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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:22

 

 

Pour un jeune homme de 21 ans,
partir à New York n'était pas une aventure.
Il s'agissait ni plus ni moins de mourir.
Pas de mourir tout à fait. Puisqu'il y a une vie après.
Mais de disparaître. Comme lorsqu'on se dépucelle. Et changer.
Comme on tue l'enfant dans sa première relation sexuelle,
on tue un homme en l'amenant à New York.
Pour moi, ce voyage d'un mois sur la Côte Est des Etats-Unis était un suicide.
J'avais deux compagnons de voyage idéaux : des amis d'enfance, frère et soeur,
fascinés par Manhattan, eux aussi, comme tout individu qui a grandi
à la fin des Années 70 et dans les Années 80, c'est-à-dire téléphage,
à une époque où l'on voyait les taxis jaunes, la Statue de la Liberté
et l'Empire State Building dans presque toutes les séries et presque tous les films.
Si l'on ajoutait aux rêves procurés par le cinéma, ceux motivés par la musique, qui,
lorsqu'elle ne venait pas d'outre-Manche, venait d'outre-Atlantique : la messe était dite.
New York était la capitale de tout. Le sommet du monde occidental.
Je n'avais pas encore la pleine conscience de ce que cette ville signifiait
pour l'architecture, la peinture, ni même dans la littérature,
mais ma culture d'alors suffisait à nourrir mon adoration.

Un autobus nous a injectés violemment dans des faisceaux de circulation :
la boule d'un flipper, au ralenti, dans son étroite galerie de projection,
une rampe de lancement. Déterminée. Interminable.
Un roulement d'acier inéluctable nous emportait dans un conduit aride.
Le lourd véhicule nous brinquebalait mollement sur l'asphalte défoncé d'une avenue.
Nous arrivions de Boston, avions traversé le Bronx sans nous en rendre compte,
et dévalions Manhattan en longeant l'Hudson dissimulé par des immeubles inégaux.
A notre gauche, le paysage urbain se densifia soudain.
Le bus continuait à ronronner, imperturbable, tête baissée,
alors que nous pénétrions dans la jungle de MidTown.
Et nos bouches restèrent ouvertes, comme nos yeux hallucinés.
A espaces réguliers, défilaient des rues encaissées, raides comme la justice,
effrayantes comme des couloirs d'hôtel, de véritables saignées,
de brèches dans la brique, la pierre et le béton, autant de canyons vertigineux.
Une mince bande de ciel lumineux, au fond de chaque corridor embouteillé,
évoquait un horizon improbable, constellé de feux rouges automobiles
grossis et vibrants dans la brume d'échappements et d'une chaleur de forge.
Le champ de nos larges vitres nous cachait la débauche de flèches culminantes,
mais les lignes de fuite des 56, 55, 54, 53e rues, tapies aux pieds des colosses,
nous laissaient imaginer le visage des dieux vaniteux, monstrueux, qui les dominaient.
A chaque intervalle, le passage d'une nouvelle tranchée
hachait nos poitrines avec le souffle sourd d'une pale d'hélicoptère,
nous révélant la vie du New York d'en bas, des fourmis laborieuses,
sortant de taxis, de portes tournantes et de bouches de métro,
dans une progression stroboscopique.
Nous nous sentions déjà écrasés par des hauteurs inaccessibles,
et aspirés par chaque rue.
Mais l'autobus, assidu, gardait le cap dans les rapides.
La moquette de nos sièges inclinables, avec son épaisse puanteur de poussière,
calfeutrait alors un écrin désormais familier, rassurant, qui nous retenait à l'abri.
Nos vitres étaient celles d'un aquarium géant
et nous regardions, hypnotisés, le ballet des requins.
Mon ventre fut lacéré par le trac jusqu'à notre arrivée dans le chaos du Bus Terminal.
Un lieu sombre qui puait le mazout et le gasoil, la sueur et le sperme.
En descendant du véhicule arrimé à son quai,
la chaleur de Manhattan au mois de juillet nous sauta à la gorge,
avec ses effluves de fioul et de caramel, de poulet rôti et de sucre fondu.
En sortant sur la Eighth Avenue, Cédric, Virginie et moi, ne pouvions plus reculer.
Nous savions que nous avions signé notre arrêt de mort.


 




Philippe LATGER

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