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23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 07:31

 

 

Emma regarda la carafe restée sur la table. Ce doit être ce maudit jus de citron pensa-t-elle.
Elle était ravie d'avoir retrouvé sa Marette si douce et gentille que lui avait offerte grand-mère.
Et qui l'accompagnait depuis si longtemps. D'ailleurs, Louis n'était même pas né.
La chatte ronronnait sous sa main comme pour lui dire que tout allait bien.
Evidemment, grand-mère manquait à tout le monde. Et surtout à Emma.
Mais tout le monde semblait pouvoir être heureux malgré tout.
Cette idée envahit la petite fille avec un sanglot irrépressible.
Une idée insupportable qui la révolta.
Marette soudain eut une réaction étrange.
A la montée de chagrin d'Emma, elle miaula sèchement et s'échappa.
Emma en fut surprise et sursauta. La chatte avait bondi comme un ressort.
Elle avait traversé comme une flèche toute la terrasse et se posta au bord de la pelouse.
Emma s'était levée pour chuchoter le plus fort possible : " Reviens Marette ! Reviens ici ! "
Mais la chatte, qui semblait l'inviter à la suivre, reprit sa course dans le jardin. Jusqu'au citronnier.
" Mais qu'est-ce que tu fabriques ? ... Marette ! Allez ! Reviens !... "
Emma ne voulait pas réveiller son petit frère ni Alexandre qui ronflait consciencieusement.
Elle parcourut la terrasse à son tour pour venir chercher la chatte qui la regardait toujours.
Pieds nus, Emma s'est mise à courir, tant la terre cuite était brûlante au soleil.
Elle ne trouva un répit que dans l'herbe plus fraîche. " Marette, qu'est-ce qui t'arrive ?... "
Alors que la petite fille s'approchait d'elle, la chatte sauta avec dextérité sur le tronc de l'arbre
dans lequel elle grimpa à toute vitesse, comme par jeu, jusqu'à la plus haute branche.
" Tu exagères !... bougonna Emma arrivée à l'ombre du feuillage. Bravo, c'est malin !...
Comment on va faire maintenant ?... "
Emma se campa au pied de l'arbre et leva la tête, plissa les yeux sur lesquels elle porta une main
ouverte comme la visière d'une casquette, éblouie par la lumière du soleil qui était aveuglante
malgré la débauche de branches, de feuilles larges et de fruits qui formaient un broussailleux tissu.
Au milieu de rayons éclatants, de gros citrons pendaient comme des boules sur un arbre de Noël.
Dont Emma ne voyait plus la couleur jaune pour les deviner à contre-jour, gênée par la luminosité,
et trop occupée à chercher à situer Marette qui la faisait tourner en bourrique.
" T'es pas sympa... souffla-t-elle démunie. Je ne peux pas monter moi... "
Aux miaulements qu'elle obtint en retour, Emma songea que la chatte était peut-être coincée,
ou incapable de redescendre toute seule, et fut prise d'une nouvelle angoisse.

Alexandre était trop loin. Et dormait profondément.
Emma évalua comme elle put la hauteur de la branche sur laquelle était allongée Marette.
Un coup à droite, un coup à gauche. La petite fille balançait sa tête renversée en arrière.
Pour éviter les assauts du soleil qui transperçait la robe de l'arbre et lui mordait les yeux.
Elle jugea qu'elle pouvait peut-être au moins essayer d'aller chercher Marette toute seule.
Des branches pouvaient ici ou là l'aider à accéder jusqu'à elle.
Emma rassembla son courage et, décidée, empoigna le tronc dans l'idée de se hisser
lorsqu'elle poussa un cri aigu en recevant comme une décharge électrique dans la main.
Elle la retira aussitôt et constata qu'elle s'était blessée sur une épine du citronnier.
Elle porta la piqûre à sa bouche. Et regarda à nouveau vers le ciel.
Chercha Marette des yeux. Sous la voûte ample de l'arbre qui semblait se décupler.
Les fruits lourds, au milieu des feuilles grasses, au stroboscope des attaques du soleil.
La clameur des cigales revint plus forte avec son tempo obsédant qui gagnait en intensité.
Et la coupole du feuillage sous laquelle elle se tenait semblait se refermer lentement sur elle
comme une cloche qui se mit à tourner peu à peu, et Emma un peu ivre se sentit défaillante.
La nausée et le vertige étaient revenus ensemble la faire tituber au milieu d'un manège infernal.
Quand la chaleur, les cigales, les parfums, la lumière, les ombres et les scintillements, à l'unisson,
formaient une étrange spirale dans laquelle elle se sentait prise. Tout s'enroulait autour d'elle.
Des odeurs épaisses d'agrume, de sucre et de sève venaient l'engluer dans d'affreux craquements.
Ceux du tronc peut-être, qui se vrillait comme une corde. Faisant tourner avec lui, le parapluie
de branches et d'étincelles, rappelant les mobiles et ces veilleuses projetant des images colorées
dans les chambres d'enfants, à ces pluies de lucioles et de tâches brillantes des boules à facettes.
Comme des étoiles filantes. Des phosphènes crépitaient aux yeux d'Emma étourdie.
Dans le tambour d'une porte tournante dont l'axe était le tronc du citronnier qui s'arrêta de tourner.
Au moment où l'enfant s'effondra par terre. Epuisée. Dans un silence soudain.

  

 

 

 

Philippe LATGER
Mai 2012 à Perpignan

 

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