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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 16:54

 

 

Il pleut sur la Côte Pavée.
Le jour s'est levé. La lumière artificielle s'est éteinte dans le quartier.
Les façades lavées par la pluie. Comme les camions de police. De pompiers.
Les dossards fluos et les uniformes. Les caméras de télévision disposées à distance.
Un ciel gris se boursoufle sur la ville de Toulouse. Et l'on retient son souffle.
Dans l'humidité poisseuse sur des portails, des clôtures et des sapins bleus.
Le danseur, sur ses talons noirs, avance, tête baissée, vers le miroir de la salle.
Il se regarde par en-dessous. Les sourcils froncés. Les narines dilatées. Lentement.
Lance la pointe d'un pied. Puis l'autre. Sur le parquet. Comme un taureau prêt à charger.
La guitare s'est tue. Les mains ont cessé de battre leurs palmas. Laissant place au silence.
Un jeune homme vérifie ses armes. Assis sur le sol de la salle de bains.
Lève la tête vers le ciel. Ferme les yeux. Recommence à prier.
Il ne veut pas penser à sa mère. Aux gens qu'il va laisser. Pense à la cause.
Les caméras en place ne cessent de tourner. Dans la rue. A quelques mètres.
Derrière un dispositif militaire. Le jour se lève à Toulouse. La nuit s'évapore.
Des journalistes lisent ou tapent des textos sur leurs smart phones.
Le danseur, les épaules en arrière, avance toujours, cambré comme un coq,
frotte le talon sur le bois du parquet à chaque pas qu'il fait.
Se fixe dans le miroir. Commence à lever les coudes. Les bras. En marchant.
Comme un albatros prêt à s'élancer pour s'envoler. Déployant ses ailes.
Maîtrise chaque geste. Sa respiration. Une rage contenue.

Des enfants furent conduits à l'école. Les parents leur sourient à la grille.
La une des journaux affichée sur la devanture du bureau de tabac.
Des images tournent en boucle. Sur BFM TV. Sur LCI. Où il ne se passe rien.
Le matin avance sur la ville. Dans le clapotis morne et sinistre de la pluie.
Comme le toréador aux yeux sombres, sur ses talons flamencos, au parquet de la salle.
En équilibre. Les coudes levés au niveau des oreilles, les mains pointées comme des cornes.
Sur la pointe des pieds. Un pas. Et puis un autre. La jambe tendue. Les jambes croisées.
La chaussure dessine un demi-cercle sur le bois. Se plante devant l'homme.
Une fois à droite. Une fois à gauche. S'approchant davantage de lui-même.
La lumière s'est amplifiée dans l'appartement. Une lumière grise et maussade.
Qui coule comme de l'eau sous la porte de la salle de bains.
Dieu est grand. L'arme en main. Assis par terre. Les genoux relevés.
Adossé au mur. Il a tenu des heures. Prostré dans le noir et le silence.
Le danseur s'arrête. Se redresse. Se raidit. Plante un coup de talon. Sec.

Sur le parquet de la salle. Un coup. Deux coups. Espacés.
Des hommes entrent dans l'immeuble. Accèdent aux fenêtres.
Le talon claque. Une troisième fois. Puis une quatrième.
Le gamin ouvre les yeux. Extirpé de ses prières. Tourne la tête vers la porte.
Le danseur, cambré, ne se lâche pas des yeux. Il vrille son buste. Il fait claquer ses mains.
Sur le côté. Les pieds joints. Plante à nouveau, comme un cheval, un talon dans le sol.
Des hommes armés montent dans les escaliers. D'autres sont postés à l'arrière.
Des journalistes s'emparent de leurs micros. Des agents font signe de reculer.
Les coups secs dans le parquet s'intensifient. Se rapprochent. Le tempo s'accélère.
La pluie tombe sur la Côte Pavé. Et les coups pleuvent sur le parquet de la salle.
Le danseur garde ses épaules et sa tête immobiles, quand ses jambes se dissocient.
Seuls les pieds pris de frénésie martèlent le sol de plus en plus vite.
Les cuisses et les mollets bandés. Genoux et chevilles serrés. Les talons crépitent.
On défonce la porte. On se répartit dans l'appartement. On entre par les fenêtres.
La cadence infernale aux bottines flamencas. Tout claque et tremble comme au passage d'un train.
Le danseur pris de transe. Le bilboquet transformé en Tac-Tac aux boules de plastique.
Le tacatac des mitraillettes devant le miroir. Et les mains qui virevoltent. Et les poings fermés.
Coups de feu échangés. La tête tournée d'un côté. Puis de l'autre. Les cheveux en volées.
Les giclées de sueur. Et le gamin qui tire. Riposte. Les mains claquent. Les tacones.
Qui trépignent. Font vibrer le plancher. Le tremblement de terre. La trotteuse de la montre.
C'est un déferlement. Presque insoutenable. Et le danseur s'arrête. D'un coup.

Au ralenti. Le jeune homme tombe du balcon et tire dans sa chute.
Le danseur immobile, écumant, respire à pleins poumons.
Et le temps suspendu. Qui s'étire. Qui s'allonge.
Au silence. Assommant.
Le gosse est abattu.
Le repos.
Amorti. Sur le sol.
Comme une goutte d'eau.



 

 

Philippe LATGER
Mars 2012 à Perpignan

 

 

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