Les yeux luisants. Les jambes en coton. J'ai de la fièvre.
Ma nièce est venue. Est restée dans l'encadrement de la porte.
Je suis en quarantaine. Dans tous les sens du terme. Je ne l'embrasse pas. Le coeur y est.
Elle me tend une trousse de survie. De quoi manger. Des médicaments. Du sirop.
Dans mon peignoir, je lui adresse un piteux sourire. Je la remercie. " Je vous appelle... "
La porte refermée, je me poste à ma fenêtre. Adresser un salut à ma soeur restée sur la place.
Dans la voiture. Warnings. Elle m'aperçoit. Me fait signe à son tour. Je suis malade. Fébrile.
Une saloperie de saison. Venue éclore dans la nuit. Trop faible pour arriver chez le médecin.
Pas assez pour faire venir quelqu'un. Cela peut attendre. Je reconnais les symptômes.
Pas de quoi m'interroger. Ni paniquer. Il faut que ça passe. Et je me flanque sous la couette.
Avec cette morsure dans les reins. Comme si un camion avait roulé sur le bas de mon dos.
Avec ce plaisir délicieux de retrouver la chaleur du lit. Un espace hors-sol.
Où il n'y a plus d'efforts. Où je n'ai plus à lutter. Simplement à respirer.
Les muscles désintégrés. En poussière. Evaporés.
Je ne fume pas. La cigarette, anyway, a un goût étrange.
Même l'eau, désormais, a un goût étrange.
Tout est dénaturé. Tout devient bizarre.
Même la caresse de l'oreiller. Du matelas. Sur mon corps. Roué de coups.
Vulnérable. Désincarné. Que je ramasse sous la couette. Ou que j'étire doucement.
Je me retourne. Et sous mes cheveux de paille. Je n'ai qu'à fermer les yeux.
La Turquie a intégré l'Europe Fédérale. Dont la capitale désormais, on le sait, est Athènes.
Fini l'éparpillement des institutions. Le Congrès, le gouvernement, la Cour Suprême...
Tout a trouvé sa place dans le Federal District. Comme il est dit dans la Constitution.
L'équilibre des pouvoirs. La sanction du citoyen par le vote. Une Europe démocratique.
S'il s'agissait bien sûr de rassurer la Grèce au moment de faire entrer Ankara dans l'Union,
ce n'était pas seulement une compensation, mais une logique géographique d'abord,
lorsque le centre d'inertie avait radicalement basculé à l'Est, quand la nouvelle frontière
était celle du Kurdistan réunifié, qui nous séparait à peine de l'Irak et de l'Iran.
Mais ce choix était aussi une évidence historique. Culturelle. Civilisationnelle.
Le nom même de notre continent étant hérité de la mythologie grecque. On s'en souvient.
Et l'adoption d'institutions enfin démocratiques, valait bien un hommage justifié à Athènes.
Moins tournée vers l'Amérique, avec qui les liens perdurent, ne serait-ce que militairement,
quand nous avons recyclé précisément son architecture fédérale, l'Europe embrasse l'Orient.
L'Atlantisme reste un acquis solide. Et Athènes peut s'ouvrir à l'Afrique du Nord comme à l'Est,
sans qu'on puisse la soupçonner de tourner le dos à Washington. Une pente naturelle.
Le coeur de l'Europe est la Méditerranée. Point de jonction de trois continents.
Et nos activités au Mass Bresson s'étaient inscrites dans des programmes fédéraux ambitieux
d'échanges avec Alger, Tripoli, Tunis, Alexandrie, Tel Aviv, Beyrouth ou Tartous.
Des expositions itinérantes faisaient escale à Chypre, en Crète, en Sicile comme aux Baléares.
Que nous ramenions à Port-Vendres, encadrées de petits remorqueurs et de bateaux-pompes
qui leur faisaient la fête, au son de Sardanes endiablées et de fanfares délirantes.
L'Art Roman du Roussillon avait fait le tour de la mer intérieure avant de rentrer à la maison.
Et les cloches de Notre-Dame de Bonne Nouvelle sonnaient à toute volée.
Philippe LATGER
Novembre 2011 à Perpignan