Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 14:42



Les enfants sont couchés.
Je sors dans le jardin.
Trouver la nuit. Chercher la lune.
J'en ai besoin.
Je ne vis pas avec qui je voudrais.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
  
    
Partager cet article
Repost0
19 juillet 2013 5 19 /07 /juillet /2013 17:26



Ma mère s'est éteinte allongée contre l'homme qui lui avait donné trois enfants.
Elle a rendu l'âme dans les bras de l'homme de sa vie. Son époux. Mon père.
Sous le même toit. Dans la même pièce. Dans la même couche. Dans les mêmes draps.
Et si les doses de morphine lui avaient peut-être enlevé la conscience
de ce qu'il se passait exactement, ou avec qui, le symbole a marqué mon courage.
Quand j'ai compris ce matin-là, qu'on pouvait en effet partager toute sa vie avec quelqu'un.
Et prendre à la lettre ce qui est promis au pacte solennel du mariage.
Pour le meilleur et pour le pire. Et surtout. Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Je me suis traîné des années durant, dans la fange de la nuit, avec cette image en tête.
Vomissant ce désir d'union, de faire couple, ou famille, avec ce constat déchirant.
Le souvenir de mon père en larmes, serrant le corps inerte de ma mère,
en répétant comme il pouvait, d'une voix anormale : " tout ça pour rien ! tout ça pour rien ! "
C'est le spectacle que j'ai trouvé en arrivant à vive allure, accompagné de mon frère,
dans la chambre au bout du couloir de la maison de la Route de Fronton à Toulouse.
Arrêté net, comme mon coeur qui cessa de battre, par cette vision d'apocalypse.
Ma mère était morte. Et mon père, impuissant, fou de désespoir, répétant ces quelques mots.
Tout ça pour rien.

Je suis dans l'escalier du Unity à Montréal. La fête bat son plein.
J'ai une chemise à manches courtes, de velours râpé bleu électrique et résille noire,
achetée à Miami Beach, relevée sur mes pectoraux pour dégager le bas de mon buste.
Je bois mon verre et salue les gens qui montent et descendent avec un mélange indéfini
d'intérêt et d'indifférence, lorsque j'ai le froc aux chevilles, le caleçon à mi-cuisses,
et quelqu'un à mes pieds qui s'occupe de me sucer la bite.
Je bois beaucoup. Ne suis pas tombé dans la cocaïne. L'alcool suffisait.
A me tenir à bonne distance des ironies de la condition humaine.
A noyer des aspirations débiles, comme celles, illusoires, de vaincre la solitude.
De trouver mieux que Dieu pour vous accompagner.
Mieux que Dieu à qui faire confiance.
Quelqu'un d'autre que soi, à qui pouvoir confier les clés d'une vie entière.
J'avais 25 ans. J'étais parti au Canada. Ne pouvant compter que sur moi-même.
Quand j'étais devenu un homme et ne pouvais plus demander à mon père,
à ma soeur, à mon frère, de s'occuper de moi. Je devais aller seul.
Ici deux personnes inconnues m'encadrent au bar. Qui me mettent la main au cul.
Je roule des pelles à droite. Je roule des pelles à gauche. Je prends mon verre et m'en vais.
C'est un club de strip-tease. Où je commence mes soirées. Premiers shoots de whisky.
Ma main fait des choses qui auraient dû être intimes, en public, avec d'étranges motivations,
quand j'ai la vocation de la vieille pute à vouloir soulager mes semblables de leurs pulsions,
quand j'ai de la fraternité et de la compassion pour eux, mais j'ai aussi sa grimace blasée,
désabusée, qui flirte avec le dégoût et l'écoeurement. En pilote automatique.
Je suis un objet sexuel. Mais je ne suis pas une pute. Puisque je ne me vends pas.
Je suis un objet sexuel. Et je m'offre à tout le monde.

Deux ou trois ans plus tôt. J'ai 23 ans. Quand j'entre dans la chambre.
Quand j'ai déjà un certain kilométrage dans l'art de la baise et de la nuit.
Perpignan, Toulouse. Paris, Barcelone. J'ai déjà, à petite échelle, l'expérience de la nightlife.
Je suis allé déjà au Limelight de New York. A l'Hippodrome de Londres. Au Boy. Au Palace.
J'ai déjà essuyé les plâtres du Queen à Paris, entre autres choses, avec une délectation morbide.
Lorsque je trouve à 20 ans, un certain plaisir à me dégrader que je trouve romantique.
Depuis le début, je me défonce pour me battre d'être aussi stupide de croire en l'amour.
Je m'endurcis pour ne pas paraître fleur bleue. Je vais au-delà de ce qui paraît être cool.
Quand je crache d'un même geste sur ceux qui croient en l'amour et ceux qui n'y croient pas.
Je suis la caricature de ceux qui aiment se défoncer et se moquent des autres.
Quand je me moque aussi, et aussi durement, de ceux qui se croient fun à être de la nuit.
Je vois dans les deux camps, des êtres dépassés qui distraient la même angoisse.
Par la famille, le travail, ou le clubbing. Même combat. Oublier qu'on est seul.
Et que l'on va mourir. Oublier que, quoi que l'on fasse, ce sera toujours pour rien.
Mon père, sans le savoir, au bout du couloir, m'assène ce que je savais déjà.
Je savais, avant que ma mère ne disparaisse, que nous finissions tous dans un trou.
Avais déjà, plus jeune encore, ce mélange de cynisme et d'urgence de vivre, carpe diem,
à la fois sarcastique et bon vivant, désenchanté et jouisseur, qui se trouvait encouragé.
Je vivais déjà au jour le jour, et voir ma mère mourir me confortait dans cette politique.
Tout ça pour rien. Tout ça pour ça. Je n'ai rien construit. N'ai rien mis de côté.
N'ai rien économisé pour l'avenir. J'ai tout bouffé à mesure que c'est venu.
Les gens. L'argent. Le sexe. Et mille choses dont je ne profitais pas vraiment.
Mais ce matin où ma mère nous avait échappé, j'ai appris autre chose.
Elle fut arrachée aux bras de l'homme de sa vie.
Mon père était resté jusqu'au bout.

Je respire mon oreiller, allongé dans ma chambre, avec des sensations inédites.
La rue de l'Horloge à Perpignan. Le Queen et Montréal sont loin.
Comme si cela n'avait jamais existé. Ou était arrivé à quelqu'un d'autre que moi.
J'ai quarante ans messieurs-dames. Et je me félicite d'être arrivé jusque-là.
Ma main ouverte lisse le drap-housse de mon matelas avec un bonheur insensé.
Il fait chaud. Il fait lourd. C'est juillet. Le drap de dessus refoulé loin dans mes jambes.
Nu sur mon lit, je respire la blancheur dans une ombre qui ne l'altère pas.
Je ne sais pas ce que quarante ans veulent dire. Je pourrais bien être plus vieux ou plus jeune.
Je suis en suspens, dans mon corps, quelque part entre la naissance et la mort. Bien vivant.
Et sorti de moi-même en étant moi. Plus que jamais. Quand je pense à quelqu'un.
Ce bien-être est nourri par ce à quoi je pense. Qui m'envahit et me caresse comme personne.
L'amour d'une personne. Celui que je lui porte. Qui ne forment ensemble qu'un seul feu.
Ce délicieux brasier dans lequel je m'étire en crépitant d'un bonheur insolent et solaire,
qui me sortent l'un et l'autre des logiques temporelles qui m'auraient rendu fou.
Je souris, même en l'absence du corps auquel je suis relié, en songeant à peine,
une pensée fugace, que je n'ai peur de rien.
J'avais peur de vieillir ? Ce n'était pas cela. J'avais peur de vieillir seul.
Avais-je peur de mourir ? Ce n'était pas ça non plus. Je craignais de mourir seul.
Mon père était resté à quai quand ma mère est passée ailleurs. Sans doute.
Mais en me retournant pour me mettre sur le dos, la tête dans le traversin,
je fixe le plafond que je trouve superbe, en songeant que j'ai trouvé mieux que Dieu.
Depuis la cathédrale St-Jean, derrière mes fenêtres, ce dernier ne cherche pas à me détromper.
Qui ne dit mot consent. J'ai quelqu'un dans ma vie qui est devenu ma vie elle-même.
Et je suis dans son corps, comme son âme s'installe dans le mien à force d'embrassades,
de mélanges et de fascinations, de regards pénétrants imprimés sous la peau,
qui continuent longtemps à voyager en nous pour ravir nos consciences.
Et je me laisse caresser par cette douce brise qui est plus forte que l'amour.
Celle de la confiance.

Dans tes bras, mon amour, oui... je crois que j'accepterais de lâcher prise.
Contre toi, je pourrais, comme je l'ai déjà fait, quitter mon corps, m'aventurer ailleurs.
Ici bien sûr, il ne serait plus question d'y retourner, d'en retrouver le chemin.
Mais puisqu'il faudra bien un jour donner mon dernier souffle,
c'est à toi que je consentirais à le rendre sans l'ombre d'un regret.
J'enfouis dans mon lit mon nez dans le pli du coude de mon bras replié.
Je suis revenu sur le ventre dans un soupir de satisfaction. Et me viennent ces pensées.
Que tu as ce pouvoir de m'accompagner partout et de me donner du courage.
Ce pouvoir d'être confiant. D'être serein. D'être bien. A l'endroit où je suis. Avec moi.
J'aime le monde quand il est plein de toi. J'aime ce monde devenu aimable.
Avec ses horreurs et ses injustices. Je suis déjà un peu mort. Je suis libre dans l'Eden.
Dont je peux faire ce que je veux. Du moment que tu en es la frontière.
Je me fous de l'âge que j'ai. Je me fous de ce que j'ai. De ce que je n'ai pas.
De ce que j'ai fait. Ce qu'il me reste à faire. Je me fous du jour comme du temps qu'il fait.
Et de l'heure qu'il est. Et de mes rendez-vous, ce qu'on attend de moi... peu importe.
J'ai trouvé la personne en qui avoir confiance. Celle avec qui j'aimerais vieillir.
Pas tant pour m'aider à marcher ou partager des peines que pour m'aider à partir.
Si je veux vieillir avec toi, c'est parce que je veux mourir avec toi.
Quand c'est la seule condition à mes yeux qui rendrait l'idée de mourir acceptable.
Aux moments où tu es là, pour de vrai, il m'arrive d'y penser aussi. En silence.
Je pourrais mourir maintenant. Dans la seconde. Que je ne le regretterais pas.
A l'absolu délice et plaisir d'être contre ta peau, de sentir ton coeur battre.
A ce bien-être complet, cette harmonie totale, où le monde devient le ventre de ma mère,
ce paradis perdu dont je pensais qu'il ne serait plus jamais égalé avant de te connaître.
Je t'aime plus fort qu'elle, plus fort que moi, et je te regarde me regarder t'aimer,
avec des reflets infinis qui décuplent nos certitudes d'être au bon endroit,
sans plus savoir qui a aimé l'autre en premier à force de nous y plaire.
En toute sécurité.

Ce jour est un jour particulier.
Le temps n'a plus de prises sur moi, mais j'en fais le compte pour mieux m'en assurer.
Cela fait trois ans aujourd'hui, mon amour, que nos routes se sont croisées.
J'ai le sourire idiot du gars qui a battu un record du monde.
Quand je n'étais jamais resté plus de trois ans avec qui que ce soit.
Au milieu du merdier de ma vie sexuelle et sentimentale, deux histoires s'étaient imposées.
Auxquelles je rends hommage. Comme aux personnes aimées qui ont dévié ma trajectoire
pour me conduire au bonheur que je leur dois un peu, quand elles m'en ont tant donné.
Une histoire d'un an. Une histoire de trois ans. Pour dire le chaos que je m'étais construit.
Et que j'ai traversé pour trouver la mer d'huile que l'on trouve à l'aurore en Méditerranée.
Ce lever de soleil magique qui ouvre mes poumons en délires de lumière et d'optimisme,
comme celui que j'ai pris dans la gueule avec ton sourire étonné de ce premier regard.
La Place Molière. Les remparts. La cabine téléphonique. Ta silhouette dans le champ.
Un premier rendez-vous obtenu après un premier message innocent sur Facebook.
Et portable à l'oreille, m'éloignant de la place, tu me dis où tu es, je t'écoute,
comprends que tu es derrière moi et que je pars dans la mauvaise direction.
C'est juillet. Là encore. Juillet trois ans plus tôt. Je me souviens du tee-shirt que je porte.
Il fait encore chaud. Même en fin de journée. Les arbres sentent bon. L'été est délicieux.
Me caresse la peau à frissonner d'avance. Et, ce fut un réflexe, j'ai dû me retourner.
Le téléphone plaqué sur ma tempe, j'amorce une rotation, après m'être arrêté.
La maison bleue des objets trouvés fuit horizontalement vers la droite à toute allure.
Arrachée au cadre comme une photo balayée d'un coup de doigt sur l'écran d'un smartphone.
Tout le décor bascule, s'enroule autour de moi comme une cape à la passe décisive.
Les remparts et les platanes se stabilisent. 360 degrés. Je suis face au taureau.
Et le monde s'écroule. Je m'effondre sur moi-même. Un éblouissement.
Au visage que je vois qui s'illumine à mon illumination, d'un sourire qui s'ouvre
en me reconnaissant, dans la tempête magnétique où la foudre est tombée.
Comme un homme qui découvre son reflet dans la glace et se fait des grimaces,
un sourire me vient en me voyant sourire quand je souriais au tien.
Avec l'étrange trouble de me trouver moi-même ou de me rencontrer.
J'avance vers toi d'un pas décidé puisque nous sommes censés nous rejoindre.
Quand je ne sentais plus mes jambes ni le contact du sol sous mes pieds.
Effroyablement attiré par une force démente qui devait me précipiter vers toi.
En ne comprenant rien à ce qu'il était en train de se jouer.

Ce premier regard, il y a trois étés, aurait suffi à me griller les rétines.
Et je suis fasciné que nous puissions encore, les yeux dans les yeux, trois ans plus tard,
continuer à nous regarder l'un l'autre comme nous le faisons.
J'ai le même frisson qu'à la Place Molière, celui quelques minutes plus tard,
côte à côte sur le petit trottoir qui longe la rue qui longe les remparts,
où nos avant-bras nus se sont frôlés accidentellement pour confronter nos peaux,
provoquant l'érection dont je ne savais que faire, débordé par tant d'intensité,
et de pensées contraires, cet appétit de toi qui fut une évidence violente, immédiate,
furieuse, dont je ne suis toujours pas rassasié plus de trente-cinq lunes après.
Nous allions vers le bastion St-Dominique, longer le Campo Santo par l'arrière,
descendre jusqu'à la rue de la Révolution Française chercher une terrasse où boire un verre.
Perpignan, transfigurée, était devenue autre chose, quelque chose avait changé.
Que je n'arrivais pas à saisir quand j'étais dans ta voix, dans ta bouche et ce corps dangereux
qui se laissait conduire où je le conduisais sans savoir où tout cela nous mènerait.
C'est à la cathédrale, où je ne vivais pas encore, que mon errance nous a déposés.
A ce Loft qui avait été les Trois Soeurs où j'avais trouvé l'un des amours de ma vie.
La boucle parisienne m'avait ramené à la case départ où tout pouvait recommencer.
Mes mains tremblaient sans doute. Je n'ai pas la moindre idée de ce dont nous avons pu parler.
Quand nous avons parlé, parlé, parlé. A mesure que la nuit venait nous envelopper.
Nous porter sur les quais de la Basse puisque tu voulais marcher. Et parlé encore. Et encore.
La Place de la République. Les gens qui souriaient comme s'ils savaient quelque chose.
A quoi pensaient-ils assister au juste ? A cette terrasse au pied du Théâtre Municipal.
Où nous parlions encore sans être disposés à prendre congé. Mais de quoi parlions-nous ?
De nos parcours j'imagine. De nos expériences de travail. De Perpignan peut-être.
Quand la nuit s'était faite, que nous parlions toujours pour contenir autre chose.
Que tu ne partais pas. Que nous étions ensemble. Si étrangement bien.
Nous ne voulions pas que ça s'arrête. Et cela ne s'est pas arrêté.
Et je suis dans mon lit, au réveil, aujourd'hui, capable d'en témoigner.

Juillet est le mois de Barcelone et des saveurs estivales. Un feu d'artifice.
Depuis toujours. De toutes les sensualités. De tous les plaisirs terrestres.
Et le Big Bang n'aurait pu se faire ailleurs qu'au coeur de ma nature.
Mon explosion nucléaire de cigales et de pins, et de sel et d'écumes, de vignes, de sable,
de schiste et d'agaves, tous les éléments de la Méditerranée espagnole, catalane, de l'enfance,
où je suis né, où je mourrai sans doute, où je devais renaître en découvrant tes yeux.
C'est au Sud que tu m'attendais. Au Sud que je devais te rejoindre. Chez nous.
Aux débauches de platanes et de voix gitanes, de palmiers et de Tramontane.
Au lieu où ma mère m'a mis au monde. Quand je sais depuis trois ans une chose.
Je sais pourquoi ma mère et toi sont les deux êtres clés du segment de ma vie.
Quand l'une m'a laissé entrer. Que l'autre me laissera sortir.
Que l'une m'a permis de naître. Que l'autre me permettra de mourir.
Quand au moment de crever, je sais déjà la liste des visages qui reviendront danser
dans un film en accéléré ou que l'on rembobine, dans la conscience qui s'éteint,
le fading de l'image qui brûlera sur la lampe, en emportant l'amour que tu m'as fait connaître.
Il sera si joyeux de partir en silence avec cette victoire d'avoir pu te trouver.
D'avoir pu nous rejoindre dans la jungle de ce monde. D'avoir été heureux.
Au silence de mon lit, ce n'est pas l'intuition, ni la divination, mais l'assurance tranquille
que je te porterai en moi à l'ultime décrochage, au passage du Styx, avec toute ta beauté.
Le coeur pur que tu es. Que j'ai vu dans tes yeux étincelant de grâce et de curiosité.
L'amant comme grand-frère qui veut le protéger ou le garder intact.
Se damnerait ici pour qu'il ne souffre pas. Qu'on ne lui fasse aucun mal.
Sortirait bec et ongles pour qu'égoïstement, on le l'abîme pas.
Prends-moi dans tes bras au moment où je meurs. Serre-moi fort en me laissant partir.
Et je pars en confiance affronter les ténèbres ou ne rien affronter.
Quand de te savoir au monde, je ne pourrai plus penser que tout ça fut pour rien.
Ma mère qui est morte. Le tunnel de l'alcool. Et des amours déçues. Tout ça pour rien ?
Quand tout ça fut la route qui devait me porter au bonheur absolu ?...
A l'ombre du platane, j'ai ton visage sombre qui est penché sur le mien.
Ton corps qui me chevauche. Le mouvement s'arrête. Et nous nous regardons.
Au silence qui se plaît, qui nous tient captivés, je pose ma question.
Combien de temps crois-tu que cette histoire peut durer ?

J'habille à 23 ans le cadavre de ma mère.
Dans la maison de Toulouse. Où ma mère était née soixante ans plus tôt.
Je mets des chaussures aux bas de ses jambes, aux pieds qui ne réagissent plus.
Nous lui avons choisi une jupe et un chemisier. Dans lesquels pourrir lentement.
Quand à ma révolte insupportable et mon envie de hurler, j'opère des gestes précis.
Au lieu de briser tous les meubles de la pièce, de frapper tout ce que mes poings
auraient pu trouver de solide dans un monde qui n'avait plus aucune logique,
ce sont des gestes lents et précautionneux qui prennent soin d'articulations muettes.
Mon coeur étouffe de rage et se noie dans un océan paisible de confiance et de haine,
où toutes les forces, contraires et libérées, se sont ruées d'un coup pour me prendre la gorge.
J'aurais frappé tout le monde. Me serais mutilé. Que je n'aurais pas tant souffert qu'à ce stade.
Où je prenais en silence, en ajustant des chaussures inutiles, l'entièreté de notre condition,
dans ce qu'elle a de sublime et d'absurde, en pleine tronche, aux vérités surhumaines.
Les mystères de l'univers ou la question de Dieu. Le sens de la conscience des hommes.
De nos vies. C'est le cosmos en entier, visible et invisible, tout l'incompréhensible,
qui s'ouvrait dans ma tête, dans mon torse et mon ventre, où je disparaissais.
J'étais mort avec ma mère. N'étais plus dans la pièce. Ou encore avec elle.
Dont je me demandais déjà si elle avait existé. Ce qui défiait la raison puisque j'étais vivant.
J'étais mort. Ou aurais-je aimé l'être. Plutôt que d'être seul. Ici. Abandonné. Sur cette terre.
Quand j'ai compris que je ne la retrouverais plus nulle part. Dans les dimensions données.
En changeant de pièce. En allant à la cuisine. Dans le jardin.
En rentrant à Perpignan. A la maison de Bompas. Chez ma soeur à St-Estève.
Elle ne serait nulle part. Où que j'aille. A Bordeaux. A Paris. Jusqu'en Californie.
Pas même à Barcelone. Dans le parc de la maison de Castelldefels. Sur la plage.
Cette fois, c'était fait. J'étais tout seul au monde. Et devais continuer.
En ayant lâché la main du quai où j'avais embarqué, ma barque à la dérive.
Voyant le phare du point de départ reculer, disparaître, avec mes certitudes,
largué au milieu d'une nuit qui n'en finissait pas.

Tu es l'aube sur la ligne d'horizon au large de Barcelone.
La mer calme et ses couleurs de nacre changeantes au petit matin de Ste-Marie.
Tout ce qui me réconcilie avec l'absurdité du monde pour n'en voir que la beauté.
Tu es cette beauté elle-même. Penchée sur moi. Avec un air grave et sérieux qui m'émeut.
Combien de temps crois-tu que cette histoire peut durer ?...
Je vois dans ton regard quelque chose de doux qui me dit que tu me vois soudain
comme un enfant qui cherche à être rassuré, que tu sembles connaître et aimer,
comme si tu étais celui-là, comprenant la détresse cachée dans ma question fébrile.
Je suis dans tes yeux quand les miens brûlent déjà d'une émotion insurmontable.
Que je dois canaliser pour avoir l'esprit clair et entendre ta réponse.
J'ai entendu. " Toute la vie. " C'est ce que tu as répondu. Toute la vie.
Sur un ton caressant qui hésitait entre la forme affirmative et l'interrogation.
Quand j'ai compris aussitôt que dans ces seuls trois mots tu me disais deux choses.
L'affirmation était que tu souhaitais que cela dure toute la vie.
La question était de savoir si j'y étais prêt.
Sans attendre longtemps, j'ai prononcé un chiche qui te disait que oui.
Plus sérieux et déterminé que ceux que l'on dit devant un prêtre ou un maire.
Quand les unions secrètes sont toujours les plus sûres.
Trois ans comme un éclair. Ou comme notre foudre.
Qui donnent à mon sourire, ce matin où je suis seul à traîner dans mon lit,
le début d'envergure de nos engagements, des promesses non faites qui s'avèrent tenues,
de celles que l'on tient sans l'effort de le faire, toutes conditionnelles du bonheur que je goûte
qui n'est que la confiance. En moi. En toi. En nous. Et en Dieu ou ce monde. En la vie.
Quand elle résout tout de ce qui nous inquiète.
Je ne m'inquiète plus de ce qu'on a fait de ma mère. De ce qu'elle est devenue.
De ce que l'on devient quand on passe l'arme à gauche. De ce qui nous attend.
Je ne m'inquiète plus de ce qu'il adviendra jusqu'au dernier instant.
Quand je sais que la mort ne sépare jamais ceux qui s'aiment vraiment.

Pavane pour une infante défunte déploie ses cordes et ses cuivres dans ma poitrine.
Venant récompenser l'enfant qui a traversé quelques champs de bataille pour venir te trouver.
Toi qui es ma récompense de n'avoir rien lâché. D'avoir continué à me battre.
Pour un bonheur que je savais possible. Que tu me donnes enfin.
Au retrait de la nuit la mer me semble calme. L'horizon apparaît.
J'ai le goût de ta peau sur le bout de ma langue et tes mains à mon cou.
Et les lunes défilent dans un couloir d'étoiles sur mes deux garde-fous.
La victoire de l'Espagne. Un mail sur internet. Labyrinthe Facebook.
La réponse aussitôt. La promesse d'un verre. La promesse tenue.
Message téléphonique. Une voix dans l'oreille. Pour prendre rendez-vous.
Une voix grave et belle qui avait déjà agi sur une mécanique de chimie et d'hormones.
Qui expliquait le trac ambigu mais sensible que j'ai identifié au jour de la rencontre.
Au moment de me préparer. De me doucher. M'habiller. Me coiffer.
Avec cette impression que c'était d'importance. Que c'était important.
Que ce qui allait se passer devait l'être. Mon corps en avait l'intuition.
Aucune raison d'avoir ce trac-là dans ce contexte-là. Qu'avais-je deviné ?...
Savais-je déjà que je m'apprêtais à rencontrer une personne d'une telle valeur ?
Je sors dans la rue Alfred de Musset avec le coeur serré comme un ado.
Une douleur au ventre d'avant monter sur scène. De passer un concours.
Quand je devais savoir que je jouais ma vie sur ce qui allait suivre.
De la chambre sordide à son rez-de-chaussée, j'étais sorti douché, habillé et coiffé.
Avec cette sensation que ma vie allait basculer d'un instant à l'autre.
Puisque je t'attendais.

Il y a peu de soirées de cette ampleur dans une vie.
Celle du coup de foudre. Celle de la renaissance. De la révolution.
Il y a peu d'amours aussi justes et entiers et inconditionnels.
Capables d'égaler ceux d'une mère aimante.
Au phare que j'ai quitté, j'en ai finalement vu un autre. Aussi brillant.
Aperçu l'autre côte. Le rivage où je devais débarquer.
Au sourire que tu m'as fait, mon amour, ce soir-là.
J'ai su que j'étais arrivé.
Que plus rien ne pouvait m'arriver.
Que j'étais arrivé sain et sauf au-delà des mirages, des tempêtes,
à cette destination dont mes parents avaient ouvert la brèche.
Tu es avec ton téléphone, dans le capharnaüm de ma ville déglinguée,
et m'adresses un sourire qui semble s'excuser d'avoir attendu vingt ans
pour que l'on se rencontre, lorsque tu sais déjà que notre affaire est faite
et que nous sommes ensemble. Je te rejoins. Tu me suis.
De la façon la plus normale et la plus extraordinaire du monde.
Marchant côte à côte le long des remparts pour aller boire un verre.
Sur un chemin dont nous n'imaginions pas qu'il nous mènerait si loin.
Lorsque rien n'a cessé d'être extraordinaire. Trois ans plus tard.
De nos regards. De nos caresses. De nos promesses. De notre fougue.
Perpignan. 40 ans. C'est probable. Mais ça ne veut rien dire.
Quand nous venons à peine de nous trouver. L'émotion est intacte.
Cette façon d'être deux. Qui me permet de dire chiche sans l'idée de défi.
Puisque c'est notre histoire. Quelle n'est pas faite pour autre chose que pour toute une vie.
Quoi qu'il advienne. Quand je sais ta présence depuis que je suis gosse, à te chercher partout
et que la vie fut bonne de nous mettre sur les pistes pour ne pas nous manquer.

J'embrasse avec toi toutes les souffrances que je me suis infligées.
J'embrasse avec toi toutes les choses que je me suis refusées.
Et je sens au baiser que tu donnes que tu te libères d'autant de punitions et de chaînes.
A ce lieu que je suis où tu peux être toi. Dans toutes tes dimensions et tes aspérités.
A tant de plénitude. Compatibilité. Complémentarité. Je peux poser les armes.
Et respirer l'été. Quand je plonge à neuf ans dans l'eau de la piscine.
Que je nage sous l'eau en devenant poisson, ou bien l'eau elle-même.
Je sais que tu existes et je nage vers toi.
Avec cette détermination qui était aussi la tienne.
Furieuse. Ardente. De vouloir nous trouver au milieu de nos vies.
Je sors de l'eau par l'échelle du petit bain. Ma mère m'attend avec une serviette.
Je ruisselle de soleil et précipite un corps frêle, bronzé, mais déjà sec et musclé,
sur les dalles brûlantes autour de la piscine, les aiguilles de pin, dans les bras de maman
qui me sèche le dos, les épaules et les jambes avec son sourire de madone espagnole.
Que m'était-il arrivé ? Pourquoi m'étais-je mis dans le fossé de l'autodestruction ?
Quel est ce virage manqué où je suis allé me brûler les ailes, allé risquer ma peau ?
A ta bouche, je sors de la piscine, comme d'un mauvais rêve. Que s'était-il passé ?
Je ris de bon coeur aux farces de mon père. Castelldefels en juillet.
L'heure d'un goûter. De retourner à la plage. De se faire beau pour aller à Montjuic.
Etreindre Barcelone. Les lumières des manèges. Les churros. Et la nuit.
Qu'avais-je fait de tout cela ? Mon amour. Quand je savais déjà. C'était une insolence.
Que j'étais fait pour le bonheur. Que j'étais fait pour l'amour. Te faisais-tu attendre ?...
A te trouver enfin, je me suis rappelé, ce fut une émotion,
que j'étais programmé pour les plaisirs du monde comme pour être heureux.
Je suis Place Molière, je me tourne vers toi, et ma mère n'est pas morte,
mon enfance non plus, l'Espagne est toujours là, juillet et la confiance,
moi qui m'étais perdu, c'est toi qui m'as trouvé.
Tout ça pour rien ? La phrase de papa sur le lit du naufrage.
Une phrase que tu m'as dite, quand j'ai voulu partir, mettre fin à l'histoire.
Cela a résonné. Non. Mon amour. Nous n'avons pas fait tout ça pour rien.
Quand vivre ne peut pas servir à rien au seul prétexte que nous allons mourir.
Une chose que je veux bien faire, autant vivre que mourir, exister, disparaître,
puisque c'est avec toi, où peut finir le monde.

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    
 
Partager cet article
Repost0
19 juillet 2013 5 19 /07 /juillet /2013 17:15

 

      ... à Alexandre Laborie

 

 

 

Est-ce l'histoire d'amour qui inspire le texte ?
Ou le texte qui inspire l'histoire d'amour ?...

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    

 

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2013 4 18 /07 /juillet /2013 05:28

     

 

Je suis né en 1973.
Elle est morte en 1997.
Et en 2013,
je ne suis toujours pas encore
tout à fait sorti
du ventre de ma mère.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
      
 
Partager cet article
Repost0
17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 16:42



Bien trop fort pour me sentir comme une maladie honteuse ou un pestiféré.
Même derrière un manège, à l'abri des regards, à la sauvette, sur un bout de banc.
Bien trop fort et sûr de nous. Pour ne pas me laisser envahir.
A ces manèges, précisément, qui pourraient être perçus comme des humiliations,
des injustices, lorsque l'aspect ludique ne suffit pas à me tenir sur mes convictions.
Je veux dire que le côté clandestin ne m'amuse plus depuis le lycée sans doute.
Et que ce sont d'autres considérations qui me permettent de gérer ça sans panique ni révolte.
Je suis sûr de moi d'abord. En tant que personne. Du haut de quarante ans de parcours.
Je pèse plusieurs vies déjà, les épaules solides, quand j'ai la mémoire de ce que j'ai traversé.
Incapable de m'indigner comme on pourrait le faire sans un minimum de recul.
L'expérience, quel gros mot, m'exonère bien sûr de petites blessures d'orgueil futiles.
Quand l'orgueil a la peau tellement épaisse qu'il en faut toujours plus pour l'atteindre.
Je connais mieux les gens. Suis capable de plus d'indulgence et de compréhension.
Pour ce qu'ils sont et peuvent faire. Pour ce qu'ils vivent et les choix qu'ils ont faits.
Tout en étant, en avançant en âge, moins disposé à perdre du temps.
Je suis sûr de ce que je suis. De qui je suis. Sans trop savoir si cela vaut quelque chose.
En ayant compris qu'on ne peut se reposer seulement sur ce que nous renvoie l'entourage.
Appris une chose. On ne peut pas attendre d'être aimé des autres pour s'aimer soi-même.
L'estime de soi se gagne sur soi. Elle ne s'arrache pas au regard des gens que l'on rencontre.
Et je suis assez construit pour savoir assez vite me remettre sur les rails aux coups de grisou.
Je ne me sens pas déprécié si je n'ai pas une foule d'encouragements et de démonstrations,
de compliments, de caresses, de mots doux, quand j'ai les ressources pour me tenir debout.
Je ne peux être vexé ou meurtri à ce qui pourrait passer pour un manque de considération.
Quand le fait d'être relégué ailleurs qu'au centre d'une vie différente de la sienne,
fût-elle celle de l'être aimé, me paraît être le traitement ordinaire de toute relation humaine,
quand on ne peut être au centre que de sa propre vie.
Je n'ai que moi-même pour me booster à chaque matin que la providence me donne.
N'ai pas besoin de la dépendance d'enfants ni de celle d'un conjoint pour me sentir utile.
Je me connais et j'ai confiance en moi. Je sais que je ne me lâcherai jamais.
Quand je n'aurais pas parié sur moi il y a peu. En d'autres circonstances.

Je ne me laisse pas impressionner par l'idée qu'on pourrait avoir honte de moi.
Ou pire encore que je serais moins important que les choses qu'il faudrait préserver.
Puisque si je suis sûr de moi, je suis sûr de ce que je ressens, de mes sentiments,
et plus encore de ce que je veux pour moi.
Quand je sais que toute chose a son revers ou son prix à payer.
Qu'aux colonnes de plus et de moins que l'on fait avant de prendre une décision,
j'ai su très vite que les désagréments ne pèseraient pas lourd en face des bénéfices.
Bien sûr, j'étais heureux de rejoindre ma soeur et ma nièce sur la plage.
Quand j'aurais aimé, évidemment, que l'on vienne nous y rejoindre ensuite.
Qu'un moment volé est un peu maigre comparé aux réjouissances possibles.
Mais je ne pourrais écrire que j'aurais préféré cela, quand cela aurait été une autre histoire.
Et que c'est celle que j'écris, que je vis, qui me va bien au teint et fait battre mon coeur.
Avec ses entraves et ses imperfections. Avec ses contraintes et quelques frustrations.
Mais quelle histoire n'en a pas ? J'ai assez de kilométrage pour savoir que rien n'est parfait.
Ou que tout peut l'être au contraire à la seule et unique condition d'être fou amoureux.
Alors oui. Tout cela est un peu ridicule. Semble être insuffisant ou ne mener nulle part.
Ces petits jeux adolescents pourraient être pathétiques quand nous sommes adultes.
Sauf qu'ils sont les moyens qu'on me donne pour être avec quelqu'un, en particulier,
qui méritent bien que je les accepte quand ils ne sont pas de mon fait.
Que j'étais libre de passer mon chemin en balayant tout ça du revers de la main,
avec une grimace pour dire : " j'ai passé l'âge de ces conneries, pas que ça à foutre... "
Mais voulant être amoureux et heureux, ayant trouvé quelqu'un avec qui c'est possible,
ces petites contrariétés peuvent bien être périphériques, quand je suis libre aussi
de ne pas gâcher mon plaisir ou ma chance.
S'il faut que je sois l'homme de l'ombre. Je le serai.
Quand c'est toujours dans l'ombre que je brille le mieux.

Oui, après tout, et c'est un truc d'auteur peut-être,
de créateur dans sa crypte, avec ce besoin de solitude pour pouvoir travailler,
je préfère le tête-à-tête aux grandes assemblées, comme on le sait déjà,
toujours embarrassé à l'idée de parler en public n'étant jamais convaincu de l'intérêt de le faire,
n'ayant rien d'important à communiquer ni à transmettre, même lorsqu'il faut vendre un livre,
ou parler de patrimoine, aux moments où j'ai dû jouer le jeu au seul motif de rendre service,
le seul valable à mon sens, lorsque des gens comptent sur vous et qu'il faut bien y aller,
n'ayant aucune accoutumance à la drogue de se sentir magnifique aux bravos du public.
J'ai toujours travaillé one to one, comme je le fais en écrivant ici, où chacun me lit de son côté,
dans un espace où la relation me paraît gagner en profondeur et en intensité.
Et, pour la chanson comme pour la politique, je préfère les coulisses à la scène.
En amour aussi, je préfère l'intimité de l'oreiller à la représentation sociale.
Quand la personne que j'aime ne saurait être un signe extérieur de quoi que ce soit,
exhibée en ville comme accessoire de mode ou comme un faire-valoir.
Je sais d'avance que je suis et serai plus heureux à l'abri des regards indiscrets.
Qu'il faut en accepter la conséquence. Cela réduit forcément les moments passés ensemble.
Quand on ne peut pas passer toute une vie à faire l'amour derrière les persiennes sans doute.
Mais ici aussi, tous les couples, à moins de travailler ensemble, connaissent ce travers.
Qui n'en est pas un lorsqu'il faut bien avoir sa vie propre et le plaisir de se retrouver.
Alors non. Je ne me sens pas castré quand on me donne des ailes.
Je ne me sens pas diminué ou au placard pour n'être pas un compagnon officiel.
Quand je n'ai pas besoin d'être avec quelqu'un pour être quelqu'un.
Et que ce que je considère bon pour moi l'est aussi pour vous tous.
Aucun de vous n'a besoin de qui que ce soit pour être lui-même.
Quand on peut vous définir par mille autres choses que par la personne que vous aimez.
L'argument du personnage d'un jeune comédien pour la pub de Meetic, rappelez-moi,
c'est de trouver quelqu'un pour pas que la chaise en face de lui reste vide au restaurant,
au prochain dîner entre amis ? Est-on sûr qu'il cherche quelqu'un pour les bonnes raisons ?

Je connais un être fantastique qui a ajouté une année au nombre de son âge.
Que je ne regrette pas de n'avoir pas connu plus tôt, même s'il aurait été amusant,
par curiosité, de voir les traits de l'enfance, ou s'il se serait passé ensuite quelque chose,
entre nous, même si j'en doute puisqu'il faut croire qu'il y a un moment pour tout.
Cette personne qui incarne le toi de tant de textes qui claquent au vent de ce cyberespace,
où je peux m'épancher sans déranger, sans faire de vagues, bien qu'avec précautions.
Quand c'est un moyen de travailler ensemble, d'être ensemble, entre deux collisions.
J'ai enfilé un jean pour remonter l'avenue du front de mer. Histoire de me signaler.
La lumière est belle et je suis bien accompagné. Que faudrait-il de plus ?
Cet être qui m'inspire, je le laisse respirer. Ne lui impose rien.
Et surtout pas des changements dont je ne saurais quoi faire.
Nous avançons en âge. Il m'a fallu quarante ans.
Pour te rencontrer peut-être. Mais pour apprendre à aimer.
Apprendre à faire confiance. Quand je sais que cela ne se serait pas produit.
Si ça n'avait pas été toi. C'est ce qu'il faut comprendre ou conclure.
Et l'écrire allume un sourire que je n'avais plus vu
depuis assez longtemps pour que je le mentionne.
Je me lève du banc et je pars. Et sans me retourner.
Je laisse un peu de moi dans ce que tu emportes du moment qui s'allonge.
De tout ce que tu as le goût de faire durer, à ton rythme, et si c'est pour la vie,
elle ne sera pas assez longue pour contenir ce que j'éprouve pour toi,
d'admiration, d'amitié, de passion, de tendresse, d'appétit, et de reconnaissance.
J'ai l'habitude de vivre sans toi. Si bien que la séparation ne peut plus être crainte.
Pas même la dernière. Puisque je suis si sûr d'avoir sauvé mon âme.
Et mon humanité.

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
 
 
Partager cet article
Repost0
17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 04:29



Je ne suis pas plus narcissique que les autres.
Pas plus que tous ces cons qui se prennent en photo avec leur portable,
et qui en plus n'assument pas, et se retrouvent dans des poses improbables,
pour ne pas qu'on voit que ce sont eux qui tiennent l'appareil devant la glace.
Facebook. Quel étalage ! Quelle mise en scène de soi. Quelle époque.
Le quart d'heure de gloire de Warhol a été pulvérisé par internet.
La télé-réalité et les célébrités fumeuses dont on ne sait plus que foutre. Balayées.
L'ego trip pour cacher la misère. Des milliers d'amis transformés en spectateurs.
L'audience de notre petit théâtre quotidien. Un public. Erotomane parfois. Indifférent surtout.
Qui se fraye un chemin dans le torrent d'informations que l'on y vomit tous ensemble.
Quel putain de délire collectif. Individualiste à l'extrême et collectif à la fois.
Je serai ce soir à Antibes. Ok. Voilà pour un musicien un moyen de promotion.
Je suis en train de pisser. Voilà qui est plus étrange. Un morceau de bravoure.
Hérité des Loft et Secret Story. Prendre sa douche devient un évènement.
Un foutu peace of art qui mérite d'être filmé et diffusé sur une grande chaîne de télévision.
Ou bien ta gosse qui hurle et se roule par terre dans la cuisine pour Confessions Intimes.
Voilà que chier ou faire chier sa mère devient digne d'intérêt pour les masses désoeuvrées.
Cela fait un programme. Et à tant de vacuité, en effet, nous pouvions faire les nôtres.
4 hours ago near Gif-sur-Yvette. " J'ai cassé mon talon lol ".
Combien de personnes à la dérive viendront liker l'information ?... That's the point.
Voilà cet être humain, infiniment médiocre et touchant à la fois, qui désespérément,
sous prétexte de partager avec ses amis, ne fait ici que tester sa popularité.
J'hallucine... Non mais allô quoi. Dorothée et RécréA2, c'était le Moyen Âge ?...
Qui a dit la Préhistoire ? Et ma main dans la gueule, non ?...
Qui est-ce qui peint sur les murs de sa caverne sinon cet homme de Cro-Magnon ?
Qui a trouvé de nouvelles parois pour laisser une trace de sa main biodégradable...
Se rassurer sur le fait qu'il existe. Où il se représente lui-même.
Je fais moi-même ma programmation musicale. Thanks to Youtube.
N'ai plus besoin d'allumer BFMTV quand des amis se seront chargés
de me dire ce qu'il se passe en Egypte ou à Gif-sur-Yvette.
L'info est d'ailleurs souvent publiée sur Facebook et Twitter, désormais,
avant-même d'être relayée par les journalistes des anciens médias dépassés.
Et nous finissons par apprendre des choses avant eux. Ou bien en même temps.
Wow... c'est une nouvelle civilisation qui se lève, camarades, comprenez-le.
" Bonsoir. Comment allez-vous ? Moi, ça va! Je me prénomme Céline.
Je suis une jeune femme âgée de 29 ans. Et je suis célibataire sans enfant. "
What ? Meetic est doublé par la droite ? Voilà que ça branche sec par Toutatis.
" ... Au faite, je suis sur ce moyen de communication rien que pour mieux agrandir
mon cercle d'amitié et voir plus si affinité. " Oui oui. Je vois. Jolie demoiselle.
A l'accueil sympathique que je fais, en petite allumeuse que je suis,
voilà qu'on m'envoie des photos en privé, et me dis qu'on n'a pas froid aux yeux.
Puisque c'est chaud les amis, c'est chaud ! J'ai des photos de gens en sous-vêtements.
A moitié nu. Ou complètement à poil. Devant le miroir de la salle-de-bains.
Quand l'homme du XXIe siècle, voyez-vous, même sans la moindre parcelle de textile,
se trouve affublé d'un nouvel organe au bout de la main appelé smartphone.
Mi-humain, mi-androïde. Voilà qui est fait. L'homme se robotise enfin.
Je le comprends en découvrant ces gens tout nus dotés de téléphones au bout du bras
qui se prennent en photo pour tester leur apparence ou leur potentiel érotique.
Oui, je sais. Je me trahis ! On fait de Facebook ce que l'on veut, n'est-ce pas ?
Et l'on peut aussi bien rester à l'abri entre amateurs de chats ou de poésie,
sans être importuné par des nymphomanes et des chauds de la braguette électronique.
Oui, je prends tout. Le tout-venant. Je dis oui à tout le monde. C'est la foire. Open bar.
Pas question de passer pour un loser. Quand nous sommes en compétition.
Je vais passer la barre des 1000 amis. Et niquer sa gueule à untel qui n'en a que 982.
Et ouais. Je me kiffe. Et c'est trop génial. Je me prends en slip en photo. Et je partage.
Je ravage l'industrie du porno avec ma sextape ? Pas de scrupules.
Il ne s'agit plus de jouir mais de montrer que l'on jouit. Bogoss. Pas bolos.
Je me suis filmé avec ma copine. Trop bien. Mieux que sur PurePeople. La star, c'est moi.
Et c'est qu'on me voie jouir qui me fait jouir. Qui est ce Mickaël Vendetta ?
Pardon ? Qui ça ? Quoi ?... Non. Désolé. Connais pas.
Je vais me prendre en photo à poil pour faire le buzz. Faire le buzz ? Oui. Exister.
Puisque cette société vous promet que vous n'êtes rien si vous n'êtes pas vu.
Je peux m'offrir aussi. Allez-y. Likez. Likez-moi. Likez-moi bien comme il faut.
Et je vous montre ma bite. Parmi des millions d'autres bites égarées sur le web.
Une jeune trentenaire peut chercher sur un site une bite qui lui ressemble.
Puisqu'on peut la commander comme une pizza en cochant les bonnes cases.
" Je le veux sportif. Un peut intello. Macho mais pas trop... Une bonne situation. "
Facebook remplace le catalogue de la Redoute.
Y compris pour ses utilisations les moins avouables.
C'est que je suis le modèle. Et que je veux ma copie. " Quelqu'un qui vous ressemble. "
Pourquoi faire ? Quand c'est moi que je kiffe. Que je me baiserais bien.
Je suis star et diva. Je communique sur ma petite dépression. Regardez-moi souffrir.
Et je vous crache mon bonheur à la figure. Ouais. Je suis sur une plage en Thaïlande.
A Ibiza, avec des amis, qui, le nez sur leur smartphone, vérifient la popularité du post
qui annonce qu'ils sont à Ibiza avec des amis, dont je suis. Puisqu'ils m'ont taggé.
Au restaurant aussi. Nous passons le dîner à poster les photos du dîner.
A vérifier avec inquiétude ensuite que cela provoque quelques réactions.
Je ne suis pas narcissique. C'est juste que je vais mourir.
Sans avoir le temps de savoir qui je suis.
Et que l'éternité du quart d'heure de gloire ne sera pas volée.


 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    
 
Partager cet article
Repost0
16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 01:03



Je me suis approché, soudainement inquiet, les yeux ronds, incrédule.
J'ai ouvert le portail de la maison. De notre maison de la plage.
Quelque chose me conseillait de ne pas faire de bruit.
Je connaissais les caprices de la poignée, ceux du battant.
Doucement. J'ai pénétré chez moi. Mais comme un cambrioleur.
Je n'en revenais pas. La voiture avait disparu.
A pas de loup, j'ai avancé sous l'auvent où nous l'avions laissée.
Dans l'allée. Progressant avec prudence vers la porte d'entrée.
Me demandant comment cela avait été possible. Quelque chose n'allait pas.
Elle n'avait pas pu se volatiliser. Et si on nous l'avait volée, il y avait forcément un truc.
Que je ne tardai pas à découvrir.

J'avais bien failli y passer.
Un rapide pas en arrière m'avait évité le pire. Un réflexe.
Dès que j'ai senti le sol se dérober sous mon pied. S'amollir. Avant de s'effondrer.
J'ai reculé. Pour voir, stupéfait, une couche de feuilles mortes, de racines et de terre mêlée,
dissimulée sous une réplique de la chape d'origine, céder sous son propre poids.
Cela ne semblait pas être un piège. Je me suis prudemment penché sur le cratère.
Ne pouvant croire ce que je voyais. Un passage était ouvert jusque sous la clôture.
Une large galerie souterraine creusée par où on avait forcément évacué la voiture.
Pourquoi diable ne pas avoir forcé le portail ?... C'était hallucinant.
J'ai fait le tour du trou béant, averti qu'il me fallait décidément faire attention.
Sur la pointe des pieds, dans la pénombre, je devais rejoindre la maison.
Avec l'intuition que j'allais au-devant de nouveaux ennuis.

Nous verrions pour la voiture plus tard.
Il me fallait vérifier que tout allait bien dans la villa.
Je n'ai pas allumé la lanterne du patio. Préférant rester dans le noir.
La lune était assez ronde pour rendre la nuit claire. Je distinguais l'entrée.
La main sur la poignée. Que j'ai baissée. La porte s'ouvrit.
Quand il était évident que je n'avais pas pu partir sans l'avoir verrouillée.
Elle n'était pas fermée à clé. Et je fus certain que quelqu'un était dans la maison.
J'ai ouvert grand sans passer le pas. Inspecté les lieux de l'extérieur un moment.
La grande baie vitrée du jardin, à l'opposé, laissait entrer une lumière pâle.
Eclairant faiblement tout le rez-de-chaussée en en gardant toutes les ombres.
J'ai hésité à m'annoncer, en allumant pleins feux toutes les ampoules disponibles,
et en faisant le vacarme naturel de quelqu'un qui rentre chez lui.
J'avais fait un pas en avant, désormais à l'intérieur, et, le doigt sur l'interrupteur,
j'ai senti que cela aurait été une très mauvaise idée. Je retenais mon souffle.
La porte ouverte derrière moi, je regardais devant, voyais mieux les détails de la pièce,
quand mes yeux avaient fini par s'habituer à l'obscurité.

C'est une étrange sensation que de ne pas reconnaître tout à fait le lieu où l'on vit.
C'était bien ma maison de la plage. Je retrouvais chaque meuble à sa place exacte.
Mais j'y trouvais quelque chose de changé. De différent. Qui ne me plaisait pas.
Etait-ce cette lumière sépulcrale de la pleine lune ? Qui transfigurait tout ?
Ou ce silence inhabituel ? Dans la maison comme dans la rue, qui me prenait à la gorge ?
J'avais cette désagréable impression qu'il y avait encore un leurre quelque part.
Pire encore. Que la maison était habitée. Je sentais une présence.
Et j'en eus la chair de poule. Un frisson a parcouru mes jambes.
Mais je devais en avoir le coeur net. Cette maison était la mienne.
Je devais reprendre possession des lieux.
J'ai fait un pas. Et puis un autre. Jusqu'au meuble où se trouvait le téléphone.
Une sorte de coffre. Sous l'escalier ajouré qui s'enroulait autour d'un mur porteur.
Je ne suis pas allé plus loin. Quelque chose avait attiré mon attention.
Un objet posé à côté du téléphone.

Le sang glacé. J'ai pris l'objet dans la main.
Et sus à l'instant précis où je l'ai saisi que je n'aurais pas dû faire ça.
Je l'ai approché de mon visage pour le voir de plus près. Une arme.
Un revolver dont le poids m'a surpris.
Comment un objet aussi petit pouvait être aussi lourd ?...
Je n'avais jamais touché à une arme à feu de ma vie.
Sa présence dans la maison n'était pas de bon augure.
Et j'eus la certitude qu'elle était là pour moi, placée là à mon intention.
Comme si elle m'attendait. Je fus tenté de la jeter par terre, de m'en défaire.
Mais compris aussi qu'il était trop tard. Qu'il était impossible de reculer.
Quelque chose s'était enclenché. J'étais tombé dans le piège.
Et je devinai, avec des sueurs froides, que la présence qui me guettait dans l'ombre
m'attendait quelque part dans la maison, dans une pièce voisine, ou à l'étage peut-être,
et que, dans sa mansuétude, son fair-play, ou son extrême perversité,
il me faisait une grâce, un cadeau pernicieux, diabolique, en me donnant une chance.
Celle de me défendre.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
  
 
Partager cet article
Repost0
15 juillet 2013 1 15 /07 /juillet /2013 09:40

 

 

Ce qui est pris n'est plus à prendre.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    
 
Partager cet article
Repost0
14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 04:27

O



L'eau. Que je bois. Que je mange. Que je nage. Que je douche.
Que je mets dans ma peau. Dans ma bouche.
Que je vénère. Que je désaltère. Que je broie. Que je noie. Que j'éclabousse.
L'eau que j'hydrate. Que je lave. Que je rince. Que je pleus. Que je baigne.
Je m'y sèche les cheveux. Les épaules. Et le dos. Et la nuque.
Je la casse. Je la brasse. Je la plonge. Je l'éponge. Je la soigne.
Je l'asperge. Je la brûle. Je la sonde. Je l'arrose. Je l'inonde. Je la saigne.
L'eau. Que j'évapore. Que je nuage. Que j'essore. Que j'orage.
Que j'averse. Que je mer. Que je vague. Que j'écume.
Que j'aborde. Et saborde. Que je coule. Que j'échoue. Que j'épave.
Je la sable. Je la plage. Je la bronze. Je l'adore. L'idolâtre.
Je l'essuie. Je l'égoutte. Je l'écoute. Je l'entends. Je l'étends.
Je la prends. Je la prie. Je la donne. Je la vide dans mes pores et dans mes yeux.
Je la pleure. La transpire. Je la pisse. Je la bave. Je la mouche.
Je la touche. La caresse. La masturbe. Je la lève. Je la couche.
Elle s'abîme sur mes dents. Elle s'embrume sur mes cils.
Elle m'embrasse sur la bouche. Sur la langue. Sur mes joues.
Je la mouille. Je la fouille. Je la réveille. Je la chauffe. Je la glace. Je la pile.
Et je m'y jette une dernière fois. Comme en terre.

 

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    
 
Partager cet article
Repost0
13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 15:48



Le destin. Bien sûr.
C'est ce que l'on peut nommer une fois les choses faites.
Je ne sais pas si ce sont des forces extérieures qui ont guidé mes mains ce soir-là.
Lorsque, j'y repense, il y avait un concours de circonstances, une suite logique,
un enchaînement d'idées qui se tient, implacable, comme aux dominos en cascades.
C'est cet évènement extérieur qui a mis le feu aux poudres.
Improbable. Un match de football. Pour moi qui ne m'y intéresse pas.
Mais le pays qui fêtait sa victoire, jusque dans mon quartier, dans un Roussillon reconquis,
ne pouvait pas me laisser indifférent, a pu même réveiller un sentiment d'appartenance.
L'Espagne. Une moitié de moi. Qui suis revenu au lieu où je suis entier. La frontière.
Ma fidèle table en noyer placée face à la seule fenêtre de mon logement d'alors.
Je suis à mon bureau. A mon ordinateur. Il fait déjà chaud. La fenêtre est ouverte. Sur la nuit.
Sur la rue. Alfred de Musset. Je suis à peine tombé de l'arbre de mes cinq années à Paris.
Je suis encore couvert d'ecchymoses. Meurtri. Et je respire l'air de ma ville natale.
Perpignan qui m'avait recueilli. Et son parc, tout proche, pour rouvrir mes poumons.
Je n'avais pas regardé la télévision. N'étais même pas au courant qu'il y avait un match.
Et j'ai levé le nez aux premières démonstrations de joie qui éclatèrent alentour.
Il se passait quelque chose. Une euphorie communicative qui prenait de l'ampleur.
Je venais de sauver ma peau. Et j'étais attentif aux moindres signaux d'embellies.
Quand j'avais le besoin de rebondir au plus vite. De me remettre en selle.
Et je devais saisir toutes les opportunités qui pouvaient se présenter.
Je cherchais sur internet. Etudiais le terrain. Voir qui faisait quoi dans ma ville.
Que j'avais abandonnée trop longtemps. Les choses avaient eu le temps de changer.
Je n'étais pas vraiment en état de songer à ma vie sentimentale et sexuelle.
Il fallait d'abord reprendre de l'assurance, une assise, une activité, rencontrer du monde.
J'avais repris contact avec des gens, annoncé mon retour, et j'allais m'intéresser
à ce que faisait la Casa Musicale et la Fédération des Oeuvres Laïques.
J'écrivais des mails. Prenais des rendez-vous. Décidé à ne pas me laisser abattre.
Facebook me permettait de voir, parmi mes amis, et leurs amis ensuite,
ceux qui travaillaient dans un domaine où j'aurais pu apporter quelque chose
ou proposer mes services. Je faisais de la prospection.
Et c'est l'Espagne, par des voies détournées, qui est venue, un soir,
dans ma fenêtre, me lever le menton.

J'étais seul depuis longtemps.
Le besoin de passer à autre chose après une histoire de trois ans,
m'avait mis sur une voie de garage où n'avaient défilé que des corps de passage.
Et j'avais sans doute une part de moi qui rêvait tout de même de rencontrer quelqu'un.
Ce qui expliquait une émotivité exacerbée, la perte de confiance qui s'était logée en moi.
Comme une balle dans la poitrine. Dont je ne sentais même plus la présence.
Je n'aurais pas réagi aussi fort à la victoire de l'Espagne si j'avais eu quelqu'un dans ma vie.
J'aurais été occupé à faire l'amour ou autre chose, et n'aurais pas été aussi touché que je le fus.
C'est parce que j'étais seul que cette ambiance festive a pris de telles proportions.
Il y avait un fond de mélancolie que je pouvais déceler dans le sourire qui a déformé ma barbe.
Et comprenais qu'il y avait un brin de misère affective à être aussi perméable et ému.
Des voitures klaxonnaient dans la rue. On chantait. On riait. On criait.
On déployait des drapeaux rouge et jaune, assis sur les portières aux vitres baissées.
Les gens étaient heureux. Et je ne l'étais pas. Ou seulement par procuration.
J'ai renoncé à sortir. Pris le parti de continuer à explorer le web en profitant de la fièvre.
Qui, parce qu'elle était espagnole, ouvrit une boîte de Pandore où mon enfance était retenue.
J'étais resté si loin de mes pinèdes et de ma Méditerranée. Il y avait des retrouvailles.
Et je savais qu'il était question d'une façon ou d'une autre de renouer avec moi.
La liesse dans Perpignan me portait. Me boostait. Me remobilisait.
Et parmi tous les contacts Facebook dont je ne connaissais vraiment qu'un cinquième,
passant en revue ceux qui m'avaient sollicité ou accepté dans des logiques de réseaux,
je feuilletais des pages d'inconnus liés à l'édition, à la chanson, à la poésie ou au jazz.
Quand un profil en particulier attira mon attention. J'ai relevé un sourcil.
Forcé mon regard comme pour m'aider à me concentrer. Cliqué sur About.
Aux amis communs que nous avions, bien sûr, cela n'avait rien d'étrange ni de suspect.
Lorsque, honnêtement, j'aurais été incapable de situer dans le temps le moment du contact.
Depuis combien de temps étions-nous amis sur FB ?... Forcément après tel spectacle. Oui.
Auquel j'avais participé en tant qu'auteur. Mais quand exactement ? No idea.
A vrai dire, peu importe. Il y a tant de personnes sur ce réseau dont je ne sais rien.
Je ne me rappelle pas par quel chemin je suis arrivé sur ce profil. Agréable à regarder.
Ce qui a probablement joué inconsciemment dans l'intérêt soudain que je lui ai porté.
Mais il fallut que ce qu'il y avait sur le mur me plaise assez pour avoir envie d'avancer,
des photos, des vidéos, assez pour avoir envie d'en savoir davantage.
En brassant ces informations, j'ai fini par me piquer le doigt sur une donnée capitale,
et la vive décharge électrique que cela produisit dans mon cerveau m'indiqua une chose.
L'aiguille dans la botte de foin. J'avais trouvé quelque chose. Ou quelqu'un.
La donnée qui se planta comme une écharde était le fait que ce quelqu'un était d'ici.
Le contact s'était fait quand j'étais à Paris, dans l'indifférence, quand je n'avais eu
aucune curiosité particulière pour ce nom et ce visage. Et ici, tout à coup, ce fut une surprise,
je découvrais que cette personne vivait et travaillait dans ma bonne vieille région. Chez moi.
Il n'en fallu pas plus pour me convaincre de me manifester aussitôt.

Nous n'étions plus à huit-cents kilomètres de distance.
Et la rencontre était possible. Je me suis présenté brièvement.
Une collaboration professionnelle était vaguement possible et envisageable.
Quand il s'agissait d'abord de dire que j'existais, que j'étais à Perpignan, et disponible.
Lorsque je sais que le contact aiguille sur d'autres contacts dans leurs ramifications.
Ce que l'on fait virtuellement sur internet, j'avais à coeur de l'incarner davantage.
Il fallait que je sorte de ma coquille. Que je sorte la tête de l'eau. Rencontrer les gens.
Me faire connaître. Et mes intentions ne me paraissaient pas aller au-delà de ça.
J'en étais si bien convaincu que je n'ai eu aucun mal à être simplement sympathique.
Il n'y avait aucune ambiguïté dans mon message. Pas l'ombre d'un calcul clandestin.
Ce profil était intéressant, son travail aussi, et, porté par l'euphorie environnante,
l'humeur solaire et généreuse, je n'ai eu aucun effort à faire pour trouver le ton juste.
S'il n'y avait pas eu de goût ni de temps pour une rencontre, pas de problèmes,
puisqu'il n'y avait pas d'enjeux, quand c'était une occasion d'exprimer des encouragements,
et de sincères félicitations, pour ce que je venais de découvrir, et nous en restions là.
Autant dire que je n'attendais rien de ce mail. C'était gratuit. Bienveillant et gratuit.
Une manifestation presque puérile d'une joie intense que je ne pouvais pas garder pour moi.
Quand il y avait cette Espagne victorieuse qui avait réveillé mon sang et ma texture.
Comme lorsqu'on est amoureux. Cette envie de sourire et de dire bonjour à tout le monde.
Une montée de dopamine. D'adrénaline. Euphorisante. La Coupe du Monde 2010.
Je suis heureux d'être revenu sur mes terres catalanes. Sauvé des eaux. A Perpignan.
Alors que je recensais méthodiquement les gens qui y faisaient des choses de qualité.
C'était le cas pour cette personnalité. Que je venais de découvrir. Magnifique.
Et cela apportait de l'eau à mon moulin. Celui de la réjouissance et de l'optimisme.
Le 11 juillet 2010, les supporters fêtaient sans le savoir une autre victoire.
Celle que j'avais finalement emportée sur moi-même. Et sur ma dépression.
Ils accueillaient le Fils Prodigue. Célébraient sa volonté de reprendre le dessus.
Participaient à dégager le ciel et l'horizon. Quand, pour la première fois depuis longtemps,
cette nuit-là, il me sembla que je n'étais pas fini, que j'avais encore des choses à faire.
Que je n'avais pas dit mon dernier mot. Et la liesse générale m'ouvrit la poitrine.
Découvrir qu'il me restait des perspectives fut une émotion dévorante.
Sans savoir que j'en avais ouvert une en particulier,
en écrivant ce mail.

Dans la fièvre de la renaissance, de mon retour au monde,
je n'avais pas conscience de ce que j'avais fait, n'avais aucune idée de ce que j'avais fait.
Le destin dites-vous ? Ce que je sais, c'est que les bonnes choses appellent les bonnes choses.
Qu'il y a des cercles vertueux. Qu'un bonheur n'arrive jamais seul.
Puisque le bonheur appelle le bonheur. Quand on est disposé à s'y soumettre.
J'étais en train de me réconcilier avec moi-même, avec la vie, avec ma ville, avec la nuit,
ignorant que j'allais être grassement payé pour avoir renoncé au renoncement.
Aimez la vie et elle vous le rendra au centuple. Je n'étais pas au bout de mes surprises.
Sur Facebook, une réponse ne tarda pas. 7 minutes. Amicale et bien disposée.
Qui ne déclina pas ma proposition. Une réponse ouverte. Qui me fit plaisir.
Et c'est là que le destin auquel vous pensez, a peut-être pris ses dispositions,
veillant à mettre la personne visée en condition de lire mon mail en temps réel.
Quand la réponse instantanée enclenchait un mécanisme dont je ne suis pas sorti.
Par les dieux peut-être. J'ai été bien inspiré.
Quand je rends grâce au football et à toute cette chaîne qui devait me conduire à toi.
Y compris aux heures les plus sombres. Qu'il fallait traverser. Pour justifier mon retour.
Sans lesquelles je ne serais jamais revenu m'échouer sur la plage de notre paradis.
C'était il y a trois ans. En un clic, j'ai fait basculer ma vie entière. De l'ombre à la lumière.
Un tout petit bout de ficelle qui dépassait quelque part sur lequel j'ai tiré. L'effet papillon.
Faisant tomber sur moi une avalanche de bonheur qui n'attendait que moi.
C'est un conte de fées ? Non. C'est la vraie vie. Plus merveilleuse encore.
Lorsque les pires périodes de nos existences ne sont que des passerelles.
Les temps morts de la chance qui doit reprendre son souffle.
Des passages d'une vie à une autre. Quand il y a toujours une récompense.
Des trésors insoupçonnés au bout. Des plaisirs dont nous n'avions pas conscience.
Mille choses à découvrir encore sur le monde et sur nous-mêmes.
Quand je n'aurais jamais imaginé trouver mon bonheur de cette façon.
Quand je ne l'aurais jamais décrit comme il l'est aujourd'hui avant de le connaître.
Et avant de rencontrer cette personne dont j'avais perdu la mémoire.
Celle dont j'avais toujours rêvé plus jeune. Avant d'abandonner mes rêves.
Avant de perdre la foi. Et de me perdre avec elle.
L'Espagne gagnante venait me rappeler qui j'étais. Et ma ville de province aussi.
Quand l'air de la nuit de juillet avait retrouvé tout son charme. Un ancien sortilège.
Dont j'ai gardé l'empreinte depuis que je suis gosse et en âge d'aimer.
L'alignement des planètes était parfait. Et je veux bien croire qu'il y avait un dessein.
Quand je n'avais pas le contrôle de ce qui se passait, que j'étais dépassé.
Et chaque année qui passe donne encore plus d'ampleur à la révolution.
Le temps, à sa mesure, rend les choses sérieuses, incroyables et crédibles,
donne leur majesté aux histoires d'amour, avec leur épaisseur et leur légèreté.
Il dit à chaque lune qu'on ne s'est pas trompé. Quand la victoire est longue.
A nos transformations, aux forces que l'on gagne, à prendre de la bouteille,
et à aimer vieillir.

 

 

 

Philippe LATGER
Juillet 2013 à Perpignan
    
 
Partager cet article
Repost0

Lectures

 

 

Stéphane Facco  Stéphane Facco 

 

Lambert Wilson  Lambert Wilson 

 

  Contes du Jour et de la nuit

      Véronique Sauger     

 

Lettres à ma ville

  (spectacle des Estivales juillet 2000) 

 

 

  publication chez Soc&Foc 2012 

La terre est rouge

 

interview la terre est rouge

 

 

 

 

  Parolier / Discographie 

 

LaViedeChateauArtMengo

 

 BlondedanslaCasbahBiyouna

 

 

BOAzurAsmar

 

 MeskElilSouadMassi

 

 LoinLambertWilson

 

 7ViesTinaArena

 

 BetweenYesterdayandTomorrowUteLemper

 

 CestTropMissDominique

 

 SijenétaispasmoiMissDominique

 

 

WinxClubenConcert

 

 

OuvontlesHistoiresThierryAmiel

 

 

Live en trio 

 

 

 

 

  Compilations  

        Compilation 2009

 

 

Compilation 2010 Universal

 

 

 

 

cinéma

 

MauvaiseFoi

 

 

 

 

  spectacle café de la danse 

MadreFlamenco