J'ai appelé la police qui m'a posé tout un tas de questions.
Pierre et René, consternés, se sentaient un peu coupables.
" On ne s'est rendu compte de rien... "
Mes chers et adorables voisins n'avaient rien vu ni entendu de suspect.
Mes invités ont vérifié leurs affaires. J'ai vérifié les miennes.
Seule une centaine de disques avaient été emportée à la hâte.
Les auteurs du délit étaient sortis par derrière, par la porte de ma chambre,
pour filer discrètement par les jardins.
" Il y a toujours des prostitués et des junkies dans le parc... "
a observé en grommelant un habitant du quartier, fataliste, venu en curieux.
" Ils volent de petites choses faciles à revendre,
sans factures... pour se payer leur dope... " surenchérit
l'un des agents, en faisant tristement non de la tête.
L'un de ses collègues, accroupi devant ma porte, à l'aide d'un pinceau,
étalait une sorte de talc sur une large surface autour de la serrure.
Une envie de plaisanter me vint à pensant à la poudre blanche,
coupée net quand j'ai réalisé qu'il cherchait à prélever des empreintes.
A la demande des policiers, j'ai sonné chez mon voisin du dessus, puis
chez celui du rez-de-chaussée - façon comme une autre, de faire enfin
leur connaissance - qui n'avaient naturellement rien remarqué non plus.
J'ai rempli et signé un formulaire, et notre petit attroupement se dispersa
comme une volée de moineaux pour nous laisser soudainement tous les trois,
seuls, face au désordre du salon.
J'ai appelé mon propriétaire qui s'engagea à faire remplacer la porte au plus vite.
Voyant le champ libre, Marie-Laurence fit son apparition, se déhanchant jusqu'à nous
pour nous dire bonjour, sortant de nulle part, se frottant sur nos mollets en s'étirant de bonheur.
Elle ne parut nullement concernée par le chaos de l'effraction.
Simplement un peu froissée de nous voir si absorbés par d'autres priorités
que celle de la caresser ou de jouer avec elle.
Après avoir remis quelques meubles à leur place, rangé les disques oubliés
sur les étagères d'origine, pris une douche, mangé un bout, calé vaguement
un manche à balai contre la porte pour la maintenir fermée, de l'intérieur,
nous avons repris la Chrysler pour aller nous changer les idées
au Casino de Montréal.
( ... )
Limousines et taxis. Uniformes des voituriers. Portes tournantes. Vestiaires.
Des escalators se déroulaient majestueusement dans tous les sens,
entre deux ascenseurs transparents, dans l'atrium monumental.
Compositions florales. Cascades dans les bassins éclairés.
Débauches d'épais tapis et de marbres multicolores.
Rangs de machines à sous, à perte de vue.
Tables de craps, de poker, de black Jack...
Des orchestres de jazz, de blues, de soul et de country
animaient chaque étage, couvrant le tintamarre des machines.
Les shakers secoués sur les bars. Les roulettes. Les cartes. Les dés.
Les rouleaux des bandits manchots. Le raffut des gains illusoires.
Tintements frénétiques et chutes enivrantes de jetons.
Un scotch. Un slow. Choristes afros. Des cuivres.
Les dames de pique. Trois fraises. Impair et manque.
C'est dans le pavillon français de l'Exposition Universelle de 1967
que le casino québécois avait élu résidence.
On y jouissait d'une vue fantastique sur la skyline pailletée de la ville,
couchée sur l'autre rive du Saint-Laurent, scintillante.
Fatras de lumières embrasant la nuit d'un halo cotonneux, orangé,
dominé par le phare mélancolique de la tour Ville-Marie.
Je délaissais encore pour quelques jours mes camarades du forum,
étudiants, lycéens, employés de banque ou agents immobiliers,
de tous âges, de toutes les villes et régions de France ou de Belgique,
réunis par la télépathie balbutiante d'internet,
comme j'abandonnais mes correspondances privilégiées,
via l'adresse Vidéotron, dont celle, prometteuse, qui savait si bien
caresser mon ego dans le sens du poil.
( ... )
Philippe LATGER