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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 02:04

 

 

 

 

Georgette et André 

 

 

 

 

 

 

 

A ton tour,
comme d'autres avant toi,
où t'en es-tu allée ?
Où es-tu, là, maintenant... ?
Dans quelle sphère ?
Quelle dimension ?
Quel monde parallèle ?

Tu es partie,

comme tes parents avant toi,
comme ton époux avant toi,
comme ma propre mère avant toi,
et des milliers d'autres,
des millions, des milliards d'individus,
d'histoires, d'indentités, de noms, de vies,
tu es passée ici-bas.
Mais où es-tu passée à présent ?
Tu as quitté notre microcosme,
cette petite vision de l'esprit,
ce soupçon de conscience,
ce flash de réalité improbable,
parmi nous.
J'ai l'impression de tout connaître de toi,
et de ne t'avoir jamais vraiment connue.

Tu es partie dans ton sommeil.

Un sommeil lourd qui a décroché, dérapé,
glissé dans une autre profondeur.
Un affaissement d'un cran, dans une sourdeur étrange,
un évanouissement dans des eaux sous-marines,
où tous les sons sont distendus, déformés,
où les mouvements sont ralentis,
lourds et légers à la fois,
où la matière n'a plus de sens,
où il n'y a plus de dedans et de dehors,
de limites du corps, de l'espace...
La lumière au-dessus, à la surface,

fait pénétrer des faisceaux rayonnants,
d'un bleu de fumée de cigarette,
qui s'épuisent dans la noirceur scintillante,
comme les lueurs d'une étoile lointaine.
La lumière d'un monde duquel tu t'éloignes,

que l'on voit reculer irrémédiablement,
s'élever lourdement à mesure que l'on coule.
Cette lumière du monde réel crépite au-dessus.
Elle vibre d'étincelles qui verdissent peu à peu,
se troublent...
comme mes yeux.
Pourquoi s'élèverait-on quand on meurt ?
Pourquoi voit-on la mort au ciel ?

On sombre bien dans le sommeil...
Tu dormais.

Du sommeil à la mort, je l'ai senti souvent,

dans ma respiration contrariée,
ou l'angoisse d'un cauchemar macabre,
il n'y a qu'un pas.
En combien de temps ce décrochage s'opère-t-il ?

Une fraction de seconde... peut-être.
Pour passer d'un sommeil à un autre ?
D'un rêve à une autre réalité ?
As-tu conscience de ce décrochage ?
Dis-moi... c'est comment ?

Faut-il attendre que tu te réveilles
pour te rendre compte que c'est autre chose ?
Peut-être n'as-tu pas fini ta nuit...
Je ne suis pas triste.
Au contraire, je suis ravi.
En plein sommeil, tu penses !

Quelle aubaine.
C'est un beau départ.
Une belle sortie.


Quelle santé.
Ecoute... 93 ans,

et tu es superbe.
Une vraie jeune fille.
Avec toute sa tête.
Quel luxe.
Ma Louise Brooks à moi.
Et ce sens de l'humour,
constant, imperturbable,
plus malicieux que cynique...
quel bonheur.
On peut te reprocher
de n'avoir été que toi-même,
peut-être, mais,
sans avoir vraiment le souci de transmettre,
curieusement,
tu m'as appris beaucoup de choses.
J'aurais bien écouté cette fameuse histoire
de Murano encore cent fois,
au rythme saccadé de ce rire,
toujours flamboyant d'auto-dérision.
Tes petits doigts levés,
toujours vernis, soignés,
en pose, trônant au sein de ton assemblée,
de la petite tribu amusée,
tu étais plus qu'une dame :
tu étais un clown.
Pas de ces clowns tristes,
que chantait Piaf,
sordides et pathétiques,
qui donnent envie de pleurer !
Non... pas du tout.
Toi, tu avais autant d'espièglerie que de panache.


D'ailleurs... je m'en rends compte en écrivant...

je crois sincèrement que tu étais une enfant.
C'est cela. Une fillette indisciplinée.
Un peu vache parfois, capricieuse souvent,
mais dotée d'une insouciance ravissante.
Comme les clowns et les enfants,
tu avais le don de transfigurer la réalité.
Tu aimais les histoires.
Tu aimais les lire et les raconter.
L'Histoire d'abord.

Celle de France entre autres.
Les histoires en général.

A commencer par les histoires drôles.
Et toute ta vie devenait une histoire, des histoires...
des histoires drôles, d'ailleurs, la plupart du temps.
Ce n'était que cela : des sketches.
Tu nous a bien fait rire.

J'y réfléchis et puis non...

je t'ai vu gémir, te plaindre de douleurs,
râler, miauler, minauder, faire la grimace,
je t'ai vue préoccupée, songeuse, anxieuse,
inquiète, hésitante, abattue...
mais, je ne t'ai jamais vu pleurer.
Jamais.
J'avoue que cela me trouble beaucoup.
Je réfléchis encore. Non. Je ne vois pas.
Aucune image.

Celle que je garde est celle de ta posture,
toujours coquette,
avec toujours le souci de plaire
sans jamais celui de séduire,
et ce rire tonitruant, compulsif,
parfois aphone, éclatant,
qui n'avait plus la tenue d'une dame du monde,
mais la spontanéité de l'enfance.
La dame, c'était un rôle, un déguisement...
qui t'allait très bien, du reste.
Un fantasme.

Celui d'être châtelaine, d'avoir des domestiques.
Ah, bien sûr... Pau... Biarritz... des actes manqués.
Il en restait un besoin d'en imposer, d'être cinglante parfois.
Tu t'es rêvé des meubles ou des bijoux de fortune,
comme si nous venions d'une grande famille,
avec cette imagination farfelue qui te venait de Parrain Ribis.
Cette aptitude à te faire du cinéma,
que ne comprenait pas maman,
et que tu m'as pourtant léguée.
Non. Tu n'étais pas une dame du monde,
et tu ne cachais d'ailleurs pas tes origines,
aussi modestes que rurales.
Ton pain noir. Tu en étais fière.
Tu as su le sublimer aussi,

en faire quelque chose de romanesque.

C'est je crois, ce qui m'a fasciné depuis toujours,

chez toi, depuis tout petit,
cette façon de romancer les choses.
Maman qui était une pure, castillane, assoiffée de vérité,
était désarmée face à autant d'incertitudes et d'affabulations.
Elle ne savait pas sur quel pied danser, ça la mettait en colère.
" La vie, ce n'est pas du théâtre " me disait-elle révoltée.
Je tiens sans doute cela de toi.
" Si Maman. La vie, c'est une comédie. Et nous jouons un rôle. "
Sait-on ce qu'est la réalité ?
Ce long rêve que nous faisons en commun,

et dont tu viens de te sortir en te réveillant cette nuit ?
Je ne sais pas s'il y a quelque chose de réel en ce monde.
Mais tes mille versions d'une même histoire sont autant de vérités.
Comme les mille interprétations de l'Histoire sont autant de vérités.
Ce n'est pas du mensonge. C'est de la fantaisie.
Si c'est une folie, elle est douce.
Une protection assurément.
Maman, l'écorchée vive,
qui se savait déjà emportée
dans ces rapides qui précèdent les grandes chutes,
a parlé un soir à Maria de ses interrogations sur ce que nous sommes,
sur ce que nous vivons ensemble, n'excluant pas à mon intention,
l'hypothèse que tout cela ne soit qu'une vaste comédie, un rêve éveillé.

Combien de rêves m'as-tu donnés, autour du Gaveau de Papa,

de ces jeux de cartes jaunis, de la cuisine parfumée, des vieilles cartes postales ?
Combien de fous rires d'enfant, à chahuter Bon Papa, et la vieille Misou.
Je me souviens de l'odeur de la pluie sur la maison de Bannières.
De cette fraîcheur accueillie, la nuit, après l'orage, par les rainettes et les grillons.

Loin de Toulouse, tout était calme. La mer, sans le bruit.
Le seul horizon était alors celui du ciel, bruissant de myriades d'étoiles.
J'ai cette volupté à la gorge, qui enfle dans la poitrine.
Je me souviens de l'odeur entêtante de ta poudre de riz,
dans la salle de bains, à haut plafond, du chemin des Etroits.
Le blaireau de Bon Papa et son Eau de Cologne,
le parfum troublant de la mousse à raser.
Les chapeaux de feutre, les gabardines, le linoléum dans le couloir,
le Grand Echiquier à la télé, le Jeu des Mille Francs à la radio,
les étranges cheminées, dont celle, fantastique, de la chambre à coucher.
Tout cela était bien réel... je n'en suis plus si sûr aujourd'hui.
Comme ces rêves dont on n'arrive pas à se rappeler précisément.

La mémoire n'est pas fiable. Et tout ne l'est plus avec elle.
Ni le passé, ni le souvenir, ni la réalité...
Tu étais bien là hier. Et avant hier.
Aujourd'hui, un coup de téléphone me fait douter.
Je ne sais même plus si tu as vraiment existé, ou si je t'ai inventée.


Je suis troublé.
Je crois que je ne t'ai pas écrit depuis mon enfance.

Maman laissait toujours une place sur ses lettres pour qu'on écrive un petit bonjour.
Il y a bien ce texte, assez récent, que tu as peut-être lu,
où je te rendais hommage.
Nous n'en avons jamais parlé.

Je ne sais pas si de ton sommeil, tu as sombré dans la pénombre sous-marine,

ou si tu t'es élevée au-dessus de ton lit quand ton corps s'enfonçait dans le matelas.
Je ne sais pas ce qu'on a fait de toi. Où tu es partie te cacher...
Ce que je sais, c'est que tu ne seras plus emmerdée par des régimes,
des médicaments et des docteurs, des douleurs et des chutes :
tous les inconvénients d'un corps, certes, fatigué de surcroît.
Toi qui aimais bien les promenades, te voilà débarrassée de ton fauteuil roulant.
C'est quand même plus commode sans.
Est-ce que tu vois quelque chose ?
Je sais que ça ne peut pas être plus joli que le lac de Côme,
mais c'est peut-être aussi bien.
Je ne sais pas si tu sauras le fin mot de cette histoire,
si tu reverras Bonne Maman, Parrain, Bon Papa et d'autres,
mais je sais que, jusqu'au moment où je ferai à mon tour de la plongée sous-marine,
des détails, inopinément, me rappelleront ton rire et tes chansons.
C'est de toi, aussi, que je suis fait.
Et je te trimbalerai encore longtemps sur cette planète,
entre autres valises et casseroles,
que je me charge, réelles ou pas,
de faire exister.

 

 




Philippe LATGER
Mars 2004 à Perpignan

 

 

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