Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 01:51

 

 

 

 

Turquie

 

 

 

 

 


La nouvelle polémique en Turquie sur les propos de Recep Tayyip Erdogan
remettant en question la mixité dans les résidences étudiantes n'étonnera personne.
Premier ministre depuis plus de dix ans, porté par l'AKP, il gère certes un pays laïc,
mais suivant la ligne politique assumée d'un parti islamo-conservateur élu.
La presse rappelle, c'est son rôle, des lois visant à limiter la consommation d'alcool,
d'autres permettant le port du voile au Parlement, lois auxquelles nous pourrions ajouter
des investissements dans les pays des Balkans à fortes communautés musulmanes,
en Albanie, en Macédoine, rénovant hammams, mosquées, écoles coraniques,
entre autres vestiges du patrimoine ottoman, ainsi que le soutien appuyé au Kosovo,
lorsque, comble de la provocation, Erdogan avait fait bondir Belgrade par ce discours
dans lequel il déclarait : " La Turquie, c'est le Kosovo, et le Kosovo, c'est la Turquie. "
Il faut comprendre que la République turque avait certes fait le choix de l'Occident,
en fondant une République laïque sans doute, sur ce qui pourrait être le modèle français,
c'était en 1923, sous l'impulsion de Mustafa Kemal Atatürk, qui, entre autres signaux forts,
a remplacé l'alphabet arabe par l'alphabet latin, ou donné dès 1930, bien avant la France,
soit dit en passant, le droit de vote aux femmes. Mais ce choix pour l'Occident est validé
plus encore peut-être par l'entrée de la Turquie dans l'OTAN en 1952. Sans équivoque.
Ce fut l'engagement le plus clair. Trois ans après son adhésion au Conseil de l'Europe.
Ce pays bien sûr, nous avait choisis. Fut notre allié durant les années de Guerre-Froide.
Et avait contribué à la construction européenne. Immédiatement. Et sans réserves.
Il le fit en participant au Plan Marshall en 1947, en étant membre fondateur
l'année suivante de l'OECE (Organisation européenne de coopération économique),
aussi était-il légitime de le voir présenter une demande d'association à la CEE
quelques mois seulement après le Traité de Rome en 1957.
La Turquie avait participé à la reconstruction du continent comme à sa défense.
Plan Marshall et OTAN. Contributeur de notre paix et de notre prospérité européennes.
L'accord d'association entre la Turquie et la CEE sera donc signé en 1963.
L'accord d'Ankara. Document qui porte en lui une promesse terrible qui ne sera pas tenue.
Celle selon laquelle les efforts consentis favoriseraient l'adhésion de la Turquie à la CEE.
C'était en 1963. Nous sommes en 2013. Et la Turquie n'est toujours pas membre de l'Union.
Ce pays, déjà motivé, se trouvait encouragé et fit du mieux possible pour satisfaire les critères.
Même si très vite, le général de Gaulle notamment, mit un ver dans le fruit pour longtemps,
en préférant parler de coopération, qui était une façon espérée élégante de fermer la porte.
Le choix de la Grèce, au deuxième élargissement de 1981, fut un autre signal,
tout aussi diplomate, que nous n'assumions pas vraiment. Nous ne voulions pas de la Turquie.
Et nous ne savions pas comment le lui dire.
Nous pouvions bien avoir les scrupules de l'être aimé qui se refusait à l'être aimant,
ils ne nous honoraient pas, lorsque l'être aimant avait fait plus que nous aimer.
Il nous avait aidés. Substantiellement. Et nous nous sommes empêtrés dans des promesses.
Dont nous ne savions plus nous affranchir autrement qu'en en retardant les épreuves.
En 1987, la Turquie, toujours déterminée, a adressé une seconde candidature.
Elle essuiera un nouveau râteau qui ne se fit pas attendre, lorsque deux mois plus tard,
le Parlement européen sortira d'un chapeau la question arménienne.
Une insulte pour les deux parties quand on comprend que c'est une parade pour faire obstacle.
Injure pour la cause arménienne dont on se sert, qu'on utilise à des fins politiques.
Injure pour les Turcs qui ne peuvent plus ne pas comprendre nos réelles intentions,
lorsque nous nous retrouvons contraints à sortir des dossiers aussi abjects qu'injustes,
quand nous savons que, ironie de l'Histoire, s'il fallait pour entrer dans l'Union Européenne
n'avoir commis aucun génocide, l'Union serait loin de compter 28 Etats-membres.
Bien sûr, la Turquie avait ce problème à régler. Avec sa propre Histoire.
Comme il pouvait y avoir la question de Chypre à résoudre.
Mais on voyait, comparativement, qu'il y avait tout de même deux poids et deux mesures.
Que les règles du jeu changeaient en fonction des progrès enregistrés par Ankara,
pour avoir encore et toujours le moyen de dire non.
Pourquoi dire non à la Turquie... En avez-vous la moindre idée ?...
Pourquoi nous priver d'un pays doté de la première armée du continent ?
Pourquoi l'Europe vieillissante se priverait d'un pays de 76 millions d'habitants
dont la moitié est âgée de moins de trente ans ?
Qu'est-ce qui justifie que l'on se prive de ses soldats et de ses jeunes ?
Quand on sait à quel point la démographie de l'Europe est un problème en soi.
Qu'est-ce qui justifie que l'on se prive de sa culture, de son Histoire, de son patrimoine,
de ses ressources, de sa situation géostratégique, de ses taux de croissance ?
Dans la cour des BRICS, ou des pays dits émergents, aux côtés de la Chine et du Brésil,
avec des taux de croissance à 8 ou 9 %, la Turquie était en bonne place.
Et même avec un taux réduit de moitié, elle conserve une croissance qui fait rêver,
et qui aurait été un atout formidable si nous avions eu un minimum de discernement.
Car la véritable réticence européenne concernant l'adhésion turque, je le crains,
se révèle dans la tentation que nous avons eue, à l'époque de la rédaction du TCE,
le Traité Constitutionnel Européen, et de la Convention sur l'avenir de l'Europe,
entre 2002 et 2003, tentation qui fit polémique, de faire référence dans la Constitution
à l'héritage religieux de l'Europe et plus particulièrement à ses racines chrétiennes.
Je serais ravi qu'on m'oppose des explications rationnelles que je n'ai pas trouvées.
Et je vois une certaine coordination des dates entre ce débat sur l'identité européenne
et l'élection d'Erdogan, qui était déjà l'expression d'un dépit amoureux.
L'Europe veut être un club chrétien ? La Turquie en prend acte. Elle se repositionne.
Quand elle nous prouve aujourd'hui qu'elle n'a pas besoin de l'Union pour être une puissance.
Sa patience pouvait avoir des limites, après 50 ans de déceptions voire d'humiliations,
et le peuple turc était en droit de penser que s'inféoder à l'Occident n'avait pas été payant,
que cela avait pu être une erreur, quand on pouvait aller jusqu'au sentiment de trahison.
Qui pourrait lui reprocher de se tourner aujourd'hui vers l'Orient quand nous l'avons rejeté ?
D'autant que ce n'est pas vraiment son choix, puisqu'il se concentre sur son propre leadership,
et qu'il investit plus sur son indépendance et son soft power que sur de nouvelles inféodations.
Il ne tourne pas le dos à l'Europe pour s'ouvrir à l'Iran ou l'Arabie Saoudite.
Le peuple turc a soutenu l'idée de reconquérir une civilisation ottomane,
quand on lui opposait à mots couverts notre civilisation chrétienne.
Il faut d'ailleurs expliquer, encore et encore, que les Turcs ne sont pas des Arabes.
Aussi vrai que les Iraniens sont des Perses et non des Arabes. Les Turcs sont des Ottomans.
L'équation Musulmans = Arabes est un sophisme aussi fallacieux que dangereux.
Et je rappelle que la Turquie, République laïque, comme la France,
n'est donc pas plus musulmane que la France, si ce n'est au regard de données statistiques.
La France, pardon, a aussi des citoyens musulmans. Au même titre que la Turquie.
Et la culture musulmane a toujours été, plus qu'un apport, constitutive de la culture européenne.
Portée par les Arabes comme par les Ottomans. Qui pourra le nier ?
Quand il s'agit de philosophie, de poésie, de mathématiques, de médecine et d'astronomie.
Quand il s'agit d'architecture et de musique, comme on le voit particulièrement en Espagne.
La culture musulmane fait partie de l'héritage culturel européen.
Et nous devrions, faute de Turquie, intégrer le Kosovo, la Macédoine et l'Albanie,
musulmans ou pas, quand nous verrons bien, aux commémorations de la Guerre de 14-18,
ce que signifie la Poudrière des Balkans, pourquoi nous devions intégrer la Croatie,
pourquoi nous devons pour des raisons historiques faire entrer ces Etats dans l'Union.
Nous avons reçu un Prix Nobel de la Paix. Tâchons de nous en souvenir.
Comme nous devons nous rappeler que nous n'avons pas pu empêcher les guerres atroces
de l'ex Yougoslavie, et que, si près de la réunification allemande, qui pouvait déjà, en soi,
nourrir quelques angoisses, il se trouve que la France et l'Allemagne tout juste réunifiée
ne soutenaient pas les mêmes belligérants. L'ivresse de la chute du Mur de Berlin. Certes. 89.
L'ivresse de la réunification l'année suivante. Parfait. Et ce désastre ensuite. Dans les Balkans.
Où l'on voit qu'à la force des traités entre Paris et Berlin, finalement, nous n'avons pas volé
ce Prix Nobel de la Paix, quand nous aurions pu aussi bien repartir comme en 14.
L'Allemagne soutenait les Slovènes et les Croates. La France soutenait les Serbes.
Slovènes et Croates sont entrés dans l'Union. Faisons entrer les Serbes et les Bosniaques.
Les Kosovars. Les Macédoniens et les Albanais. Cinq Etats supplémentaires. Nécessaires.
Quand, comme la France et l'Allemagne liées par les traités de marché commun
et de monnaie unique, ces Etats ne se feront plus la guerre entre Etats-membres.
Pour la question de Chypre, présentée comme obstacle à l'entrée de la Turquie dans l'Union,
c'était une façon habile ou perverse de renverser les choses et de déplacer le sujet.
Puisque ce n'est pas la question de Chypre qui est un obstacle à l'entrée de la Turquie,
c'est l'entrée de la Turquie qui est une solution à la question de Chypre.
Car enfin, si la France et l'Allemagne ont finalement pu se réconcilier,
il n'y a aucune raison que la Grèce et la Turquie ne puisse pas le faire.
Et cela aurait été envisageable si les deux pays avaient siégé à la même table,
dans le même Parlement, dans les mêmes institutions.
L'association et l'union douanière telles que définies par l'accord d'Ankara
sont plus proches de la coopération annoncée par le général de Gaulle
que de l'intégration dans l'Union, qui suppose une participation à la décision,
ce qui peut précisément poser des problèmes aux pays qui pèsent le plus,
quand un pays de 76 millions d'habitants pèserait autant que quelques autres,
moins que l'Allemagne mais plus que la France, par exemple.
Siégeant au G20, une telle puissance ne saurait se contenter d'apparaître à l'Eurovision
et aux compétitions sportives continentales, et il est naturel, à ses succès économiques,
doublés d'une puissance militaire, ce qui n'est pas le cas de tous les pays émergents,
qu'elle cherche à défendre ses intérêts quand elle est déjà une puissance régionale,
et il était évident, bien avant les taux de croissance actuels, que son adhésion à l'Union
aurait apporté à l'Europe plus de solutions que de problèmes.
Surtout, bien sûr, si l'on considère que les religions pratiquées par les populations,
n'interfèrent en rien dans les alliances politiques basées sur des valeurs communes,
justement, de tolérance et de respect des libertés individuelles pensées par les Lumières.
Les guerres de religion, en France et en Europe, ont accouché dans la douleur
de cette philosophie de la tolérance, des principes républicains et démocratiques,
de la séparation des Eglises et de l'Etat, jusqu'à l'idée-même de laïcité.
Et les massacres, ici, en amont, n'impliquaient l'Islam d'aucune façon,
quand nous étions assez de Catholiques et de Protestants pour nous faire la guerre.
Entre Chrétiens. Quant à savoir si l'Islam est compatible avec la République,
il semblerait que ce fut le cas précisément en Turquie, avec sa République laïque.
Erdogan incarne à son niveau le repli communautaire ou identitaire qui se manifeste
partout, dans toute l'Europe, France comprise, et pouvons-nous lui reprocher aujourd'hui
de se tourner vers la religion et une forme d'égoïsme national, quand l'Europe,
en plus d'avoir si longtemps laissé son pays devant la porte, n'a pas d'Etat à opposer
ni aux égoïsmes nationaux ni aux mafias, religieuses comprises, qui organisent aussi bien
d'autant plus en parant aux manquements d'Etats en faillite financièrement et moralement.
La France, on le voit bien, sans Turquie dans l'Union, avait déjà à prendre en compte
une communauté musulmane, avec des questions souvent exagérées de compatibilités,
quand la Turquie aurait pu contribuer à penser et construire un Islam d'Europe, républicain,
qui aurait sans doute, pour le moins concurrencé des financements saoudiens ou qataris,
contrant des influences ou ingérences dont nous semblons nous plaindre aujourd'hui.
Les Balkans bénéficient de l'aide d'Ankara, justement, ce qui les protège pour l'instant
de dépendances à d'autres Etats, aussi riches, mais plus lointains et moins libéraux.
Erdogan peut bien avoir à son niveau ses pains au chocolat et ses Leonarda,
ses dérapages verbaux et ses tentations pour des solutions radicales,
nous serons peut-être mal placés, avec nos propres réactionnaires et notre Front National,
pour lui jeter la pierre, quand l'opinion turque reste prudente, alerte et réactive.
Si la démocratie turque est en danger, la démocratie française se sent-elle invulnérable ?
Y a-t-il une démocratie en Europe qui ne soit pas menacée par la déliquescence des Etats ?
Le modèle européen est un bien triste modèle qui peut, à ce stade de délabrement,
difficilement inspirer les puissances voisines.
Pour la Turquie, nous avons manqué un rendez-vous avec l'Histoire. C'est entendu.
Tant pis pour l'Europe. Qui, en se privant de cette ressource, de cette énergie fantastique,
qui ne sera pas perdue pour tout le monde, s'est tiré une balle dans le pied. Dont acte.
Construisons au moins l'Etat européen. Il y a encore dans nos sociétés vieillissantes
des citoyens nés avant les Années 80, qui se rappellent que l'Etat n'était pas seulement
un poids et un problème, que l'Etat pouvait aussi protéger et porter des solutions.
C'est un modèle à reconstruire, et qui pourra inspirer ailleurs, autour de la Méditerranée,
quand il semble que le modèle républicain ait su faire des émules, au siècle dernier,
y compris dans les pays de culture musulmane, et autrement que sous la contrainte
ou par la force d'armées colonisatrices, juste par contagion et effusion intellectuelle,
en proposant au monde quelque chose qui marche.
Reconstruisons, pour nous d'abord, quelque chose qui marche.
Y compris et surtout dans le domaine universitaire, comme sur les questions
de la parité, de la mixité, et de l'égalité hommes-femmes.
Cela sera sans doute plus utile.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Novembre 2013 à Perpignan

 
   
Partager cet article
Repost0

commentaires

Lectures

 

 

Stéphane Facco  Stéphane Facco 

 

Lambert Wilson  Lambert Wilson 

 

  Contes du Jour et de la nuit

      Véronique Sauger     

 

Lettres à ma ville

  (spectacle des Estivales juillet 2000) 

 

 

  publication chez Soc&Foc 2012 

La terre est rouge

 

interview la terre est rouge

 

 

 

 

  Parolier / Discographie 

 

LaViedeChateauArtMengo

 

 BlondedanslaCasbahBiyouna

 

 

BOAzurAsmar

 

 MeskElilSouadMassi

 

 LoinLambertWilson

 

 7ViesTinaArena

 

 BetweenYesterdayandTomorrowUteLemper

 

 CestTropMissDominique

 

 SijenétaispasmoiMissDominique

 

 

WinxClubenConcert

 

 

OuvontlesHistoiresThierryAmiel

 

 

Live en trio 

 

 

 

 

  Compilations  

        Compilation 2009

 

 

Compilation 2010 Universal

 

 

 

 

cinéma

 

MauvaiseFoi

 

 

 

 

  spectacle café de la danse 

MadreFlamenco