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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 15:59



Derrière la vitre, je ne sais pas qui de nous deux est dans un aquarium.
Quelques pouces. De plastique souple. Où s'ouvre une fenêtre.
Au hublot du scaphandre. Pour sombrer dans les profondeurs sous-marines.
Wireless. Les technologies changent tout quand elles ne changent rien.
On pouvait se découvrir à distance sans les réseaux sociaux.
Et rêver d'autres choses pour soi avant qu'internet nous y invite
dans la fureur de ses immédiatetés compulsives.
Mais ici des choses impensables il y a dix ans encore ont repoussé les limites.
Aux voyages immobiles qu'elles permettent. Le don d'ubiquité.
Aux posts comme aux photos, des choses se révèlent, se dessinent,
quand, en ombres chinoises, on devine la chair qui n'est pas virtuelle.
La nature revient, et à la dématérialisation, l'homme soudain veut se réincarner.
Ton visage dans l'ombre, l'écran que je caresse d'empreintes digitales
ne vaut pas le contact primitif des corps sortant de leurs cellules.
Je ne suis pas voyeur. Je regarde. Je contemple.
Trop fatigué pour analyser ici pourquoi j'ai toujours refusé d'entrer dans la vie de quelqu'un.
Aux suffocations que cela m'inspire, il doit y avoir de la claustrophobie.
Comme la peur d'être abandonné ou trompé ou trahi. La peur de m'y faire mal.
Quand il est assez simple de comprendre les choix qui m'ont mené où je suis.
Nous nous regardons vivre. Et c'est déjà une façon de vivre ensemble.
La télévision dont je suis un produit avait détourné nos regards.
Internet les ramène l'un dans l'autre. A travers les écrans, il semblerait enfin,
que nous nous retrouvions.

L'image est sépia. Cinématographique.
Une pièce assez sobre. L'ambiance est monacale.
Le mur du fond est la source de lumière.
La lampe de chevet éclaire une tasse et tout l'arrière-plan.
La froideur ne saurait s'installer, écrasée par une langueur des ombres.
Celles d'un corps allongé sur le flanc qu'Edward Hopper n'aurait jamais peint.
Même à la solitude d'une chambre d'hôtel.
Edward Weston. Plus sûrement. Les contrastes. Leur sensualité.
Le vide est habité de ta présence humaine. Qui tranche sur le mur.
Quand tu es la skyline d'une ville en sommeil aux rêves libidineux.
Où je veux te rejoindre. J'en perçois la découpe. Et son désoeuvrement.
Les courbes voluptueuses au genou relevé d'une cuisse et de l'aine.
Cette pente généreuse qui précipite ma bouche au coeur de ce cratère.
Qui ne peut s'affairer comme elle devrait le faire au creux de la descente,
à cette coupe offerte, d'organes en désordre comme d'intimité.
A mon bureau, je retire ma chemise, je me lève ou m'extirpe,
plonge ma tête dans l'écran de mon portable, pénètre à l'intérieur,
bascule en entier dans cette fenêtre étroite, passe de l'autre côté,
et me trouve dans l'image dont les couleurs différentes ne m'intimident pas.
Le lit est exigu mais douillet, et mon expulsion fait tomber l'ordinateur d'où je viens,
le corps enduit de cristaux liquides, et ma main peut enfin s'ouvrir sur la cuisse,
la parcourir fermement comme aux drainages lymphatiques, ou la frôler seulement,
de ma paume large et calleuse, lentement, pour agacer les terminaisons nerveuses
au coussin d'air pervers dont je peux voir l'effet à la peau qui se perle
de cette chair de poule parcourue de frissons.
Une partie de moi étouffe dans une enveloppe devenue trop étroite.
Mon écorce ne contient plus la vague que tu soulèves.
Et devra se briser dans ses rouleaux d'écume sur du sable mouillé.

La frange effervescente du reflux crépite sur la grève.
Je suis à mon bureau. Et je ne sais pas de quel côté de l'écran se trouve la prison.
A cet écran-barreaux, qui est en liberté, qui est en détention.
Je sais que je suis libre. De choisir mon cachot. De choisir ma cellule.
Les murs comme la peau sont faits pour être fuis, franchis et traversés.
Quand le désir permet de déborder les choses, abolir la matière et toutes ses dimensions.
Il n'y a de solitudes qu'aux possibles fusions qui nous sont refusées.
La distance est un leurre. Ou un effet d'optique. Quand je suis avec toi.
Pour peu que tu le veuilles. Que ça n'engage à rien. Que ça ne coûte rien.
Que c'est une pensée qui ricoche dans l'espace ou trouve son écho.
Avec cette conscience que rencontrer quelqu'un est toujours un miracle.
Reconnaître quelqu'un. Comme au reflet de son propre visage au détour d'une rue.
Une sensation étrange. Lorsque l'on s'aperçoit que ce reflet-là est un autre que soi.
Je suis dans mon fauteuil, et dans ma main ouverte j'étale toute ma barbe.
Sur mes joues, le menton et le tour de ma bouche.
En seize ans, j'ai pu faire le deuil de l'amour absolu et inconditionnel.
Quand la seule femme, le seul être humain, en qui je pouvais faire confiance,
a dû m'abandonner pour me laisser aux tigres comme aux bêtes sauvages.
Ce n'était pas la première fois. Une deuxième séparation. Définitive.
Me laissant, sans filet, tresser les mailles d'une protection éthylique.
Une deuxième peau. Mon gilet pare-balles.
Et tous les coups portés furent des coups dans l'eau.
J'ai enlevé ma chemise. Et l'armure avec elle qui était mon cyanure.
Quand elle me détruisait bien plus qu'elle ne me protégeait.
L'extérieur était moins dangereux que le diable avec lequel je m'étais enfermé.
Et comme pour la cellule, sait-on de quel côté est le pire des pièges ?
La myopie peut suffire. J'aurai d'autres ivresses. Aux brouillards. Aux aurores.
Tant d'hallucinations que de raisons de croire. Que je ne suis pas seul.
Quand je ne veux pas l'être.

Facebook. Catalogue. Où l'on peut bien se perdre.
Où l'on peut se trouver.
Où l'on peut échanger, apprendre et partager.
N'est pas le labyrinthe que fait l'humanité.
Qu'elle faisait aussi bien avant le téléphone, avant le satellite et l'hyperconnexion.
Au hasard d'un parcours, sur la terre, dans le cloud, sur la toile, dans les rues,
il reste des trajectoires dont on peut s'inquiéter qu'elles soient tracées d'avance.
Tous ces beaux accidents. Et quelques coups de foudre.
Qui mettent en cohérence les échecs, les errances, qu'on ne comprenait pas.
Vingt ans pour me défaire de l'alcool, du cynisme, pour me déshabiller,
ça fait un long strip-tease, pour m'ouvrir en confiance aux douceurs de ce monde
qui n'est pas si violent que je l'imaginais, pour m'ouvrir sans la peur
d'y sacrifier des choses, quand j'y gagne au-delà de ce que j'espérais.
Je reprends le contrôle, bien assez pour le perdre,
à toutes ces intuitions qui ne nous trompent pas.
La victoire de l'Espagne. Et la botte de foin. Une aiguille dans le doigt.
Le G Bar de New York ou la Place Molière. Comme autant d'évidences.
Nous nous reconnaissons. Pouvons nous reconnaître.
Derrière la vitrine sur la rue, celle d'un ordinateur, et sourire franchement.
J'amoncelle webcams, smart phones, cabines téléphoniques.
Les moyens d'exister dans un autre regard qui peut seul me parfaire.
Lorsqu'on ne se construit qu'aux gens que l'on rencontre.
Ceux à qui l'on veut plaire. A commencer par soi.
Dont on est plus que l'ombre. Dont l'autre est la lumière.
Qui brille à la surface de nos contre-plongées.


 

 

 

Philippe LATGER
Octobre 2013 à Perpignan

 

 

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