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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 16:12



Les mains ont sorti l'oignon de son enveloppe craquante et brune comme du papier.
Cette fine pellicule translucide facile à émietter. Mise de côté. Lorsqu'il y a autre chose à faire.
La lame du couteau est prête à trancher le bulbe immaculé sur une épaisse planche de bois.
La simple manipulation, déjà, libère une odeur délicieuse qui ouvre mon appétit.
Lorsque le nez me pique comme si j'en avais croqué, quand ma mère découpe les lamelles
d'apparence juteuses, qu'elle répartira sur le plat de tomates cueillies dans le jardin.
Ces dernières, j'aimais les choisir et les manger directement sur les pieds de notre potager.
C'est mon père qui n'en était pas friand, et pour lui que maman les faisaient disparaître
sous une montagne d'oignon et de persil, quand elles n'étaient pas bourrées de farce.
J'aimais déjà les olives noires. La feta. Et les coeurs de palmiers. La Méditerranée.
Comme me noircir les doigts et le tour de la bouche, à ramasser autour des pins
les pignes ouvertes, tombées du ciel, pour en extirper les pignons dont j'étais dingue.
Le corps cuit par le soleil, il y avait aux heures de la sieste de longues parties de chasse où,
armé d'une petite masse récupérée dans la bâtisse du garage, j'allais dénicher la gourmandise.
Les pommes de pins pouvaient être lâchées à tout instant sans crier gare.
Mais elles annonçaient en s'éclatant sur le sol un nouvel arrivage qui ne pouvait m'échapper.
Un trésor que l'on ne me disputait pas, quand les cousins de mon âge préféraient les bonbons.
Je leur laissais volontiers les sucreries, et cassais à l'aide de la masse les petites coques noires
sur les larges dalles brunes des plages de la piscine, quand la manipulation des pignes
dont j'adorais autant le design que la texture me barbouillait souvent les doigts de résine.
La poudre douce et brune comme du cacao enveloppant les petites coquilles finissaient
de me salir les mains, pas assez pour contrarier mon plaisir, d'une sensualité extrême,
quand je satisfaisais à la fois l'odorat, le toucher, et le goût pour finir.
Je pouvais m'aventurer de l'autre côté du parc, la partie où la végétation était plus dense,
côté rue, où nous n'allions jamais, dans cette zone qui protégeait la maison de l'extérieur.
C'était le coin le plus extraordinaire, pour la raison précise que nous n'y vivions pas.
Qu'il était délaissé et que je me l'appropriais tout seul en imaginant mille choses terribles.
Même moi qui étais petit, du haut de mes neuf ans, devais soulever les branches de palmiers,
pour accéder au pied de l'eucalyptus gigantesque qui dominait l'ensemble de la pinède.
Juillet battait son plein. Et je n'avais pas de peines de coeur. C'était le paradis.
Quand je n'avais pas idée de toutes les frustrations que les adultes se plaisent à souffrir.
Qu'il me suffisait d'être au monde pour en savoir la chance.

Le potager, c'était à la maison de Bompas. La chasse aux pignons, à celle de Castelldefels.
Où j'avais développé cette aptitude étrange à m'ennuyer davantage en faisant quelque chose
qu'en ne faisant strictement rien, à cette époque où je pouvais me contenter d'être vivant,
où je trouvais le temps plus long à l'école qu'en vacances, quand elles duraient trois mois,
et préférais jouer seul quand les autres m'imposaient des limites dont je ne voulais pas.
L'heure de la sieste, c'était mon heure à moi. Le moment où je pouvais régner sans entraves.
Elle était à l'enfant ce que la nuit est à l'homme d'aujourd'hui.
Lorsqu'un terrain de jeu est moins un lieu concret que le temps qu'on y passe.
Quand j'ai toujours su transformer le réel en ce que je voulais. Mon seul pouvoir magique.
Un pouvoir que je lutte pour garder intact puisqu'il s'abîme en devenant adulte.
Et dont j'ai toujours besoin quand je ne sais plus vers qui me tourner.
Je bois une gorgée de Cacaolat, et me voici aux petits-déjeuners de la cuisine d'été.
Trente ans plus tard. Retrouvant toutes les sensations précises qui m'ont été données.
L'odeur du vernis des stores dans les chambres. L'odeur de la maison.
Celle, minérale, du carrelage frais qui couvrait le sol jusque dans les escaliers.
Celle du savon sur la peau de ma grand-mère qui hantait les lieux.
L'odeur chaude de la végétation mêlée à celle du sable. Décuplées par le beau temps.
Fixe. Invariable. Jour après jour. Et cette ivresse que je ne savais pas définir.
Qui était celle de la liberté sans limites. Absolue.
Et celle du bonheur. A éprouver le monde et toutes ses voluptés.
La lumière de la côte catalane m'éblouit encore. Il suffit que j'y pense.
L'aveuglement de chaleur et de soleil et de cigales, le bien-être du corps qui respire,
qui s'ébroue dans l'air comme dans l'eau, dans la mer, la piscine et la fraîcheur du soir.
Débarrassé des habits, des chaussures, des cartables, des blousons, de l'école.
Je croque un morceau d'oignon que je pique dans le plat. Je sens le sang qui circule.
Quelque chose qui coule sur ma langue. Qui réveille mes gencives et ma bouche.
Qui dégage mon nez. Qui sait me donner faim. L'envie de goûter d'autres choses.
Montrant mes dents de carnassier. D'enfant sauvage. Prêt à tout dévorer.
Ce gosse dont je me souviens. Et que je ne veux pas perdre.
Plus doué que moi pour le bonheur. Qui a tant à m'apprendre.
Quand mon sourire a du mal à égaler le sien.


 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
 
 
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