A chaque accord, sur le piano, qui pleut à ma cadence, la main lourde,
je plonge mes doigts dans mes plaies, et dans mes veines,
j'arrache un coeur à perdre haleine, sur une marche, presque funèbre,
lorsque des cuivres de fanfares ou d'harmonies, depuis un kiosque,
se déploient dans ma grimace, dans ma poitrine, et mes vertèbres.
Au tempo d'une trotteuse, chaque seconde est martelée, sur le clavier,
au feutre de ma peau usée, sur des cordes qui se dénouent, un peu plus à chaque vague
qui écume à mes hublots, laisse en se retirant un regard flou et des regrets.
Je joue la mort au corbillard de mon piano, noir et laqué, et au panache des chevaux,
la fin d'un épisode ou de cette page à tourner, le déchirement, écartelé, sur le clavier,
entre ce que j'ai aimé, avant, et ce que je pourrais aimer, après.
Les trombones obséquieux, qui cherchent la lumière, s'élèvent dans nos crinières,
quand je serre les mâchoires, marquant la pulsation comme à un compte à rebours.
Les cors aussi semblent d'accord, pour mimer l'aube, l'or de l'aurore, du petit jour,
quand j'étais bien dans cette nuit, que la quitter me fend l'armure,
brise mon coeur ou broie mon corps.
L'espoir présent dans la débâcle me triture le ventre et le cerveau.
Me tord le cou et les boyaux. Comme à l'heure du départ. Quand on ne veut pas partir.
Et ma main gauche continue, pour faire durer le plaisir. Ou pour reculer l'échéance.
Mon sourire est monstrueux. Celui qu'on fait pour ne pas pleurer.
Qu'on fait pour transformer l'essai. Tenir le rythme et la distance.
Quand il faut aller au bout.
L'accordéon s'épuise.
Ma main restera en l'air.
L'index levé.
Le noir est fait.
Philippe LATGER
Mai 2012 à Perpignan