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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 17:55

 

 

 

 

René 

 

 

 

 

 

 

Tu m'as appris à dessiner
des soleils sur le sable de nos plages,
des bonshommes que la mer venait effacer.
Tu jouais de la guitare.
Tu jouais du piano.
Sur tes genoux, alors que je ne savais pas encore marcher,
j'apprivoisais ce meuble bizarre qui faisait de la musique,
le piano noir, le piano droit du petit salon,
cette machine de bois sur laquelle je pouvais taper des rythmes désordonnés.
Tu jouais sur ce clavier, à ta façon, à ton oreille,
des choses que j'entendais jusque dans le grenier.
Du jazz sans doute. Cette musique que tu écoutais le soir tard à la radio.
Le piano. La guitare.
De ces caisses de bois, où vibraient des cordes magiques,
sortaient des images extraordinaires
que la vague du silence venait effacer.
Tu jouais de la musique.
Tu jouais aux échecs.
Tu m'as appris à faire glisser sur leur feutre
ces pièces finement sculptées, aux couleurs du clavier d'ivoire.
Les noires et les blanches.
Quand elles ne m'inspiraient pas des histoires romanesques, chevaleresques,
j'acceptais pour une fois, les règles du jeu que tu m'avais enseignées.
Tu me laissais gagner parfois,
ce qui me mettait plus en colère encore que lorsque je perdais.
Mes premières bandes dessinées, que je feuilletais dans tes bras,
étaient les beaux livres où je découvrais avec émerveillement et épouvante
les toiles de Goya et de Velazquez.
Tu m'as donné le goût du tabac et de la gouache.
L'odeur rassurante et âpre des cendres de cigare,
de l'huile de lin, du café...
Tu peignais. Tu fumais. Tu faisais de la musique.
Je me rappelle tes cravates que je t'enviais.
Je me rappelle tes costumes et tes souliers.
La voiture de fonction dans laquelle tu me posais à l'école.
Et la DS splendide. Qui se baissait et se levait. Qui tournait ses yeux de feu.
Je passais à l'avant de la voiture pour prendre tes cigarettes dans la boîte à gants.
Pour t'imiter... Pour t'imiter j'ai joué aux échecs.
Pour t'imiter j'ai dessiné sur le papier et sur les plages.
Pour t'imiter j'ai joué du piano.
Avec Maman, Vavou et Chacha, nous allions en Espagne.
Jouer avec le soleil dans les pins de Castelldefels,
sur les statues romaines de Tarragone, ou sur les murailles de Peñiscola.
Nous allions rêver aux barques des pêcheurs de Cadaquès,
ou à l'assaut des châteaux cathares des Corbières.
Nous visitions des cloîtres romans, des musées, les forteresses et les églises.
Et je te suivais dans les ruines de maisons à construire... Tes maisons.
Le paquebot dans les vignes qui sortait de terre. Le terrain de jeu fantastique.
Les galeries secrètes et les labyrinthes d'un chantier dangereux et mystérieux.
Tu avais dessiné les lanternes de la petite maison couchée sous le palmier,
avec ses grilles blanches et ses escaliers étranges.
C'est toi qui avais dessiné ce nid méditerranéen.
C'est toi qui avais dessiné le paquebot.
Et des ponts. Et des routes.

Ces mains. Ces mains qui avaient caressé Maman.
Ces mains qui avaient dessiné ces maisons.
Ces lanternes et ces soleils sur la plage.
Ces mains qui pinçaient les cordes des guitares et des pianos.

Ces mains qui fumaient la pipe, le cigare, et des paquets de Morris.
Ces mains qui peignaient Venise, qui peignaient des visages inquiétants.
Ces mains qui préparaient des couleurs odorantes sur des palettes.
Ces mains qui glissaient dans nos cheveux,
qui me faisaient voltiger dans le ciel.
" Dis... On fait l'avion ? "

Le dimanche béni. Loin de la messe.
La communion, la vraie, c'était dans votre chambre.
Papa et Maman. Le dimanche matin.
J'avais le droit de venir dans votre lit. Le privilège.
Avant le pain grillé, le chocolat, le café.
Le dimanche matin...
" On fait l'avion ! "

... Je t'ai cassé des côtes. Le petit doigt aussi ?...
Mais tu m'as fait voler dans le ciel.

M'apprenant que rien n'était impossible. Le bonheur.
Ces mains qui avaient caressé Maman.
Ces mains qui avaient dessiné Vavou, Chacha et moi.

J'en ai été jaloux. Elles étaient belles.
Il y avait des grandes feuilles de papier calque,
et des régles sophistiquées, de beaux crayons bien taillés,
des gommes qui sentaient bon. C'était ça, ton travail.
Il y avait l'échiquier qui sentait le bois et le vernis.
Les pinceaux, les toiles de Goya et de Velazquez.

Il y avait le tabac. Et les voiliers. Tes voiliers.
Loin des soleils effacés sur le sable, les carrés de toile blanche,

les triangles éclatants qui se balançaient sur les vagues,
près de la ligne qui sépare le ciel de la mer.
Tu nous as emmenés au large.
Je n'ai pas le pied marin.
Je préfère les tempêtes du piano.
Tu m'as appris à regarder l'horizon, à regarder les étoiles,
à regarder à travers les cloisons, l'immensité, l'océan, l'univers.
Tu m'as fait voler dans les airs. Le dimanche matin.
Les vacances en Espagne.
Tu m'as appris à rêver éveillé. A rêver. A dessiner. Imaginer.
A voir les images cachées dans les tableaux, dans les nuages, dans la musique.
Tu m'as appris à voir et à entendre. Tu m'as ouvert les yeux.
Tu m'as appris à me servir de mes mains.
Ces mains qui jouent du piano, qui jouent du clavier,
et qui t'écrivent aujourd'hui, merci, merci, merci...
Qui t'écrivent que je n'aurai pas assez de jours pour te remercier,
te rendre ce que tu m'as donné.
La vie sans doute. Le jour aussi.
Mais c'est peu de choses, finalement,
à côté de l'amour et de la tendresse que tu avais pour nous...
Ces mains qui sont un peu des tiennes,
qui continuent à dessiner des soleils sur le sable,
et des bonshommes.
Je raconterai peut-être un jour, à un petit d'homme,
l'histoire de Ian Shushu que tu me racontais.
L'histoire de ce Chinois. Ma préférée.
J'apprendrai peut-être un jour à mon tour à jouer aux échecs.
A regarder la mer. A regarder le jazz. A regarder les étoiles.
C'est à d'autres que je rendrai la pareille.
Je t'ai déçu souvent. Je t'ai mis en colère. Je t'ai fait de la peine.
J'ai été dur. Exigeant. Intransigeant. Insupportable.
L'adolescence. Mon Oedipe ultra-violent.
Je t'ai haï parfois. Je t'ai haï souvent. Mon rival...
J'ai été jaloux...
Mais je t'aime.
Mon père. Mon modèle. Félin.
Je peux te critiquer, aujourd'hui encore, mais je ne supporte pas que l'on te critique.
Tu m'as donné l'architecture, la peinture, Julien Clerc et Django Reinhardt.
La musique péruvienne, les mariachis du Mexique et la guitare andalouse.
Ray Charles. Sidney Bechet. Fats Domino. Duke Ellington.
J'ai beau chercher... Quel reproche pourrais-je te faire quand je te dois tout ?
C'est moi qui ai des choses à me faire pardonner.
Pardonne-moi pour le mal que je vous ai fait.
Je suis moi. Votre enfant, votre fils, votre élève.
Je veux faire la paix avec toi.
Te dire maintenant la chose essentielle.
Sans pudeur. D'homme à homme.
Je t'aime.
Et merci.

 

 

 

 

 



Philippe LATGER
Septembre 2002 à Perpignan

 

 

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