Si la brume tombe,
on verra ce qu'il y a derrière.
Un dépotoir, un charnier, une bombe,
peut-être un simple cimetière.
La décomposition des corps,
l'envers de l'écran protecteur,
le déchirement du cor,
la meute excitée, carnassière,
compulsive, affamée, suicidaire.
C'est le butin sanguinolent dans la gibecière.
La cruauté instinctive, solidaire.
Si la brume se dissipe,
le voile se lève sur la procession,
les flambeaux comme ultime cortège,
les panaches noirs sur les chevaux,
la mort victorieuse qui s'émancipe,
au rire tordu de convulsions,
qui vient souiller ce que laisse la neige
quand elle fond au feu du renouveau.
Si la brume s'effiloche,
on verra nos propres crocs aiguisés,
déchirer les entrailles de nos mères,
de nos fils et de nos frères.
On entendra au son des cloches
l'agonie de nos enfants déguisés
en ennemis jurés, gorgés de larmes amères,
horrifiés d'être dévorés par leurs propres pères.
Si la brume se retire
des méandres du fleuve furieux,
pire que la mort, pire que le diable,
c'est notre solitude qui s'étire !
Satan est une compagnie qui vaut celle de Dieu.
Seule la révélation du néant est effroyable.
Si la brume laisse un doute à couper au couteau,
elle cache la misère et le fruit de nos quêtes,
enveloppe l'espoir d'un heureux sfumato
qui tient debout l'humain et son illusion de conquêtes.
Que ce rideau de fumée déjà lourd,
se change à jamais en mur de pierre.
Si la brume se lève un jour,
nos yeux grand ouverts pleureront leurs paupières.
Philippe LATGER
Août 2004 à Barcelone