Lissant les surfaces liquides,
les miroirs de nacre et d'aluminium,
mon train fend les airs iodés,
les eaux troubles,
soulevant ici des vagues d'échassiers surpris,
de flamants roses effrayés,
laissant là des taureaux impassibles dans leurs marécages crépus.
Les roseaux s'inclinent sur leurs barrières de guingois,
se couchent sur des clôtures aux piquets de bois mort et poli par le sel,
des tamaris frissonnent au passage de nos voitures grinçantes.
La mer s'ouvre sous la crosse confiante d'un nouveau Moïse.
Il existe un passage.
La voie se dessine, sinueuse, ferrée, mais rongée par la chaleur
comme aux sabots d'un cheval de Camargue.
Le sable a remplacé la terre,
léopardée de flaques frémissantes.
Les étangs se déploient de part et d'autre
comme ailes de papillon diaphane
et notre train prend son envol,
au-dessus des franges d'écume, de vases odorantes,
happé par le soleil.
La lumière aveuglante a incendié les ondes
comme elle a saigné la pierre,
lacéré la terre de vignes assoiffées, insatiables.
Tout brûle,
de la garrigue jusqu'aux cumulus d'albâtre.
Jusqu'au bleu absolu
qui maquille les noirceurs au-delà
d'un univers sans fond.
Notre étoile,
telle une explosion nucléaire sans fin,
irradie le décor de son feu féroce,
traque l'ombre du moindre poteau électrique,
fait éclater les pignes des pins,
sèche leurs aiguilles et les herbes sauvages,
craquelle le sol quand l'eau s'est retirée,
fait apparaître le sel en croûtes agglomérées,
fait proliférer la vie jusque dans l'épaisseur de la boue.
La rocaille noueuse résiste et s'impose,
émergée des entrailles,
et le train lui caresse les flancs.
Entre les arbustes hirsutes,
nous progressons mollement,
les rideaux crasseux en balanciers,
au milieu de cet instant d'hésitation entre terre et mer.
Etang de Leucate. Etang de Salses.
Et tant d'autres merveilles.
Nous arrivons à Perpignan.
Philippe LATGER
Juin 2006 à Narbonne