais c'est au Paramount, près de Broadway, qu'un ami m'avait donné rendez-vous,
au restaurant du lobby décoré en 1990 par l'incontournable Philippe Starck.
Treize ans plus tard, ce design datait déjà beaucoup, me rappelant avec nostalgie
les bars à la mode de la Barcelone postmoderniste de mes 17 ans.
Le contraste entre la déco et l'architecture des Années 30 était plutôt réussi.

( ... )

J'ai bien vu l'immeuble empaqueté comme une oeuvre de Christo,
emballé comme le Pont-Neuf ou le Reichstag ! Et ce n'était pas bon signe.
Les échafaudages n'annonçaient pas une nouvelle réfection. Mais une démolition.
Tes intentions sont percées à jour Macklowe. Tu veux détruire le Drake !
Un hôtel construit en 1926, l'un des innombrables joyaux de l'âge d'or de Manhattan,
de brique et de terracotta, lové contre les hautes arches calderiennes du 450 Park Avenue,
son antithèse, immense tour moderniste de la fin des Années 60, offrant la comparaison,
une audacieuse juxtaposition et la dissonance jubilatoire qui fait la féérie de New York.
Il est merveilleux de voir dans cette ville, comme à Rome, les strates des époques,
qui ne se comptent pas en millénaires certes, comme en Europe, mais en décennies,
et nous permettent, en descendant une seule avenue de traverser tout le XXème siècle.
Ici les années 1890. 1900. 1910. Et les immeubles prennent de la hauteur. 1920. 1930.
Les Années 40. 50. Réinventant l'architecture. Le progrès des technologies. 1960. 1970.
Des splendeurs côtoyant des abominations. Tout s'enchevêtre. On change de matériaux.
Le bois pour l'acier. La brique pour le verre. Toujours plus haut. Ou toujours plus écolo.
Celui-ci est à la mode. Le suivant est démodé. Celui-là redevient à la mode.
Kitsch. Désuet. Avant-gardiste. Vintage. Mais autant de témoignages du génie de la cité.
Alors ok Macklowe. Tu as le pouvoir. Tu as l'argent. Tu as acheté le Drake.
Et tu l'as acheté pour le détruire. Mais que vas-tu construire à la place ?

( ... )

J'ai remonté les 40 rues séparant le Drake de l'Hotel 17 en d'autres circonstances.
C'était encore de nuit, mais dans une tempête effroyable au-dehors comme en dedans.
Mon ami n'était pas le seul à descendre au fameux Swissotel.
Un lieu où Led Zeppelin s'était fait voler plus de 200.000 dollars lors d'une tournée en 1973,
où d'autres Rock Bands avaient siégé comme The Who, où l'on avait croisé Muhammad Ali, 
Judy Garland ou Frank Sinatra. Jane Birkin y avait séjourné elle aussi, en 2003.
En tournée internationale avec Arabesque, chantant une fois encore le répertoire de Gainsbourg,
mais transfiguré par les arrangements de Djamel Benyelles, une série de concerts était programmée
au Florence Gould Hall, un auditorium sur la 59ème rue.
A New York, comme aux confins de la Méditerranée, côté israélien comme côté palestinien,
l'oeuvre de Lucien Ginsburg redorée de cordes et de percussions orientales,
prenait une bouleversante dimension politique. Avec pudeur, délicatesse et virtuosité.
Si j'étais resté devant la porte une première fois, je n'imaginais pas que j'allais me retrouver
plus tard dans le lobby de ce même hôtel, en compagnie de l'icône absolue de mon adolescence.
Voilà ce que tu as fait, Macklowe, t'en rends-tu compte ?
Tu as détruit le lieu saint où il m'a été donné de rencontrer Jane Birkin.

Depuis Paris, je suis sur internet la progression des nombreux travaux au coeur de Manhattan.
Un site américain, qui propose un forum où les New Yorkais postent des images en temps réel,
me permet, comme si j'étais sur place, de suivre pratiquement au jour le jour la reconstruction
de la tour # 7 du World Trade Center, l'achèvement de la nouvelle tour Goldman Sachs
au bord de Ground Zero, ou celui de l'énorme gratte-ciel de la Bank of America sur Bryant Park.
Je vois apparaître les bassins du Mémorial creusés sur les empreintes des Twins, et s'élever ici
la base spectaculaire de la très attendue Freedom Tower, tout en m'émerveillant du nouveau
chef-d'oeuvre de Frank O. Gehry que j'adule, non loin de là, colosse chromé de Spruce Street :
l'imposante et somptueuse tour Beekman.
Ainsi, heureux de découvrir de splendides réalisations sur Madison Square ou la 5ème Avenue,
il ne me reste qu'à traverser l'Atlantique, même le temps d'un week-end, pour voir de mes yeux 
l'audacieux gratte-ciel abritant le nouveau siège du New York Times, signé Renzo Piano,
comme les nombreux chantiers frénétiquement ouverts sur la 8ème Avenue ou Riverside Park.
Mais c'est depuis mon ordinateur, que je constate que le Drake est tombé.
Ironie du sort. Nous sommes en pleine crise financière. Et bien des chantiers sont reportés.
Lorsqu'ils ne sont pas purement et simplement annulés. Alors, bravo mon cher Macklowe.
Nous voilà bien avancés. Il ne suffit pas de détruire un building.
Encore faut-il avoir les moyens d'en construire un autre à la place.

 

( ... )

Le ciel était bas et les lumières de la ville donnaient aux nuages une teinte anisée.
Un orage fantastique amputant l'Empire State Building de son sommet.
Etrange sensation à New York, que ces canyons soudainement bas de plafond.
Et des bourrasques de vent amplifiées par les couloirs du damier de Manhattan.
Je ne pouvais pas me retourner, et devais descendre mes 40 rues à nouveau,
et me lancer sous la pluie en riant, avec l'envie de courir,
de m'enfuir comme un voleur, euphorique :
j'avais embrassé Jane B, yeux bleus, cheveux châtains, Anglaise, de sexe féminin,
et, de peur qu'on me reprenne ce que j'avais vécu à l'instant, j'ai dû me sauver, vite, vite,
garder mon butin sous le manteau, finissant par cavaler dans la nuit, de toutes mes forces.
Contre le vent, alors qu'il pleuvait à seaux, des trombes comme je n'en avais jamais vues,
un truquiste de cinéma me balançant toute l'eau du ciel à la figure, I'm singin' in the rain,
j'avançais comme un fou, de la flotte jusqu'aux genoux, saluant l'auguste Seagram Building,
et les taxis qui klaxonnaient avant d'abattre sur moi, en roulant dans les flaques géantes,
des gerbes d'eau sale qui finirent de me tremper jusqu'aux os, déclenchant dans ma course
un nouveau fou rire, ivre et béat, répondant à l'orage et à ses coups de tonnerre dantesques
par des cris de joie et d'admiration, ampoulés par la hauteur des buildings comme,
à l'intérieur, la chamade qui cognait dans ma poitrine offerte.
Exalté, j'avançais laborieusement vers Grand Central.
Heureux de voir les éléments parfaitement raccords avec mon état, ma propre tourmente.
Reconnaissant au ciel d'illustrer si justement, comme un couronnement, l'épisode inespéré
que l'on me permit de vivre, dans le lobby d'un hôtel new yorkais.

Ce que Macklowe doit savoir, c'est que je suis un Enfant de la Chance de Gainsbourg.
Un des p'tits gars qui a pleuré grand-père Gainsbarre comme son propre grand-père.
J'avais 17 ans et l'impression d'être orphelin. Déchiré invariablement aux premières mesures
d'un prélude de Chopin, comme à l'interminable et jubilatoire intro de Love on the Beat.
J'avais passé une soirée auprès de Melody Nelson en personne. Et remerciais les dieux pour ça.
Une Rolls Royce fantôme m'a suivi jusqu'à Union Square, avec sa basse psychédélique,
et ses cordes de Salomé implorant la tête de Jean-Baptiste, ignorant le fronton de la New York
Film Academy et les clarinettes New Orleans de Woody Allen, fuyant le bonheur, comme il fut dit,
jusqu'au perron du Seventeen où je vins m'échouer hors d'haleine.
Dégoulinant sur la moquette poussiéreuse du hall comme si je sortais directement de l'East River,
le visage mouillé de larmes de pluie, les cheveux collés sur le front, sauvé de la noyade,
j'ai demandé ma clé au veilleur de nuit aussi perplexe qu'amusé, pour me jeter enfin sur mon lit.
Quand j'ai repris mes esprits, bercé par le cliquetis sur des tôles, la fenêtre à guillotine ouverte,
j'ai rassemblé mes affaires et me suis rendu compte que j'avais, dans ma précipitation,
oublié mon agenda au Swissotel. Dans lequel se trouvait, bien entendu, mon billet d'avion.

Le lendemain, le ciel était pur. Bleu. Hors de portée. Lavé de tout soupçon.
Une belle journée ensoleillée. Comme si rien ne s'était passé. Mais je savais n'avoir pas rêvé.
Mon billet retour était toujours introuvable. Tout comme l'organiseur en cuir perdu au Drake.
Où je suis retourné tenter ma chance.
Parce que nous sommes dans un hôtel respectable, et qu'il ne s'agissait pas des 200.000 dollars
de Led Zeppelin qui n'ont jamais été retrouvés, un jeune homme du personnel est allé demander
si l'on n'aurait pas, par hasard, mis la main sur l'agenda égaré la veille au restaurant.
Un responsable est venu me trouver, cherchant à obtenir des précisions sur l'objet, pour être sûr
de ne pas commettre d'impairs, et disparut pour aller le chercher au coffre, convaincu qu'il allait
le restituer à la bonne personne, me laissant avec l'espoir de récupérer mon précieux billet.
Je ne pouvais crier victoire avant de l'avoir entre les mains, et être assuré que j'allais pouvoir
retourner à Paris sans encombres. Je ne pus le faire pour autant lorsque l'homme est revenu,
en effet, avec mon agenda, et le billet d'avion à l'intérieur, pour avoir été rejoint entre-temps
par une connaissance, étonnée de me trouver là de si bon matin.

 

 

 

 



Philippe LATGER
Janvier 2010 à Paris

 

 

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