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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 01:03

 

 

J'ai appelé la police qui m'a posé tout un tas de questions.
Pierre et René, consternés, se sentaient un peu coupables.
" On ne s'est rendu compte de rien... "
Mes chers et adorables voisins n'avaient rien vu ni entendu de suspect.
Mes invités ont vérifié leurs affaires. J'ai vérifié les miennes.
Seule une centaine de disques avaient été emportée à la hâte.
Les auteurs du délit étaient sortis par derrière, par la porte de ma chambre,
pour filer discrètement par les jardins.
" Il y a toujours des prostitués et des junkies dans le parc... "
a observé en grommelant un habitant du quartier, fataliste, venu en curieux.
" Ils volent de petites choses faciles à revendre,
sans factures... pour se payer leur dope... " surenchérit
l'un des agents, en faisant tristement non de la tête.
L'un de ses collègues, accroupi devant ma porte, à l'aide d'un pinceau,
étalait une sorte de talc sur une large surface autour de la serrure.
Une envie de plaisanter me vint à pensant à la poudre blanche,
coupée net quand j'ai réalisé qu'il cherchait à prélever des empreintes.
A la demande des policiers, j'ai sonné chez mon voisin du dessus, puis
chez celui du rez-de-chaussée - façon comme une autre, de faire enfin
leur connaissance - qui n'avaient naturellement rien remarqué non plus.
J'ai rempli et signé un formulaire, et notre petit attroupement se dispersa
comme une volée de moineaux pour nous laisser soudainement tous les trois,
seuls, face au désordre du salon.
J'ai appelé mon propriétaire qui s'engagea à faire remplacer la porte au plus vite.
Voyant le champ libre, Marie-Laurence fit son apparition, se déhanchant jusqu'à nous
pour nous dire bonjour, sortant de nulle part, se frottant sur nos mollets en s'étirant de bonheur.
Elle ne parut nullement concernée par le chaos de l'effraction.
Simplement un peu froissée de nous voir si absorbés par d'autres priorités
que celle de la caresser ou de jouer avec elle.
Après avoir remis quelques meubles à leur place, rangé les disques oubliés
sur les étagères d'origine, pris une douche, mangé un bout, calé vaguement
un manche à balai contre la porte pour la maintenir fermée, de l'intérieur,
nous avons repris la Chrysler pour aller nous changer les idées
au Casino de Montréal.

( ... )

Limousines et taxis. Uniformes des voituriers. Portes tournantes. Vestiaires.
Des escalators se déroulaient majestueusement dans tous les sens,
entre deux ascenseurs transparents, dans l'atrium monumental.
Compositions florales. Cascades dans les bassins éclairés.
Débauches d'épais tapis et de marbres multicolores.
Rangs de machines à sous, à perte de vue.
Tables de craps, de poker, de black Jack...
Des orchestres de jazz, de blues, de soul et de country
animaient chaque étage, couvrant le tintamarre des machines.
Les shakers secoués sur les bars. Les roulettes. Les cartes. Les dés.
Les rouleaux des bandits manchots. Le raffut des gains illusoires.
Tintements frénétiques et chutes enivrantes de jetons.
Un scotch. Un slow. Choristes afros. Des cuivres.
Les dames de pique. Trois fraises. Impair et manque.
C'est dans le pavillon français de l'Exposition Universelle de 1967
que le casino québécois avait élu résidence.
On y jouissait d'une vue fantastique sur la skyline pailletée de la ville,
couchée sur l'autre rive du Saint-Laurent, scintillante.
Fatras de lumières embrasant la nuit d'un halo cotonneux, orangé,
dominé par le phare mélancolique de la tour Ville-Marie.

Je délaissais encore pour quelques jours mes camarades du forum,
étudiants, lycéens, employés de banque ou agents immobiliers,
de tous âges, de toutes les villes et régions de France ou de Belgique,
réunis par la télépathie balbutiante d'internet,
comme j'abandonnais mes correspondances privilégiées,
via l'adresse Vidéotron, dont celle, prometteuse, qui savait si bien
caresser mon ego dans le sens du poil.

( ... )

 

 

 



Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 18:45

 

 

Nous avons chargé nos bagages dans la soute de l'autobus Greyhound.
A la station Berri-UQAM. A deux rues de chez moi.
Moins d'un an plus tôt, à mon arrivée, après deux nuits sur le sol québécois,
dans le confortable et élégant Hôtel de Paris, sur la rue Sherbrooke,
où j'avais pris une chambre réservée depuis la France,
je m'étais installé pour quelques jours dans un petit établissement minable,
quelques centaines de mètres plus bas, le temps de trouver
mon premier appartement, boulevard René-Lévesque.
J'avais accepté de renoncer au confort du premier hôtel,
qui m'avait paru opportun pour amortir mon atterrissage dans ma nouvelle vie,
et pris la décision, toute menace et toute crainte éloignée, oubliée,
de poser mes valises dans cette pension tenue par de sympathiques Hindous.
J'avais eu le temps de reprendre des forces. Et confiance.
Assez pour m'aventurer dans un lieu moins reluisant,
qui m'offrait une vue imprenable sur la sinistre gare des autobus.
Après une journée de recherche dans les journaux, les petites annonces,
de visites de studios et de deux pièces, je regagnais cette chambre poussiéreuse,
tapissée de moquettes et de papiers marrons partiellement décollés,
avec comme dîner quelques beignets du Donkin Donuts attenant à l'immeuble.
Une adresse cheap, certes, mais provisoire. J'étais en stand by.
Inutile de gaspiller de l'argent dans un hôtel, quand j'allais devoir louer un logement,
le meubler, et ménager mes forces pour la suite. Tenir la distance.
Je m'étais donné une semaine à compter de mon arrivée pour trouver un appart.
J'ai tenu le délai. Une affaire rondement menée.
En attendant, je devais me contenter du vieux lit grinçant,
du vieux téléviseur sans télécommande, doté pour changer de chaînes,
toutes brouillées et aléatoires, d'une seule roulette manuelle, en façade,
dure, résistante à toute manoeuvre, digne d'un antique lave-linge.
Me contenter de la vue, à l'arrière, sur le triste bal des autobus
chargeant et déchargeant du monde sur les quais de la station.
Au-dessus des tôles brunes de la gare, une seule vision me redonnait de l'espoir.
Une image que je n'oublierai jamais, qui m'emplissait de bonheur et d'optimisme
comme un lever de soleil : le phare tournoyant de la Place Ville-Marie.
Cette tour était le symbole de Montréal : sa Tour Eiffel, son Empire State Building.
Un repère dans le ciel qui me signifiait, aussi fort que les sirènes de police dans le lointain,
que j'étais bel et bien en Amérique du Nord. Bel et bien arrivé au Québec...
Alors que le crépuscule accablait de noirceurs un décor de gare routière déjà cafardeux,
le faisceau lumineux balayait le ciel et les nuages, balayait la nuit et ses angoisses,
mes doutes et mon chagrin, allégeait comme par magie la pesanteur de ma solitude.
Virginie et Stéphan, l'excitation au ventre, se tenaient près de moi en attendant d'embarquer.
Nous avions résisté à l'appel, quelques jours plus tôt, des lettres phosphorescentes de NEW YORK
sur d'énormes panneaux d'autoroutes, qui annonçaient des distances en miles,
décroissantes, accessibles, et une destination promise.
Nous étions sur le départ. Cette fois. Au pied du mur.
J'ai vidé un paquet de Players King Size de sa dernière cigarette.
Je l'ai fumée sur le quai, en adressant un regard ému à la petite fenêtre,
perdue dans un recoin de l'immeuble, repérée sur l'étroite façade arrière de mon hôtel,
au milieu de ses briques brunes et des escaliers métalliques de secours,
au-dessus des poubelles du Dunkin Donuts.
J'ai souri en la reconnaissant,
avec la même sérénité fragile qui m'inondait soudain
lorsque caressé par la lumière du phare de la ville.
Souri avec cette même pointe de nostalgie, de tristesse,
et cette même vague, irrépressible,
de confiance en l'avenir.

 

 

 


Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:37

 

 

Un excès de zèle avait poussé le puissant gouverneur Nelson Rockefeller,
motivé aussi bien par la spéculation que par la mégalomanie,
à détruire impunément le downtown d'Albany.
L'architecte Wallace Harrison allait donner à la ville son nouveau visage.
Le tissu dense de la vieille cité, capitale de l'Etat de New York depuis 1797,
premier site d'implantation des colons néerlandais sur l'Hudson,
allait être rasé pour laisser pousser la stalinienne Empire State Plaza :
se déroulant au pied du Capitole de l'Etat, une esplanade sans âme,
bordée d'un rang de buildings identiques et dominée par la Corning Tower,
telle une cane suivie de ses canetons.
On ne s'étonnera donc pas d'y trouver un oeuf,
posé entre un mémorial et un bassin, entouré de mâts sans drapeaux.
Un petit arrière-goût de Brasilia, avec son architecture moderne
sublimée par le style international et le talent d'un Oscar Niemeyer,
qui aurait été admirable s'il n'avait pas ici condamné le centre historique,
déplacé des milliers d'habitants, bien que pauvres, juifs et italiens pour la plupart.
Albany n'avait plus de centre-ville. Un patrimoine perdu à jamais.
Au milieu d'hectares de rues arborées, de quartiers résidentiels tranquilles
- qui ressemblent à tous les quartiers résidentiels middle class d'Amérique -
plus de frénésie urbaine dans de petites rues laborieuses et typiques,
avec leurs cafés bondés, leurs odeurs de bouffe, ni la surchauffe
des livraisons et des embouteillages, ni l'étourdissement du marché,
mais un mausolée de marbre, grotesque, désespérément vide.
" Avec toute la place qu'ils avaient... tout de même... dites-moi que je rêve.
Etaient-ils obligés de construire leur foutu complexe administratif à cet endroit ? "
Il n'y a pas de ville plus triste qu'Albany dans l'Etat de New York.
Notre autobus avait passé la frontière, longé le lac Champlain, filant vers le Sud,
parcouru des miles et des miles de forêts, superbes, intactes, voluptueuses,
traversant le poumon vert protégé, heureusement préservé, des Adirondack Mountains.
Les deux rubans de l'autoroute étaient les seules marques de la civilisation.
Ils se déroulèrent en harmonieux méandres jusqu'à la vallée de l'Hudson,
par Glens Falls, puis Saratoga Springs, dont les petites agglomérations,
jalousement dissimulées par la végétation, tapies sous la voûte des feuillages,
n'étaient indiquées que par un simple panneau sur un échangeur inattendu,
ou un château d'eau brandissant timidement le nom de la ville au-dessus des arbres.
L'Interstate 87 ondulait gentiment en terres indiennes, où la nature est encore respectée,
où un héritage d'humilité s'est transmis à des colons désamparés, ceux qui,
loin de leur patrie, ont donné, en d'autres temps, les noms d'Amsterdam
ou de Rotterdam, à de petites communautés cherchant d'abord à subsister.
Parcs nationaux, sites protégés, à valeur aussi bien écologique qu'historique,
se succèdent, s'entremêlent, pour conserver fermement un patrimoine inestimable,
une réserve d'air pur et d'animaux sauvages, si proche de la démesure urbaine de New York City.

Première balafre dans le paysage, à l'horizon, la maman canard et ses petits :
la Corning Tower, imbue d'elle-même, avait perdu le chemin de la grande ville.
A Manhattan, elle serait certes passée inaperçue, noyée dans un océan de skyscrapers,
une tour parmi tant d'autres, mais ici, on ne voit qu'elle. Cela la rend importante.
Mais sa solitude finit de la rendre idiote. Trois fois trop haute. Trois fois trop grosse.
Elle s'est pompeusement donné pour mission d'indiquer à des kilomètres à la ronde,
la position d'Albany. Siège du gouvernement de l'Etat.
Parvenu sur la rive de l'Hudson River, l'autobus progressait dans un environnement
qui changea soudain de nature : un noeud routier, monstrueux, digne de Los Angeles,
posé au milieu de nulle part, allait nous aspirer, nous faire dévier de notre trajectoire.
Une passerelle fit une boucle sous une autre, alors que nous rétrogradions,
le moteur montant bruyamment dans les tours,
voyant des rampes de béton armé traverser les vitres latérales.
L'autobus s'est mis à souffler, tousser, cracher, haleter de stops en feux rouges,
grinçant sur ses suspensions dans une rue secondaire sans intérêt
qui nous conduisit à la gare routière de la petite capitale.
Tout le monde descend.


 




Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:32

 

 

Ma cousine Valérie, la soeur de Frank, fut la première à venir me rendre visite.
Je vivais encore, bien que provisoirement, dans mon rez-de-chaussée sur René-Lévesque.
Avec son époux, William, elle avait partagé son séjour canadien entre le Québec
et la Colombie Britannique, à l'autre bout du continent, sur la façade ouest, pacifique,
pour y découvrir les Rocheuses et Vancouver.
Pour la première fois depuis mon installation,
j'avais une opportunité de sortir de Montréal, de voir autre chose...
C'est avec eux que j'ai découvert la ville de Québec, le Château Frontenac,
et au-delà, les chutes de Montmorency, le site splendide des Sept-Chutes,
ou le village huron de Wendake.
J'ai rebroussé chemin, alors qu'ils avançaient vers le Nord,
pour retourner en ville où je cherchais déjà une nouvelle adresse.
Ils m'ont rejoint plus tard à Montréal, où ils se sont posés deux jours,
avant d'entreprendre ensemble le fameux périple en Ontario,
premier pour moi d'une longue série.
J'avais en leur absence dégoté l'appartement de la rue St-Timothée.
Contrairement à celui que j'habitais, que je pouvais payer au mois,
en cash, sans bail ni garanties, que je pouvais quitter sans préavis
pour être du logement essentiellement étudiant,
ce nouvel appart nécessitait plus de précautions, de gages et d'assurances.
J'avais affaire directement avec le propriétaire qui s'inquiétait de ma solvabilité.
Il s'en inquiétait d'autant plus que je n'avais encore aucun statut précis au Québec.
En attendant qu'Immigration Canada ne m'accorde les droits de résident permanent,
je n'étais accepté sur le territoire que comme simple touriste.
J'ai convaincu Monsieur Poulin en lui proposant de payer 12 mois d'avance.
Une année de loyers. En une seule traite. C'était un argument.
De toute façon, je n'avais pas trop le choix. Je devais faire vite.
Mon frère allait être le second de la famille à venir outre-Atlantique.
Valérie et William, encore à mi-parcours, allaient décoller pour Vancouver.
Ils m'ont dit au revoir précisément la veille de mon déménagement sur la rue St-Timothée.
Et mon frère est arrivé précisément le lendemain.
Je l'ai reçu à Montréal au milieu de cartons à peine défaits,
dans une odeur de polystyrène et de ruban adhésif.
A l'encontre de Valérie et William venus chercher les grands espaces,
Jean-François et Luc préféraient les excursions urbaines.
Ils ne manifestèrent aucune curiosité pour Niagara Falls ou les forêts d'érables,
ni pour les Hurons, ni pour les caribous, et, pour mon plus grand bonheur,
nous avons simplement profité de ma vie de quartier,
des restaurants, des terrasses pour les petits-déjeuners au soleil,
de celles, sur les toits, à investir le temps d'un apéro en début de soirée
avant de nous engouffrer joyeusement dans la nuit.
C'est en leur compagnie que j'ai découvert mon nouvel environnement.
Seule une journée à Québec avait interrompu notre semaine montréalaise.
Lascive. Débraillée. Dans l'insouciance d'un mois de juin chaud et sec.
La ville les accueillait comme elle accueillait l'été. Ouverte et disponible.
La deuxième semaine de leur séjour, nous passions aux choses sérieuses.
Nous avons pris un autobus pour New York.

 

 




Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:28

 

 

Nous sommes sortis de l'autobus pour suivre les passagers
dans un vaste hall, sans savoir de combien de temps nous disposions.
De larges fauteuils nous accueillirent, dont certains, assez disgracieux,
avec leur petit téléviseur rudimentaire, intégré dans l'accoudoir,
qui permettait l'accès aux programmes pour 25 cents le quart d'heure.
Tous les trois manquions de sommeil.
Affalés, nous luttions pour ne pas manquer l'heure du départ.
Peut-être pour avoir fait appel aux services d'une autre compagnie,
mon voyage avec Jean-François et Luc n'avait pas marqué d'arrêt à Albany.
Je suis sorti fumer une cigarette à l'extérieur du terminal, près du bus.
Songeur, j'ai scruté la silhouette de la Corning Tower,
tentant d'imaginer ce qu'il pouvait y avoir au pied.
Difficile d'envisager l'existence de 100.000 habitants
dans un environnement pareil, qui, vu de la gare routière,
avait plutôt l'air d'un no man's land.
Nous n'avions plus que 200 kilomètres à parcourir pour arriver à NYC.
Je savais bien que je profitais ici du calme avant la tempête.
Je suis allé rejoindre mes camarades à l'intérieur, le coeur léger.
" Au départ, il y a eu Fort Orange, à l'époque des Hollandais... "
A l'époque où New York s'appelait New Amsterdam.
Et puis, quand les Anglais ont pris le contrôle de la région,
ils ont baptisé les deux villes en hommage à Jacques Stuart, duc d'York et d'Albany.
Je me suis raidi d'un coup en devinant des mouvements suspects du côté de l'autobus.
Distrait par notre conversation, j'avais relâché ma surveillance.
Pas de doutes. Il démarrait.

( ... )

L'autobus faisait juste un plein de carburant avant notre départ.
Le chauffeur avait ramené le véhicule à son quai, nous fit appeler au micro,
comme dans toute gare qui se respecte, et nous somme remontés à bord.
L'absence de commentaires de sa part nous signifia qu'il n'avait absolument
rien remarqué dans ses rétroviseurs, et nous pûmes faire l'air de rien.
Nous nous sommes engagés dans les rampes de béton armé
pour redescendre sur l'Interstate et longer l'Hudson vers le Sud.





Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:09

 

 

Elle trouvait étrange mon rapport à la photographie.
Des photos... j'en trimballais toujours avec moi. En prenais sans cesse.
C'était une façon pour moi d'arrêter le temps.
Une façon de lui faire un bras d'honneur.
Avec la photo, on " immortalise " ... et je voulais tout immortaliser.
Chaque instant de ma vie, chaque lieu, chaque personne.
Chaque pression sur le déclencheur était une victoire sur le temps.
Un instant échappait soudain au vieillissement, à la mort et à l'oubli.
C'était la même lutte que dans l'écriture.
Noir sur blanc, des signes gravés sur le papier me permettaient
de fixer des situations, des personnages, des réalités qui,
périssables par nature, se retrouvaient sauvegardés quelque part.
Je pouvais par le truchement miraculeux du texte conserver nos vingt ans,
la jeunesse ou la beauté d'une amie, la douceur d'un évènement, d'un échange,
les traits de mes proches, à quarante ou cinquante ans, une conversation précise,
un moment sans importance, une sensation diffuse, des émotions fugaces,
comme des choses qui n'ont jamais existé.
La photo avait ce même pouvoir. Elle volait des instants à l'appétit de Cronos.
Dans la panique, j'essayais de faire tomber du tapis roulant
- sur lequel j'étais moi-même emporté - tout ce qui était à ma portée
comme pour sauver des piastres du naufrage.
Extraire tout ce que j'ai pu de la fuite inexorable.
A commencer par ceux que j'aime.
J'ai parlé d'eux dans mes écrits comme je les ai pris en photo.
Autant que mes forces ont pu le permettre.

( ... )

 


J'étais toujours étonné de me voir sur une image.
C'était déstabilisant. Une preuve de mon existence.
Une façon de sortir de moi-même et de me rencontrer.
Se voir de l'extérieur de soi, comme quand on meurt.
C'est aussi troublant que d'entendre sa voix sur un enregistrement.
Tout à coup, on dirait quelqu'un d'autre.
Et l'on peut se percevoir, peut-être, come vous perçoivent les autres.
Pour moi qui suis de ces gens, fatigués souvent d'être eux-mêmes,
qui aimeraient de temps en temps être quelqu'un d'autre,
se voir dans un miroir ou sur une photo était comme une trêve, une pause,
où, un dédoublement, même bref, était soudain possible.
Je n'étais pas amoureux de mon image et ne me contemplais pas comme Narcisse,
j'essayais au contraire de voir en moi une personne inconnue, un objet lointain,
quelque chose qui devait me laisser indifférent ou perplexe, et, le temps de cet exercice,
je parvenais à me mettre à distance de moi-même, comme si j'étais sorti de mon corps.
Narcisse, en se désirant, voulait rentrer dans son corps par la porte du miroir.
Par la même porte, je voulais en sortir.

 




Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 17:05

 

 

Les treize appareils jetables étaient alignés sur le plan de travail.
Le jaune Kodak, vif, tranchait sur le bleu pâle moucheté de la cuisine,
près de l'inox lumineux des ustensiles, de la bouilloire, et de l'évier.
Virginie et Stéphan, en effet, s'apprêtaient à repartir en France.
C'est avec elle, et son frère, que le dépucelage new-yorkais s'était fait en 1994.
Avec elle et Cédric, que nous avions traversé l'Atlantique une première fois.
Paris-Montréal. Montréal-Boston. Boston-New York. Et Washington...
Trois ans plus tard, nous avions récidivé sur la Côte Ouest.
On ne change pas une équipe qui gagne. Un mois en Californie. Tous les trois.
Los Angeles. San Diego. Las Vegas. San Francisco.
Des photos de ce voyage étaient aussi soigneusement classées dans un album.
L'année suivante, en 1998, je partais m'installer seul au Québec.
L'Hôtel de Paris sur Sherbrooke. L'hôtel rue St-Hubert, sur la gare routière.
L'expérience de l'hiver. Noël, tout seul, dans l'appartement de René-Lévesque.
" Je vais vous accompagner à l'aéroport de Dorval... dis-je.
Nous sommes dans les temps. "
J'avais appelé une voiture. J'avais tout prévu.
Après quelques jours dans la Big Apple, difficile de maintenir le standing.
Un coucher de soleil au sommet de l'Empire State Building,
un autre sur le pont de Brooklyn, une nuit au Life, la suivante au Limelight,
le survol de l'Hudson en hélicoptère, Times Square, le toit du Metropolitan ...
Le retour à Montréal ressemblait à une gueule de bois. Il fallait réagir.
J'avais acheté du champagne à la SAQ et préparé une cassette audio.
Stéphan était prêt. Il fumait une cigarette.
Sur le palier de bois de mon escalier en façade, songeur, absent.
Et la porte ouverte, dont on venait de réparer la serrure
en attendant de la changer carrément,
ne sembla pas lui rappeler de mauvais souvenirs,
ni lui faire regretter le sac de voyage perdu dans la tourmente.
Celui laissé vide dans une penderie,
dans lequel on emporta mes CD quelques jours plus tôt
et qui, par malchance, se trouvait être le sien.
Un mélange de fatigue et de nostalgie déjà perceptible
imprégnait tous nos gestes,
lents et résignés.


 




Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 16:59

 

 

Pendant que Virginie et moi faisions un dernier tour pour nous assurer
qu'ils n'oubliaient rien de leurs affaires, Stef s'extasia soudain
sur une limousine noire qui vint se garer de tout son long dans la rue.
Il n'eut pas le temps de se demander à voix haute, admiratif ou goguenard,
quel genre de VIP elle pouvait bien venir chercher ou raccompagner dans le quartier.
Quand j'ai pris, impérieusement, sans explications, une partie des bagages pour les descendre,
mes amis comprirent alors, interdits, que la limo n'attendait plus qu'eux.
Le chauffeur en uniforme a chargé les valises dans le coffre après nous avoir salués avec déférence.
Virginie et Stef voulurent protester, me dissuader peut-être, mais l'émotion les en empêcha.
Ils n'avaient plus qu'à se laisser faire, monter dans le véhicule,
alors que j'avais déjà mis le champagne au frais et ri de leur embarras.
J'avais fait passer au chauffeur, à l'avant, la bande magnétique préparée pour l'occasion,
alors qu'il nous engageait déjà dans la rue Ontario sous les regards en coin, dubitatifs, des passants.
" Vous avez bien mérité ça... " dis-je pour les convaincre de se mettre à l'aise.
La voiture nous berçait avec mollesse dans les rues du centre-ville
quand l'introduction disco d'Aquarius retentit en fond sonore.
Les basses lourdes sur la batterie claire de l'ouverture de Hair,
accompagnait le défilé des devantures, entrées d'immeubles et gratte-ciel,
comme celui des Montréalais pressés sur les trottoirs, indifférents à notre passage.
Des images de vidéo-clips. Projetées sur nos vitres fumées.
La limousine se lança dans la circulation plus dense de l'autoroute Ville-Marie,
au bout de laquelle, nous le savions, le terminal de l'aéroport nous attendait.
J'ai sorti trois flûtes de mes poches. Il était temps d'ouvrir le champagne.
Les cuivres de Stevie Wonder pétaradaient sur un Superstition endiablé,
décidés à refouler toute tristesse, à en chasser l'ombre dans le moindre recoin.


  When you believe in things that you don't understand,
  Then you suffer...
  Superstition ain't the way.


Nous avons trinqué la gorge serrée.

 

 



Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 12:04

 

 

Le couple était morphologiquement dépareillé.
Elle était grande et grosse. Il était petit et maigre.
Je n'arrivais pas à leur donner d'âge.
Entre 40 et 60 ans. Probablement.
Les concierges de la résidence le Bienvenue étaient affables.
Après quelques jours de prospection autour de l'université,
j'avais trouvé ce rez-de-chaussée, disponible immédiatement,
qui convenait dans un premier temps pour poser mes affaires.
Fatigué de grignoter mes beignets secs dans la chambre de la rue St-Hubert,
je remerciai la famille hindoue de son accueil et partais sur René-Lévesque.
Le petit homme jovial me conduisit dans les sous-sols de la résidence,
pour aller jeter un oeil à un dépôt de meubles qu'il se chargeait de gérer.
J'avais déjà pris le petit ascenseur avec madame, lorsqu'elle me fit l'avant-veille
visiter l'immeuble, et descendre à la cave, découvrir le fonctionnement de la laverie.
J'y suis retourné le jour de l'installation, découvrant une vieille porte de planches,
entre les machines trapues, que le concierge ouvrit pour me montrer fièrement
une piteuse caverne d'Ali Baba, sombre et humide.
Dans l'espace bas de plafond, des chaises et de vieux fauteuils éventrés,
des tables de nuit et guéridons sous plastique, une lampe halogène exsangue,
de la vaisselle ébréchée, tout un bric-à-brac de choses aussi laides que vermoulues,
abandonnées par des locataires pressés de partir,
toutes avidement récupérées et conservées par mes hôtes.
Monsieur était là pour faire des affaires, arrondir ses fins de mois,
bien décidé à me faire cracher quelques dollars contre une de ses saletés.
J'ai trouvé un matelas convenable qu'il m'aida à monter,
une table ordinaire et deux chaises à peu près propres,
un petit bureau dont la planche de contreplaqué retrouverait aisément sa blancheur d'origine
et un siège en bon état, assez confortable pour y travailler des heures ou des nuits entières.
J'ai déplié une liasse de billets, donné au concierge ce qu'il m'avait demandé, sans discuter,
et refermé la porte sur mon nouveau chez-moi avec soulagement.
Je me suis donné le temps de fumer une cigarette ou deux, tout seul,
dans ce grand espace vide, que j'ai arpenté comme une galerie d'art.
Les volumes étaient beaux. Les murs blancs et le parquet étaient propres.
Quelques meurtrières en guise de fenêtres, donnaient sur la façade de l'UQAM,
sur le trottoir d'en face, éloignée des six voies du large boulevard, et laissaient,
en hauteur, entrer ce que le ciel pouvait accorder de lumière.
J'ai boudé un temps mes deux gros sacs, pleins à craquer,
posés distraitement par terre près de mes nouvelles acquisitions, à l'entrée,
pour m'imprégner de l'atmosphère, apprivoiser l'endroit.
Je me suis masturbé. Une façon de m'appoprier les lieux.
Une façon de marquer mon territoire, comme les chiens pissent sur les arbres.
J'ai pris une serviette de bain dans mon sac et suis allé prendre une douche.
C'est après ces deux exercices seulement, que je me suis autorisé à m'installer,
à ouvrir enfin les bagages pour déplier le linge,
à retrouver avec émotion des objets fétiches
soigneusement enroulés dans de vieux pull-overs...

 

 




Philippe LATGER

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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 12:00

 

 

J'avais jeté le fond de champagne et les trois verres dans une poubelle,
et pris l'autobus pour retourner sagement à la maison.

( ... )

Après l'enregistrement des bagages, je les avais embrassés sobrement
avant de les voir disparaître dans la salle d'embarquement.
Mon trajet en bus me renvoya à ma solitude.
A mes occupations et à ma correspondance favorite.
Le même décor, encore insouciant une heure plus tôt,
bien qu'un peu mélancolique, à l'aller,
était devenu d'une froideur mortuaire au retour.
Silencieux. Immobile.
J'allais probablement dîner avec Pierre et René,
raconter dans le moindre détail notre séjour à Manhattan,
et vider quelques verres de scotch pour me réchauffer l'abdomen.
Je n'avais que trois jours de battement avant l'arrivée de Laetitia.
Trois jours trop longs. Ou trop courts. Les deux à la fois.
L'euphorie et le stress retombaient ensemble avec mes forces.
J'ai sorti ma nouvelle clé pour ouvrir ma vieille porte rapiécée.
Marie-Laurence est venue aussitôt pour me consoler,
ravie de m'avoir pour elle toute seule
L'ordinateur m'attendait dans ma chambre.
Et les deux notes de la messagerie furent teintés de chagrin.
L'appartement était affreusement vide.
Contrairement à ma boîte de réception.

( ... )


Je suis remonté ivre à l'appartement.
J'avais raconté à Pierre et René notre séjour à Manhattan dans le moindre détail.
J'avais vidé quelques verres de scotch pour me réchauffer l'abdomen.
On m'avait envoyé des messages.
Je voudrais te lire... Je voudrais te lire...
Un acte anthropophage.

( ... )

Son visage était encadré de bois rouge,
plongé dans une lumière orange.
J'ai acheté le cadre Place Dupuis,
dans la boutique où je faisais développer mes photos.
Au coin de Maisonneuve et St-Hubert.
Je l'avais installé sur le frigo, en hauteur,
près des deux bougeoirs achetés à Rome
qui m'avaient eux aussi suivi jusqu'à Montréal.
Son sourire mystérieux veillait encore sur moi.
Maman m'avait aidé à choisir l'appartement. Cours de l'Yser.
Elle m'avait aidé aussi à en repeindre les murs. En jaune vif.
Un jaune Kodak qui a tranché sur le bleu électrique du canapé.
Sur le rouge d'une colonne plantée dans un coin du balcon.
Qu'est-ce qui m'a poussé à partir ?...
J'allais rester un an à Bordeaux. Loin de tous.

 




Philippe LATGER

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