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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 08:13

 

 

Pour accompagner la petite enveloppe jaune : le coucou électronique.
Avis de nouveau message. Modèle Notify de Windows.
Quelqu'un, le doigt mouillé, faisait chanter le cristal d'un verre sur deux notes.
Je l'ai retrouvé sur mon ordinateur.
Panneau de configuration. Sons et périphériques audio.
Il a retenti dans mes haut-parleurs, avec la même innocence, la même fraîcheur.
Mon coeur s'est serré aussitôt. Paris-Montréal. 2007-1999.
Correspondance. Mon espoir désespéré. Mon âme soeur. Mon internautre *.
Mon désir éperdu. Mon aspiration farouche. Mon attente inconsolable.
La chambre et son balcon sur les jardins. La rue Amherst entre les arbres.
L'odeur de la neige. La voix de David Letterman dans le salon.
La silhouette féline de Marie-Laurence qui s'étire en ronronnant.
Une carte postale de Laetitia. Un paquet bleu de Players King Size.

" Je serai ce soir au Unity. " What ?...
" J'y serai aussi ! " Comme un soir sur deux.
Ce club où je faisais de piteux sourires à Jean, le barman,
qui me préparait d'office cette étrange mixture dont je me régalais,
ce whisky-coca qui étonnait toujours les Québécois, quand il ne les dégoûtait pas.
L'équipe de la boîte m'avait identifié. J'étais le Français Whisky-Coke.

(...)

Toute la rue Ste Catherine sentait la réglisse effervescente du whisky-coke.
Je montai les escaliers du club avec le trac au ventre.
Ces escaliers dont mon corps, même imbibé, en pilote automatique,
vacillant, déserté, connaissait tous les pièges, la hauteur des contremarches,
la pente vertigineuse, parfois guidé par Katchik, le vampire, photographe de mode,
qui tenait toujours à me raccompagner chez moi par pure charité chrétienne.
Je ne voyais physios et videurs qu'à l'arrivée, qui s'inclinaient avec des sourires convenus,
eux qui savaient dans quel état j'étais capable de quitter l'arène, témoins du massacre.
Ils savaient mieux que moi avec qui j'étais rentré la veille,
d'où venait cette égratignure au coude, ce bleu à l'épaule,
et au-delà, comment un corps peut se mouvoir sans âme.
Le contraire du fantôme. Le mort-vivant.
Il me fallait gravir ces marches à nouveau, encore et encore,
de plus en plus profondément, de plus en plus loin...
J'avais le trac, toujours, à la montée, comme si je m'apprêtais à monter sur scène,
savais que seule l'ivresse allait me délivrer de cette peur illusoire mais ô combien stimulante.
Ce soir-là, elle était tellement vive que j'en étais nauséeux, presque malade.
Dans la foule des anonymes allait se cacher un être cher et tendre...
Un ange, que je ne reconnaîtrai pas, qui ne me reconnaîtra pas, mais qui sera là,
quelque part, parmi ces silhouettes sans noms, ces visages muets
comme autant de masques tragiques.
Le jeu était vain. Pourtant, je scrutais les sourires qui s'alignaient le long du bar,
quelques profils, au nez droit ou busqué, à la lèvre plate ou charnue,
guettais des gestes, observais les mains qui se nouaient sur les verres,
me postais sur la passerelle dominant la piste de danse et sa foule en sueur,
dévisageais les cadavres qui arpentaient les couloirs, que je croisais sur les galeries.
Je surprenais soudain un regard sur moi.

(...)
 


Le lendemain, je me réveillai dans mon lit.
Mon corps, comme toujours, avait retrouvé seul mon adresse.
Il avait su remonter la rue St Timothée jusqu'au 18-41,
se hisser dans l'escalier de bois de la façade jusqu'au palier,
entrer la bonne clé dans la bonne serrure, me dévêtir et me coucher.
Dans son coma, le vampire retrouvait le repos du tombeau.
Et puis, une fois de plus, je réinvestissais ce corps que j'avais abandonné.
Ce corps que je malmenais, que je méprisais,
que l'alcool avait tabassé, roué de coups, meurtri.
L'ordinateur allumé finit par me presser le coeur d'un avis de message.
Une nouvelle enveloppe jaune contenait un rapport de la veille, troublé, exalté.
Oui, en effet, c'était bien étrange de se savoir dans ce même lieu.
Quel jeu insolite, curieux, qui aurait pu être amusant, parce qu'absurde,
s'il n'avait pas été profondément frustrant.

(...)

Le chat n'a plus envie de jouer. Les souris dansent.
Marie-Laurence venait me rejoindre sur mon lit,
me sentant prédisposé à ne pas l'en chasser comme d'ordinaire,
chercher des caresses en se contorsionnant sous mon bras.
Elle se postait près de moi, ivre de bonheur,
enroulait ses coussinets sur ses griffes en piétinant le matelas d'impatience,
tendait son cou vers mon menton, m'enveloppant de son ronron caverneux.
Indifférent à sa parade, entortillé dans mes draps,
je me ramassais sous le traversin, cherchant une issue.

Le gros voyant rouge de l'appareil s'est mis à clignoter.
Un message vocal... et une voix.
Malicieuse. Enthousiaste. Empreinte d'émotion.
Une aurore embrasait ma cage thoracique.
Le soleil qui se lève dans ma gorge, irradie mes tempes,
réchauffe mes tympans où se fraye une onde bienfaitrice.
Etonné, tremblant, je déchiffrais ce code sensoriel,
cette musique papillonnante, espiègle, enjouée,
qui trahissait son excitation, son émoi et sa confusion.


 




Philippe LATGER

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* Mon internautre : texte publié dans Textures ( Editions La Bruyère 2001 )

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