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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 02:21

 

 

Roissy. L'odeur de plastique un peu écoeurante du Boeing.
Une odeur de glacière et de bouffe de plateaux-repas.
Retour à la maison. Ma rue St Timothée. Ma ville de Montréal.
Je n'avais pas rêvé. Un acteur français venait de me lire sur scène.
Le séjour à Rome avait enveloppé cet évènement historique.
Et je revenais au Québec avec un peu plus d'assurance.
Mon écriture devait bien valoir quelque chose.
Ma soeur allait venir avec ses filles. Au Canada.
Pour que je les emmène à Toronto et aux Chutes du Niagara.
Mais sur internet, j'allais chercher à publier. Sortir du bois.
Pour entrer dans la jungle du web.
Solliciter des webmasters qui donnaient leur temps aux jeunes auteurs.
Offraient une tribune aux jeunes pousses, aux amateurs.
Mes nièces étaient encore deux petites filles.
Et nous sommes allés au parc d'attractions de La Ronde.
Quel été fantastique. Le premier de ce siècle. J'avais 27 ans.
J'avais un texte en moi qui avait été dit par un autre à mes compatriotes.
Je le proposai à un site dédié au poète Gaston Miron.
Le dos tourné au jardin et à la rue Amherst que l'on devinait à travers les feuillages.
A la terrasse de bois en triangle qui habillait le coin de mon petit immeuble.
Dans ma chambre. Sur mon ordinateur. Le premier de la liste.
Le jeune loup orphelin s'aventurait hors du bois. Enfiévré.
Et fut accueilli par une hôtesse. Bienveillante. Attentive.
Rétrospectivement, je l'écris, j'ai été recueilli.
Cueilli par une louve. Dorothy.
Lorsque ce sont toujours les femmes qui m'ont encouragé.
Epaulé. Accompagné. Et aidé à grandir en écriture.

Elle corrigeait les textes avant de les publier.
Venait, avec délicatesse, dans un courriel, demander mon avis.
Faire des suggestions. Chercher à comprendre l'intention.
Et ce fut le début d'une longue correspondance.
La bouilloire en inox sifflait dans ma cuisine pour une boisson chaude.
Dans un écrin bleu où je me nourrissais déjà essentiellement de tabac et de café.
Au-delà de mes piètres chroniques pour le magazine, je publiais désormais sur la toile.
De nombreux textes furent en ligne sur Au plaisir d'écrire. Grâce à elle.
Qui très vite, n'était plus une simple correctrice, mais une véritable éditrice.
Qui me poussait habilement dans mes retranchements, à travailler, à écrire.
A donner le meilleur de moi-même.
Dorothy Leigh fut aussi une confidente. Une psy. Une amie.
A qui j'ai peut-être écrit des choses plus importantes que celles publiées.
L'hiver revenait sur le Mont-Royal et son Lac aux Castors.
Et je me suis couvert les épaules de cette longue conversation électronique,
chaleureuse, vitale, qui allait durer jusqu'à mon retour définitif en France,
quand je lui écrivais encore depuis Toulouse où j'avais pu me replier en catastrophe.
Je ne saurais dire exactement à quel moment le lien s'est dénoué.
Dans mon lit-bureau de la rue de l'Horloge, je cherche sur Google.
Me rappelant que je ne lui avais pas dédié Textures par hasard.
Quand elle avait accepté d'écrire un mot pour me présenter dans le Damier.
La Dame poétesse de Repentigny. La reine du haïku. La mère de substitution.
La présence dite virtuelle par des esprits incrédules ou sceptiques,
bien plus réelle que d'autres pourtant parfaitement physiques.
L'amie que je n'ai jamais rencontrée.
L'amie que je n'ai jamais oubliée.
Entre l'âme et l'écorce.

Je faisais mes courses Place Dupuis ou sur Ste-Catherine.
Retrouvais mes voisins devant la maison qui sortaient le chien, fumaient une cigarette,
recrutaient pour l'apéro, toujours prompts à vous garder pour dîner.
Pierre et René. Deux anges gardiens qui m'avaient adopté le jour-même de mon installation.
Je filais ensuite me débattre dans le whisky de tous les bars et les clubs du Village.
Et ne remontais à la surface qu'à l'écran de l'ordinateur quand j'avais été capable
de retrouver, dans la neige, le chemin du sommeil, de mon lit, dans ma chambre.
Déjà, le premier réflexe était, avant toute chose, de consulter la messagerie.
Y trouver un mot de ma bienfaitrice était toujours le moyen de partir du bon pied.
Un îlot de mansuétude dans le mal que je me faisais.
Parmi les blocs de glace qui tintaient dans un fleuve de Scotch,
il y avait un phare stoïque pour indiquer la route ou éviter le naufrage.
La voix de la raison. Et la lumière qui me faisait apparaître meilleur que je ne l'étais.
Je n'étais pas son fils. Mais elle était une mère.
Avec ce cocktail subtil d'attentes et d'abnégation.
L'indulgence et l'exigence.
Quand j'avais des comptes à lui rendre qu'elle ne me demandait pas.
Que l'opinion qu'elle pouvait se faire de moi comptait beaucoup,
avec la peur de la décevoir, quand elle ne me jugeait pas.
Dorothy ne me cachait pas son affection mais ne cherchait pas à m'infantiliser, 
lorsqu'elle se confiait aussi, comme une façon catégorique d'échanger d'égal à égal,
d'adulte à adulte, ou d'enfant à enfant, de poète à poète, d'être humain à être humain,
ne pouvant ni voulant prendre une place qui n'était pas la sienne.
Avec pudeur et générosité, avec patience et conviction,
la fée ne m'a pas fait seulement grandir dans l'écrit.
Puisque mon écriture et moi sommes la même chose.
Et qu'elle n'a pas aidé seulement l'auteur.

J'ai sa voix dans l'oreille, sur la bande magnétique.
D'une cassette que j'ai reçue à ma nouvelle adresse.
Je suis en France. Dans cette maison avec sa lanterne au coin du portail.
Son allée de dalles en ciment un peu rose. Et son rectangle de piscine.
Où je suis retourné il y a peu m'étrangler d'émotion à la fenêtre de la cuisine.
Le courrier postal by airmail m'apportait une trace de sa matérialité de femme incarnée.
Au réveil brutal de mes années québécoises, une preuve que je ne l'avais pas rêvée.
Dans la chambre, au rez-de-jardin, un magnétophone grâce auquel je l'entends lire :
" Punks et junkies sur Ste-Catherine, errent sur les terrains vagues entre sex-shop et peep-show. "
Je suis sonné. Au timbre ravissant. La générosité. Son appétit des mots.
Lorsqu'elle n'aime pas que les siens. Qu'elle les aime pour eux-mêmes.
Je suis là. Bouleversé d'entendre le souffle d'une personne, me rendre compte qu'elle existe,
qu'elle me parle, presque embarrassé et à la fois soulagé au sentiment de la reconnaître.
L'accent et le phrasé me crèvent le coeur. Tout le Québec à fleur de peau.
J'en ai la chair de poule. Les sirènes de l'Hôpital St-Luc. Les tempêtes de neige.
Le sourire de Geneviève. Pierre et René. Le phare de la Place Ville-Marie. Jean Leloup.
Les feux d'artifice sur le pont Jacques Cartier. Le chemin parcouru.
Aux douleurs de vivre. Au plaisir d'écrire.
Ces lignes par exemple, que je lance ici depuis mon lit-bureau. Dix ans plus tard.
Quand j'ai encore aux tissus de mes doigts comme à ceux du cerveau, toute entière,
l'énergie rassurante de son halo intact, de ce qu'elle m'a donné, de ce qu'elle m'a appris.
A chercher sur Google et les pistes étroites des liens possibles de Lanaudière
le moyen de remonter le fleuve jusqu'à la source pour lui dire merci.
Merci ma dame. Je vous embrasse. Je vous salue. Et n'oublierai jamais.
Ce que c'est qu'une louve et la force de l'écrit.


 

 

 

Philippe LATGER
Mars 2012 à Perpignan

 

 

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